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Cour fédérale

 

Federal Court


 

Date : 20091216

Dossier : IMM-2166-09

Référence : 2009 CF 1279

Ottawa (Ontario), le 16 décembre 2009

 

En présence de monsieur le juge Russell

 

 

ENTRE :

ALI REZA ZAVALAT

demandeur

et

 

LE MINISTRE DE LA

CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

défendeur

 

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

 

[1]               La Cour est saisie d’une demande présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi), en vue d’obtenir le contrôle judiciaire d’une décision en date du 3 mars 2009 (la décision) par laquelle la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission) a refusé la demande présentée par le demandeur en vue de se faire reconnaître la qualité de réfugié au sens de la Convention ou celle de personne à protéger au sens des articles 96 et 97 de la Loi.

 

LE CONTEXTE

 

[2]               Le demandeur est un citoyen de l’Iran qui s’est lié d’amitié avec un groupe d’étudiants pour discuter avec eux de sujets de préoccupation en Iran, comme la liberté d’expression et la liberté de presse. Le demandeur affirme qu’après avoir participé à une manifestation en Iran, il a été détenu pendant six jours; il alors été interrogé et battu, et s’est fait casser le nez. Il a dû signer un engagement selon lequel il ne participerait plus à ce genre d’activités et il a été expulsé de l’université.

 

[3]               Le demandeur a de nouveau été arrêté et a encore une fois été interrogé et battu après avoir participé à d’autres réunions avec des gens qui se réclamaient des mêmes idées que lui. Il a eu la jambe cassée. Il a ensuite distribué des tracts antigouvernementaux avec des amis. En février 2006, le père du demandeur a été détenu et interrogé alors que ce dernier se trouvait à l’extérieur de la ville. Son père s’est fait dire que son fils était corrompu sur le plan moral et qu’il devait se livrer aux autorités. Le demandeur a quitté l’Iran pour le Canada.

 

[4]               Le demandeur a présenté une demande d’asile, qui a été rejetée par la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la SPR), qui a estimé que le demandeur n’était pas un témoin crédible.

LA DÉCISION À L’EXAMEN

 

[5]               La décision de la Commission est axée sur la crédibilité. La Commission a notamment demandé au demandeur de préciser à quelle date son père avait été arrêté. Le demandeur a répondu que c’était le 13 mars 2006; il avait toutefois donné la date du 21 février 2006 dans son formulaire de renseignements personnels (FRP). Le demandeur a expliqué qu’il avait fait erreur et qu’il s’était trompé dans ses calculs du calendrier iranien. La Commission n’a pas accepté cette explication parce que le demandeur n’avait pas fait d’erreur en ce qui concerne d’autres dates dans son FRP. La Commission a par ailleurs estimé que cette date était importante puisqu’elle correspondait à l’incident qui l’avait décidé à quitter l’Iran. La Commission a par conséquent estimé, selon la prépondérance de la preuve, que le demandeur n’était pas un témoin crédible ou digne de foi.

 

[6]               Le demandeur a soumis à la Commission un avis et un bref d’assignation. Cependant, d’après les documents sur la situation en Iran, dans les cas d’incidents sérieux, l’accusé ne reçoit jamais de copie du mandat. La Commission a également fait observer que, même si le droit iranien exige que l’accusé soit informé des accusations qui pèsent contre lui dans les 24 heures suivant son arrestation, cette exigence n’était pas toujours respectée. La Commission a conclu : « [c]omme je ne crois pas le demandeur d’asile, je préfère l’information contenue dans les documents sur le pays à celle fournie par le demandeur ». La Commission a par conséquent conclu, selon la prépondérance de la preuve, que le demandeur avait soumis de faux documents à la Commission.

 

[7]               La Commission a cité le jugement rendu par la Cour fédérale dans l’affaire Osayande c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CFPI 368, [2002] A.C.F. no 511, à l’appui de la proposition suivant laquelle le demandeur d’asile qui présente de faux documents à la Commission entache toute sa crédibilité. La Commission s’est donc estimée en droit de rejeter en bloc la preuve présentée par le demandeur. Elle a conclu « selon la prépondérance des probabilités […] que le demandeur d’asile n’est pas crédible ou digne de foi et qu’il n’a pas subi les difficultés alléguées ». La commissaire a également conclu : « [p]uisque j’ai conclu que le demandeur d’asile avait présenté de faux documents à la Commission, selon la prépondérance des probabilités, je rejette tous les documents provenant de l’Iran et n’accorde aucune importance aux conclusions tirées lors de l’examen physique effectué au Canada ».

 

[8]               La Commission a également conclu que l’avocat avait posé des questions suggestives au demandeur à plusieurs reprises au cours de l’audience. Par exemple, l’avocat du demandeur avait demandé à celui-ci s’il avait dû signer quelque chose lors de sa mise en liberté. La Commission a toutefois estimé que « [s]i, comme le demandeur d’asile l’a allégué, il avait dû signer un engagement, il l’aurait affirmé spontanément quand il a décrit la manière dont s’est passée sa mise en liberté. Par conséquent, selon la prépondérance des probabilités, je conclus que le demandeur d’asile n’a pas été détenu en 1999 et qu’il n’a pas subi le préjudice allégué ».

