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Cour fédérale

 

Federal Court


 

Date : 20091204

Dossier : T-890-08

Référence : 2009 CF 1239

Calgary (Alberta), le 4 décembre 2009

En présence de madame la juge Heneghan

 

 

ENTRE :

ALBERT RALPH

demandeur

et

 

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

Introduction

[1]               M. Albert Ralph (le demandeur) sollicite le contrôle judiciaire de la décision datée du 16 mai 2008 du ministre des Pêches et des Océans (le ministre). Dans cette décision, l’appel du demandeur en vue d’obtenir le rétablissement de son permis de pêche supplémentaire du crabe a été rejeté.

 

[2]               Le demandeur est un pêcheur qui habite la localité d’Eastport (Terre-Neuve-et-Labrador). Aux termes de la Loi sur les pêches, L.R.C. 1985, ch. F-14 (la Loi), le ministre est chargé de l’administration des ressources halieutiques du Canada. Il est représenté par le procureur général du Canada dans la présente demande de contrôle judiciaire, en accord avec les Règles des Cours fédérales, DORS/98-106 (les Règles).

 

Le contexte

[3]               L’énoncé des faits qui suit est fondé sur les affidavits et sur les pièces qui ont été déposés pour le compte du demandeur et du défendeur dans la présente demande de contrôle judiciaire. Le demandeur lui-même a déposé un affidavit. Mme Beverley Green, administratrice de la délivrance de permis pour la région de l’Est de Terre-Neuve, et au service du ministère des Pêches et des Océans (le MPO ou le ministère), région de Terre-Neuve, a déposé un affidavit pour le compte du défendeur.

 

[4]               Le demandeur a obtenu un permis de pêche supplémentaire du crabe en 1988. À cette époque, le Plan de gestion du crabe que le MPO avait établi pour la région de Terre-Neuve comportait trois critères pour la délivrance de ce permis :

[traduction]

a.       être résidant de la zone de gestion pour laquelle des permis sont disponibles;

 

b.      posséder ou exploiter un bateau de pêche commerciale enregistré d’au moins 35 pieds de LHT ou 10 tonnes brutes et d’au plus 64 pi 11 po de LHT;

 

c.       posséder un permis de pêche de poisson de fond pour la zone 2+3KL ou le secteur 1.

 

 

 

[5]               Le demandeur a présenté une demande de permis de pêche supplémentaire du crabe associée au navire à moteur (N.M.) « Misty Dawn », bateau de pêche commerciale (BPC) 089937, et décrit comme ayant une longueur hors tout (LHT) de 35 pi.

 

[6]               Le demandeur a présenté de nouvelles demandes de permis en 1989 et en 1990, et il a obtenu ces permis.

 

[7]               Ensuite, le 18 avril 1990, le demandeur a signé une [traduction] « Demande de renonciation aux droits » concernant les permis de pêche de poisson de fond avec engins fixes (PPFEF) associés au navire « Misty Dawn ». Il a demandé que ces permis soient redélivrés à son fils, Shawn Ralph. Ce dernier avait l’intention de combiner les permis relatifs au N.M. « Misty Dawn » à un autre permis qui lui avait été transféré, de façon à pouvoir obtenir un permis applicable à un navire de plus grande taille, c’est-à-dire de 64 pi 11 po de longueur. Par une lettre datée du 30 avril 1990, et rédigée par Beverley C. Green, qui, à l’époque, exerçait les fonctions d’administratrice de la délivrance de permis de district, Division de la gestion des ressources, au MPO, le ministère a pris acte du transfert du permis de PPFEF du demandeur à son fils.

 

[8]               Dans l’affidavit qu’il a déposé à l’appui de la présente demande, le demandeur déclare avoir reçu le permis de pêche supplémentaire du crabe en 1989 et en 1990. Il a redemandé ce permis en 1991, mais il ne l’a pas reçu. Il dit s’être présenté à un bureau local du MPO pour qu’on lui explique pourquoi le permis de pêche supplémentaire du crabe n’avait pas été approuvé pour 1991, mais qu'aucune explication n’a été donnée. Il déclare qu’un fonctionnaire du MPO l’a un jour informé qu’il avait transféré son permis de pêche supplémentaire du crabe à son fils Shawn. Le demandeur dit qu’il s’agit d’une erreur, qu’il n’avait transféré que l’enregistrement du navire « Misty Dawn » à son fils.

