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Federal Court

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Cour fédérale

 


Date : 20090720

Dossier : IMM­5476­08

Référence : 2009 CF 734

Ottawa (Ontario), le 20 juillet 2009

En présence de monsieur le juge de Montigny

ENTRE :

JOSIE BIANAN AOANAN

 

                                                                                                                                    demanderesse

 

                                                                             et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

 

            défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire, présentée en application du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi), à l’égard d’une décision rendue le 27 novembre 2008 par L. Kim, agente d’immigration du Centre de traitement des cas de Citoyenneté et Immigration Canada à Vegreville, en Alberta (l’agente), décision par laquelle l’agente a refusé la demande de résidence permanente présentée par la demanderesse dans la catégorie des aides familiaux résidants.

 

[2]               La demanderesse est une citoyenne des Philippines. Sa demande de résidence permanente dans la catégorie des aides familiaux résidants a été refusée parce que la demanderesse ne satisfaisait pas aux exigences énoncées par la Loi. Plus précisément, la demanderesse n’a pas été en mesure d’établir qu’elle avait travaillé à titre d’aide familiale pour la période cumulée d’au moins deux ans au cours des trois ans suivant son entrée au Canada, comme l’exige la Loi et le Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002­227 (le Règlement).

 

[3]               Après avoir attentivement examiné les éléments de preuve, ainsi que la décision de l’agente d’immigration, et après avoir examiné les observations orales et écrites présentées par les avocats de la demanderesse et du défendeur, je suis arrivé à la conclusion que la présente demande doit être rejetée pour les motifs que j’expose ci‑dessous.

 

Les faits

 

[4]               La demanderesse a quitté les Philippines en 1990 pour Hong Kong, afin d’y travailler à titre de travailleuse domestique. Elle a vécu à Hong Kong pendant treize ans, puis elle a quitté ce pays pour venir au Canada en 2003. Elle a décidé de venir au Canada parce qu’il ne lui était pas possible d’obtenir quelque statut permanent que ce soit à Hong Kong.

 

[5]               La demanderesse a fait appel à une agence de placement à Hong Kong pour qu’elle lui obtienne une offre d’emploi au Canada et pour qu’elle l’aide à obtenir son permis de travail. Après avoir obtenu son permis de travail, la demanderesse était prête à venir au Canada quand elle a appris de l’agence de placement que son futur employeur n’avait plus besoin de ses services. Elle a néanmoins décidé de venir au Canada, après que l’agence de placement l’eut informée qu’un nouvel employeur l’attendrait au Canada et que tous les documents nécessaires seraient faits pour elle ici.

 

[6]               La demanderesse est entrée au Canada le 13 octobre 2003. Dans son affidavit, elle a allégué que M. Tam est venu la chercher à l’aéroport et qu’elle a travaillé pour lui à titre d’aide familiale résidante après qu’elle eut reçu un nouveau permis de travail, semble –t‑il, en avril 2004.

 

[7]               La demanderesse allègue qu’elle a commencé à travailler pour M. Tam en avril 2004, mais qu’il ne lui a pas permis de révéler qu’elle avait travaillé pour lui en avril et en mai 2004 lorsqu’elle a présenté sa demande de résidence permanente, parce qu’il n’avait pas payé ses impôts pour cette période. Pour la même raison, il n’a pas fait mention de travail pour cette période lorsqu’il lui a donné son relevé d’emploi.

 

[8]               La demanderesse a aussi allégué que M. Tam lui a fait signer deux contrats distincts. L’un des contrats stipulait qu’elle travaillerait à des heures normales et qu’on la paierait pour les heures supplémentaires. C’est ce contrat qui devait être utilisé pour traiter avec le gouvernement du Canada. M. Tam lui aurait aussi fait signer un contrat distinct, lequel stipulait qu’elle était d’accord pour travailler de longues heures et pour ne pas être payée pour les heures supplémentaires. En fait, la demanderesse a déclaré qu’elle travaillait six jours par semaine et quatorze heures par jour.

 

[9]               Son contrat avec la famille Tam a pris fin en septembre 2004. Dans sa lettre confirmant la cessation d’emploi, M. Tam indique que la demanderesse a été renvoyée parce qu’elle prévoyait suivre des cours le samedi et que cela compromettrait son horaire de travail. Mme Aonan conteste cette version, elle déclare qu’elle était prête à ne pas suivre de cours, car elle avait besoin de travailler.

