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Date : 20091029

Dossier : IMM-1004-09

Référence : 2009 CF 1109

Ottawa (Ontario), le 29 octobre 2009

En présence de monsieur le juge Russell

 

 

ENTRE :

MELAKU KENENE WAGE

demandeur

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION et

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE

défendeurs

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire, présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi), visant la décision relative à la demande d’examen des risques avant renvoi du demandeur (la décision), datée du 9 janvier 2009, par laquelle on a refusé d’accorder à celui‑ci le statut de réfugié au sens de la Convention ou de personne à protéger aux termes des articles 96 et 97 de la Loi.

 

CONTEXTE

 

[2]               Le demandeur est un citoyen de l’Éthiopie qui est entré au Canada en tant que visiteur le 17 août 2002, à titre de chef des services d’organisation, de gestion et de formation de l’Autorité de l’aviation civile éthiopienne, afin de participer à un atelier à Montréal. Il a revendiqué le statut de réfugié le 6 septembre 2002. La Section de la protection des réfugiés (SPR) a entendu la revendication le 20 février 2004, et l’a rejetée peu après. Le demandeur a présenté une demande d’autorisation de contrôle judiciaire de cette décision, qui a elle aussi été rejetée.

 

[3]               Le demandeur a ensuite demandé un examen des risques avant renvoi (ERAR). L’agente d’ERAR (l’agente) a rejeté cette demande le 9 janvier 2009, ayant conclu que la demande ne satisfaisait pas aux exigences des articles 96 et 97 de la Loi. Le 2 mars 2009, le demandeur a présenté une demande de contrôle judiciaire de la décision défavorable rendue par l’agente d’ERAR.

 

[4]               Le juge O’Keefe a accordé au demandeur un sursis à la mesure de renvoi en attendant l’issue de la demande de contrôle judiciaire visant la décision de l’agente d’ERAR.

 

LA DÉCISION VISÉE PAR LE CONTRôle JUDICIAIRE

 

[5]               L’agente n’a pas tenu compte de la nouvelle preuve documentaire soumise par le demandeur qui était antérieure à la décision de la SPR, car le demandeur n’a pas fourni de raisons pour justifier pourquoi ces documents n’avaient pas été mis à la disposition de la SPR.

 

[6]               L’agente aborde brièvement la décision rendue par la SPR et signale que celle‑ci a douté sérieusement de la crédibilité du demandeur, que ce dernier n’a pas démontré qu’il craignait avec raison d’être persécuté, et que la SPR avait des doutes quant à l’existence de l’élément subjectif et de l’élément objectif de la revendication.

 

[7]               L’agente observe qu’un ERAR n’est pas un appel de la décision de la SPR. La décision de la SPR est définitive, à moins qu’il n’y ait des risques nouveaux ou différents que la SPR n’était pas en mesure de prendre en considération au moment où elle a rendu sa décision.

 

[8]               Dans sa décision, l’agente admet la preuve concernant la participation du demandeur à une manifestation à Ottawa le 20 mai 2004, mais note qu’il n’avait pas pris part à des événements similaires depuis cette manifestation. De plus, elle n’est pas convaincue que le demandeur a démontré que sa participation à cette manifestation avait attiré l’attention des autorités éthiopiennes, ou qu’il avait subi des répercussions négatives du fait de sa participation. En outre, l’agente, se reportant à ce qu’elle considère comme étant de la documentation objective à jour, conclut qu’il n’existe aucune preuve que des agents du gouvernement éthiopien surveillent les Éthiopiens qui participent à des manifestations en Europe ou en Amérique du Nord.

 

[9]               L’agente fait également état de la lettre soumise par le président d’une organisation de défense des droits des Oromos, Advocacy for the Fundamental Rights of Oromos and Others (AFRO-O). D’après l’auteur de cette lettre, compte tenu des antécédents du demandeur et des violations antérieures des droits de la personne en Éthiopie, la vie et la sécurité du demandeur seraient menacées si ce dernier devait retourner en Éthiopie. L’agente note que des documents étaient joints à cette lettre, notamment une lettre du conseil parlementaire oromo.

