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Date :  20091204

Dossier :  IMM-5584-08

Référence :  2009 CF 1242

Ottawa, Ontario, le 4 décembre 2009

En présence de monsieur le juge Shore 

 

ENTRE :

LAMINE YANSANE

demandeur

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

I.  Au préalable

[1]               La Cour d’appel fédérale a indiqué que, lors d’une évaluation de l’Examen des risques avant renvoi (ERAR), l’agent doit évaluer toute nouvelle preuve en relation avec les faits qui sont à la base d’une revendication de statut de réfugié pour voir si cette nouvelle preuve ne change pas la situation telle qu’évaluée antérieurement (Traduction non disponible) :

[12]      A PRRA application by a failed refugee claimant is not an appeal or reconsideration of the decision of the RPD to reject a claim for refugee protection. Nevertheless, it may require consideration of some or all of the same factual and legal issues as a claim for refugee protection. In such cases there is an obvious risk of wasteful and potentially abusive relitigation. The IRPA mitigates that risk by limiting the evidence that may be presented to the PRRA officer. The limitation is found in paragraph 113(a) of the IRPA, which reads as follows:

 

 

113. Consideration of an application for protection shall be as follows:

113. Il est disposé de la demande comme il suit :

 

(a) an applicant whose claim to refugee protection has been rejected may present only new evidence that arose after the rejection or was not reasonably available, or that the applicant could not reasonably have been expected in the circumstances to have presented, at the time of the rejection;

 

[… ] .

 

a) le demandeur d’asile débouté ne peut présenter que des éléments de preuve survenus depuis le rejet ou qui n’étaient alors pas normalement accessibles ou, s’ils l’étaient, qu’il n’était pas raisonnable, dans les circonstances, de s’attendre à ce qu’il les ait présentés au moment du rejet;

 

[…] .

 

(Raza c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 FCA 385, 162 A.C.W.S. (3d) 1013).

 

[2]               The narrative is the key and the very source of understanding the nature of the human condition in a decision. No compromise is ever to be made in pursuit of accuracy of key facts in the evidence … (Traduction non disponible).

 

(Garcia v. Canada (Minister of Citizenship and Immigration), 2009 FC 1241).

 

II.  Introduction

[3]               Ceci est un cas d’espèce avec des faits très particuliers, uniques au cas.

 

[4]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire à l’encontre d’une décision rendue par un agent d’ERAR, le 21 novembre 2008, refusant la deuxième demande d’ERAR du demandeur. L’agent d’ERAR concluait que le demandeur ne faisait face à aucun risque en vertu des articles 96 ou 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, c. 27 (LIPR).

 

III.  Faits

[5]               Le demandeur, monsieur Lamine Yansane, citoyen de la Guinée, est un jeune musulman d’ethnie Soussou. Monsieur Yansane est âgé de 35 ans, est marié et est père de trois enfants âgés de 5, 8 et 11 ans. Son épouse, ses trois enfants, ainsi que ses parents et sa fratrie vivent toujours en Guinée.

 

[6]               Monsieur Yansane aurait complété 15 ans de scolarité en Guinée et a eu un diplôme en mécanique en 1993 et aurait été travailleur autonome comme mécanicien de 1994 à 2005 dans la capitale Conakry.

 

[7]               Monsieur Yansane indique que son père est un homme musulman très religieux, il est Imam de la mosquée de Kasapo et jouirait d’une certaine notoriété dans sa communauté.

 

[8]               Monsieur Yansane aurait eu des problèmes avec sa famille parce qu’il a épousé une femme de religion catholique dont il a eu trois enfants. Il avait promis à son père de tout faire pour convertir son épouse à l’islam. Son père s’est porté garant du garage de son fils en espoir que son fils éventuellement remplirait sa promesse. Son père n’aurait pas assisté au mariage civil et le mariage eut lieu en 1994. Son père aurait fait pression pour qu’il laisse son épouse pour épouser une cousine musulmane, ce qu’il aurait refusé. Il serait parti vivre à Conakry avec son épouse et ses enfants en 2004.