 

[9]               Le demandeur a écrit pour la première fois au MPO au sujet du permis de pêche supplémentaire du crabe en 1993, demandant que le permis soit rétabli. Il a écrit de nouveau le 22 janvier ainsi que le 10 mars 1994.

 

[10]           La première lettre de réponse du MPO est datée du 8 avril 1994. Dans ce document, qui porte la signature de Mme Green, il est dit au demandeur que, depuis le transfert de son navire de 35 pi à son fils Shawn, il ne satisfait plus aux critères relatifs au bateau qui permettraient de conserver le permis de pêche du crabe. Mme Green a de plus fait savoir que les critères relatifs à la délivrance des permis de pêche supplémentaire du crabe avaient été changés en 1989, limitant la délivrance de ces permis aux navires d’une LHT d’au moins 35 pi. Enfin, selon le Plan de gestion du crabe de 1993, un gel avait été imposé à la délivrance de nouveaux permis.

 

[11]           Le demandeur déclare dans son affidavit qu’il n’a jamais été avisé d’un changement de politique et que, s’il l’avait été, il n’aurait pas transféré son bateau de 35 pi à son fils Shawn.

 

[12]           Selon son affidavit, le demandeur a écrit de nouveau au MPO le 22 février 1995 pour demander que l’on rétablisse le permis de pêche supplémentaire du crabe. Il dit s’être entretenu de nouveau avec un certain Bob Wiseman du MPO, qui lui a dit que son permis avait été annulé en juin 1990 et qu’il - le demandeur - aurait dû avoir reçu une lettre de notification à cet égard. Le demandeur a demandé à M. Wiseman de trouver la lettre dans son dossier au MPO, mais M. Wiseman n’y est pas parvenu.

 

[13]           Le demandeur a déclaré que M. Karl Sullivan, qui, à l’époque, était vice-président de Seafreez Foods, avait écrit au MPO le 4 avril 1997 pour demander de nouveau qu’on explique pourquoi le permis de pêche supplémentaire du crabe n’avait pas été délivré au demandeur après 1990.

 

[14]           En 2000, le demandeur a écrit au ministre pour que ce dernier intervienne dans le dossier.

 

[15]           En 2007, le demandeur a obtenu le droit de faire appel auprès de l’Office des appels relatifs aux permis de pêche de l’Atlantique (l’OAPPA, ou l’Office). Une audience a eu lieu le 11 décembre 2007.

 

[16]           Le 11 décembre 2007, date de l’audition de l’appel, le demandeur a présenté des observations à l’Office. Des observations ont également été faites pour le compte du MPO. L’Office a établi un sommaire dans lequel, aux paragraphes 14 et 15, il résume comme suit les arguments du demandeur :

[traduction]

14. Par suite de la négligence du ministère, ou d’un manquement à une obligation qu’avait ce dernier, M. Ralph a subi une perte économique réelle, y compris, notamment, la valeur des débarquements perdus pour les saisons de pêche du crabe de 1990 jusqu’à aujourd’hui et la valeur actuelle du permis de pêche du crabe, et d'autres occasions qui ne se sont pas présentées.

 

15. M. Ralph demande que l’Office infirme les décisions erronées du ministère, et en particulier celle d’annuler le permis de pêche supplémentaire du crabe en 1990 et celle de refuser de renouveler ce permis depuis ce temps, tout en reconnaissant par ailleurs les pertes financières et économiques que cela a occasionnées à M. Ralph.

 

 

[17]           L’Office a fait la recommandation qui suit au ministre :

[traduction]

RECOMMANDATION : APPEL REJETÉ

 

L’Office a passé en revue toutes les informations que l’appelant, ses représentants et le ministère des Pêches et des Océans ont présentées. Il recommande que l’appel soit rejeté au motif que M. Ralph détenait bel et bien un permis de pêche de poisson de fond pour un navire d’une longueur de plus de 35 pi en 1988 et que son permis de pêche supplémentaire du crabe a été délivré sur la foi de ce critère, et non en fonction du critère d’un bateau d’une longueur de moins de 35 pi et de 10 tonnes brutes. En 1990, dans sa politique concernant la délivrance de nouveaux permis de pêche supplémentaires du crabe, le ministère des Pêches et des Océans a établi qu’il fallait détenir un permis de pêche de poisson de fond pour un navire d’une longueur de plus de 35 pi. Étant donné que M. Ralph avait transféré son permis de pêche de poisson de fond avec engins fixes pour un navire d’une longueur de plus de 35 pi à son fils Shawn Ralph, il n’avait plus le droit de détenir un permis de pêche supplémentaire du crabe. L’Office n’a pu trouver aucune circonstance atténuante dans cette affaire, et les politiques et les procédures du ministère des Pêches et des Océans ont été appliquées correctement.