 

[9]               La Commission a conclu qu’elle ne disposait pas de preuve selon laquelle le demandeur était en Iran au moment des incidents allégués, parce qu’il n’avait soumis aucun document pour corroborer ses dires et que sa sœur n’avait pas fait de déclaration sous serment en ce sens.

 

[10]           Le demandeur a déclaré qu’il craignait de retourner en Iran parce qu’il croyait que les autorités iraniennes seraient au courant qu’il avait présenté une demande d’asile. La Commission a rappelé que le Canada ne fournit à aucun pays de l’information sur les demandes d’asile qu’il reçoit.

 

[11]           La Commission a également souligné que le demandeur avait produit un rapport d’examen psychologique et un rapport établi par le Centre canadien pour les victimes de torture. La commissaire a accepté « le diagnostic établi par suite de la consultation, selon lequel le demandeur d’asile souffre d’un trouble de stress post-traumatique et, fort probablement, d’une dépression, étant une personne vulnérable » mais a ajouté que «  puisque je ne crois pas le demandeur d’asile,  je n’accorde à ces documents aucune importance en ce qui a trait à la demande d’asile ».

 

[12]           En résumé, la Commission a conclu que, comme « le demandeur d’asile [n’est] pas crédible et qu’il [a] présenté de faux documents à la Commission, […] il n’y a pas de possibilités sérieuses ni raisonnables que le demandeur d’asile serait exposé à de la persécution pour un motif prévu dans la Convention s’il retourne en Iran ».

 

[13]           Par ailleurs, au sujet de la possibilité que le demandeur d’asile soit exposé à une menace à sa vie ou au risque d'être soumis à la torture ou à des traitements ou peines cruels et inusités, la Commission a estimé que « [à] la lumière de l’analyse effectuée précédemment, selon la prépondérance des probabilités, j’estime que ce genre de risque n’existe pas ».

 

LES QUESTIONS EN LITIGE

 

[14]           Le demandeur soulève les questions suivantes dans la présente demande :

 

1.                  La Commission a-t-elle agi sans compétence, outrepassé celle-ci ou refusé de l’exercer?

2.                  La Commission a-t-elle fait défaut d’observer un principe de justice naturelle ou d'équité procédurale ou toute autre procédure qu'elle était légalement tenue de respecter?

3.                  La Commission a-t-elle rendu une décision entachée d'une erreur de droit, que celle‑ci soit manifeste ou non au vu du dossier?

4.                  La Commission a-t-elle rendu une décision ou une ordonnance fondée sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments dont elle disposait?

 

DISPOSITIONS LÉGALES APPLICABLES

 

[15]           Les dispositions suivantes de la Loi s’appliquent à l'affaire :

 

Définition de « réfugié »

 

96. A qualité de réfugié au sens de la Convention — le réfugié — la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :

 

a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;

 

b) soit, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ni, du fait de cette crainte, ne veut y retourner.

 

 

Personne à protéger

 

97. (1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n’a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée :

 

a) soit au risque, s’il y a des motifs sérieux de le croire, d’être soumise à la torture au sens de l’article premier de la Convention contre la torture;

 

b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant :

 

(i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

 

 

(ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas,

 

(iii) la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes — sauf celles infligées au mépris des normes internationales — et inhérents à celles-ci ou occasionnés par elles,

 

(iv) la menace ou le risque ne résulte pas de l’incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats.

 

Personne à protéger

 

(2) A également qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et fait partie d’une catégorie de personnes auxquelles est reconnu par règlement le besoin de protection.

 

Convention refugee

 

96. A Convention refugee is a person who, by reason of a well-founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,

 

 

 

(a) is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail themself of the protection of each of those countries; or

 

(b) not having a country of nationality, is outside the country of their former habitual residence and is unable or, by reason of that fear, unwilling to return to that country.

 

Person in need of protection

 

97. (1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally

 

 

(a) to a danger, believed on substantial grounds to exist, of torture within the meaning of Article 1 of the Convention Against Torture; or

 

(b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if

 

 

(i) the person is unable or, because of that risk, unwilling to avail themself of the protection of that country,

 

(ii) the risk would be faced by the person in every part of that country and is not faced generally by other individuals in or from that country,

 

(iii) the risk is not inherent or incidental to lawful sanctions, unless imposed in disregard of accepted international standards, and

 

 

 

(iv) the risk is not caused by the inability of that country to provide adequate health or medical care.

 

 

Person in need of protection

 

(2) A person in Canada who is a member of a class of persons prescribed by the regulations as being in need of protection is also a person in need of protection.

 

 

 

 

 

 

 

LA NORME DE CONTRÔLE

 

 

[16]           Dans Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, la Cour suprême du Canada a admis que même si la décision raisonnable simpliciter et la décision manifestement déraisonnable sont des normes théoriquement différentes, « les difficultés analytiques soulevées par l’application des différentes normes réduisent à néant toute utilité conceptuelle découlant de la plus grande souplesse propre à l’existence de normes de contrôle multiples » : Dunsmuir, au paragraphe 44. Par conséquent, la Cour suprême du Canada a décidé que les deux normes de contrôle relatives au caractère raisonnable de la décision devaient être fusionnées pour en former une seule : « la raisonnabilité ».