 

[9]               Par la suite, il aurait commencé à accompagner son épouse à l’église et aurait décidé de se convertir au christianisme, ce qui n’aurait pas plu à sa famille. Le 15 septembre 2005, son père et son oncle l’auraient visité et questionné sur les rumeurs de sa fréquentation de l’église et il aurait admis sa volonté de se convertir. Selon une preuve, non contredite, son frère l’aurait cicatrisé et son père l’aurait battu et averti qu’il en subirait les conséquences.

 

[10]           Il serait allé chez le grand frère de son épouse dans la commune de Matoto, à Conakry. Le 25 septembre 2005, son épouse l’aurait averti que son père et 5 membres de la communauté musulmane l’auraient cherché chez lui et l’avaient menacé. Son beau-frère lui aurait fait comprendre qu’il devait quitter le pays pour venir au Canada demander protection. Sa famille est partie chez la grand-mère de son épouse par mesure de sécurité.

 

[11]           Il a quitté son pays le 15 octobre 2005 et, après un transit en France, il est entré au Canada, le 16 octobre 2005, sous le couvert d’un faux passeport français, détruit à son arrivée à l’aéroport. Il a présenté à Citoyenneté et Immigration Canada (CIC) une carte d’identité et un certificat de naissance.

 

[12]           Depuis son départ, son épouse et ses enfants seraient partis vivre chez une tante dans un petit village isolé (non désigné) à cause de menaces de la part du père de monsieur Yansane.

 

IV.  Question en litige

[13]           Est-ce que la décision prise par l’agent d’ERAR est raisonnable?

 

 

 

V.  Analyse

[14]           L’agent écrit qu’elle accorde un poids relatif aux lettres d’appui soumises par monsieur Yansane puisqu’elles servent les intérêts de monsieur Yansane et ne sont pas objectives. Des lettres qui décrivent clairement le risque auquel fait face monsieur Yansane en Guinée et qui viennent de personnes qui connaissent la situation de monsieur Yansane devraient être considérées, avec vigilance, mais, néanmoins, raisonnablement.

 

[15]           L’agent utilise cette même raison pour ne pas prendre en compte le rapport de l’avocat de Conakry, disant que c’est un « rapport intéressé » puisqu’il a été mandaté par l’avocat de monsieur Yansane.

 

[16]           En janvier 2009, un sursis a été accordé à monsieur Yansane par le juge J. François Lemieux. Dans sa décision, il a longuement cité la décision Raza, ci-dessus, au sujet de l’étude de nouvelles preuves :

[17]      La juge Sharlow étoffe son raisonnement aux paragraphes suivants de ses motifs :

 

[13]      Selon son interprétation de l’alinéa 113a), cet alinéa repose sur l’idée que l’agent d'ERAR doit prendre acte de la décision de la SPR de rejeter la demande d’asile, à moins que des preuves nouvelles soient survenues depuis le rejet, qui auraient pu conduire la SPR à statuer autrement si elle en avait eu connaissance. L’alinéa 113a) pose plusieurs questions, certaines explicitement et d’autres implicitement, concernant les preuves nouvelles en question. Je les résume ainsi :

 

1.         Crédibilité : Les preuves nouvelles sont-elles crédibles, compte tenu de leur source et des circonstances dans lesquelles elles sont apparues? Dans la négative, il n’est pas nécessaire de les considérer.

 

2.         Pertinence : Les preuves nouvelles sont-elles pertinentes à la demande d’ERAR, c’est-à-dire sont-elles aptes à prouver ou à réfuter un fait qui intéresse la demande d’asile? Dans la négative, il n’est pas nécessaire de les considérer.

 

3.         Nouveauté : Les preuves sont-elles nouvelles, c’est-à-dire sont-elles aptes :

 

(a)           à prouver la situation courante dans le pays de renvoi, ou un événement ou fait postérieur à l’audition de la demande d’asile?