 

[10]           La demanderesse s’est alors adressée à une autre agence de placement qui lui a trouvé un emploi, et lui a permis d’obtenir un nouveau permis de travail. Ce permis était valide à partir du 20 janvier 2005, et la demanderesse a continué à travailler pour la nouvelle famille jusqu’au 30 juin 2005. Elle a ensuite trouvé un nouvel employeur à titre d’aide familiale résidante en septembre 2005 et elle y travaille encore à ce jour.

 

[11]           Le 14 février 2007, la demanderesse a présenté une demande de résidence permanente au Canada dans la catégorie des aides familiaux résidants. Par une lettre datée du 18 septembre 2007, Immigration Canada a informé la défenderesse qu’il appert qu’elle n’avait pas une durée de travail autorisée suffisante pour être admissible au droit d’établissement dans le programme des aides familiaux résidants. L’ancien avocat de la demanderesse a présenté des observations pour le compte de la demanderesse dans lesquelles il admettait qu’il manquait deux mois à la demanderesse dans la période de deux années requises selon le programme, mais qu’il demandait une dispense en application de l’article 25 de la Loi (motifs d’ordre humanitaire).

 

[12]           Dans une lettre datée du 15 janvier 2008, Immigration Canada a informé la demanderesse qu’elle n’avait pas respecté les exigences du programme des aides familiaux résidants parce qu’elle avait accumulé seulement vingt‑deux mois sur les vingt‑quatre mois requis dans une période de trente‑six mois. De plus, l’agente d’immigration a fait observer que des motifs d’ordre humanitaire avaient été examinés, mais qu’ils n’avaient pas été déclarés concluants pour obtenir une dispense des exigences de l’alinéa 113(1)d) du Règlement. La demanderesse a demandé le contrôle judiciaire de cette décision. L’autorisation a été accordée, par conséquent, le défendeur a consenti à un nouvel examen.

 

[13]           Dans la présente nouvelle demande, la demanderesse a produit de nouveaux documents, notamment le contrat supplémentaire mentionné ci‑dessus que M. Tam lui a fait signer. Elle a aussi produit de nouveaux arguments fondés à la fois sur des motifs d’ordre humanitaire et sur la durée de son travail à titre d’aide familiale résidante.

 

[14]           Malgré cette preuve, la deuxième demande de résidence permanente présentée par la demanderesse dans la catégorie des aides familiaux résidants a été refusée le 27 novembre 2008.

 

LA DÉCISION CONTESTÉE

 

[15]           Les points les plus importants qui ressortent des notes de l’agente sont les suivants :

 

·        les nouvelles observations reflètent essentiellement les mêmes renseignements contenus dans la première demande, sauf que le nouvel avocat souligne maintenant que le personnel de l’agence de Hong Kong a dit à la cliente qu’il avait un nouvel employeur et qu’il obtiendrait un nouveau permis de travail pour elle;

 

·        la cliente déclare qu’elle a commencé son emploi en avril 2004, mais que l’employeur ne lui a pas permis de dire qu’elle travaillait pour lui avant le mois de juin, parce qu’il n’avait pas effectué de retenues d’impôt;

 

·        l’avocat déclare que les motifs d’ordre humanitaire sont constitués par les jours et les heures travaillées en trop et le salaire payé par M. Tam, motifs qui contreviennent tous au Code du travail. Bien qu’il s’agisse d’une situation déplorable, cela n’écarte pas le fait que la demanderesse doit satisfaire aux exigences énoncées à l’alinéa 113(1)d) du Règlement;

 

·        il est regrettable que le premier employeur ait retiré son offre d’emploi trois jours avant le départ de la demanderesse pour le Canada, mais ce fait soulève la question de savoir si la demanderesse s’est faussement représentée au point d’entrée, parce qu’elle n’a pas informé l’agent que son employeur n’avait plus besoin de ses services, ce qui aurait pu résulter en son refoulement à la frontière;

 