 

[17]           La Cour suprême du Canada dans Dunsmuir a aussi décidé que l’analyse de la norme de contrôle n’a pas besoin d’être menée dans chaque instance. Plutôt, lorsque la norme de contrôle applicable à une question précise présentée à la cour est bien établie par la jurisprudence, la cour de révision peut adopter cette norme de contrôle. Ce n’est que lorsque cette démarche se révèle infructueuse que la cour de révision doit entreprendre l’analyse des quatre facteurs qui permettent de déterminer la bonne norme de contrôle.

 

[18]           La raisonnabilité est la norme qui convient dans le cas des conclusions de fait (Dunsmuir, précité, et Golesorkhi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 511, [2008] A.C.F. no 637, au paragraphe 8). Par voie de conséquence, lorsqu’on examine la question de savoir si le tribunal administratif a rendu une décision fondée sur une conclusion de fait erronée ou sans tenir compte des éléments dont il disposait, la norme appropriée est la raisonnablilité.

 

[19]           Lorsque la Cour effectue le contrôle de la décision selon la raisonnabilité, son analyse tiendra « à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit. » Dunsmuir, au paragraphe 47. Autrement dit, la Cour devrait intervenir seulement si la décision est déraisonnable en ce sens qu’elle n’appartient pas aux « issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ».

 

[20]           Le demandeur soulève par ailleurs des questions d’équité procédurale, lesquelles sont assujetties à la décision correcte (Dunsmuir, précité, et Golesorkhi, précité). La décision correcte est également la norme qui s’applique lorsqu’on se demande si le tribunal administratif a outrepassé ou non sa compétence (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Hua, 2001 CFPI 722).

 

LES PRÉTENTIONS ET LES MOYENS DES PARTIES

            Le demandeur

                        Erreur de fait

 

[21]           Le demandeur affirme que la Commission a commis une erreur lorsqu’elle a affirmé avoir reçu et examiné ses observations. Le demandeur soutient qu’aucune observation n’a été reçue et que son avocat ne s’est pas vu offrir la possibilité d’en soumettre. L’audience s’est terminée sans qu’aucune observation n’ait été soumise et elle a été suspendue en attendant que la Commission reçoive les documents complémentaires qu’elle réclamait.

 

[22]           Le demandeur a soumis des documents avant l’expiration du délai fixé pour leur production. À la clôture de l’audience, l’avocat du demandeur a été informé qu’une décision serait prise au sujet de la présence future du demandeur devant la Commission pour répondre aux questions qui pourraient être soulevées à la suite de la production des documents déposés après l’audience. Son avocat a également été informé qu’une décision serait prise au sujet des observations et de la forme qu’elles devraient prendre. Aucune autre communication n’a toutefois eu lieu jusqu’au moment où le demandeur a été informé de la décision défavorable le concernant.

 

[23]           L’alinéa 170e) de la Loi reconnaît au demandeur le droit de présenter des observations. Le demandeur affirme que le fait de refuser cette possibilité à son avocat constitue un manquement à l’équité procédurale, étant donné que le demandeur n’avait pas été en mesure de répondre aux préoccupations exprimées par la Commission.

 

Dates incompatibles

 

[24]           Le demandeur affirme que la Commission a également commis une erreur en affirmant que le demandeur s’était trompé au sujet de la date de l’arrestation de son père. Le demandeur a eu recours, à l’audience, aux services d’un interprète farsi à qui il a donné la même date que celle qui figurait dans son FRP. Le demandeur a par conséquent expliqué que, si une erreur avait été commise, c’était une erreur d’interprétation lors de la conversion des dates du farsi à l’anglais.

 

[25]           Le demandeur affirme qu’il est difficile pour les interprètes farsis de convertir le calendrier iranien. Ainsi, une date du mois de février 2006 pourrait correspondre tant à janvier qu’à mars 2006. Le demandeur affirme en outre que le fait d’utiliser l’une ou l’autre date n’a eu d’incidence sur aucune autre date mentionnée dans le FRP ou dans son témoignage.

 

[26]           À titre subsidiaire, le demandeur fait savoir que, même s'il s’est effectivement trompé au sujet de la date qu’il a donnée, il fait valoir que la Commission a commis une erreur en ne tenant pas compte des éléments de preuve pertinents en ce qui concerne son diagnostic de trouble de stress post-traumatique et son état de personne vulnérable. La Commission a accepté ces deux diagnostics. La commissaire n’a pas tenu compte des autres éléments de preuve pertinents en raison de l’unique présumée déclaration contradictoire sur laquelle elle a fondé toute son appréciation de la crédibilité.

 

Faux documents

 

[27]           La Commission a commis tant une erreur de droit qu’une erreur de fait en rejetant tous les documents provenant de l’Iran au motif qu’ils étaient faux et en n’accordant aucune valeur à l’examen médical effectué au Canada.

 

[28]           La Commission a conclu que l’avis et le bref d’assignation délivrés par le ministère de la Justice iranien étaient des faux étant donné que, selon la preuve documentaire, ces documents ne sont jamais remis aux accusés. Le demandeur signale toutefois que la Commission elle-même a fait allusion au fait que les autorités iraniennes sont imprévisibles et qu’elles ne respectent pas toujours leurs propres lois.