 

(b)           à établir un fait qui n’était pas connu du demandeur d’asile au moment de l’audition de sa demande d’asile?

 

(c)           à réfuter une conclusion de fait tirée par la SPR (y compris une conclusion touchant la crédibilité)?

 

Dans la négative, il n’est pas nécessaire de les considérer. [Je souligne.]

 

4.         Caractère substantiel : Les preuves nouvelles sont-elles substantielles, c’est-à-dire la demande d’asile aurait-elle probablement été accordée si elles avaient été portées à la connaissance de la SPR? Dans la négative, il n’est pas nécessaire de les considérer.

 

5.         Conditions législatives explicites :

 

(a)        Si les preuves nouvelles sont aptes à établir uniquement un fait qui s’est produit ou des circonstances qui ont existé avant l’audition de la demande d’asile, alors le demandeur a-t-il établi que les preuves nouvelles ne lui étaient pas normalement accessibles lors de l’audition de la demande d’asile, ou qu’il ne serait pas raisonnable de s’attendre à ce qu’il les ait présentées lors de l’audition de la demande d’asile? Dans la négative, il n’est pas nécessaire de les considérer.

 

(b)        Si les preuves nouvelles sont aptes à établir un fait qui s’est produit ou les circonstances qui ont existé après l’audition de la demande d’asile, alors elles doivent être considérées (sauf si elles sont rejetées parce qu’elles ne sont pas crédibles, pas pertinentes, pas nouvelles ou pas substantielles). [Je souligne.]

 

[14]      Les quatre premières questions, qui concernent la crédibilité, la pertinence, la nouveauté et le caractère substantiel, résultent implicitement de l’objet de l’alinéa 113a), dans le régime de la LIPR se rapportant aux demandes d’asile et aux examens des risques avant renvoi. Les questions restantes sont posées explicitement par l’alinéa 113a).

 

[15]      Je ne dis pas que les questions énumérées ci-dessus doivent être posées dans un ordre particulier, ou que l’agent d'ERAR doit dans tous les cas se poser chacune d’elles. L’important, c’est que l’agent d'ERAR considère toutes les preuves qui lui sont présentées, à moins qu’elles ne soient exclues pour l’un des motifs énoncés au paragraphe [13] ci‑dessus. [Je souligne.]

 

[18]      Au paragraphe 17 de ses motifs, la juge Sharlow est d’avis que les nouvelles preuves au soutien d’une demande ERAR ne peuvent pas être rejetées au seul motif qu’elles visent le même risque ajoutant :

 

[17]      « … Cependant, l’agent d'ERAR peut validement rejeter de telles preuves si elles n’établissent pas que les faits pertinents tels qu’ils se présentent à la date de la demande d’ERAR sont sensiblement différents des faits constatés par la SPR. » [Je souligne.]

 

(Yansane c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 75, [2009] A.C.F. no 78 (QL)).

 

[17]           Dans sa décision d’octroyer un sursis, le juge Lemieux a décidé qu’il existait des questions sérieuses en droit puisque l’agent n’a pas évalué toutes les nouvelles preuves. Si on regarde les consignes du juge dans l’affaire Raza, ci-dessus, l’agent d’ERAR n’avait pas de raison pour ne pas prendre en compte ou de donner une valeur peu probante aux nouvelles preuves.

 

[18]           Les deux plaintes déposées par monsieur Yansane au Commissariat de police indiquaient qu’il n’y a aurait aucune intervention possible à son égard. L’extrait suivant le démontre (Traduction non disponible):

e. Denial of Fair Public Trial

 

Although the constitution and law provide for the judiciary's independence, judicial authorities routinely deferred to executive authorities in politically sensitive cases. In routine cases, there were reports that authorities accepted bribes in exchange for a specific outcome. Magistrates were civil servants with no assurance of tenure. Because of corruption and nepotism in the judiciary, relatives of influential members of the government often were, in effect, above the law. Judges often did not act independently, and their verdicts were subject to outside interference. The judicial system was plagued by numerous problems, including a shortage of qualified lawyers and magistrates and an outdated and restrictive penal code. In September, to spearhead a national effort to improve the administration of justice, the Ministry of Justice held a national seminar on detention and a training conference for bailiffs (see section 1.d.).

