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Cour fédérale

 

Federal Court

Date : 20091201

Dossiers : IMM-1611-09

IMM-1612-09

 

Référence : 2009 CF 1229

Ottawa (Ontario), le 1er décembre 2009

En présence de monsieur le juge O'Reilly

 

 

ENTRE :

SELVAN RENGASAMY

KUMARENSAN RENGASAMY

demandeurs

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

I.        Aperçu

[1]               Selvan Rengasamy et Kumaresan Rengasamy sont frères et ont chacun une femme et des enfants en Inde. Ils ont présenté des demandes de permis de travail à l’ambassade du Canada à New Delhi, en Inde. Un agent des visas a refusé leur demande, essentiellement parce qu’il n’était pas convaincu que les demandeurs retourneraient en Inde à l’expiration de leurs permis.

 

[2]               Les demandeurs affirment que l’agent les a traités de manière inéquitable en ne leur offrant pas la possibilité de dissiper ses craintes et en rejetant leurs demandes pour la simple raison qu’ils auraient une raison financière les incitant à rester au Canada après la date d’expiration de leurs permis. Ils me demandent d’annuler la décision de l’agent et d’ordonner qu’un autre agent examine leurs demandes.

 

[3]               Je conviens que l’agent a commis une erreur et j’accueillerai la présente demande de contrôle judiciaire. Il y a deux questions en litige :

 

1.      Les demandeurs ont-ils été traités de manière inéquitable?

2.      La décision était-elle raisonnable?

II.     Le contexte factuel

 

[4]               Les demandeurs occupent actuellement des postes de serveurs et d’aide-cuisiniers dans un hôtel en Inde. Ils ont présenté des lettres du directeur de l’hôtel attestant qu’ils ont acquis de l’expérience dans ces postes. Ils ont tous deux reçus des offres d’emploi pour travailler comme aide-cuisiniers dans un restaurant de Calgary. Ils ont présenté des contrats d’embauche précisant qu’ils seraient payés 10,42 $ par heure et qu’on couvrirait leurs frais d’hébergement jusqu’à concurrence de 300 $ par mois. Ils ont également présenté des certificats montrant qu’ils avaient étudié l’anglais ainsi que des documents établissant qu’ils avaient tous deux une épouse et des enfants qui ne les accompagneraient pas au Canada.

 

 

 

III.   La décision

 

[5]               Dans les faits, deux agents ont étudié les documents des demandeurs.

 

[6]               Le premier agent s’est inquiété du fait que dans les lettres de recommandation des demandeurs, l’identité du signataire n’était pas clairement précisée. Le deuxième agent a souligné que les lettres ne paraissaient pas professionnelles du fait que l’en-tête avait été généré par ordinateur, qu’elles contenaient peu d’informations, que l’anglais était de qualité médiocre et qu’on avait eu recours à différentes polices.

 

[7]               Les agents ont également remarqué qu’il y avait un grand décalage entre le salaire que les demandeurs gagnaient alors en Inde et celui qu’ils pourraient gagner au Canada. Ils ont conclu que les demandeurs n’avaient pas suffisamment de raisons de retourner en Inde à la fin de leurs contrats.

 

[8]               Le premier agent a déclaré :

[traduction]

Compte tenu de la différence entre les salaires, il est hautement probable qu’il préférerait faire face à l’épreuve que constituerait la séparation d’avec sa famille au fait de retourner travailler dur dans son ancien emploi, pour un salaire bien inférieur.

 

[9]               Le second agent a souscrit à cette opinion :

[traduction]

Tout bien considéré, je ne suis pas convaincue que [le demandeur] ne supporterait pas les difficultés associées à la séparation d’avec sa famille en Inde et ne resterait pas au Canada d’une manière ou d’une autre afin de tirer parti de meilleures conditions socio-économiques. Tout bien considéré, je ne suis pas convaincue que [le demandeur] serait un véritable résident temporaire au Canada, et je ne crois pas non plus qu’il quitterait le pays à la fin de la période de séjour autorisée, même s’il n’avait aucun moyen légal de rester.

 

1.   Les demandeurs ont-ils été traités de manière inéquitable?

 

[10]           Les demandeurs soutiennent que les agents avaient le devoir de leur offrir la possibilité de répondre à leurs préoccupations concernant l’authenticité des lettres de recommandation.

 

[11]           De manière générale, les agents ont le devoir de permettre aux demandeurs de présenter des observations relativement à toute preuve extrinsèque sur laquelle les agents se fondent. En outre, je suis d’avis qu’ils ont le devoir de donner aux demandeurs l’occasion de repousser les soupçons qui sont de l’ordre des allégations de fausses déclarations ou d’inconduite grave (voir, par exemple, Cornea c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CF 972; Ahmed c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1111).