 

[29]           La Commission a, suivant le demandeur, commis une erreur dans son évaluation de l’avis et du bref d’assignation et en rejetant par voie de conséquence tous les documents provenant de l’Iran, ainsi que les conclusions de l’examen médical que le demandeur avait subi au Canada. Le demandeur fait valoir qu’il n’y a aucun lien entre les documents provenant de l’Iran et les conclusions de l’examen médical effectué au Canada. En conséquence, la Commission a, selon lui, commis une erreur en ne tenant pas compte des éléments de preuve médicaux pertinents postérieurs à l’audience qui avaient été soumis à la demande de la Commission elle-même.

 

Questions suggestives

 

[30]           Le demandeur soutient que la Commission a également commis une erreur en concluant que l’avocat du demandeur avait posé des questions suggestives à ce dernier au cours de l’audience. Qui plus est, contrairement à ce qu’a estimé la Commission, ce n’est pas parce que le demandeur n’a pas fourni spontanément de renseignements au sujet de sa remise en liberté qu’on peut automatiquement en conclure qu’il n’a pas été détenu en 1999 et qu’il n’a pas subi les difficultés qu’il affirme avoir éprouvées.

 

[31]           À l’ouverture de l’audience, la Commission a fait savoir au demandeur qu’il n’était pas nécessaire qu’il reprenne les éléments qui se trouvaient déjà dans son FRP. Dans son FRP, le demandeur expliquait qu’il avait signé un engagement. Le demandeur soutient qu’il a mal compris la question de son avocat, comme le démontre à l’évidence, selon lui, la réponse qu’il a donnée. En conséquence, l’avocat a employé une autre méthode pour obtenir des éclaircissements sur la question en cause. Le demandeur affirme que l’avocat ne lui a pas demandé s’il avait signé un engagement lors de sa remise en liberté, mais qu’il lui a simplement demandé s’il avait signé quelque chose au moment de sa remise en liberté.

 

                        Défaut de faire entendre un témoin

 

[32]           Le demandeur affirme que la Commission a tiré des conclusions injustifiées qui ne reposaient que sur des conjectures lorsqu’elle a tiré une inférence négative au sujet de la présence du demandeur en Iran. La commissaire a expliqué que son inférence négative reposait sur le fait que la sœur du demandeur n’avait pas témoigné pour confirmer qu’elle était allée chercher le demandeur à l’aéroport. Le demandeur affirme que ces éléments de preuve ne sont pas pertinents, étant donné qu’ils n’ont aucune incidence sur la question de savoir si le demandeur se trouvait ou non en Iran au moment des faits allégués. En fait, la sœur du demandeur ne pourrait confirmer que sa présence à l’aéroport et leurs déplacements par la suite.

 

[33]           Le demandeur affirme que la Commission n'a pas tenu compte d'éléments de preuve pertinents qui se trouvaient dans les documents présentés après l’audience et qui corroboraient sa présence en Iran au moment des faits. Parmi ces éléments de preuve, il y a lieu de mentionner les dossiers médicaux portant sur la fracture à la jambe subie par le demandeur (remontant à 2003) ainsi qu’une attestation d’études en informatique (datée de septembre 2005). Si la Commission avait tenu compte de ces documents, elle n’aurait pas conclu : « le tribunal ne dispose pas de preuve selon laquelle le demandeur d’asile était en Iran au moment des incidents allégués ».

 

[34]           De plus, comme c’est la commissaire elle-même qui avait réclamé ces documents, on peut présumer qu’elle en a reconnu la validité puisqu’elle n’a pas soulevé de questions à leur égard. La Commission disposait donc d’éléments de preuve incontestés et corroborés suivant lesquels le demandeur se trouvait effectivement en Iran au moment où les faits allégués se sont produits.

 

Crainte de divulgation

 

[35]           La Commission a commis une erreur en concluant que les craintes exprimées par le demandeur au sujet de la divulgation de sa demande d’asile étaient sans fondement. Bien que le demandeur admette que le gouvernement du Canada ne communique pas ces renseignements, la Commission n’a pas tenu compte que ce fait pourrait être divulgué au sein de la communauté iranienne. De plus, le demandeur se trouve au Canada depuis longtemps et il s’est enfui de l’Iran sans visa de sortie, passeport iranien ou visa canadien. Les autorités iraniennes pourraient donc logiquement conclure que le demandeur a demandé l’asile au Canada, sinon le demandeur se serait vu refuser l’admission au Canada et aurait été expulsé peu de temps après.

 

Valeur accordée aux rapports médicaux

 

[36]           La Commission a également commis une erreur de droit en acceptant les diagnostics de trouble de stress post-traumatique, de dépression et d’état de personne vulnérable, tout en refusant ensuite d’accorder quelque valeur que ce soit aux rapports médicaux. Les spécialistes médicaux ont posé leurs diagnostics en se fondant sur les entrevues qu’ils avaient eues avec le demandeur et sur les symptômes qu’ils avaient observés, qui corroboraient des éléments essentiels du témoignage du demandeur. Il est donc déraisonnable d’accepter les diagnostics pour ensuite écarter les éléments de preuve susceptibles de corroborer les dires du demandeur.