·        l’information fournie ne révèle pas que M. Tam a tiré profit de la situation de la demanderesse, la faisant travailler de longues heures, pendant plus de jours que cela n’est permis par le Code du travail et qu’il l’a sous‑payée. Bien que la demanderesse se soit trouvée dans une situation très déplorable, cela n’écarte pas le fait qu’elle doit respecter les exigences d’avoir travaillé vingt‑quatre mois au cours des trente‑six mois suivant son entrée au Canada;

 

·        ce n’est que dans les observations présentées après le prononcé de la première décision que la demanderesse a déclaré avoir commencé en réalité son emploi avec M. Tam en avril 2004, mais qu’il ne lui a pas permis de révéler qu’elle avait travaillé pour lui jusqu’en juin 2004. Il n’y a pas de document qui étaye cette déclaration et la déclaration a été faite seulement après que la demande eut été refusée;

 

·        si la demanderesse en fait le choix, elle peut retourner aux Philippines et présenter une demande pour revenir au Canada et recommencer le processus du programme des aides familiaux résidants.

 

[16]           Après avoir examiné tous les facteurs entourant la demande de Mme Aoanan pour la résidence permanente à titre d’aide familiale résidante, l’agente a conclu que les motifs d’ordre humanitaire n’étaient pas impérieux au point de justifier une dispense des exigences énoncées au paragraphe 113(1) du Règlement. L’agente a aussi conclu que la demanderesse ne serait pas exposée à des difficultés injustifiées ou excessives si elle devait quitter le Canada.

 

LES QUESTIONS EN LITIGE

 

[17]           La demanderesse a soulevé de nombreuses questions, que l’on peut résumer de façon fidèle en trois questions :

 

a)      L’agente a‑t‑elle commis une erreur lorsqu’elle a conclu que la demanderesse n’avait pas fourni de preuve adéquate qu’elle avait travaillé au moins deux ans au cours des trois ans requis selon les termes de l’alinéa 113(1)d) de la Loi?

 

b)      L’agente a‑t‑elle violé un principe de justice naturelle lorsqu’elle n’a pas tenu une entrevue orale de la demanderesse?

 

c)      L’agente a‑t‑elle omis de tenir raisonnablement compte des motifs humanitaires ou a‑t‑elle omis de fournir des motifs adéquats pour sa décision?

 

LE CADRE LÉGAL

 

[18]           Les dispositions pertinentes relatives au programme des aides familiaux résidants et aux demandes fondées sur des motifs d’ordre humanitaire (CH) sont énoncées ci‑dessous. Les permis de travail et les visas de résident permanent sont délivrés dans le programme des aides familiaux résidants selon les circonstances suivantes :

Permis de travail : exigences

 

112. Le permis de travail ne peut être délivré à l’étranger qui cherche à entrer au Canada au titre de la catégorie des aides familiaux que si l’étranger se conforme aux exigences suivantes :

 

a) il a fait une demande de permis de travail à titre d’aide familial avant d’entrer au Canada;

 

b) il a terminé avec succès des études d’un niveau équivalent à des études secondaires terminées avec succès au Canada;

 

c) il a la formation ou l’expérience ci­après dans un domaine ou une catégorie d’emploi lié au travail pour lequel le permis de travail est demandé :

 

(i) une formation à temps plein de six mois en salle de classe, terminée avec succès,

 

 

(ii) une année d’emploi rémunéré à temps plein — dont au moins six mois d’emploi continu auprès d’un même employeur — dans ce domaine ou cette catégorie d’emploi au cours des trois années précédant la date de présentation de la demande de permis de travail;

 

d) il peut parler, lire et écouter l’anglais ou le français suffisamment pour communiquer de façon efficace dans une situation non supervisée;

 

e) il a conclu un contrat d’emploi avec son futur employeur.

 

Visa de résident temporaire

 

Délivrance

 

179. L’agent délivre un visa de résident temporaire à l’étranger si, à l’issue d’un contrôle, les éléments suivants sont établis :

 

a) l’étranger en a fait, conformément au présent règlement, la demande au titre de la catégorie des visiteurs, des travailleurs ou des étudiants;

 

b) il quittera le Canada à la fin de la période de séjour autorisée qui lui est applicable au titre de la section 2;

 

c) il est titulaire d’un passeport ou autre document qui lui permet d’entrer dans le pays qui l’a délivré ou dans un autre pays;

 

d) il se conforme aux exigences applicables à cette catégorie;

 

e) il n’est pas interdit de territoire;

 

f) il satisfait aux exigences prévues à l’article 30.

