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Cour fédérale

 

 

 

 

 

 

 

 

Federal Court

 

Date : 20090730

Dossier : T-1497-07

  Référence : 2009 CF 784

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Montréal (Québec), 30 juillet 2009

EN PRÉSENCE DE :  Me Richard Morneau, protonotaire

 

ENTRE :

BANDE INDIENNE DE TOBIQUE

demanderesse

 

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE

défendeur

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNNANCE

 

  • [1] La Cour est saisie d’une requête de la bande indienne de Tobique, la demanderesse, en vertu du paragraphe 18.4(2) de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, ch. F-7 (la Loi), en vue de la transformation en action de la présente demande de contrôle judiciaire (la demande).

 

  • [2] Si la Cour n’y consent pas, la demanderesse sollicite une ordonnance d’autorisation de modification des moyens de l’avis de demande et, de surcroît, d’interrogatoire de fonctionnaires du ministère des Affaires indiennes et du Nord Canada (MAINC), et notamment de Ian Gray et Allen Williamson, conformément à la règle 316 des Règles des Cours fédérales (les règles).

 

Les faits

  • [3] À l’origine de la présente requête, il y a une demande faite le 14 août 2007 de contrôle judiciaire d’une décision prise en août 2007 par Dougal MacDonald, alors directeur général régional par intérim au MAINC, en vue de la nomination d’un tiers gestionnaire devant remplacer l’instance existante de cogestion (la décision attaquée).

 

  • [4] Voici les faits essentiels en la matière :

 

  • [5] La demanderesse se serait trouvée en défaut d’exécution des ententes de financement passées avec MAINC depuis 18 ans. Jusqu’en 2005, l’intervention corrective instituée par le MAINC était une mesure d’auto-administration exigeant de la demanderesse qu’elle applique et respecte les plans de gestion corrective qu’elle-même avait élaborés. En décembre 2005, le MAINC a exigé d’elle qu’elle adopte une intervention corrective de degré supérieur, à savoir la cogestion. La demanderesse a alors conclu une entente de cogestion avec l’entreprise Teed Saunders Doyle & Co (Teed Saunders). Le MAINC n’a pas été partie à ladite entente de cogestion.

 

  • [6] Cette entente sur deux ans a touché à son terme quand la demanderesse n’a pas eu l’appui entier du chef ni du Conseil pour la maintenir avec le cogestionnaire existant. L’entreprise Arbuthnot, MacNeil, Douglas, Dorey and Associates Ltd. (AMDD) a remplacé Teed Saunders à titre de cogestionnaire auprès de la demanderesse en juin 2007.

 

  • [7] Le 11 juin 2007, la demanderesse a conclu une entente de cogestion avec AMDD. Le nouveau cogestionnaire devait produire un nouveau plan de gestion pour le 31 août 2007. La demanderesse cherchait tout ce temps à trouver de l’aide pour une restructuration financière. Elle a reçu de Merchant Capital LLC une proposition visant à consolider ses créances à un taux d’intérêt plus avantageux que les taux de prêt en cours, ainsi qu’à procurer des ressources financières supplémentaires pour la construction d’une nouvelle école, de logements, d’un hôtel et d’autres améliorations de son infrastructure (proposition de Merchant Capital).

 

  • [8] Le 12 juillet 2007, à une réunion à Halifax des représentants de la demanderesse et du défendeur, Ian Gray, alors directeur régional adjoint par intérim à MAINC, aurait donné son appui sous certaines conditions à la proposition de Merchant Capital.

 

  • [9] Le 13 juillet 2007, les représentants du défendeur, MM. Williamson et William Nicholls, ont rencontré AMDD à Fredericton afin de discuter des dispositions de cogestion avec la demanderesse. À cette occasion, AMDD a dit aux représentants du MAINC que la situation financière était pire que ce qu’on pouvait en connaître. Le MAINC a alors pris conscience des créances en souffrance et du fait que la demanderesse était [traduction] « fondamentalement en faillite ».

 

  • [10] Le 18 juillet 2007, M. Nicholls a produit un rapport exposant les préoccupations en ce qui concerne la demanderesse. Le document décrivait en détail la situation financière de celle‑ci en faisant observer que la proposition de Merchant Capital constituait un sujet d’inquiétude.