 

Évaluation du risque en vertu de l’article 97

 

[37]           Enfin, le demandeur affirme que la Commission a commis une erreur en ne procédant pas à une évaluation des catégories de risques prévues à l’article 97. La Commission s’est simplement fondée sur l'analyse qu'elle avait effectuée au regard de l’article 96 et a conclu ce qui suit : « À la lumière de l’analyse effectuée précédemment, selon la prépondérance des probabilités, j’estime que ce genre de risque n’existe pas ».

 

            Le défendeur

 

[38]           Le défendeur affirme qu’en mentionnant dans sa décision le document 1 qui avait été déposé après la clôture de l’audience, la Commission a nettement démontré qu’elle avait tenu compte des éléments de preuve documentaires présentés par le demandeur après l’audience.

 

[39]           Il ressort par ailleurs à l’évidence du procès-verbal de l’audience que la Commission a invité le demandeur à présenter ses observations mais que ce dernier a décliné l’offre. Le demandeur a ensuite reconnu qu’il ne serait peut-être pas nécessaire de formuler des observations si la Commission n'avait pas d’autres questions à lui poser au sujet des documents déposés après l’audience. La Commission n’avait de toute évidence pas de questions supplémentaires à poser qui auraient obligé le demandeur à revenir devant elle ou à lui soumettre d’autres observations.

 

[40]           Le défendeur affirme que, conformément à l’alinéa 170e) de la Loi, la Commission a offert au demandeur l’occasion de présenter des éléments de preuve, de faire valoir son point de vue et d’interroger des témoins.

 

[41]           Qui plus est, la Commission a examiné à fond l’ensemble de la preuve avant de rejeter les prétentions du demandeur, ainsi que les documents que celui-ci lui avait soumis après l’audience.

 

Erreur dans l’appréciation de la crédibilité

 

[42]           La Cour ne devrait pas modifier l’appréciation de la crédibilité faite par la Commission lorsque cette appréciation se fonde sur ce qui s’est passé à l’audience, étant donné qu’en pareil cas, la Commission a eu l’avantage de voir et d’entendre le témoin. En revanche, la Cour peut intervenir si elle est convaincue que la Commission a fondé sa conclusion sur des facteurs dénués de pertinence ou n'a pas tenu compte des éléments de preuve. Le défendeur affirme cependant que ce n’est pas ce qui s’est produit en l’espèce.

 

[43]           La Cour ne devrait par ailleurs pas intervenir lorsque les inférences et les conclusions tirées par la Commission sont raisonnables. Il n’appartient pas à la Cour de procéder à une réévaluation de la preuve, même si elle n’est pas d’accord avec les inférences et les conclusions de la Commission.

 

[44]           La Commission a estimé que le demandeur n’était pas crédible. Le défendeur soutient qu’il était loisible à la Commission de tirer cette conclusion en raison de la contradiction qu’elle avait relevée dans le témoignage donné par le demandeur sur une question clé et du fait qu’il avait soumis de faux documents à la Commission. Le demandeur a jeté le doute sur la totalité de son témoignage. Ainsi que la Cour fédérale l’a expliqué dans le jugement Sheikh c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1990] 3 C.F. 238, 71 D.L.R. (4th) 604, à la page 244 :

[M]ême sans mettre en doute chacune des paroles du demandeur, le [tribunal] peut douter raisonnablement de sa crédibilité au point de conclure qu'il n'existe aucun élément de preuve crédible ayant trait à la revendication […] En d'autres termes, la conclusion générale du manque de crédibilité du demandeur de statut peut fort bien s'étendre à tous les éléments de preuve pertinents de son témoignage.

 

Incohérences dans les dates

 

[45]           Bien que le demandeur ait tenté d’expliquer l’incohérence relevée au sujet de la date de l’arrestation de son père en l’attribuant à une erreur d’interprétation du calendrier, le défendeur soutient que la Commission a réfuté cet argument en concluant que la date de l’arrestation de son père était la seule date incohérente que le demandeur avait donnée. Le défendeur fait donc valoir que, si une erreur d’interprétation avait été commise, l'erreur aurait été commise de façon constante en ce qui concerne l’interprétation du calendrier iranien.

 

[46]           Le défendeur souligne que la conclusion de la Commission selon laquelle le demandeur n’était pas crédible ne peut pas être imputée à une erreur en particulier. C’est l’ensemble de la preuve, avec ses incohérences et ses invraisemblances, qui a conduit la Commission à tirer une conclusion négative au sujet de la crédibilité.

 

Appréciation exacte de la preuve médicale

 

[47]           La Commission a conclu que, même si les diagnostics étaient exacts, il n’y avait pas lieu d’accorder quelque valeur que ce soit aux rapports médicaux, étant donné que ces documents n’avaient aucune valeur probante au sujet du traitement dont le demandeur avait fait l’objet en Iran. Le défendeur affirme qu’il n’y a pas de corrélation automatique entre un diagnostic de problèmes psychologiques et la cause des problèmes psychologiques en question. Par conséquent, la Commission n’a pas commis d’erreur en acceptant la légitimité des diagnostics tout en rejetant l’argument du demandeur suivant lequel ses problèmes psychologiques étaient attribuables aux mauvais traitements qu’il avait subis en Iran.