 

[…]

 

Many citizens wary of judicial corruption preferred to rely on traditional systems of justice at the village or urban neighborhood level. Litigants presented their civil cases before a village chief, a neighborhood leader, or a council of "wise men." The dividing line between the formal and informal justice systems was vague, and authorities sometimes referred a case from the formal to the traditional system to ensure compliance by all parties. Similarly, if a case was not resolved to the satisfaction of all parties in the traditional system, it could be referred to the formal system for adjudication. The traditional system discriminated against women in that evidence given by women carried less weight (see section 5).

 

[…]

 

Civil Judicial Procedures and Remedies

Under the law, there is a judicial procedure for civil matters. In practice, the judiciary was neither independent nor impartial, and decisions were often influenced by bribes and based on political and social status. There were no lawsuits seeking damages for human rights violations. In practice, domestic court orders were not enforced. (La Cour souligne).

 

(U.S. Department of State report on human rights; Guinea, 2006).

 

[19]           Monsieur Yansane a été baptisé en avril 2007. Aucune considération significative n’a été donnée à ce baptême quant aux risques invoqués par monsieur Yansane.

 

[20]           Le risque personnel n’a pas été évalué d’une façon raisonnable. Dans son cas, le changement de religion, l’apostasie, est punissable de mort. Le père de monsieur Yansane, dans une preuve non contredite, a menacé son propre fils de le punir de mort par Fatwa annoncée publiquement pendant les prières officielles. Selon lui, le père de monsieur Yansane a décidé d’appliquer les prescriptions de sa tradition. Il ne s’agit pas de savoir, pour l’agent d’ERAR, s’il s’agit ou non d’une pratique vraisemblable dans son pays d’origine. Le risque de mort provient du père de monsieur Yansane, comme personnage public (la Cour se réfère à la preuve, non contredite, de l’Archevêché de Conakry, dans une lettre, datée le 14 mai 2008).

 

[21]           Le danger de persécution est principalement lié au changement de religion. Le fait qu’il ait épousé une femme d’une autre religion est un événement qui explique le choix religieux de monsieur Yansane et qui aggrave le danger de persécution. Le changement de religion a été confirmé par le baptême qui a eu lieu à Montréal. Monsieur Yansane est menacé de mort par son père. Cet aspect du danger n’a pas été considéré dans la décision d’ERAR (la Cour se réfère à la preuve, non contredite, de l’Archevêché de Montréal, dans une lettre, datée le 27 février 2008).

 

VII.  Conclusion

[22]           L’agent a décidé que monsieur Yansane n’a pas démontré qu’il serait personnellement ciblé à son retour en Guinée. Le risque auquel fait face monsieur Yansane n’est pas un risque auquel font face tous les chrétiens, c’est un risque personnel, unique, à monsieur Yansane puisqu’il est le fils d’un personnage reconnu, son père, qui réclame sa mort par Fatwa annoncée publiquement pendant les prières officielles. Pour toutes ces raisons, une nouvelle évaluation devrait être faite par un autre agent.

 


 

JUGEMENT

LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit accueillie; que la décision de l’agent d’ERAR soit annulée et l’affaire soit retournée pour une nouvelle évaluation devant un autre agent.

 

« Michel M.J. Shore »

Juge

 


 

COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-5584-08

 

INTITULÉ :                                       LAMINE YANSANE

                                                            c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                            ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               le 1 décembre 2009

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE SHORE

 

DATE DES MOTIFS :                      le 4 décembre 2009

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Me Stewart Istvanffy

 

POUR LE DEMANDEUR

Me Sébastien Dasylva

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

STEWART ISTVANFFY, avocat

Montréal (Québec)

 

POUR LE DEMANDEUR

JOHN H. SIMS, c.r.

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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