 

 

[18]           Le ministre a rendu sa décision en se fondant sur la recommandation de l’Office. Cette décision est exposée dans une lettre du ministre datée du 16 mai 2008 :

[traduction]

L’honorable Loyola Hearn m’a demandé de répondre à votre lettre concernant la demande de rétablissement de votre permis de pêche supplémentaire du crabe. Comme vous le savez, cette demande a été déférée à l’Office des appels relatifs aux permis de pêche de l’Atlantique et elle a été entendue le 11 décembre 2007, au Battery Hotel & Suites, St. John’s (Terre-Neuve-et-Labrador).

 

Le ministre a pris une décision fondée sur un examen détaillé de toutes les informations disponibles, et je suis au regret de vous informer qu’il a rejeté votre appel. Il a conclu que, dans votre cas, le ministère des Pêches et des Océans avait interprété et appliqué correctement la politique de délivrance de permis.

 

Comme je l’ai dit plus tôt, je regrette que cette décision ne puisse pas vous être plus favorable.

 

 

Les arguments invoqués

i)          Les arguments du demandeur

[19]           Le demandeur soutient que le MPO et le ministre l’ont traité de manière inéquitable car on ne lui a jamais rien dit au sujet du changement de politique en 1989 quant aux conditions qu’il fallait remplir en vue d’obtenir un permis de pêche supplémentaire du crabe. Il ajoute qu’on ne lui a pas dit qu’il perdrait le permis de pêche du crabe s’il transférait le bateau de 35 pi.

 

[20]           Le demandeur soutient qu’en possédant à la fois un bateau de 35 pi et un bateau de 10 tonnes brutes, il avait droit au départ au permis de pêche supplémentaire du crabe. Il ajoute qu’étant donné qu’il était, de ce fait, initialement admissible au permis de pêche supplémentaire du crabe, ce permis aurait dû lui être accordé, même après le transfert du bateau de 35 pi. De plus, ce n’était pas un « nouveau » permis de pêche supplémentaire du crabe, qu’il tentait d’obtenir, mais le renouvellement d’un tel permis.

 

ii)         Les arguments du défendeur

[21]           Le défendeur est d’avis que le demandeur n’avait aucun droit acquis à l’égard de la délivrance perpétuelle du permis de pêche supplémentaire du crabe. Les conditions relatives à la détention de ce permis avaient changé en 1989, de sorte que quand le demandeur en avait fait la demande en 1991, il n’était plus en droit de le détenir car, à cette époque-là, il ne satisfaisait pas aux critères parce qu’il ne possédait et n’exploitait plus un navire de 35 pi avec un permis de PPFEF. Le demandeur avait transféré son bateau de 35 pi à son fils Shawn en avril 1990.

 

[22]           Le défendeur signale que le permis de pêche supplémentaire du crabe a été délivré au départ au demandeur parce qu’il possédait et exploitait un bateau de 35 pi, et non pas parce qu’il possédait et exploitait un bateau plus petit, de 10 tonnes brutes. Le permis a été délivré pour le N.M. « Misty Dawn », BPC 089937. Quoi qu'il en soit, dit le défendeur, le tonnage du bateau plus petit, BPC 098316, n’est pas mentionné sur la demande de permis en 1988.

 

[23]           Le défendeur soutient que les recommandations de l’Office étaient raisonnables, compte tenu du régime réglementaire ainsi que de la preuve soumise. Il soutient de ce fait que la décision du ministre est raisonnable et qu’elle résiste à un examen judiciaire.

 

[24]           Par ailleurs, le défendeur fait remarquer que la demande de permis de pêche commerciale et d’enregistrements en 1991 du demandeur ne fait référence qu’à deux bateaux.

 

[25]           Le défendeur soutient également que, conformément au régime réglementaire, le permis de pêche de poisson de fond avec engins de pêche (PPFEF) est associé au bateau de 35 pi. Après le transfert de ce dernier à son fils, le demandeur ne détenait plus un tel permis pour un bateau de 35 pi et il n’était pas en droit, après ce transfert, de détenir un permis de pêche supplémentaire du crabe.