 

[48]           Le défendeur affirme que, vu la conclusion défavorable qu’elle avait tirée au sujet de la crédibilité, il était loisible à la Commission de conclure qu’il n’y avait pas de liens entre la preuve médicale du demandeur et les prétendus incidents de persécution. Une situation semblable s’est produite dans l’affaire Boateng c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1995] A.C.F. no 517, où la Cour a tiré la conclusion suivante au paragraphe 5 :

Dans la présente espèce […] [l]a Commission a jugé que le requérant n'était pas crédible, et la preuve médicale n'a pas persuadé la Commission que les cicatrices présentes sur le corps du requérant résultaient nécessairement d'une persécution […] Il n'est pas nécessaire pour la Commission de conjecturer l'origine des cicatrices, elle doit plutôt se demander si les cicatrices et les bosses présentes sur le corps du requérant sont le résultat d'une persécution […]

  

[49]           Le défendeur affirme par conséquent que la valeur accordée aux rapports médicaux dépend de leur pertinence et de leur cohérence avec l’ensemble de la preuve. En l’espèce, il ressort de la preuve documentaire qu’en Iran, on ne remet pas de copie du mandat d’arrestation à la personne qui est accusée d’avoir commis un crime grave, et que les documents contrefaits sont monnaie courante. Il n’était donc pas déraisonnable de la part de la Commission d’estimer qu’il était peu plausible que le demandeur se soit vu remettre un avis et un bref d’assignation à la suite de sa détention.

 

[50]           L’argument du demandeur suivant lequel, parce qu’elle a admis que les autorités iraniennes ne respectaient pas toujours leurs propres lois, la Commission aurait dû conclure à l’authenticité des documents présentés, n'est pas convaincant.

 

[51]           Le défendeur fait valoir que l’existence d’une conclusion subsidiaire ne rend pas erronée la première conclusion de la Commission, dès lors que la première conclusion était, vu l’ensemble des faits, raisonnable. La situation qui existait en Iran appuyait la conclusion de la Commission suivant laquelle le demandeur ne se serait pas vu remettre un avis et un bref d’assignation, en raison de la gravité des crimes qu’on lui reprochait.

 

[52]           Le défendeur signale que la Commission s’est référée au jugement Osyande pour se prononcer sur la crédibilité du demandeur. De fait, suivant le jugement Osyande, le demandeur qui soumet de faux documents sur un point précis mine sa propre crédibilité non seulement sur ce point mais aussi sur l’ensemble de la preuve.

 

[53]           Le défendeur affirme que, si l’on se fie à la logique du jugement Osyande, comme la Commission a estimé que les documents soumis par le demandeur étaient des faux, il était raisonnable de la part de la Commission de tirer une conclusion défavorable générale au sujet de la crédibilité du demandeur.

 

Crainte que les autorités iraniennes ne soient au courant de l’existence de la demande d’asile

 

[54]           Le défendeur affirme que, pour que le demandeur se voie reconnaître la qualité de réfugié sur place, il lui incombe de faire la preuve que sa crainte subjective d’être persécuté à l’avenir a un fondement objectif. La Commission a estimé qu’il n’existait aucun fondement objectif à cette crainte en l’espèce parce que toutes les demandes d’asile au Canada sont confidentielles. La Commission n’a donc pas commis d’erreur en concluant que la crainte du demandeur d’être persécuté s’il retournait en Iran n’était pas justifiée objectivement.

 

Non-nécessité d’une analyse distincte fondée sur l’article 97

 

[55]           Le défendeur affirme que la Commission a procédé à une analyse fondée sur l’article 97 et ce, même si elle n’a pas employé précisément les mots « article 97 ». Le défendeur affirme que cette conclusion se fonde de toute évidence sur le texte de la décision, qui s’inspire du libellé de l’article 97.

 

[56]           Le défendeur prend acte de la décision Kule, mais estime que cette affaire portait sur des faits différents, étant donné que, dans l’affaire Kule, le témoignage du demandeur avait été jugé crédible. En l’espèce toutefois, le témoignage et la preuve du demandeur n’ont pas été considérés crédibles. Le défendeur signale en outre que, dans l’affaire Kule, le demandeur invoquait des motifs distincts au soutien de sa demande d’asile fondée sur les articles 96 et 97, tandis que, dans le cas qui nous occupe, les motifs invoqués au soutien de la prétention fondée sur l’article 96 sont les mêmes que ceux qui ont trait à la prétention fondée sur l’article 97. Le défendeur affirme, en conséquence, que les incohérences et les invraisemblances qui ont été la cause du rejet de la demande fondée sur l’article 96 jouent aussi contre celle fondée sur l’article 97.

 

ANALYSE

 

[57]           Au cœur de la décision se trouvent deux conclusions défavorables générales sur la crédibilité desquelles découle tout le reste.

 

[58]           La première porte sur la différence de dates relevée en ce qui concerne la date à laquelle le père a été arrêté. En raison de cette différence, la Commission a conclu que « le demandeur d’asile n’est pas un témoin crédible ni digne de foi ».

 

[59]           La seconde conclusion défavorable découle de la lecture que la Commission a faite des documents sur la situation en Iran selon lesquels « dans les cas d’incidents sérieux, l’accusé ne reçoit jamais de copie du mandat », ce qui l’a amenée à conclure en ce qui concerne l’avis et le bref d’assignation que, comme il est fréquent que des documents officiels soient contrefaits en Iran, « je conclus que le demandeur d’asile a présenté de faux documents à la Commission avec l’intention de la tromper ».