 

 

 

 

 

 

 

 

Titulaire de visa de résident temporaire

 

Autorisation

 

180. L’étranger n’est pas autorisé à entrer au Canada et à y séjourner comme résident temporaire à moins que, à l’issue d’un contrôle, les éléments suivants ne soient établis à son égard ainsi qu’à celui des membres de sa famille qui l’accompagnent :

 

a) ils satisfaisaient, à la délivrance du visa de résident temporaire, aux exigences préalables à celle­ci;

 

b) ils satisfont toujours à ces exigences lors de leur contrôle d’arrivée.

Work permits — requirements

 

112. A work permit shall not be issued to a foreign national who seeks to enter Canada as a live­in caregiver unless they

 

 

 

 

(a) applied for a work permit as a live­in caregiver before entering Canada;

 

 

(b) have successfully completed a course of study that is equivalent to the successful completion of secondary school in Canada;

 

(c) have the following training or experience, in a field or occupation related to the employment for which the work permit is sought, namely,

 

 

(i) successful completion of six months of full­time training in a classroom setting, or

 

(ii) completion of one year of full­time paid employment, including at least six months of continuous employment with one employer, in such a field or occupation within the three years immediately before the day on which they submit an application for a work permit;

 

 

(d) have the ability to speak, read and listen to English or French at a level sufficient to communicate effectively in an unsupervised setting; and

 

 

(e) have an employment contract with their future employer.

 

 

Temporary Resident Visa

 

Issuance

 

179. An officer shall issue a temporary resident visa to a foreign national if, following an examination, it is established that the foreign national

 

(a) has applied in accordance with these Regulations for a temporary resident visa as a member of the visitor, worker or student class;

 

 

(b) will leave Canada by the end of the period authorized for their stay under Division 2;

 

 

(c) holds a passport or other document that they may use to enter the country that issued it or another country;

 

 

(d) meets the requirements applicable to that class;

 

 

(e) is not inadmissible; and

 

 

(f) meets the requirements of section 30.

 

 

 

 

 

 

 

 

Holders of Temporary Resident Visas

 

Authorization

 

180. A foreign national is not authorized to enter and remain in Canada as a temporary resident unless, following an examination, it is established that the foreign national and their accompanying family members

 

 

(a) met the requirements for issuance of their temporary resident visa at the time it was issued; and

 

(b) continue to meet these requirements at the time of the examination on entry into Canada.

 

 

 

[19]           Les exigences pour l’appartenance à la catégorie des aides familiaux résidants et, ainsi, pour le statut de résident permanent sont énoncées à l’article 113 du Règlement qui est libellé de la façon suivante :

Statut de résident permanent

 

113. (1) L’étranger fait partie de la catégorie des aides familiaux si les exigences suivantes sont satisfaites :

 

a) il a fait une demande de séjour au Canada à titre de résident permanent;

 

b) il est résident temporaire;

 

c) il est titulaire d’un permis de travail à titre d’aide familial;

 

d) il est entré au Canada à titre d’aide familial et, au cours des trois ans suivant son entrée, il a, durant au moins deux ans :

 

(i) d’une part, habité dans une résidence privée au Canada,

 

(ii) d’autre part, fourni sans supervision, dans cette résidence, des soins à domicile à un enfant ou à une personne âgée ou handicapée;

 

e) ni lui ni les membres de sa famille ne font l’objet d’une mesure de renvoi exécutoire ou d’une enquête aux termes de la Loi, ni d’un appel ou d’une demande de contrôle judiciaire à la suite d’une telle enquête;

 

 

 

f) son entrée au Canada en qualité d’aide familial ne résulte pas de fausses déclarations portant sur ses études, sa formation ou son expérience;

 

g) dans le cas où l’étranger cherche à s’établir dans la province de Québec, les autorités compétentes de cette province sont d’avis qu’il répond aux critères de sélection de celle­ci.