 

[10]           L’agente estime que l’auteur de la lettre d’AFRO-O n’indique pas les bases sur lesquelles repose son évaluation. De plus, elle note que l’organisation a son siège au Maryland, aux États-Unis, et remet en question la manière dont l’organisation a pu mener son évaluation du demandeur. Selon l’agente, l’affirmation du président selon laquelle la vie et la sécurité du demandeur seraient menacées si on le renvoyait en Éthiopie reposait sur des suppositions, parce qu’il n’a fait part ni d’une connaissance directe de la vie du demandeur en Éthiopie, ni des raisons qui le font croire que le gouvernement éthiopien ciblerait le demandeur plusieurs années après son départ. Par conséquent, l’agente accorde au document une faible valeur probante.

 

[11]           L’agente accorde aussi peu de poids à lettre sans date de l’association culturelle oromo-canadienne d’Ottawa-Carlton. Elle rejette ce document qu’elle considère comme une preuve intéressée, puisqu’elle est signée par un ami du demandeur. De plus, l’agente n’accorde aucun poids à l’observation du demandeur selon laquelle un de ses amis a été congédié parce qu’on le soupçonnait d’appuyer le Front de libération des Oromos (le FLO), car le demandeur n’a fourni aucun renseignement sur la façon dont il a reçu cette information et n’a présenté aucune preuve objective à l’appui.

 

[12]           L’agente examine également un rapport en date de novembre 2008 du FLO qui confirme l’arrestation de l’ami du demandeur. Elle signale que ce rapport n’est pas présenté sur du papier à correspondance officielle, ne précise pas le nom de l’auteur et ne comporte aucune signature; de plus, elle a relevé une erreur d’orthographe dans le mot « Oromo. » L’agente conclut en outre que le rapport n’indique pas sur quoi il se fonde. à la lumière de tous ces facteurs, l’agente accorde peu de poids au document.

 

[13]           De l’avis de l’agente, bien que le demandeur ait soumis des observations sur la situation en Éthiopie, il a omis d’établir un lien entre cette preuve et un risque personnel. De plus, l’agente soutient que les observations du demandeur ne mettent de l’avant aucune preuve substantielle d’un changement important de la situation dans le pays en cause depuis la décision rendue par la SPR. Elle conclut que le demandeur n’a pas présenté de preuve documentaire objective démontrant que sa situation en Éthiopie serait similaire à celle des personnes dans ce pays qui sont présentement exposées au risque d’être persécutées ou de subir des préjudices.

 

[14]           L’agente tient compte du fait que le demandeur n’est pas retourné en Éthiopie depuis 2002 et que rien ne prouve que les autorités éthiopiennes l’ont ciblé en raison de ses activités politiques. Elle estime que la preuve était insuffisante pour établir que le demandeur serait personnellement exposé à un risque prospectif de persécution s’il était renvoyé en Éthiopie.

 

[15]           L’agente examine aussi la situation actuelle dans le pays en cause et conclut qu’il y a plusieurs organisations nationales et internationales de défense des droits de la personne dont les activités en Éthiopie ne font l’objet que de restrictions limitées de la part du gouvernement. Elle conclut que quiconque a pris part (ou est soupçonné d’avoir pris part) aux activités du FLO à titre de non-combattant et qui est déjà connu des autorités est exposé à un risque réel de persécution. Toutefois, l’agente estime que [traduction] « les membres ordinaires aux niveaux hiérarchiques inférieurs qui ne sont pas déjà connus des autorités sont peu susceptibles d’être exposés à un risque réel de persécution ».

