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Cour fédérale

 

Federal Court

 


Date : 20091124

Dossier : IMM-2476-09

Référence : 2009 CF 1207

Ottawa (Ontario), le 24 novembre 2009

En présence de madame la juge Heneghan

 

 

ENTRE :

CESAR PEREZ ARIAS

 MARIA ANGELICA RODRIGUEZ JEMIO

KAREN VALERIA PEREZ RODRIGUEZ

ERLAN AUGUSTO PEREZ RODRIGUEZ

 

demandeurs

 

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

Introduction

[1]               M. Cesar Perez Arias (le demandeur principal), son épouse, Mme Maria Angelica Rodriguez Jemio et leurs enfants Karen Valeria Perez Rodriguez et Erlan Augusto Perez Rodriguez (collectivement appelés les demandeurs) sollicitent le contrôle judiciaire de la décision datée du 30 mars 2009, par laquelle l’agent d’examen des risques avant renvoi P.A. Bassi (l’agent) a rejeté la demande qu’ils avaient présentée en vue de se voir reconnaître la qualité de personnes à protéger au sens de l’article 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi).

 

Les faits

[2]               Les demandeurs sont des citoyens de la Bolivie. Le demandeur principal est arrivé au Canada en mars 2000, et son épouse ainsi que leurs enfants sont arrivés en août de la même année.

 

[3]               Les demandeurs ont demandé l’asile au Canada du fait des activités politiques du demandeur principal, en l’occurrence son rôle actif au sein du syndicat des enseignants à La Paz. La Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié a rejeté la demande le 13 juin 2003 et, dans sa décision, elle a conclu que le témoignage du demandeur principal manquait de vraisemblance et qu’il n’y avait par ailleurs pas de fondement objectif justifiant la crainte de persécution. Une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire a été rejetée le 31 octobre 2003.

 

[4]               Les demandeurs ont soumis une demande d’examen avant renvoi (ERAR) qui a été rejetée le 6 janvier 2005, pour cause d’invraisemblance et de manque de crédibilité. Les demandeurs n’ont pas sollicité l’autorisation d’introduire une demande de contrôle judiciaire de cette décision et ils ont été expulsés en Bolivie le 8 février 2005. Ils sont retournés à La Paz.

 

[5]               Suivant l’affidavit qu’il a souscrit à l’appui de la présente demande de contrôle judiciaire, le demandeur principal a participé le 18 février 2005 à une manifestation organisée par le syndicat des enseignants. Trois jours plus tard, il est allé se renseigner au sujet d’un poste d’enseignant. On lui aurait répondu qu’il n’y avait pas de nouveau poste d’enseignant.

 

[6]               Suivant l’affidavit qu’elle a souscrit, l’épouse du demandeur principal a, le même jour, été agressée sexuellement chez elle par des agents du ministère de l’Intérieur. Les demandeurs soutiennent que cette agression s’explique par les activités politiques du demandeur principal au sein du syndicat.

 

[7]               Les demandeurs n’ont pas signalé l’agression à la police, parce qu’ils croyaient que les auteurs de l’agression étaient des représentants de l’État. Ils se sont plutôt enfuis de La Paz le soir même de l’agression pour se rendre dans la ville de Huarina. Un médecin a examiné l’épouse du demandeur principal le 22 février 2005 et les résultats de cet examen ont été consignés dans les dossiers de l’hôpital. À l’appui de leur seconde demande d’ERAR, les demandeurs ont produit un certificat médical attestant l’authenticité des résultats consignés dans les dossiers de l’hôpital.

 

[8]               Les demandeurs ont quitté la Bolivie le 16 mars 2005. Ils se sont d’abord rendus aux États-Unis, où ils sont demeurés jusqu’à leur retour au Canada le 29 septembre 2008. Pendant leur séjour aux États-Unis, le demandeur principal a travaillé comme manœuvre dans un chantier. Il a été blessé à la main et a dû subir plusieurs interventions chirurgicales. Dans l’affidavit déposé dans la présente instance, le demandeur principal affirme que son entrée au Canada avec les membres de sa famille avait été retardée en raison des soins médicaux qu’il avait reçus aux États-Unis.