 

  • [11] Dans un autre tableau d’évaluation des risques du 2 août 2007, la proposition de Merchant Capital n’était pas mentionnée, ce que la demanderesse a perçu comme un rejet de cette proposition.

 

  • [12] La décision attaquée a été prise par Dougal MacDonald le 3 août 2007. Elle a été communiquée de vive voix à la demanderesse le 7 août 2007 à l’occasion d’une rencontre et par écrit sous forme de télécopie le 9 août 2007.

 

  • [13] La télécopie évoquait le motif pour renforcer l’intervention en gestion financière en la confiant à une tierce partie. Elle disait :

[traduction]

Il est établi que le Conseil est en défaut d’exécution de l’entente de financement MAINC-Tobique et en particulier de son article 8.0 pour ce qui est des dispositions suivantes :

(a)  le Conseil manque à une de ses obligations en vertu de l’entente,

(c)  la vérification indique que le Conseil accuse un déficit cumulé équivalant à 8 % et plus du total de ses rentrées annuelles, ou

(d)  le Ministère est raisonnablement fondé à croire, à l’évidence, que la santé, la sécurité ou le bien-être des membres ou des bénéficiaires est compromise.

  • [14] Ladite communication indique en outre que la décision attaquée a été prise pour protéger le financement accordé dans l’entente et pour maintenir la fourniture des programmes et des services.

 

  • [15] Quand un tiers gestionnaire est nommé, les fonds relevant d’une entente de financement sont mis en fidéicommis par l’intéressé, celui‑ci administrant le financement et veillant à l’exécution des obligations de la bande en vertu de l’entente.

 

  • [16] Dans sa demande, la demanderesse cherche à faire annuler la décision attaquée et, entre autres déclarations, demande à ce que soit restitué l’état de cogestion de ses affaires.

 

  • [17] À la suite du dépôt de la demande, la demanderesse et le défendeur ont produit des affidavits. Les requêtes déposées par les deux visaient à obtenir plus de temps pour le dépôt d’autres affidavits. Chaque partie en a déposé un autre. Les contre-interrogatoires portant sur les affidavits ont eu lieu du 3 au 6 mars 2008.

 

  • [18] Plus précisément, la demanderesse a alors entrepris de contre-interroger à fond trois des quatre déposants du défendeur sur leurs affidavits à l’appui de sa position sur le fond de l’affaire. Les trois déposants contre-interrogés par la demanderesse ont été Brian Arbuthnot, Dougal MacDonald et William Nicholls. Pour sa part, le défendeur a contre-interrogé le chef Gerald Bear.

 

  • [19] M. Dougal MacDonald, auteur de la décision attaquée, a subi un contre-interrogatoire poussé et la transcription de celui‑ci a aussi été versée au dossier du défendeur quant à la présente requête. L’intéressé a donné des détails sur la façon dont la décision a été prise et sur les considérations ayant mené à son adoption et à sa communication à la demanderesse.

 

  • [20] M. MacDonald a en outre été questionné à loisir sur la position et la conduite antérieures de M. Ian Gray à propos de la décision attaquée et du courriel envoyé par M. Allen Williamson à AMDD le 13 juillet 2007. À l’origine de ce courriel, il y avait une allégation d’ingérence du défendeur cherchant à persuader AMDD d’assumer le rôle de tiers gestionnaire sans que la demanderesse en soit informée. M. Williamson était alors directeur des services de financement au MAINC.

 

La présente requête

  • [21] La demanderesse fait valoir pour l’essentiel que la transformation de sa demande en action se justifie du fait que les questions soulevées ne peuvent être dûment établies ni soupesées sur la foi d’affidavits et que la Cour devrait plutôt avoir la possibilité d’observer le comportement et la crédibilité des témoins.

 

  • [22] Que le défendeur n’ait pas produit d’affidavit de la part de MM. Gray et Williamson justifie également que la demanderesse sollicite cette transformation.

 

  • [23] De plus et comme il y a déjà été fait allusion, la demanderesse a sollicité une ordonnance d’autorisation d’interrogatoire de MM. Gray et Williamson en vertu de la règle 316. Cette demande est motivée par le fait que ces deux fonctionnaires ont été associés au processus ayant mené à la décision attaquée sans qu’eux-mêmes produisent d’affidavits.