 

[16]           En fin de compte, l’agente conclut que la preuve présentée n’appuie pas l’affirmation du demandeur selon laquelle son retour en Éthiopie l’exposerait personnellement à un risque à cause de son adhésion au FLO, et que le demandeur serait exposé à [traduction] « moins qu’une simple possibilité » d’être persécuté. De plus, il n’y a pas de preuve substantielle qui permette de conclure que le demandeur pourrait être exposé à la torture, à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités en raison de l’incapacité du pays de le protéger. Par conséquent, l’agente conclut que la demande ne satisfait pas aux exigences des articles 96 et 97 de la Loi.

 

QUESTIONS à TRANCHER

 

[17]           Les questions soulevées par le demandeur peuvent être résumées comme suit :

1)                  L’agente a-t-elle omis de tenir compte d’éléments de preuve importants ou rejeté à tort la valeur probante de certains documents qui avaient été mis à sa disposition lorsqu’elle a rendu sa décision?

 

2)                  L’agente était-elle tenue d’offrir une entrevue ou une audience au demandeur?

 

3)                  L’agente a-t-elle commis une erreur dans son application des articles 96 et 97 de la Loi?

 

 

DISPOSITIONS LÉGISLATIVES

 

[18]           Les dispositions suivantes de la Loi sont pertinentes en l’espèce :

Définition de « réfugié »

 

96. A qualité de réfugié au sens de la Convention — le réfugié — la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :

 

a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;

 

b) soit, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ni, du fait de cette crainte, ne veut y retourner.

 

 

Personne à protéger

 

97. (1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n’a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée :

 

a) soit au risque, s’il y a des motifs sérieux de le croire, d’être soumise à la torture au sens de l’article premier de la Convention contre la torture;

 

b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant :

 

(i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

 

 

(ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas,

 

(iii) la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes — sauf celles infligées au mépris des normes internationales — et inhérents à celles-ci ou occasionnés par elles,

 

(iv) la menace ou le risque ne résulte pas de l’incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats.

 

Personne à protéger

 

(2) A également qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et fait partie d’une catégorie de personnes auxquelles est reconnu par règlement le besoin de protection.

Convention refugee

 

96. A Convention refugee is a person who, by reason of a well-founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,

 

 

 

(a) is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail themself of the protection of each of those countries; or

 

(b) not having a country of nationality, is outside the country of their former habitual residence and is unable or, by reason of that fear, unwilling to return to that country.

 

Person in need of protection

 

97. (1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally

 

 

(a) to a danger, believed on substantial grounds to exist, of torture within the meaning of Article 1 of the Convention Against Torture; or

 

(b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if

 

 

(i) the person is unable or, because of that risk, unwilling to avail themself of the protection of that country,

 

(ii) the risk would be faced by the person in every part of that country and is not faced generally by other individuals in or from that country,

 

(iii) the risk is not inherent or incidental to lawful sanctions, unless imposed in disregard of accepted international standards, and

 

 

 

(iv) the risk is not caused by the inability of that country to provide adequate health or medical care.

 

 

Person in need of protection

 

(2) A person in Canada who is a member of a class of persons prescribed by the regulations as being in need of protection is also a person in need of protection.

 

 

NORME DE CONTRôLE JUDICIAIRE

 

[19]           Dans l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, [2008] 1 R.C.S. 190, 2008 CSC 9, la Cour suprême du Canada a reconnu que, bien que la norme de la raisonnabilité simpliciter et celle du manifestement déraisonnable sont théoriquement différentes, « les difficultés analytiques soulevées par l’application des différentes normes réduisent à néant toute utilité conceptuelle découlant de la plus grande souplesse propre à l’existence de normes de contrôle multiples » (Dunsmuir, paragraphe 44). Par conséquent, la Cour suprême du Canada a conclu qu’il y avait lieu de fondre en une seule les deux normes de « raisonnabilité ».

