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Date : 20091104

Dossier : T-1743-08

Référence : 2009 CF 1132

Montréal (Québec), le 4 novembre 2009

En présence de madame la juge Tremblay-Lamer

 

 

ENTRE :

MOHAMED KHALFALLAH

demandeur

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’un appel interjeté par Mohamed Khalfallah (le demandeur) en application du paragraphe 14(5) de la Loi sur la citoyenneté, L.R.C 1985, ch. C‑29, à l’égard de la décision du 8 juillet 2008 par laquelle le juge de la citoyenneté a rejeté sa demande de citoyenneté.

 

LE CONTEXTE

[2]               Le demandeur est un citoyen de la Tunisie. Il est venu au Canada en septembre 2000 en tant qu’étudiant, et est devenu résident permanent en 2002. Il a présenté une demande de citoyenneté canadienne en décembre 2004.

 

[3]               Le demandeur a déclaré ne s’être absenté que 31 jours en 2004 et prétend avoir été présent au Canada pour le reste de la période pertinente.

 

[4]               Le juge de la citoyenneté a interrogé le demandeur le 25 juin 2008. Ce qui s’est passé à l’audience fait l’objet d’un désaccord.

 

[5]               Le demandeur prétend avoir présenté plusieurs documents au juge de la citoyenneté, lequel a refusé de les recevoir. Le demandeur prétend aussi avoir demandé s’il pouvait présenter des témoins qui pouvaient confirmer sa présence au Canada, mais le juge de la citoyenneté a aussi refusé de les entendre.

 

[6]               Le demandeur déclare que le juge de la citoyenneté « a avancé qu’il ne voyait aucun problème » en ce qui concerne son dossier. Il ajoute que le juge de la citoyenneté lui a demandé de lui fournir des relevés bancaires, pour établir les paiements de son loyer, et lui a indiqué que lorsque ces derniers seraient présentés, il ferait droit à la demande de citoyenneté « car il n’y avait pas d’autres problèmes » à cet égard.

 

 

DÉCISION CONTESTÉE

[7]               Dans une lettre du 16 septembre 2008, le juge de la citoyenneté a rejeté la demande parce qu’il n’était pas convaincu, selon la prépondérance des probabilités, que le demandeur avait réellement résidé au Canada le nombre prescrit de jours. Plus précisément, quoiqu’il ait accepté la prétention du demandeur selon laquelle il avait vécu à Montréal et étudié à l’UQAM entre son arrivée au Canada et l’automne 2002, il a estimé que les éléments de preuve dont il disposait étaient insuffisants pour démontrer que le demandeur avait vécu à Montréal entre l’automne 2002 et décembre 2004.

 

[8]               Le juge de la citoyenneté a fait remarquer, premièrement, que le demandeur n’avait pas présenté de passeport valide à l’égard de la période pertinente alléguant qu’il avait été détruit. Cependant, en ce qui a trait à la période couvrant les années universitaires 2000‑2001 et 2001‑2002, le demandeur avait soumis des documents de l’UQAM qui ont convaincu le juge de sa résidence au Canada durant cette période, et ce jusqu’en novembre 2002. À ce moment‑là, le demandeur a changé d’adresse, mais le juge de la citoyenneté n’était pas convaincu qu’il avait effectivement vécu à cette nouvelle adresse – ou n’importe où ailleurs au Canada – à compter de novembre 2002.

 

[9]               Vu qu’il ne pouvait compter sur les timbres apposés au passeport du demandeur pour vérifier les dates pendant lesquelles celui‑ci se trouvait bien au Canada, le juge de la citoyenneté a voulu constater la résidence du demandeur au moyen de ses relevés bancaires.

 

[10]           Ces relevés bancaires étaient, selon le juge de la citoyenneté, [traduction] « très révélateurs ». Ils ont démontré qu’en ce qui a trait au bail soumis par le demandeur, le loyer de décembre 2002 et celui des trois premiers mois de 2003 avaient été payés à partir de son compte personnel, et celui du mois d’avril 2003 à partir de son compte de société. De plus, relativement à l’année 2004, les opérations effectuées à partir de ces deux comptes avaient principalement eu lieu aux mois de juillet et août. Ces comptes [traduction] « démontrent que pendant 10 mois au cours de cette année‑là il y avait eu très peu d’activités bancaires ». Le juge a conclu que [traduction] « les relevés bancaires mettent sérieusement en doute les prétentions du demandeur selon lesquelles il aurait été effectivement présent au Canada aux dates qu’il a indiquées pour l’année 2004. »

 

[11]           Ainsi, il a conclu que le demandeur ne l’avait pas convaincu qu’il avait résidé au Canada pendant le nombre de jours requis, et conséquemment, il a rejeté sa demande.