 

  • [24] La question qui se pose en définitive dans cette requête est celle de la prise sollicitée d’une ordonnance visant à modifier l’avis de demande. La demanderesse fait valoir que les modifications en question ne porteraient pas préjudice au défendeur, mais se trouveraient plutôt à préciser et clarifier les moyens généralement cités à l’appui de cet avis de demande.

 

Analyse

  • [25] Les trois redressements recherchés dans cette requête sont rejetés pour les motifs qui suivent.

 

  • [26] La possibilité de transformer une demande en action est énoncée au paragraphe 18.4(2) de la Loi. Il s’agit là d’un redressement exceptionnel, l’article 18.4 indiquant qu’on devrait statuer sur une telle demande à bref délai et en procédure sommaire.

 

  • [27] L’article 18.4 dit :

18.4 (1) Hearings in a summary way ‑ Subject to subsection (2), an application or reference to the Federal Court under any of sections 18.1 to 18.3 shall be heard and determined without delay and in a summary way.

(2) Exception ‑ The Federal Court may, if it considers it appropriate, direct that an application for judicial review be treated and proceeded with as an action.

1990, c. 8, s. 5; 2002, c. 8, s. 28.

18.4 (1) Procédure sommaire d’audition ‑ Sous réserve du paragraphe (2), la Cour fédérale statue à bref délai et selon une procédure sommaire sur les demandes et les renvois qui lui sont présentés dans le cadre des articles 18.1 à 18.3.

(2) Exception ‑ Elle peut, si elle l’estime indiqué, ordonner qu’une demande de contrôle judiciaire soit instruite comme s’il s’agissait d’une action.

1990, ch. 8, art. 5; 2002, ch. 8, art. 28.

 

  • [28] L’affaire MacInnis c. Canada (Procureur général du Canada), [1994] 2 C.F. 464, fait autorité pour ce qui est du critère permettant de juger si une demande devrait être transformée en action (« MacInnis »).

 

  • [29] Aux pages 470 à 472 de l’affaire MacInnis, le juge Décary dit au nom de la Cour d’appel fédérale :

It is, in general, only where facts of whatever nature cannot be satisfactorily established or weighed through affidavit evidence that consideration should be given to using subsection 18.4(2) of the Act. One should not lose sight of the clear intention of Parliament to have applications for judicial review determined whenever possible with as much speed and as little encumbrances and delays of the kind associated with trials as are possible. The "clearest of circumstances", to use the words of Muldoon J., where that subsection may be used, is where there is a need for viva voce evidence, either to assess demeanour and credibility of witnesses or to allow the Court to have a full grasp of the whole of the evidence whenever it feels the case cries out for the full panoply of a trial.7 The decision of this Court in Bayer AG and Miles Canada Inc. v. Minister of National Health and Welfare and Apotex Inc.8 where Mahoney J.A. to some extent commented adversely on a decision made by Rouleau J. in the same file,9 is a recent illustration of the reluctance of the Court to proceed by way of an action rather than by way of an application.

Strayer J. in Vancouver Island Peace Society, and Reed J. in Derrickson have indicated that it is important to remember the true nature of the questions to be answered by the Court in judicial review proceedings and to consider the adequacy of affidavit evidence for answering those questions. Thus, a judge would err in accepting that a party could only introduce the evidence it wants by way of a trial if that evidence was not related to the narrow issues to be answered by the Court. The complexity of the factual issues would be, taken by itself, an irrelevant consideration if the conflicting expert affidavits on which they are based are related to the issues before the tribunal rather than issues before the Court. In the same vein, speculation that hidden evidence will come to light is not a basis for ordering a trial.10 A judge might be justified in holding otherwise if there were good grounds for believing that such evidence would only come to light in a trial, but the key test is whether the judge can see that affidavit evidence will be inadequate, not that trial evidence might be superior.

 

 

 

 

[Emphasis added.]

7 See Canadian Pacific Ltd. v. Matsqui Indian Band, [1993] 2 F.C. 641 (C.A.), at pp. 649‑650; Edwards v. Canada (Minister of Agriculture) (1992), 53 F.T.R. 265 (F.C.T.D.), at p. 267, Pinard J.