 

[12]           En l’espèce, les agents ont conclu qu’il ne fallait accorder que peu d’importance aux lettres des demandeurs. Il est vrai que les agents se sont posé certaines questions relativement à l’authenticité de ces lettres, concluant essentiellement qu’elles étaient de [traduction] « qualité médiocre » et [traduction] « non professionnelle ». Quoi qu’il en soit, la façon dont les agents ont décrit les lettres n’était pas le principal motif de refus des permis de travail. Dans les circonstances, je ne crois pas que les agents avaient le devoir d’offrir aux demandeurs la possibilité de s’expliquer sur ce point.

 

2.   La décision était-elle raisonnable?
 

[13]           Le défendeur fait valoir que les agents ont légitimement conclu que la grande différence existant entre les salaires que les demandeurs touchaient en Inde et ceux qu’ils pourraient toucher au Canada donnerait à ceux-ci une puissante raison de demeurer au pays au-delà de la période de séjour autorisée.

 

[14]           Les personnes qui demandent des permis de travail temporaire au Canada le font manifestement parce qu’ils peuvent gagner plus d’argent ici que chez eux. En ce sens, toute personne qui demande ou qui se voit accorder un permis de travail temporaire aura une raison financière de rester au Canada au-delà de la durée autorisée. Par conséquent, l’existence d’une motivation financière à rester au Canada ne peut, à elle seule, justifier le refus d’une demande. Autrement, aucune demande ne pourrait aboutir. Comme le juge Sean Harrington l’a souligné dans des circonstances similaires, la décision d’un agent sera jugée déraisonnable quand « elle reposait, comme raison principale pour le refus d’accepter cette personne, sur le facteur même qui pourrait induire une personne à venir ici de façon temporaire » (Dhanoa c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 729).

 

[15]           Le défendeur affirme qu’il revient aux demandeurs de prouver qu’ils rentreront dans leur pays à la fin de la période de séjour autorisée (Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS 2002/227, alinéa 179b)). En l’espèce, les demandeurs ont présenté des preuves de leurs importants liens familiaux en Inde, où ils ont chacun un père ou une mère, une épouse et de jeunes enfants. Ils n’ont qu’un lointain cousin au Canada. Le défendeur prétend que la preuve des demandeurs relative à leurs liens familiaux en Inde est mince et que, par conséquent, les demandeurs ne se sont pas déchargés du fardeau de la preuve. Le défendeur donne à entendre que les demandeurs auraient pu donner plus de poids à leurs demandes en présentant davantage d’informations au sujet de la qualité de leurs liens familiaux.

 

[16]           Toutefois, je remarque que les agents n’ont pas exprimé de la même manière que le défendeur le fait que le fardeau de la preuve incombait aux demandeurs. En fait, les agents ont déclaré qu’il revenait aux demandeurs de prouver que l’épreuve consistant à être séparés de leurs familles pour une durée indéterminée l’emporterait sur les avantages financiers qu’ils retireraient en restant au Canada. Autrement dit, ils devaient prouver que leurs familles avaient plus d’importance pour eux que des gains de 10,42 $ par heure. 

 

[17]           Je crois que les agents ont mal défini la nature du fardeau qui incombait aux demandeurs. Cela les a amenés à minimiser déraisonnablement l’importance des liens familiaux que les demandeurs avaient en Inde et, par conséquent, la preuve montrant l’intention des demandeurs de retourner en Inde à l’expiration de leurs permis. Par conséquent, la décision des agents était déraisonnable.

 

[18]           Par conséquent, j’accueillerai les demandes de contrôle judiciaire et ordonnerai à un autre agent d’examiner les demandes de permis de travail. Aucune question de portée générale n’est soulevée.


 

JUGEMENT

LA COUR STATUE que :

1.                  Les demandes de contrôle judiciaire sont accueillies. L’affaire est renvoyée devant un autre agent pour nouvel examen;

2.                  Aucune question de portée générale n’est soulevée.

 

« James W. O’Reilly »

Juge

 

Traduction certifiée conforme

Alya Kaddour-Lord, traductrice

 


Annexe « A »

 

Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227

 

 

Délivrance

  179. L’agent délivre un visa de résident temporaire à l’étranger si, à l’issue d’un contrôle, les éléments suivants sont établis :

 

[…]

 

b) il quittera le Canada à la fin de la période de séjour autorisée qui lui est applicable au titre de la section 2;

 

Immigration and Refugee Protection Regulations, SOR 2002/227

 

 

Issuance

  179. An officer shall issue a temporary resident visa to a foreign national if, following an examination, it is established that the foreign national

. . .

(b) will leave Canada by the end of the period authorized for their stay under Division 2;

 

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIERS :                                      IMM-1611-09 et IMM-1612-09

 

INTITULÉS :                                     SELVAN RENGASAMY

                                                            c.

                                                            MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

 

                                                            KUMARESAN RENGASAMY

                                                            c.

                                                            MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Calgary (Alberta)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 18 novembre 2009

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              Le juge O’Reilly

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 1er décembre 2009

 

 

COMPARUTIONS :

 

G. Michael Sherritt

 

POUR LES DEMANDEURS

Rick Garvin

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Sherritt Greene

Avocats

Calgary (Alberta)

 

POUR LES DEMANDEURS

John Sims, c.r.

Sous‑procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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