 

QUESTIONS EN LITIGE

1) Le juge de la citoyenneté a-t-il manqué aux règles de justice naturelle?

2) Le juge de la citoyenneté a-t-il tiré une conclusion défavorable relativement à la crédibilité, sans motifs à l’appui?

 

ANALYSE

 

1) Le juge de la citoyenneté a-t-il manqué aux règles de justice naturelle?

 

[12]           Le demandeur soutient que le juge de la citoyenneté a refusé d’examiner la preuve documentaire produite à l’audience et d’entendre les témoins qu’il a proposés. Il y aurait alors eu violation de la règle audi alteram partem, et donc à l’obligation d’équité procédurale à laquelle il avait droit.

 

[13]           Le Ministre fait remarquer que parmi les documents que le demandeur soutient avoir présentés au juge de la citoyenneté, certains étaient déjà au dossier alors que d’autres n’étaient pas pertinents, soit parce qu’ils constituaient la preuve d’allégations que le juge de la citoyenneté avait acceptées de toute façon, soit qu’ils n’étaient pas pertinents eu égard à la période en cause.

 

[14]           Même en supposant, pour l’instant, que le résumé des propos tenus par le demandeur lorsque interrogé par le juge de la citoyenneté est exact, une lecture attentive de ce document révèle que le juge n’a pas simplement rejeté la demande exprimée par le demandeur en vue de fournir des documents démontrant sa présence au Canada entre novembre 2002 et décembre 2004.

 

[15]           Dans son affidavit, le demandeur indique que le juge de la citoyenneté lui a demandé « [e]st‑ce que vous avez d’autres documents à me montrer? ». Le demandeur a présenté des reçus de paiement de loyer relativement à décembre 2002 et à janvier 2003, ainsi qu’à septembre 2005. Il ne prétend pas avoir présenté des documents relatifs à l’ensemble des années 2003 et 2004. Il soutient, à la page 9 de son affidavit, qu’il a présenté des documents ayant trait à un comptoir à sandwiches qu’il a exploité au cours des étés 2003 et 2004, mais que le juge a refusé d’en tenir compte.

 

[16]           Le demandeur a aussi présenté des factures de téléphone et d’électricité, mais le juge les a rejetées parce que « ça ne couvre pas la période en question ». Le demandeur a cherché à présenter des relevés bancaires relatifs à 2005, mais le juge de la citoyenneté n’y était pas intéressé non plus. Il a plutôt accepté la proposition du demandeur voulant qu’il lui présente ultérieurement des relevés de 2003 et 2004. Ces propos ne contredisent d’aucune façon les événements tels que vus par le juge de la citoyenneté.

 

[17]           Ainsi, relativement à la période pertinente, parmi les documents qui, selon le demandeur, auraient été refusés par le juge de la citoyenneté, seuls ceux ayant trait à son comptoir à sandwiches et aux photocopies de chèques faits à Revenu Québec ont été rejetés. À mon avis, cette constatation ne suffit vraiment pas pour que je retienne l’argument du demandeur. Ces documents ne pouvaient vraiment pas démontrer que le demandeur avait été présent au Canada plus que quelques jours, c’est pourquoi leur pertinence est minime en l’espèce. Même si le demandeur les a vraiment soumis et que le juge de la citoyenneté a vraiment refusé d’en tenir compte, j’estime que ces circonstances ne constituent pas un refus d’examiner la preuve pertinente.

 

[18]           Quant à l’argument selon lequel le demandeur avait été interrogé trop brièvement, je partage l’avis du juge Teitelbaum dans Rusli c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1997), 127 F.T.R. 13, [1997] A.C.F. n249 (QL), aux paragraphes 8 et 9, que « la règle audi alternam partem ne dit pas pendant combien de temps il faut laisser la parole à l’autre partie. […] C’est la teneur, et non la durée, de l’entrevue qui permet de vérifier si les règles d’équité procédurale et de justice naturelle ont été respectées ». Or, rien dans la preuve ne me permet de croire que la durée de l’entrevue a désavantagé le demandeur.