(25 October 1993), A‑389‑93, not yet reported.

[Bayer AG et al. v. Canada (Minister of National Health and Welfare) et al.] (1993), 66 F.T.R. 137 (F.C.T.D.).

10 Oduro v. Canada (Minister of Employment and Immigration), 9 December 1993, IMM‑903‑93 (F.C.T.D.), McKeown J. (not yet reported).

En général, c’est seulement lorsque les faits, de quelque nature qu’ils soient, ne peuvent pas être évalués ou établis avec satisfaction au moyen d’un affidavit que l’on devrait envisager d’utiliser le paragraphe 18.4(2) de la Loi. Il ne faudrait pas perdre de vue l’intention clairement exprimée par le Parlement, qu’il soit statué le plus tôt possible sur les demandes de contrôle judiciaire, avec toute la célérité possible, et le moins possible d’obstacles et de retards du type de ceux qu’il est fréquent de rencontrer dans les procès. On a des "motifs très clairs" d’avoir recours à ce paragraphe, pour utiliser les mots du juge Muldoon, lorsqu’il faut obtenir une preuve de vive voix soit pour évaluer l’attitude et la crédibilité des témoins ou pour permettre à la Cour de saisir l’ensemble de la preuve lorsqu’elle considère que l’affaire requiert tout l’appareillage d’un procès tenu en bonne et due forme7. L’arrêt rendu par la présente Cour dans l’affaire Bayer AG et Miles Canada Inc. c. Ministre de la Santé nationale et du Bien-être social et Apotex Inc.8, où le juge Mahoney, J.C.A. s’est montré jusqu’à un certain point en désaccord avec la décision rendue par le juge Rouleau dans la même affaire9, est un exemple récent de l’hésitation de la Cour à instruire une affaire par voie d’action plutôt qu’au moyen d’une demande.

Le juge Strayer, dans l’arrêt Vancouver Island Peace Society, et le juge Reed dans l’arrêt Derrickson, ont mentionné qu’il est important de se rappeler la vraie nature des questions auxquelles la Cour doit répondre dans une procédure de contrôle judiciaire, et de considérer la pertinence d’utiliser la preuve déposée par affidavit pour répondre à ces questions. Par conséquent, un juge commettrait une erreur en acceptant qu’une partie puisse seulement présenter la preuve qu’elle veut au moyen d’un procès si cette preuve n’était pas liée aux questions très précises auxquelles la Cour doit répondre. La complexité, comme telle, des questions de faits ne saurait être prise en considération si les affidavits contradictoires des experts qui s’appuient sur ces faits se rapportent aux questions soumises au tribunal plutôt qu’aux questions soumises à la Cour. Par conséquent, supposer qu’on pourra mettre au jour une preuve cachée n’est pas une raison suffisante pour ordonner la tenue d’un procès10. Un juge peut être justifié de statuer autrement s’il a de bonnes raisons de croire qu’une telle preuve ne pourrait être mise au jour qu’au moyen d’un procès. Mais le vrai critère que le juge doit appliquer est de se demander si la preuve présentée au moyen d’affidavits sera suffisante, et non de se demander si la preuve qui pourrait être présentée au cours d’un procès pourrait être supérieure.

[Je souligne.]

Voir Canadien Pacifique Ltée. c. Bande indienne de Matsqui, [1993] 2 C.F. 641 (C.A.), aux p. 649 et 650; Edwards c. Canada (Ministre de l’Agriculture) (1992), 53 F.T.R. 265 (1re inst.), à la p. 267, le juge Pinard.

(25 octobre 1993), A‑389‑93, encore inédit.

[Bayer AG et autre c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien-être social) et autre] (1993), 66 F.T.R. 137 (C.F. 1re inst.).

10 Oduro c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), 9 décembre 1993, IMM‑903‑93 (C.F. 1re inst.), le juge McKeown, (encore inédit).

  • [30] Dans l’affaire Drapeau c. Canada (Ministre de la Défense nationale), [1995] A.C.F. no 536, le juge Hugessen conclut qu’il existe des circonstances propres à limiter les éléments à prendre en considération au moment de décider de transformer une demande en action (« Drapeau »).