 

[9]               À leur retour au Canada, les demandeurs n’étaient pas admissibles à demander l’asile en conséquence du fait qu’ils avaient antérieurement été expulsés du pays.

 

[10]           Au soutien de leur seconde demande d’ERAR, les demandeurs ont également invoqué les activités politiques exercées par le demandeur principal au sein du syndicat des enseignants. Ils ont soumis de nouveaux éléments de preuve, en l’occurrence un certificat médical émanant de l’hôpital où l’épouse du demandeur principal avait été examinée, ainsi que des déclarations notariées faites par un prêtre d’une des paroisses de la ville de Huarina, par un voisin de la famille du demandeur et par le beau-père du demandeur principal.

 

[11]           Les demandeurs ont également soumis les résultats de l’évaluation psychologique dont le demandeur principal, son épouse et leur enfant aîné ont fait l’objet à Toronto. On a diagnostiqué un trouble dépressif majeur chez le demandeur principal et un trouble de stress post-traumatique chez son épouse.

 

[12]           En rejetant la demande d’ERAR, l’agent a estimé que les nouveaux éléments de preuve étaient loin d’être convaincants et il a conclu que les demandeurs n’avaient pas présenté des éléments de preuve suffisants pour démontrer qu’ils risqueraient de subir un préjudice de la part de quelque personne ou groupe que ce soit en Bolivie. L’agent a également estimé que les demandeurs pouvaient compter sur une protection de l’État suffisante. L’agent a jugé l’affaire sur dossier, après avoir examiné les documents et éléments qui lui avaient été soumis, et après avoir effectué ses propres recherches au sujet de la situation qui existait en Bolivie.

 

[13]           Dans la présente demande de contrôle judiciaire, les demandeurs affirment que le fait que l’agent n’a pas tenu d’audience s’est traduit par un manquement à l’équité procédurale. Les demandeurs se fondent sur l’alinéa 113b) de la Loi et sur l’article 167 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 (le Règlement), pour formuler cet argument.

 

[14]           À titre subsidiaire, les demandeurs affirment que l’agent a commis des erreurs susceptibles de contrôle dans la façon dont il a apprécié la preuve et ils ajoutent que l’agent a également commis une erreur en concluant qu’ils pouvaient se réclamer de la protection de l’État.

 

Analyse et décision

[15]           La première question à aborder est celle de la norme de contrôle applicable, compte tenu de l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, [2008] 1 R.C.S. 190, de la Cour suprême du Canada. C’est la norme de la décision correcte qui s’applique dans le cas des questions de droit et d’équité procédurale, tandis que c’est la norme de la décision raisonnable qui s’applique dans le cas des questions de fait, des questions mixtes de droit et de fait et de celles portant sur l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire.

 

[16]           Les demandeurs affirment que l’agent a tiré des conclusions quant à la crédibilité pour rejeter leur demande d’ERAR. Se fondant sur l’alinéa 113b) de la Loi et sur l’article 167 du Règlement, ils soutiennent qu’ils avaient droit à une audience alors que leur crédibilité était mise en cause.

 

[17]           Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration (le défendeur) adopte le point de vue selon lequel les demandeurs n’avaient pas droit à une audience, parce que l’agent a fondé sa décision, non pas sur la crédibilité des demandeurs, mais sur l’insuffisance de la preuve.