 

Analyse et décision

[26]           La première question à régler est la norme de contrôle applicable. Depuis que la Cour suprême du Canada a rendu l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, [2008] 1 R.C.S. 190, les décisions que rendent les décideurs administratifs sont susceptibles de contrôle selon l’une des deux normes suivantes : la décision correcte et la raisonnabilité. C’est la décision correcte qui s’applique aux questions de droit. En général, la raisonnabilité s’applique aux questions de fait, aux questions mixtes de fait et de droit ainsi qu’à l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire. Les questions d’équité procédurale et de justice naturelle sont susceptibles de contrôle selon la décision correcte; voir l’arrêt Ellis-Don Ltd. c. Ontario (Commission des relations de travail), [2001] 1 R.C.S. 221, au paragraphe 65.

 

[27]           Le ministre est chargé de la gestion des pêches. En vertu de l’article 7 de la Loi, le ministre exerce un pouvoir discrétionnaire absolu sur la délivrance des permis, ce qui inclut la création des conditions connexes. L’article 10 du Règlement de pêche (dispositions générales), DORS/93-53 (le Règlement), décrit la période durant laquelle un permis est valide :

 

Date d’expiration des documents

 

10. Sauf indication contraire dans le document, celui-ci expire à l’une des dates suivantes :

a) le 31 décembre de l’année pour laquelle il a été délivré, s’il est délivré pour une année civile;

b) le 31 mars de l’année pour laquelle il a été délivré, s’il est délivré pour un exercice.

Expiration of Documents

 

 

10. Unless otherwise specified in a document, a document expires

(a) where it is issued for a calendar year, on December 31 of the year for which it is issued; or

(b) where it is issued for a fiscal year, on March 31 of the year for which it is issued.

 

[28]           Le ministre, par l’entremise du MPO, est autorisé à promulguer des politiques, y compris des plans de gestion. Les plans de gestion du crabe qui ont été établis pour la région de Terre-Neuve-et-Labrador en 1988 et jusqu’en 1991 sont pertinents.

 

[29]           Au nombre des politiques relatives à la gestion des pêches dans la région de Terre-Neuve figure la Politique d’émission des permis pour la pêche commerciale dans l’Est du Canada (Ottawa : ministre des Approvisionnements et Services du Canada, 1996) (la Politique d’émission des permis). C’est dans le cadre de cette politique qu’a été créé l’OAPPA. Le chapitre 7 de la Politique d’émission des permis prévoit un processus d’appel pour les personnes qui sont insatisfaites d’une décision prise par les fonctionnaires du MPO en matière de délivrance de permis. L'article 35 de la Politique d’émission des permis décrit le mandat de l’Office. Les alinéas 35(7)a), b) et c) sont pertinents quant à la présente instance et prévoient ce qui suit :

 

L’Office des appels relatifs aux permis de pêche de l’Atlantique n’entend que les appels présentés par des pêcheurs dont les appels ont été refusés suite à des audiences tenues par un comité d’appel régional relatif à la délivrance des permis.

 

a) L’Office n’examine que les appels relatifs à des permis de pêche découlant de l’application de politiques s’adressant aux bateaux de moins de 19,7 m (65 pi) de LHT.

 

b) L’Office n’entend que les demandes d’appel présentées au cours des trois années suivant la date de la décision visant le permis ou un changement de politique.

 

c) L’Office formule des recommandations au ministre sur les appels refusés conformément à l’application du processus d’appel régional et, pour ce faire :

 

 

i)                    détermine si le requérant a été traité équitablement conformément aux politiques, méthodes et procédures du ministère;

 

ii)                   détermine si des circonstances atténuantes justifient de déroger aux politiques, méthodes ou procédures établies.

 

 

[30]           L’alinéa 35(7)c) de la Politique d’émission des permis décrit le rôle de l’Office, lequel consiste à entendre les appels relatifs aux décisions concernant la délivrance de permis et à formuler des recommandations au ministre, en tenant compte de la question de savoir si l’appelant a été traité équitablement et s’il existe des « circonstances atténuantes » qui justifient que l’on déroge aux « politiques, méthodes ou procédures établies » (non souligné dans l’original).