 

 

 

Calcul

 

(2) Les deux ans visés à l’alinéa (1)d) peuvent être passés au service de plus d’un employeur ou dans plus d’une résidence dès lors qu’ils ne le sont pas simultanément

Permanent residence

 

113. (1) A foreign national becomes a member of the live­in caregiver class if

 

 

(a) they have submitted an application to remain in Canada as a permanent resident;

 

(b) they are a temporary resident;

 

(c) they hold a work permit as a live­in caregiver;

 

(d) they entered Canada as a live­in caregiver and, for a cumulative period of at least two years within the three years immediately following their entry,

 

(i) resided in a private household in Canada, and

 

(ii) provided child care, senior home support care or care of a disabled person in that household without supervision;

 

(e) they are not, and none of their family members are, the subject of an enforceable removal order or an admissibility hearing under the Act or an appeal or application for judicial review arising from such a hearing;

(f) they did not enter Canada as a live­in caregiver as a result of a misrepresentation concerning their education, training or experience; and

 

(g) where they intend to reside in the Province of Quebec, the competent authority of that Province is of the opinion that they meet the selection criteria of the Province.

 

 

 

 

 

Calculation

 

(2) The cumulative period referred to in paragraph (1)(d) may be in respect of more than one employer or household and need not be without interruption, but may not be in respect of more than one employer or household at a time.

 

[20]           En outre, le paragraphe 25(1) de la Loi dispose que le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration a le pouvoir discrétionnaire de faciliter l’admission d’une personne au Canada, ou de la dispenser de tout critère ou obligation applicable de la Loi, si le ministre est d’avis qu’une telle dispense ou facilitation est justifiée par des motifs d’ordre humanitaire relatives à la personne.

 

ANALYSE

 

[21]           L’admission de la demanderesse au Canada soulève des questions mixtes de fait et de droit, étant donné que l’agente devait appliquer les dispositions pertinentes de la Loi et du Règlement à la situation particulière de la demanderesse. De telles questions sont généralement susceptibles de contrôle eu égard à la raisonnabilité : voir par exemple Cagampang c. Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile, 2008 CF 1184. Par conséquent, on y accorde un degré élevé de retenue; la Cour n’interviendra que si la décision contestée n’appartient pas « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » : Dunsmuir cNouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47.

 

[22]           En ce qui a trait aux questions relatives à la justice naturelle, elles ne sont pas soumises à l’analyse de la norme de contrôle. Ces questions doivent être examinées selon la décision correcte et les cours de révision n’interviendront que s’il est établi qu’une erreur a été commise : A.G. Canada c. Sketchley, 2005 CAF 404.

 

[23]           Je me tourne maintenant vers la première question énoncée ci‑dessus, la demanderesse soutient que l’agente n’a ni saisi ni compris les nouveaux arguments présentés dans la deuxième demande relativement aux exigences énoncées à l’alinéa 113(1)d) du Règlement. Non seulement la demanderesse a fourni la preuve qu’elle avait travaillé deux mois supplémentaires (avril et mai 2004), mais elle a aussi fourni la preuve qu’elle avait été obligée de travailler 84 heures par semaine de juin à septembre 2004, ce qui équivaut à sept mois et demi (sur une base de 48 heures de travail par semaine), ou trois mois et demi de plus que ce qu’on lui avait précédemment reconnu.

 

[24]           L’agente a évalué ces arguments et les a rejetés. En ce qui a trait au premier des arguments, l’agente a fait observer qu’il n’y a pas de document pour étayer l’allégation, et qu’elle n’a été soulevée qu’après que la demande de la demanderesse eut été rejetée. En fait, le contrat d’emploi rédigé à la main sur lequel la demanderesse se fonde a été réellement signé le 26 mai 2004, et il fait référence à une période d’emploi commençant en juin 2004. Il est vrai que dans le premier paragraphe de ce contrat, la période d’emploi est décrite comme étant [traduction] « du 1er mai 2004 au 1er mai 2005 ». Cependant, dans les trois paragraphes suivants, la période d’emploi a été corrigée, et « mai » a été biffé et remplacé par « juin ». En outre, l’affidavit de la demanderesse pose des problèmes à cet égard; comme je l’ai déjà dit, l’affidavit fait référence au fait que M. Tam est venu la chercher à l’aéroport et elle allègue qu’elle a commencé à travailler pour lui seulement six mois plus tard.