 

[18]           L’alinéa 113b) de la Loi et l’article 167 du Règlement sont ainsi libellés :

113. Il est disposé de la demande comme il suit :

 

 

[]

 

b) une audience peut être tenue si le ministre l’estime requis compte tenu des facteurs réglementaires;

 

 

[]

113. Consideration of an application for protection shall be as follows :

 

 

 (b) a hearing may be held if the Minister, on the basis of prescribed factors, is of the opinion that a hearing is required;

 

 

167. Pour l’application de l’alinéa 113b) de la Loi, les facteurs ci-après servent à décider si la tenue d’une audience est requise :

a) l’existence d’éléments de preuve relatifs aux éléments mentionnés aux articles 96 et 97 de la Loi qui soulèvent une question importante en ce qui concerne la crédibilité du demandeur;

b) l’importance de ces éléments de preuve pour la prise de la décision relative à la demande de protection;

c) la question de savoir si ces éléments de preuve, à supposer qu’ils soient admis, justifieraient que soit accordée la protection.

 

 

167. For the purpose of determining whether a hearing is required under paragraph 113(b) of the Act, the factors are the following :

(a) whether there is evidence that raises a serious issue of the applicant's credibility and is related to the factors set out in sections 96 and 97 of the Act;

(b) whether the evidence is central to the decision with respect to the application for protection; and

(c) whether the evidence, if accepted, would justify allowing the application for protection.

[19]           Il ressort à l’évidence, selon moi, du libellé de l’alinéa 113b) que la décision de tenir une ou non une audience dans le cadre du processus d’ERAR est laissée à l’entière discrétion du défendeur, qui doit, pour ce faire, tenir compte des « facteurs réglementaires » mentionnés à l’article 167 du Règlement. Et ce n’est pas parce que les facteurs réglementaires en question existent dans un cas donné qu’on doit inévitablement en conclure que la tenue d’une audience est requise. À ce propos, je dois me dissocier du raisonnement suivi dans la décision Tekie c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 50 Imm. L.R. (3d) 306 (C.F.)).

 

[20]           Je suis conscient du fait que le juge qui entend écarter une décision antérieure de la Cour doit tenir compte du principe de la courtoisie judiciaire. À cet égard, je me fonde sur la décision Almrei c. Canada (Citoyenneté et Immigration), (2007), 316 F.T.R. 49, dans lequel le juge Lemieux écrit ce qui suit, aux paragraphes 61 et 62, au sujet de la courtoisie judiciaire :

 

(3) Le principe de courtoisie judiciaire

 

61     Le principe de courtoisie judiciaire est bien reconnu par la magistrature canadienne. Appliqué dans des décisions rendues par les juges de la Cour fédérale, ce principe signifie qu’une décision essentiellement semblable qui est rendue par un juge de notre Cour devrait être adoptée dans l’intérêt de favoriser la certitude du droit. Je cite les causes suivantes :

 

Haghighi c. Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2006 CF 272;

 

Benitez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 461;

 

Pfizer Canada Inc. c. Canada (Ministre de la Santé), 2007 CF 446;

 

Aventis Pharma Inc. c. Apotex Inc., 2005 CF 1283;

 

Singh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] A.C.F. no 1008;

 

Ahani c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999]
A.C.F. no 1005;

 

Eli Lilly & Co. c. Novopharm Ltd., (1996), 67 C.P.R. (3d) 377;

 

Bell c. Cessna Aircraft Co., [1983] 149 DLR (3d) 509 (C.A. C.-B.);

 

Glaxco Group Ltd. et al. c. Ministre de la Santé nationale et du Bien-être social et al., 64 C.P.R. (3d) 65;

 

Steamship Lines Ltd. c. M.R.N., [1966] R. C. de l’É. 972.

 

62     Il y a plusieurs exceptions au principe de courtoisie judiciaire qui est exposé ci-dessus; ce sont les suivants :

 

1.  Les cas où l’ensemble de faits ou les éléments de preuve ne sont pas les mêmes pour les deux causes; 

 

2.  Les cas où la question à trancher est différente;

 

3.  Les cas où la décision antérieure n’a pas examiné la loi ou la jurisprudence qui auraient donné lieu à un résultat différent, c’est-à-dire lorsque la décision était manifestement erronée;

 

4.  Les cas où la décision suivie créerait une injustice.

 

 

[21]           À mon avis, la troisième exception énoncée par la Cour dans la décision Almrei s’applique dans le cas qui nous occupe.