 

[31]           Dans l’arrêt Jada Fishing Co. et al. c. Canada (Ministre des Pêches et Océans) et al. (2002), 288 N.R. 237 (C.A.F.), la Cour d’appel fédérale a fait quelques commentaires sur la relation qu’il y a entre les recommandations de l’Office et la décision du ministre, et ce, aux paragraphes 12 et 13 :

 

Il est clair que le ministre a le pouvoir, en vertu de l’article 7 de la Loi sur les pêches, L.R.C. 1985, ch. F-14, de rendre, à discrétion, des décisions au sujet des licences d’exploitation de pêcheries. En revanche, la formation n’avait pas cette compétence en vertu de la loi et elle a simplement formulé des recommandations que le ministre était en droit d’accepter ou de rejeter. À première vue, les recommandations de la formation ne sont donc pas, de par leur nature, susceptibles de contrôle. En l’espèce, en raison de l’ampleur de l’avis de demande de contrôle judiciaire présenté au juge Pelletier, je suis convaincu que la Cour peut contrôler une décision discrétionnaire du ministre qui se fonde, en partie sur une recommandation de la formation.

 

Dans le présent appel, les appelantes cherchent à faire annuler l’ordonnance du juge qui a siégé en révision et elles ne font référence qu’à la « décision » de la formation et à la conduite de cette dernière; il n’y est pas fait mention du ministre. La décision du ministre, en date du 3 avril 1998, est cependant toujours valide. De toute façon, la décision ou recommandation de la formation, qui est inexorablement liée à la décision du ministre, est sans effet juridique, à moins que le ministre ne l’« adopte » en tant qu’un des fondements de sa décision. Je suis d’avis que le présent appel ne peut se poursuivre qu’en tant que contrôle de la décision du ministre fondé sur le paragraphe 18.1(4) de la Loi, bien que l’appel soit présenté sous le couvert d’une contestation de la recommandation de la formation. La Cour contrôle donc, dans le présent appel, l’exercice du pouvoir discrétionnaire du ministre.

 

 

[32]           Cela signifie que la recommandation de l’Office doit être considérée comme étant un facteur dont le ministre a tenu compte lorsqu’il a rendu la décision faisant l’objet du présent contrôle.

 

[33]           Le demandeur soutient qu’il a été traité de façon inéquitable, pour deux raisons. Premièrement, il dit ne pas avoir été informé du changement de la politique. Ensuite, il dit avoir été traité de façon inéquitable parce qu’il avait droit, en vertu des conditions initiales, à la délivrance d’un permis de pêche supplémentaire pour deux motifs : il possédait et exploitait deux bateaux admissibles, l’un d’une longueur de 35 pi de LHT, BPC 089937, et l’autre, BPC 098316. Le demandeur soutient qu’au vu de ces faits, il avait le droit de recevoir le permis de pêche supplémentaire du crabe en 1991.

 

[34]           Certes, le dossier fait montre d’un manque de communication entre les parties à propos du non-renouvellement du permis de pêche supplémentaire du crabe. Le demandeur n’a pas reçu ce permis de pêche supplémentaire en 1991, mais il n’a fait des démarches auprès du MPO à ce sujet qu’en 1993 quand, dans sa lettre du 25 avril 1993, il dit que le permis [traduction] « a été abandonné » sans motif aucun.

 

[35]           Le MPO n’a envoyé aucune réponse écrite avant la lettre de Mme Green datée du 8 avril 1994. À ce moment, le ministère a fait savoir que les critères relatifs à la délivrance du permis de pêche supplémentaire du crabe avaient changé et que, depuis le transfert du permis de PPFEF pour le bateau de 35 pi à son fils en 1990, le demandeur ne répondait plus aux critères qui permettaient de conserver ce permis.

 

[36]           Il est regrettable que le demandeur n’ait pas reçu plus tôt une réponse à sa lettre du 25 avril 1993, ni à celle du 22 janvier 1994, mais cela n’établit pas que le ministère l’a traité de manière inéquitable ou irrégulière. Il n’y a pas eu dans cette affaire de manquement à la justice naturelle ou à l’équité procédurale. Il incombait d’une certaine façon au demandeur lui-même de s’enquérir de l’absence du permis et il a reconnu qu’il s’occupait de son épouse malade, qui est décédée en 1993. Cependant, le véritable problème est que la politique concernant les conditions de délivrance du permis de pêche supplémentaire du crabe avait changé.

 

[37]           Selon Mme Green, la politique a changé en 1989. Cette année-là, les critères suivants ont été fixés :

[traduction]

Pêche supplémentaire

 

Des permis de pêche de 150 casiers sont à la disposition du pêcheur à temps plein qui répond aux critères suivants :

 

a) être résidant de la zone de gestion pour laquelle des permis sont disponibles.

 

b) exploiter un bateau de pêche commerciale enregistré d’au moins 35 pieds de LHT et d’au plus 64 pi 11 po de LHT.