 

  • [31] La demanderesse centre toutefois son argumentation sur les éléments de preuve exigés et, par conséquent, la conclusion dans l’affaire Drapeau est inapplicable.

 

  • [32] S’inspirant des affaires MacInnis et Drapeau, la Cour conclut que trois critères doivent servir à établir si une demande devrait être transformée en action :

    1. nature véritable de la question primordiale à laquelle doit répondre la Cour quant à la demande;

    2. caractère suffisant de la preuve par affidavit;

    3. nécessité d’évaluer le comportement et la crédibilité des témoins.

 

  • [33] La Cour doit trancher l’affaire en s’interrogeant sur la décision prise par M. MacDonald d’assigner un tiers gestionnaire à la demanderesse. La véritable question à laquelle elle doit répondre en ce qui concerne la demande est de savoir comment M. MacDonald est parvenu à sa décision et si celle-ci est raisonnable.

 

  • [34] Les questions liées à d’autres décisions passées du MAINC n’entrent pas en ligne de compte dans la présente demande. Ne doivent être pris en considération que les aspects du processus qui concernent directement la décision du 3 août 2007 de Dougal MacDonald.

 

  • [35] Pour juger du caractère suffisant d’une preuve par affidavit, on voit si la preuve produite suffit pour que la Cour reconstitue l’historique et le contexte de la cause et tire une conclusion en s’appuyant sur cette preuve.

 

  • [36] La demanderesse fait valoir que la preuve produite sur affidavit ne suffit pas, puisque MM. Gray et Williamson n’ont pas produit d’affidavits et n’ont pas été interrogés. La demanderesse croit que des renseignements utiles sont retenus par le défendeur et les deux représentants n’ayant pas témoigné par affidavit.

 

  • [37] Il reste que le juge Décary a observé dans l’affaire MacInnis que « supposer qu’on pourra mettre au jour une preuve cachée n’est pas une raison suffisante pour ordonner la tenue d’un procès ».

 

  • [38] De plus, je conclus, pour ce qui est des points ayant plus directement à voir avec ce qui a influencé la décision de M. MacDonald, que les affidavits produits à ce jour et les contre-interrogatoires auxquels ils ont donné lieu sont plus que suffisants. Comme l’a fait remarquer le défendeur dans ses observations écrites en opposition à la requête dans l’affaire en instance, c’est M. MacDonald qui avait pour responsabilité à la fin de prendre la décision attaquée et, dans son affidavit et son contre-interrogatoire de deux jours, il a dû répondre à des questions sur le rôle et le point de vue de M. Gray et la conduite de M. Williamson. Je conclus que M. MacDonald et les deux autres déposants d’affidavits du défendeur ont été questionnés par l’avocat de la demanderesse selon les paramètres à respecter dans un interrogatoire sur affidavit qui, bien sûr, est quelque peu différent d’un interrogatoire sur action.

 

  • [39] La demanderesse affirme qu’une conversion s’impose pour que M. Williamson puisse être interrogé, si on considère entre autres qu’il n’existe aucun rapport sur sa visite à la réserve indienne de Tobique le 7 août 2007. À cette occasion, il y a eu une rencontre à laquelle M. Williamson a été associé et les questions relatives aux finances de la demanderesse ont été discutées avec le Conseil et d’autres membres de la réserve. L’absence de rapport sur ce déplacement n’est pas un facteur rendant nécessaire une transformation de la présente demande.

 

  • [40] On aurait aussi pu demander des affidavits aux membres de la réserve qui avaient assisté à la rencontre. Qui plus est, on ne sait au juste, à considérer la preuve, si la demanderesse a demandé un affidavit à M. Gray ou à M. Williamson.

 

  • [41] À mon avis, il n’est pas nécessaire qu’Ian Gray ou Allen Williamson témoigne de vive voix pour qu’un jugement puisse être rendu sur la demande dans l’affaire en instance. Le témoignage sur affidavit suffit pour que la Cour évalue l’historique et le contexte de l’affaire et tranche les questions relevant de ce contrôle judiciaire. Il s’ensuit de cette conclusion quant au caractère suffisant des affidavits qu’il serait inutile de déterminer le comportement et la crédibilité des témoins.