 

[22]           Dans l’affaire Tekie, le juge Phelan s’est concentré sur le libellé de l’article 167 du Règlement, et non sur celui de l’alinéa 113b) de la Loi, pour conclure que la tenue d’une audience était requise.

 

[23]           À mon avis, le libellé de l’alinéa 113b), avec son emploi des mots « peut » et « estime » donne à penser que la question de la possibilité de tenir une audience sera toujours une question qui dépend de l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire, et non d’une question de droit. Les demandeurs n’ont pas été privés d’un droit et ils n’ont pas été victimes d’un manquement à l’équité procédurale du fait que l’agent ne leur a pas accordé d’audience.

 

[24]           Toutefois, la façon dont l’agent a prétendu rejeter leur demande en invoquant l’insuffisance de la preuve présente des difficultés. Je suis d’accord avec les demandeurs pour dire que l’agent a en fait fondé sa décision sur des motifs de crédibilité, mais qu’il n’a pas révélé ou énuméré ces motifs. En résumé, l’agent n’a pas cru la preuve présentée par les demandeurs, mais il n’a pas concrètement dit qu’il n’y ajoutait pas foi. L’agent a prétendu rejeter la demande d’ERAR pour une seule raison, l’insuffisance de la preuve, mais, en réalité, il l’a rejetée en raison des réserves qu’il avait au sujet de la crédibilité.

 

[25]           De toute évidence, cette façon de procéder est irrégulière et constitue, à mon avis, un manquement à l’obligation de motiver suffisamment la décision. Par obligation de « motiver suffisamment », il faut entendre l’obligation d’exposer les « véritables » motifs de la décision. À cet égard, je me reporte à l’arrêt Hilo c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), 15 Imm. L.R. (2d) 199 (C.A.F.) dans lequel la Cour d’appel fédérale a expliqué que les conclusions en matière de crédibilité doivent être formulées « en termes clairs et explicites ». À mon avis, il est loisible à l’agent de tirer des conclusions quant à la crédibilité, même dans le cas d’une instruction sur dossier. Cependant, lorsqu’il formule une conclusion quant à la crédibilité, l’agent doit être honnête, franc et transparent. Le problème, dans le cas qui nous occupe, réside dans le fait que l’agent a, en réalité, camouflé les réserves qu’il avait au sujet de la crédibilité en parlant plutôt de l’insuffisance de la preuve. Il a ainsi manqué à l’équité procédurale et n’a pas respecté les exigences de la loi.

 

[26]           Ce manquement à l’équité procédurale scelle le sort de la présente affaire. Il n’est donc pas nécessaire de se prononcer sur les autres questions qui ont été soulevées.

 

[27]           La demande de contrôle judiciaire est accueillie, la décision de l’agent d’ERAR est annulée et l’affaire est renvoyée à un autre agent pour qu’il rende une nouvelle décision.

 

[28]           Les avocats des parties se sont vus offrir la possibilité de proposer au plus tard le jeudi 26 novembre 2009 une question à certifier. Ils m’ont informée qu’ils n’en proposaient aucune.


 

JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est accueillie. Il n’y a pas de question à certifier.

 

 

« E. Heneghan »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

 

Christian Laroche, LL.B.

Réviseur

 

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-2476-09

 

INTITULÉ :                                       CESAR PEREZ ARIAS, MARIA ANGELICA RODRIGUEZ JEMIO, KAREN VALERIA PEREZ RODRIGUEZ et ERLAN AUGUSTO PEREZ RODRIGUEZ

                                                            c.

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               LE 12 NOVEMBRE 2009

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LA JUGE HENEGHAN

 

DATE DES MOTIFS :                      LE 24 NOVEMBRE 2009

 

 

COMPARUTIONS :

 

Leigh Salsberg

 

POUR LES DEMANDEURS

Sharon Stewart Guthrie

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Jackman & Associates

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDEURS

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

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