 

[20]           Dans l’arrêt Dunsmuir, la Cour suprême du Canada a également conclu qu’il n’était pas nécessaire dans chaque cause de se livrer à une analyse pour établir la bonne norme de contrôle. En effet, lorsque la norme de contrôle applicable à la question soumise au tribunal est bien établie par la jurisprudence, la cour de révision peut l’adopter. C’est uniquement lorsque cette démarche s’avère infructueuse que la cour de révision examine les quatre facteurs qui permettent d’établir la bonne norme de contrôle.

 

[21]           Les questions de fait, les questions mixtes de droit et de fait, les questions touchant au pouvoir discrétionnaire et celles touchant à la politique commandent l’application de la norme de la décision raisonnable (Zambrano c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 481; Dunsmuir, paragraphes 51 et 53). Pour l’examen de la question de savoir si l’agente a omis de tenir compte d’éléments de preuve importants ou rejeté à tort la valeur probante de certains documents, la norme de contrôle appropriée est celle de la décision raisonnable.

 

[22]           L’application des articles 96 et 97 aux faits par la Commission sera également examinée en fonction de la norme de la décision raisonnable (Dunsmuir, paragraphe 164).

 

[23]           Quand une cour de révision contrôle une décision en fonction de la norme de la décision raisonnable, l’analyse aura trait « à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir, paragraphe 47). Autrement dit, la cour de révision ne devrait intervenir que si la décision était déraisonnable en ce sens qu’elle n’appartient pas « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ».

 

[24]           Le demandeur a également soulevé une question d’équité procédurale, qui commande l’application de la norme de la décision correcte : voir Suresh c. Canada (Ministre de la Cioyenneté et de l’Immigration), [2002] 1 R.C.S. 3, 2002 CSC 1, et Dunsmuir, paragraphe 60.

 

OBSERVATIONS

Le demandeur

L’agente n’a pas examiné, et a rejeté à tort, des éléments de preuve substantiels

 

[25]           Le demandeur soutient que l’agente a omis de tenir compte de nombreux éléments de preuve substantiels qui lui avaient été soumis relativement aux risques auxquels le demandeur serait exposé s’il était contraint de retourner en Éthiopie.

 

La Réponse à la demande d’information

 

[26]           L’élément de preuve sur lequel s’est fondée l’agente pour rejeter la prétention du demandeur relative à sa crainte que le gouvernement éthiopien le ciblerait à cause de sa participation à une manifestation à Ottawa en 2004 était incompatible avec d’autres éléments de preuve se trouvant dans le même document. Les deuxième et troisième paragraphes de ce document décrivent le [traduction] « plan stratégique » du gouvernement prévoyant que les ambassades cibleraient les Éthiopiens à l’étranger qui s’opposent au gouvernement. Dans la présente affaire, l’agente s’est reportée au premier paragraphe du document pour inférer que la présence du demandeur à la manifestation n’aurait pas été portée à l’attention des autorités éthiopiennes, sans tenir compte des deuxième et troisième paragraphes qui n’appuient pas cette inférence. Le demandeur soutient que l’agente s’est servie de la partie du document qui appuyait son affirmation et a fait abstraction des parties qui ne l’appuyaient pas, ce qui a mené à une conclusion de fait abusive. Le demandeur fait valoir que la révélation du [traduction] « plan stratégique » du gouvernement démontre qu’il y a plus qu’une simple possibilité qu’il soit persécuté s’il est renvoyé en Éthiopie. De plus, il soutient que la preuve présentée dans le cadre de sa demande d’ERAR démontre que l’ampleur de la persécution subie par les Oromos est nettement plus importante depuis que la SPR a rendu sa décision.

 

La lettre d’un ami

 

[27]           Le demandeur soutient qu’il était inacceptable que l’agente passe sous silence la lettre que lui avait envoyée un ami. Étant donné que l’agente a discuté de plusieurs autres éléments de preuve et expliqué pourquoi elle accordait une faible valeur à chacun de ces documents, le demandeur estime que l’agente a soit oublié la lettre soit omis d’en tenir compte. Il soutient que cette lettre démontre que la persécution subie par les Oromos a augmenté depuis le moment où la SPR a rendu sa décision.