 

c) détenir un permis de pêche de poisson de fond pour la zone 2+3KL ou le secteur 1.

 

[38]           Ces critères ont été publiés dans le Plan de gestion du crabe de 1989 pour Terre-Neuve. C’est au paragraphe b) que réside la différence entre ces critères et ceux qui étaient en vigueur en 1988, année où le demandeur a acquis le permis de pêche supplémentaire du crabe. Selon le Plan de 1988, le demandeur d’un tel permis était tenu de :

b) posséder ou exploiter un bateau de pêche commerciale enregistré d’au moins 35 pi de LHT ou 10 tonnes brutes et d’au plus 64 pi 11 po de LHT.

 

[39]           Une fois que le demandeur eut renoncé à son permis de PPFEF qui était associé au N.M. « Misty Dawn », BPC 089937, il lui a été impossible de satisfaire à la nouvelle politique réglementaire concernant la détention d’un permis de pêche supplémentaire du crabe.

 

[40]           Comme je l'ai dit plus tôt, la délivrance des permis de pêche est régie par l’article 7 de la Loi. Cette disposition accorde au ministre un vaste pouvoir discrétionnaire en matière de délivrance de permis en vertu de la Loi. L’étendue de ce pouvoir discrétionnaire a été analysée par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Comeau's Sea Foods Ltd. c. Canada (Ministre des Pêches et Océans, [1997] 1 R.C.S. 12, au paragraphe 36 :

Je suis d’avis que le pouvoir discrétionnaire d’autoriser la délivrance de permis, qui est conféré au ministre par l’article 7, est, à l’instar de son pouvoir discrétionnaire de délivrer des permis, restreint seulement par l’exigence de justice naturelle, étant donné qu’il n’y a actuellement aucun règlement applicable. Le ministre doit fonder sa décision sur des considérations pertinentes, éviter l’arbitraire et agir de bonne foi. Il en résulte un régime administratif fondé principalement sur le pouvoir discrétionnaire du ministre : voir Thomson c. Ministre des Pêches et Océans, C.F. 1re inst., no T-113-84, 29 février 1984.

 

[41]           Le ministre a le droit de changer les politiques s’il le faut pour gérer les pêches. La seule question à laquelle il faut répondre est la suivante : « La décision de refuser de délivrer au demandeur un permis de pêche supplémentaire du crabe était-elle raisonnable? »

 

[42]           À mon avis, la décision du ministre est raisonnable et tient convenablement compte de la nouvelle politique concernant la délivrance des permis de pêche supplémentaire du crabe. Les permis de pêche sont délivrés chaque année par le ministre, conformément aux politiques en vigueur. La politique en question obligeait à posséder un bateau d’une longueur minimale et un permis de PPFEF. Comme le demandeur ne répondait pas aux exigences, il n’avait pas le droit de détenir un permis de pêche supplémentaire du crabe. Je signale qu’en signant la renonciation aux droits du 18 avril 1990, le demandeur a reconnu que la possibilité qu’il avait plus tard de pratiquer de nouveau la pêche du crabe dépendrait de tout changement apporté à la politique. Ce document comporte les énoncés suivants :

 

[traduction]

Je suis conscient que toute demande ultérieure en vue de pratiquer de nouveau cette pêche sera assujettie aux critères de la politique de délivrance de permis ou du plan de gestion qui seront en vigueur au moment de la demande.

 

Je reconnais et j’accepte ces conditions de renonciation et je conviens que le ou les permis soient redélivrés.

 

[43]           En définitive, la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée. Dans l’exercice du pouvoir discrétionnaire que les Règles me confèrent, je ne rends aucune ordonnance quant aux dépens.


 

JUGEMENT

 

LA COUR ORDONNE que la présente demande de contrôle judiciaire soit rejetée; aucune ordonnance n’est rendue quant aux dépens.

 

 

                « E. Heneghan »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Jacques Deschênes, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        T-890-08

 

INTITULÉ :                                       ALBERT RALPH c.

                                                            PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 ST. JOHN’S (T.-N.-L.)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               LE 3 JUIN 2009

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET

JUGEMENT :                                    LA JUGE HENEGHAN

 

DATE DES MOTIFS :                      LE 4 DÉCEMBRE 2009

 

 

COMPARUTIONS :

 

David Bussey

 

POUR LE DEMANDEUR

Dean Smith

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Rogers Bussey Lawyers

St. John’s (T.-N.-L.)

 

POUR LE DEMANDEUR

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

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