 

[19]           Le demandeur soutient également que le juge de la citoyenneté lui a donné l’impression que sa demande serait acceptée. S’appuyant sur Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817 (Baker), le demandeur soutient que le refus subséquent de la part du juge de faire droit à sa demande constituait une atteinte à ses attentes légitimes, lui donnant ainsi le droit à une nouvelle audience au cours de laquelle tous les éléments de preuve seront considérés.

 

[20]           Le ministre soutient que le demandeur se fonde sur ses impressions plutôt que sur les faits, et que ses impressions sont illogiques, étant donné que le juge de la citoyenneté ne pouvait lui avoir dit qu’il approuverait sa demande [traduction] « en se fondant sur des documents que le juge n’avait pas encore vus […] à quoi bon les demander alors? ».

 

[21]           Comme l’a indiqué la Cour suprême du Canada dans Baker, l’attente légitime ne peut reposer sur un résultat concret. De plus, comme le souligne le ministre, il n’est vraiment pas plausible que le juge de la citoyenneté ait dit « dès que j’aurai [les relevés bancaires], je vous attribuerai votre citoyenneté avec [sic] sans aucun problème. » [Non souligné dans l’original.] Assurément, si le juge de la citoyenneté a demandé ces documents, c’était dans le but de les examiner et de déterminer s’ils étayaient les allégations du demandeur. Le demandeur aurait bien souhaité entendre autre chose sans doute, et peut-être l’a-t-il entendu, mais ce qu’il souhaite n’a aucune incidence sur ce qui a pu être dit ou non.

 

2) Le juge de la citoyenneté a-t-il tiré une conclusion défavorable relativement à la crédibilité, sans motifs à l’appui?

 

[22]           Le demandeur soutient qu’il a présenté assez d’éléments de preuve pour démontrer sa présence au Canada, et que le seul moyen dont disposait le juge de la citoyenneté pour conclure que les éléments étaient insuffisants était de tirer implicitement une conclusion relative à sa crédibilité.

 

[23]           Le ministre soutient que les périodes pendant lesquelles aucune activité n’est inscrite dans les relevés bancaires du demandeur révèlent plus qu’un simple [traduction] « rendement économique faible » comme le soutient le demandeur. Le juge de la citoyenneté a amplement justifié les motifs de ses conclusions, et la Cour ne doit pas mettre en doute ses conclusions fondées sur les faits, contrairement à ce que le demandeur l’incite à faire. Je suis d’accord avec le ministre.

 

[24]           Comme le souligne le ministre, le juge de la citoyenneté a constaté la présence de [traduction] « longues périodes pendant lesquelles aucune activité n’est inscrite » dans les relevés bancaires du demandeur. Il est normal que le juge de la citoyenneté ait demandé de consulter les relevés bancaires du demandeur afin de vérifier s’il avait payé un loyer relativement au logement qu’il prétendait habiter. Ils n’ont rien révélé de tel. Le juge de la citoyenneté a donc fondé sa décision sur l’insuffisance de la preuve présentée par le demandeur. Peut‑être le demandeur a‑t‑il vécu au Canada durant la période pertinente, mais il n’a pas su présenter des éléments de preuve à cet égard. La décision du juge de la citoyenneté est justifiée, transparente et intelligible, et elle peut se justifier au regard des faits et du droit (voir Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190, par. 47).

 

[25]           Pour ces motifs, la demande sera rejetée.

 


JUGEMENT

LA COUR ORDONNE que l’appel soit rejeté.

 

 

 

« Danièle Tremblay-Lamer »

j.c.a.

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Jean-Judes Basque, B. trad.

 

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                    T-1743-08

 

INTITULÉ :                                                   MOHAMED KHALFALLAH c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           Le 3 novembre 2009

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                          LA JUGE TREMBLAY-LAMER

 

DATE DES MOTIFS :                                  Le 4 novembre 2009

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Peter Shams

 

POUR LE DEMANDEUR

Evan Liosis

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Saint-Pierre, Grenier Avocats Inc.

Montréal (Québec)

 

POUR LE DEMANDEUR

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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