 

[25]           Il était entièrement loisible à l’agente de déclarer qu’il n’y avait pas de document à l’appui de l’allégation selon laquelle la demanderesse avait été employée à partir d’avril 2004, en particulier parce qu’une telle allégation a été soulevée seulement après que la demande de résidence permanente eut été refusée la première fois. Il était aussi entièrement loisible à l’agente d’examiner les antécédents de travail produits dans la première demande de la demanderesse, demande qui indiquait une période de chômage d’octobre 2003 à juin 2004. De plus, le relevé d’emploi délivré par le gouvernement du Canada révélait que l’emploi avait commencé le 1er juin 2004 et non pas le 1er avril 2004.

 

[26]           Le Guide IP 04, Traitement des aides familiaux résidants au Canada, du ministère de la Citoyenneté et de l’Immigration Canada, expose à la section 9.5 les preuves acceptables des deux années d’emploi, notamment une lettre de l’employeur actuel indiquant la date de début de l’emploi et confirmant que le demandeur est actuellement employé : un relevé d’emploi et de salaire aux termes du Règlement sur l’assurance‑emploi, une fiche de paye et un registre des salaires faisant état des sommes perçues au nom de l’Agence des douanes et du revenu du Canada.

 

[27]           Tous les documents déposés par la demanderesse confirment qu’elle a commencé à travailler pour M. Tam au début de juin 2004. La seule preuve en sens contraire était le contrat que la demanderesse aurait apparemment été obligée de signer, lequel contredisait le contrat devant être communiqué au gouvernement. Pourtant, il n’y a pas d’explication quant à savoir pourquoi la demanderesse s’est encore sentie obligée de déclarer qu’elle n’avait pas travaillé en avril et en mai 2004 quand elle a présenté sa demande de résidence permanente puisqu’elle n’était plus employée par M. Tam.

 

[28]           En ce qui a trait à l’argument basé sur le nombre d’heures travaillées, il souffre des mêmes défauts. Non seulement il n’est pas cohérent avec le relevé d’emploi délivré par le gouvernement du Canada, mais l’allégation de la demanderesse est totalement non fondée. Le Guide d’immigration IP 4, Traitement des aides familiaux résidants au Canada souligne en outre que les normes d’emploi sont régies par les provinces. Chaque province a des normes d’emploi différentes. Selon la Loi de 2000 sur les normes d’emploi de l’Ontario, L.O. 2000, ch. 41, articles 1, 84, 96 et 97, il n’y a pas de nombre établi d’heures de travail par jour ou par semaine pour les aides familiaux résidants employés à temps plein.

 

[29]           Si la demanderesse avait le sentiment que son employeur la maltraitât ou que ses conditions d’emploi contrevinssent à la Loi de 2000 sur les normes d’emploi, elle aurait pu déposer une plainte auprès du ministère de l’Ontario au cours des deux années de la contravention alléguée. Je suis conscient que les personnes telles que la demanderesse sont souvent vulnérables, qu’elles ne connaissent pas les voies juridiques auxquelles elles peuvent avoir recours et qu’elles ont souvent très peu de moyens. Cependant, la demanderesse avait un avocat dans sa première et dans sa deuxième demande; pourtant, il n’y a pas de preuve que la demanderesse a déposé quelque plainte que ce soit auprès du ministère de l’Ontario ou de quelque autre autorité du gouvernement. Cela aurait certainement étayé son allégation. En l’absence d’une telle preuve, il n’était pas loisible à l’agente de sortir du cadre du relevé d’emploi délivré par le gouvernement du Canada.

 

[30]           Quoi qu’il en soit, l’avocat de la demanderesse n’a cité aucune jurisprudence pour la proposition selon laquelle, pour que la demanderesse satisfasse à l’exigence de la période cumulative d’au moins deux années au cours des trois années qui ont immédiatement suivi son entrée au Canada, l’agente aurait dû lui accorder des jours et des mois supplémentaires d’emploi en raison du nombre d’heures que la demanderesse allègue avoir travaillées chaque jour pour M. Tam, en plus des heures quotidiennes normales de travail. Le Règlement parle d’une période de temps, et non pas d’heures travaillées. Si le législateur avait eu l’intention de prendre en compte le nombre d’heures travaillées, le Règlement aurait dû être établi en conséquence, comme c’est le cas par exemple dans le Règlement sur l’assurance‑emploi, DORS/96‑332.

 

[31]           L’avocat de la demanderesse a allégué que l’agente aurait dû tenir une entrevue orale et donner à la demanderesse la possibilité de présenter ses observations et de dissiper ses doutes. Selon moi, cet argument est sans fondement.