 

[60]           Ces deux conclusions ne sont pas indépendantes; la Commission dit en effet : « Comme je ne crois pas le demandeur d’asile, je préfère l’information contenue dans les documents sur le pays à celle fournie par le demandeur. »

 

[61]           En dernière analyse, on peut tout ramener à la conclusion défavorable qui a été tirée au sujet de la crédibilité et qui était fondée sur la différence des dates relativement à l’arrestation du père.

 

[62]           Dans ses observations écrites, le défendeur affirme que [traduction] « la conclusion défavorable au sujet de la crédibilité ne peut pas être imputée à une erreur en particulier. C’est plutôt l’ensemble de la preuve, avec ses incohérences et ses invraisemblances, qui a conduit la Commission à conclure que le demandeur n’était pas un témoin crédible. » Or, ce n’est pas le cas.

 

[63]           La décision se présente en fait sous la forme d’une pyramide inversée. En fin de compte, tout tourne autour de la différence de dates en ce qui concerne l’arrestation du père. Le reste de la décision, qui porte sur la documentation, la preuve médicale provenant de l’Iran et du Canada et le défaut de la sœur du demandeur de témoigner, se rapporte d’une façon ou d’une autre à cette différence de dates. Prenons, par exemple, la preuve médicale :

Puisque j’ai conclu que le demandeur d’asile avait présenté de faux documents à la Commission, selon la prépondérance des probabilités, je rejette tous les documents provenant de l’Iran et n’accorde aucune importance aux conclusions tirées lors de l’examen physique effectué au Canada

 

 

La conclusion que la Commission a tirée au sujet des faux documents découle de la constatation suivante : « [c]omme je ne crois pas le demandeur d’asile, je préfère l’information contenue dans les documents sur le pays à celle fournie par le demandeur ». Et c’est en raison de l’incohérence relevée au sujet de la date de l’arrestation du père que la Commission déclare qu’elle ne croit pas le demandeur.

 

 

[64]           En conséquence, si la conclusion tirée par la Commission au sujet de la différence de dates est déraisonnable, la pyramide inversée s’écroule complètement.

 

[65]           Dans son FRP, le demandeur explique que son père a été arrêté le 21 février 2006. Il a témoigné par le truchement d’un interprète farsi. À l’audience, il a de nouveau témoigné par le truchement d’un interprète farsi et, cette fois-ci, la date qui a été donnée était celle du 13 mars 2006.

 

[66]           Il ressort de la transcription que, pour en arriver à la date du 13 mars 2006, le demandeur devait opérer une conversion entre le calendrier iranien et le calendrier grégorien :

[traduction]

 

Il s’agit donc du 22 esfand 1384, qui correspond, si vous me permettez de faire la conversion, au 13 mars 2006.

 

 

[67]           Voici ce que le demandeur a répondu lorsqu’on lui a signalé la différence constatée entre les dates qui avaient été fournies :

[traduction]

 

1.             Vous dites donc : le 22 esfand 1384 dans le calendrier iranien?

2.             Précisément : le 22 esfand, ce qui correspond, Madame la Commissaire, au 13 mars 2006.

3.             Je ne sais pas précisément, parce que cette date tombe dans le mois d’esfand. Madame la Commissaire, le mois d’esfand est compris entre le 20 février et le 20 mars.

4.             Ainsi, lorsque j’ai dit le 22 du 12e mois, qui est le mois d’esfand dans le calendrier iranien, je voulais dire le 22 février, parce que esfand veut dire 12 en farsi, et ensuite deux en février 2006, mais c’est là que je me suis trompé.

 

[68]           Il ressort à l’évidence des extraits pertinents de la transcription que l’incohérence s’explique par une erreur commise lors de la conversion de la date du calendrier iranien au calendrier grégorien.

 

[69]           La Commission ne retient pas l’explication donnée par le demandeur au sujet de l’erreur qui aurait été commise lors de la conversion et, se fondant sur cette erreur, elle poursuit en rejetant en bloc toutes les autres déclarations et documents du demandeur. Une erreur semblable s’est produite dans l’affaire Bahdanava c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 1365, [2008] A.C.F. no 1727, aux paragraphes 12 et 13.

 

[70]           La Commission n’a pas vérifié si la date du calendrier iranien était plausible. Plutôt, elle rejette entièrement la faute sur le demandeur en ce qui concerne les tentatives faites par ce denier pour convertir la date, et elle refuse d’ajouter foi à tout ce qu’il dit.

 

[71]           À l’audience, la Commission semble avoir accordé le bénéfice du doute au demandeur. À la page 182 de la transcription, la Commission laisse la question en suspens :

[traduction]

 

Le demandeur d’asile :        Je ne sais pas précisément, parce que cette date tombe dans le mois d’esfand. Madame la Commissaire, le mois d’esfand est compris entre le 20 février et le 20 mars.

La commissaire :                 D’accord. C’est une possibilité. Je vous laisse le soin de formuler des observations à ce sujet.