 

  • [42] Pour ce qui est en particulier des antécédents financiers de la demanderesse, la Cour souscrit, après analyse des affidavits des parties et notamment de ceux du défendeur au sujet de la requête, aux remarques suivantes figurant au paragraphe 33 des observations écrites au dossier du défendeur dans sa réponse à la demande :

[traduction]

Les antécédents financiers ont été exposés avec soin et à fond dans les affidavits respectifs de Nicholls, MacDonald et Arbuthnot. Plus particulièrement, MacDonald explique dans son affidavit les motifs du décideur et, dans le sien, Robertson explique le contexte des ententes de financement. Presque tous les documents au dossier de l’instance ont été expliqués à la Cour par ces affidavits de sorte qu’elle puisse mieux considérer la décision attaquée. La demanderesse a contre-interrogé Nicholls, MacDonald et Arbuthnot et a eu la possibilité de contre-interroger Robertson, mais en choisissant de ne pas le faire. Elle n’a pas précisé non plus les faits à établir au sujet de ses antécédents financiers et la raison pour laquelle la chose ne pourrait se faire que de vive voix devant la Cour par des témoins. (…)

 

  • [43] On doit ajouter qu’accepter de transformer ce contrôle judiciaire en action à ce stade ne servirait pas au mieux l’économie judiciaire. Bien que les contre-interrogatoires aient eu lieu en mars 2008, il semblerait que c’est la décision prise tôt en janvier 2009 par la Cour de mettre l’affaire en gestion des instances qui a réactivé la cause pour fort probablement inciter la demanderesse à saisir la Cour de la requête à l’étude.

 

  • [44] Les parties en sont maintenant au stade du dépôt des dossiers en vertu des règles 309 et 310 et ces étapes devraient s’engager dans une demande dont le dépôt remonte à août 2007.

 

  • [45] L’autre redressement sollicité par la demanderesse porte sur une ordonnance en vertu de la règle 316 qui obligerait MM. Gray et Williamson et toutes les autres [traduction] « personnes jugées nécessaires » à se soumettre à un interrogatoire par ses soins.

 

  • [46] J’ai comme l’impression en tout respect que la demanderesse espère obtenir par la porte de derrière ce qu’elle n’obtiendrait pas par la porte de devant.

 

  • [47] Dans l’affaire Holland c. Canada (Procureur général du Canada), [1999] A.C.F. no 1849, le juge MacKay a exposé le critère applicable dans la règle 316 au paragraphe 3 :

3  La règle 316 des Règles de la Cour prévoit ce qui suit :

Dans des circonstances particulières, la Cour peut, sur requête, autoriser un témoin à témoigner à l’audience quant à une question de fait soulevée dans une demande.

Mon collègue le juge Rouleau s’est penché sur cette règle (l’ancien paragraphe 319(4)) dans l’arrêt Glaxo Canada Inc. c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien-être social) et Apotex Inc. et al. (1987), 11 F.T.R. 132 à la page 133, où il a émis le commentaire suivant :

Selon la règle 319, tous les faits sur lesquels se fonde une requête doivent être appuyés par des affidavits. Ce n’est qu’avec « la permission de la cour » et « pour une raison spéciale » qu’un témoin peut être appelé à témoigner relativement à une question de fait. L’avocat de la demanderesse n’a mentionné aucun précédent à cet égard et je ne suis au courant d’aucune jurisprudence quant aux critères permettant de juger ce qui constitue « une raison spéciale ». À mon avis, cette question doit se juger d’après les faits en l’espèce, et c’est à la demanderesse qu’il incombe de prouver l’existence d’« une raison spéciale » à la satisfaction de la cour. La jurisprudence montre toutefois clairement que la cour n’accorde cette permission que dans des circonstances exceptionnelles.

 

  • [48] La demanderesse n’a pas établi de circonstances exceptionnelles justifiant que MM. Gray et Williamson soient appelés à témoigner sur les questions précitées.

 

  • [49] La demande que fait la demanderesse d’interroger MM. Gray et Williamson et toute autre personne dont elle juge le témoignage nécessaire est inutile, ainsi que je l’ai fait valoir. J’ai conclu que la preuve par affidavit était suffisante et que, par conséquent, de tels interrogatoires étaient superflus et injustifiés.