 

[32]           L’évaluation de la question de savoir si la demanderesse satisfaisait aux exigences de la résidence permanente dans le programme des aides familiaux résidants était en grande partie administrative, elle incluait une évaluation du caractère adéquat de la preuve documentaire et non pas une évaluation de la crédibilité personnelle. Le relevé d’emploi, un document officiel du gouvernement, révélait que la demanderesse avait commencé à travailler le 1er juin 2004. Son premier formulaire de demande de résidence permanente et son contrat d’emploi révélaient la même chose. La demanderesse n’a simplement pas fourni de preuve d’emploi adéquate à partir du 1er avril 2004.

 

[33]           La présente affaire n’est pas un cas où la crédibilité de la demanderesse est au cœur de la décision contestée, ni une affaire où le récit de la demanderesse aurait pu seulement être évalué par le moyen d’une entrevue, comme c’est le cas lorsque le caractère authentique d’un mariage est contesté. La demanderesse avait toute occasion de présenter les documents requis et elle ne l’a pas fait. Une entrevue ne peut pas remédier à un défaut de documents.

 

[34]           Enfin, l’avocat de la demanderesse a allégué que l’agente a commis une erreur lorsqu’elle s’est fondée sur le critère des difficultés excessives pour rejeter la demande de dispense de la demanderesse basée sur l’alinéa 113(1)d) du Règlement pour des motifs d’ordre humanitaire. Il soutient que le critère appliqué par l’agente, relatif aux difficultés inhabituelles, injustifiées ou excessives, est plus approprié dans les situations où un demandeur sans statut au Canada demande une dispense de l’exigence d’obtenir un visa avant d’entrer au Canada. Selon la demanderesse, lorsque la question est de savoir si des motifs d’ordre humanitaire impérieux justifient la dispense de l’exigence des deux années établie à l’article 113, la norme appropriée devrait être celle qui a été énoncée par la Commission d’appel de l’immigration dans Chirwa c. Canada (Ministre de la Main‑d’œuvre et de l’Immigration) (1970), 4 I.A.C. 338. En d’autres termes, l’agente aurait dû examiner si la situation de la demanderesse est « de nature à inciter tout homme raisonnable d’une société civilisée à soulager les malheurs d’une autre personne ».

 

[35]           Selon le paragraphe 25(1) de la Loi, le défendeur et ses fonctionnaires sont autorisés à accorder à l’étranger le statut de résident permanent ou la dispense de tout critère ou obligation de la Loi applicables, s’il est d’avis qu’une telle dispense est justifiée par des motifs d’ordre humanitaire. La procédure applicable aux demandes fondées sur des motifs d’ordre humanitaire n’est pas destinée à éliminer les difficultés; elle est destinée à accorder une réparation en cas de difficultés inhabituelles, injustifiées ou excessives.

 

[36]           Dans la présente affaire, l’agente d’immigration a examiné l’ensemble de la preuve pour décider s’il y avait des motifs adéquats justifiant la dispense des exigences de l’alinéa 113(1)d) du Règlement. Après avoir examiné tous les facteurs entourant la demande, l’agente a estimé qu’il n’y avait pas de motifs d’ordre humanitaire adéquats qui justifiaient la dispense des exigences énoncées dans le Règlement.

 

[37]           L’agente a compris qu’il y avait des aspects attirant la sympathie dans l’affaire de la demanderesse, notamment, la façon dont elle a été traitée par la première agence de placement à Hong Kong, la façon déplorable dont le premier employeur a retiré son offre d’emploi et les abus de M. Tam, son ancien employeur. L’agente a aussi fait observer que la demanderesse fréquente régulièrement l’église dont elle est un membre actif, qu’elle a suivi des cours en secourisme et en informatique et qu’elle a fait de son mieux pour s’intégrer dans la société et aider les membres de sa famille au Canada et à l’étranger.