 

Le récit de l’­épouse

 

[28]           Le demandeur fait également valoir que l’agente n’a pas pris en considération la preuve se rapportant à la situation de son épouse. Bien que le demandeur ait expliqué que son épouse avait quitté l’Éthiopie parce qu’elle craignait d’être persécutée en raison de son origine oromo et que les autorités la soupçonnaient de militer pour le FLO, l’agente a négligé de tenir compte de ces questions dans ses motifs. Ainsi, il n’y a aucune indication que l’agente était au fait des déclarations du demandeur concernant son épouse. Si l’agente avait connaissance de ces déclarations, mais les avait écartées pour un motif ou un autre, elle l’aurait signalé dans ses motifs parce que ces déclarations se rapportent directement à la crainte subjective du demandeur de retourner en Éthiopie.

 

La lettre du président d’AFRO-O

 

[29]           L’agente a écarté la lettre rédigée par le président d’AFRO-O parce que ce dernier n’a pas indiqué sur quelles bases reposait son évaluation et que les affirmations de l’auteur concernant le risque couru par le demandeur en Éthiopie étaient fondées sur des spéculations. Toutefois, le demandeur soutient que la lettre précise clairement que l’évaluation se fondait sur les antécédents du demandeur et sur les violations des droits de la personne qui surviennent en Éthiopie. À la fin de la lettre, l’auteur indique que les conclusions reposent sur l’étude d’AFRO‑O ainsi que sur les connaissances personnelles de deux membres oromo-américains du Conseil d’administration. De plus, des documents annexés confirmaient le contenu de la lettre.

 

[30]           Le demandeur soutient qu’il était déraisonnable de la part de l’agente de conclure que la lettre ne précisait pas sur quelles bases reposait l’évaluation. La formulation expresse de la lettre contredit une telle conclusion. La conclusion de l’agente selon laquelle l’hypothèse de l’auteur concernant le risque couru par le demandeur reposait sur des spéculations était déraisonnable, car ce dernier fait partie de la communauté oromo et il existe de nombreux éléments de preuve attestant des risques auxquels sont exposés les membres de cette communauté.

 

Le rapport du FLO de 2008 confirmant l’arrestation

 

[31]           Bien que l’agente ait fait état de ce rapport, elle lui a accordé peu de poids parce qu’il n’était pas présenté sur du papier à correspondance officielle, ne précisait pas le nom de l’auteur et ne comportait aucune signature, et n’indique pas sur quoi il se fonde.

 

[32]           Selon le demandeur, ce genre de rapports ne comporte pas habituellement de signature, tout comme d’autres documents dignes de foi – par exemple, les rapports du Département d’État des États-Unis – n’en comportent pas. De plus, il y a, au bas de la deuxième page, un renvoi à l’auteur du document, soit le conseil parlementaire oromo.

 

Le rejet du rapport de 2008

 

[33]           Le demandeur soutient que l’agente a tiré une conclusion sur la crédibilité en rejetant le rapport de novembre 2008 au motif qu’il n’était pas présenté sur du papier à correspondance officielle ou qu’il ne portait pas de signature. Ainsi, de l’avis du demandeur, il y a eu manquement à l’obligation de respecter l’équité procédurale parce qu’une conclusion sur la crédibilité exige la tenue d’une audience. De plus, si l’agente avait des doutes au sujet de l’authenticité du rapport ou si elle doutait de l’amitié entre M. Kitili et le demandeur, elle aurait dû poser ces questions au demandeur dans le cadre d’une entrevue.

 

[34]           Le demandeur soutient que si le rapport avait été présenté sur du papier à correspondance officielle, ou s’il avait comporté le nom de l’auteur et sa signature, l’agente n’aurait pas douté de son authenticité. La conclusion de l’agente concernant les lacunes du rapport reflète le peu de crédibilité qu’elle accordait au demandeur; il en ressort clairement qu’elle aurait peut-être cru le demandeur si la présentation du rapport avait été plus professionnelle, avec du papier à correspondance officielle et une signature.