 

Aucune autre observation n’a été formulée sur la question, parce que la Commission ne lui en a pas fourni l’occasion, contrairement à ce qu’elle avait dit.

 

[72]           Il est important de situer la question dans son contexte. Le demandeur a par la suite produit des éléments de preuve de médecins canadiens faisant état de traumatismes physiques et psychologiques graves. Le demandeur affirme que, s’il est renvoyé en Iran, il sera torturé et tué. Malgré ces conséquences désastreuses, la Commission a en fait choisi de rejeter en bloc l’ensemble des témoignages et des éléments de preuve écrits du demandeur en invoquant une seule incohérence dans les dates tout en précisant qu’elle donnerait au demandeur la possibilité de présenter des observations, pour ensuite rendre une décision défavorable sans avoir laissé au demandeur la possibilité de faire valoir son point de vue (voir, par exemple, le jugement Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Dhaliwal-Williams, 131 F.T.R. 19, [1997] A.C.F. no 567, au paragraphe 9).

 

[73]           En ce qui a trait à la question des observations, il vaut la peine de signaler qu’au début de sa décision, la Commission mentionne ce qui suit : « Des observations ont été reçues et prises en considération. » Il ressort toutefois à l’évidence du dossier qu’aucune observation n’a été formulée. La raison de cette omission est un peu complexe, mais mon examen de la transcription m’amène à conclure qu’elles n’ont pas été faites parce que l’avocat n’a jamais eu la possibilité d’en formuler, ce qui va à l’encontre de l’article 170 de la Loi (voir l’article 170 de la Loi, qui prévoit que la SPR doit donner au demandeur « la possibilité de produire des éléments de preuve, d’interroger des témoins et de présenter des observations »).

 

[74]           Voici ce qu’on trouve dans la transcription :

1.                  Page 185

La commissaire :                Avant de commencer, Monsieur, je vais vous donner du temps pour vous procurer le rapport médical et l’original de l’assignation. Maître, vous avez le choix de me soumettre dès maintenant vos observations ou d’attendre pour voir si nous pouvons obtenir ces documents.

L’avocat du demandeur :   Je peux peut-être faire les deux. En supposant que j’aie la possibilité de formuler mes observations au sujet des documents lorsque nous les aurons reçus. Je ne sais pas si vous prévoyez convoquer une nouvelle audience.

 

2.                  Page 186 :

La commissaire :                  Eh bien, si le demandeur d’asile soumet des documents crédibles provenant par exemple d’un hôpital et démontrant qu’il a été hospitalisé à l’époque, du moins en 2003 j’imagine, bien que nous ignorions ce à quoi ressemble une radiographie iranienne. Mais je sais qu’au Canada, on trouve habituellement la date au bas des radiographies.

L’avocat du demandeur :      Je vais attendre d’avoir reçu les documents. Je tenais beaucoup à me prévaloir de la possibilité de présenter des observations au sujet de la possibilité des poursuites par opposition à la possibilité de la persécution.

L’agent de protection des réfugiés : Je sais.

L’avocat du demandeur :      Mais je vais attendre d’avoir reçu les documents.

La commissaire :                  D’accord, Maître, de combien de temps pensez-vous avoir besoin pour faire venir les documents?

 

[75]           L’avocat du demandeur a joint à sa lettre du 22 octobre 2008 les documents postérieurs à l’audience que le demandeur avait réussi à obtenir. Il a ajouté : [traduction] « J’attends les instructions de la Commission. »

 

[76]           L’avocat avait besoin des instructions de la Commission. Il ressort en effet du procès-verbal des débats qui avaient eu lieu à l’audience qu’il voulait savoir si les documents postérieurs à l’audience posaient un problème pour la Commission.

 

[77]           La Commission n’a pas donné d’instructions, se contentant de rendre une décision défavorable dans laquelle elle précisait : « Des observations ont été reçues et prises en considération. » 

 

[78]           Cette façon de procéder constitue un manquement à l’équité procédurale. L’article 170 de la Loi affirme que la Commission « donne » à la personne en cause et au ministre la possibilité de produire des éléments de preuve, d’interroger des témoins et de « présenter des observations ». Ce n’est pas ce qui s’est produit en l’espèce, de sorte que le demandeur a été privé d’un droit important que la Commission avait promis de lui reconnaître (voir, par exemple, la décision Dhaliwal-Williams, précitée).

 

[79]           La décision comporte plusieurs autres problèmes. Cependant, ceux qui ont été évoqués suffisent pour la rendre déraisonnable et inéquitable sur le plan procédural. La décision doit être renvoyée à la Commission pour réexamen.


 

JUGEMENT

 

LA COUR ORDONNE :

 

1.                  La demande est accueillie. La décision est annulée et l’affaire est renvoyée à la Commission pour réexamen.

2.                  Il n’y a pas de question à certifier.

 

 

« James Russell »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Jacques Deschênes, LL.B.

 

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-2166-09

 

INTITULÉ :                                       ALI REZA ZAVALAT

                                                            c.

                                                            MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               4 novembre 2009

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE RUSSELL

 

DATE DU JUGEMENT :                 16 décembre 2009

 

 

COMPARUTIONS :

 

Steven A. Morris

 

POUR LE DEMANDEUR

Leila Jawando

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Steven A. Morris

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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