 

[38]           L’agente a aussi pris en compte les observations de la demanderesse selon lesquelles, si sa demande était refusée, elle devrait retourner aux Philippines et elle aurait des difficultés à trouver un emploi avec un salaire suffisant pour payer les soins de son père, et que son époux et elle ont remis à plus tard la possibilité d’avoir des enfants, jusqu’à ce qu’elle obtienne son statut de résidente permanente. L’agente a aussi souligné, parmi d’autres choses, que la demanderesse pouvait retourner aux Philippines et présenter une demande pour revenir au Canada et recommencer le programme des aides familiaux résidants. Vu le contexte de ces observations, l’agente a aussi conclu que la demanderesse ne serait pas exposée à des difficultés injustifiées ou excessives si elle devait quitter le Canada.

 

[39]           La décision Chirwa et les décisions semblables de la Section d’appel de l’immigration ont été rendues par un tribunal qui exerce son pouvoir discrétionnaire dans le cadre des articles 65 et 67 de la Loi, dispositions qui ne sont pas directement liées au pouvoir discrétionnaire prévu à l’article 25 : voir Lim c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CFPI 956, aux paragraphes 16 et 17; Long Dang c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 290, aux paragraphes 14 et 18; Rizvi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 296, aux paragraphes 14 et 15.

 

[40]           Aux paragraphes 44 et 45 de la décision Espino c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 74, la juge Dawson a souligné qu’en principe les étrangers n’ont pas accès à la Section d’appel de l’immigration, excepté dans des situations rares où ils détiennent un visa de résident permanent, mais ne se sont pas encore établis. L’article 63 de la Loi donne compétence à la Section d’appel de l’immigration pour traiter des appels administratifs présentés par les citoyens canadiens, les résidents permanents ainsi que les personnes pour lesquelles, au moins au début, on a décidé qu’elles satisfaisaient aux critères de sélection pour l’admission et qui ont obtenu le visa de résident permanent. Les citoyens et les résidents permanents ont le droit d’interjeter appel à la Section d’appel d’immigration pour des réparations particulières, dont des affaires qui touchent leur interdiction de territoire ou l’interdiction de territoire des membres de leur famille qu’ils ont parrainés.

 

[41]           Enfin, je suis d’avis que les motifs donnés par l’agente sont adéquats. Bien que l’obligation d’équité requière que les motifs soient donnés par le décideur, la Cour suprême a reconnu dans l’arrêt Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817, que cette exigence doit s’appliquer avec souplesse et que la nature spéciale de la Commission en tant que décideur doit être prise en compte dans l’évaluation de l’exigence de donner des motifs. En l’espèce, le décideur n’était pas un tribunal, mais une agente qui traitait une demande de dispense dans la cadre de la Loi. Elle a admis les circonstances spéciales de la demanderesse et les facteurs de sympathie de sa situation. Cependant, en définitive, elle a tiré une conclusion défavorable à la demanderesse.

 

[42]           La demanderesse allègue qu’on aurait dû accorder plus de poids à son affidavit et au contrat qu’elle a été obligée de signer avec M. Tam. Cependant, cet argument est relatif au poids à accorder aux arguments et à la preuve présentée. Le pouvoir discrétionnaire de l’agente inclut le droit d’accorder le poids qu’elle désire aux faits particuliers ou de tirer les conclusions relativement à la preuve documentaire, et il ne relève pas de la compétence de la Cour de substituer son propre pouvoir discrétionnaire à celui de l’agente. L’agente a examiné tous les facteurs pertinents à la situation de la demanderesse et sa décision attire un degré élevé de retenue.

 

[43]           Pour tous les motifs exposés ci‑dessus, et malgré le fait que la situation de la demanderesse est éminemment sympathique, la présente demande de contrôle judiciaire doit être rejetée. L’avocat de la demanderesse convient que l’affaire ne soulève aucune question de portée générale pour la certification et aucune n’est énoncée.

 

JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée. Aucune question de portée générale n’est certifiée.

 

 

« Yves de Montigny »

Juge

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Laurence Endale, LL.M., M.A. Trad.jur.

 

 

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                              IMM­5476­08

 

INTITULÉ :                                             JOSIE BIANAN AOANAN

                                                                  c.

                                                                  LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                       Toronto (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                     le 22 JUIN 2009

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                    LE JUGE de Montigny

 

DATE DES MOTIFS :                            LE 20 JUILLET 2009

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Ronald Poulton

 

POUR LA DEMANDERESSE

Leena Jaakkimainen

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

 

Poulton Law Professional Corporation

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

John H. Sims, c.r.

Sous­procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

 

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