 

  • [50] Le dernier redressement sollicité par la demanderesse est une autorisation de modifier sa demande en vertu des règles 4, 54, 79 et 107, mais le fondement approprié d’une telle requête d’autorisation est la règle 75 qui dit :

Amendments with leave

75. (1) Subject to subsection (2) and rule 76, the Court may, on motion, at any time, allow a party to amend a document, on such terms as will protect the rights of all parties.

 

Modifications avec autorisation

75. (1) Sous réserve du paragraphe (2) et de la règle 76, la Cour peut à tout moment, sur requête, autoriser une partie à modifier un document, aux conditions qui permettent de protéger les droits de toutes les parties.

 

 

  • [51] Je connais la position libérale adoptée par la Cour dans les affaires Canderel Ltée c. Canada, [1993] A.C.F. no 777 (C.A.), et Visx Inc. c. Nidek Co., [1998] A.C.F. no 1766, mais je ne saurais conclure, à considérer les points de cette requête, que la justice a intérêt à faire droit à la requête de modifications de la demanderesse.

 

  • [52] Celle-ci affirme que ces modifications visent à préciser et à clarifier les moyens plus généraux énoncés dans la demande, mais je conclus qu’ils n’ont pas directement à voir avec l’objet du présent contrôle judiciaire. Avec les modifications qu’elle propose, elle s’en prend à de nombreuses décisions prises par diverses personnes au sein du MAINC, ce qui démontre que les changements visés concernent des questions non liées à la demande. Pour ce qui est des deuxième et quatrième modifications proposées par elle, je souscris aux observations du défendeur selon lesquelles les questions ou les moyens en cause sont déjà mentionnés dans l’avis d’appel. Accorder ces modifications aurait seulement pour effet de créer de la confusion au sujet de l’objet réel de la demande.

 

  • [53] Des modifications qui interviennent à ce stade tardif de la procédure porteraient préjudice au défendeur. Ils ne clarifient pas les moyens, mais les étendent à des décisions qui ne jouent pas dans la demande. J’en conclus que les modifications sollicitées ne sont pas au mieux des intérêts de la justice en l’espèce.

 

  • [54] En ce qui concerne enfin la requête faite par la demanderesse de déposer sur le fond l’affidavit de M. Gerald Bear du 19 août 2008, je rejette ce redressement au motif que la règle 84 n’est pas respectée et que le dossier de la demanderesse ne permet pas à la Cour de conclure que cette production tardive par elle d’un élément de preuve sur le fond satisfait au critère en quatre points énoncé dans l’affaire Rosenstein c. Atlantic Engraving Ltd., 2002 CAF 503, [2002] A.C.F. no 1782 (C.A.F.) (QL) (Atlantic Engraving). J’ajouterais que la Cour tend très largement à aller dans le sens des observations du défendeur selon lesquelles ledit affidavit regorge non de constats de fait, mais d’opinions, d’arguments et de pures assertions sans lien avec le fondement de ce que présente ce déposant comme informations et prétentions.


ORDONNANCE

  Pour les motifs qui ont été exposés, la requête de la demanderesse est rejetée, le tout avec dépens.

  Pour l’avancement de la présente affaire, les parties devront respecter les délais suivants :

  1. la demanderesse devra produire et déposer son dossier en vertu de la règle 309 au plus tard le 14 septembre 2009;

  2. les autres règles en l’espèce s’appliqueront par la suite.

 

 

« Richard Morneau »

Protonotaire


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :  T-1497-07

 

INTITULÉ DE LA CAUSE :  BANDE INDIENNE DE TOBIQUE

  et

  SA MAJESTÉ LA REINE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :  Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :  LE 22 JUILLET 2009

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT :  LE PROTONOTAIRE MORNEAU

 

DATE DES MOTIFS :  LE 30 JUILLET 2009

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Harold L. Doherty

 

POUR LA DEMANDERESSE

Susan R. Taylor

Jonathan Tarlton

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Harold L. Doherty

Fredericton (Nouveau-Brunswick)

 

POUR LA DEMANDERESSE

JOHN H. SIMS, c.r.

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

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