 

[35]           Le demandeur affirme que la conclusion de l’agente constitue une conclusion concernant sa crédibilité. Par conséquent, il prétend qu’il aurait fallu lui accorder une audience. La présente espèce est similaire à l’affaire Liban c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 1252, où la Cour a conclu que la conclusion de l’agent selon laquelle il n’y avait pas [traduction] « suffisamment d’éléments de preuve objectifs » était en fait une conclusion que l’agent ne croyait pas le demandeur, et que si ce dernier avait présenté des éléments de preuve plus objectifs à l’appui de ses affirmations, l’agent l’aurait cru. Dans la décision Liban, la Cour a conclu qu’il s’agissait en fait de conclusions concernant la crédibilité du demandeur. Le demandeur soutient que la situation est la même en l’espèce. Dans cette affaire, l’agent avait souligné les conclusions de la Section d’appel de l’immigration concernant la crédibilité du demandeur et conclu que le demandeur n’avait pas fourni suffisamment d’éléments de preuve objectifs à l’appui de ses affirmations. De plus, dans l’affaire Liban, l’agent ne semblait pas avoir admis que les groupes dont faisait partie le demandeur subissaient de mauvais traitements en Éthiopie.

 

[36]           Chacun des points précédents de l’affaire Liban est similaire aux points soulevés et examinés par l’agente en l’espèce. Par exemple, le traitement par l’agente de la preuve du demandeur concernant ses amis qui ont perdu leurs emplois en raison de leur origine ethnique rappelle la décision contestée dans l’affaire Liban. En l’espèce, l’agente a conclu que le demandeur aurait dû expliquer comment il a obtenu ces renseignements, et parce qu’il n’a pas fourni d’éléments de preuve objectifs à l’appui de ces affirmations, l’agente ne leur a pas accordé le poids approprié. L’examen par l’agente de la preuve concernant l’arrestation de l’ami du demandeur soulève le même problème.

 

[37]           Les conclusions de l’agente constituent une conclusion sur la crédibilité parce que l’agente a souligné que s’il y avait eu des éléments de preuve documentaires à l’appui des affirmations du demandeur, elle les aurait crues. Par conséquent, par souci d’équité procédurale, il aurait fallu accorder une audience au demandeur.

 

L’agente a commis une erreur dans l’application des articles 96 et 97 de la Loi

 

[38]           Le demandeur soutient aussi que l’agente a commis une erreur dans l’application des articles 96 et 97 de la Loi parce qu’elle n’a pas conclu que le demandeur serait ciblé en tant que membre du groupe ethnique oromo en Éthiopie, et parce qu’elle a ajouté qu’il aurait dû mieux prouver qu’il était personnellement visé. Toutefois, le demandeur a soumis de nombreux éléments de preuve après l’audience de la SPR dont l’agente a reconnu la validité et qui décrivent la situation des citoyens oromos en Éthiopie. Le demandeur passe en revue de nombreux exemples de preuve documentaire soumis à l’agente, dont un rapport d’Amnistie Internationale, un rapport de Human Rights Watch, un rapport du Conseil éthiopien des droits de l’homme et un rapport du Département d’État des États-Unis.

 

[39]           Le demandeur soutient que l’agente n’a pas contesté ces rapports. Elle n’a tout simplement pas cru que ces éléments de preuve établissaient un lien particulier entre le demandeur et les risques décrits dans chacun des rapports. Même si le demandeur n’était pas désigné expressément dans les rapports présentés en preuve, il soutient qu’il était loisible à l’agente de conclure que le renvoi en Éthiopie l’exposerait à des risques. Toutefois, l’agente a plutôt conclu qu’il n’avait pas démontré l’existence d’un risque personnel, et qu’il n’avait pas prouvé que son profil était similaire aux personnes en Éthiopie qui sont exposées à la persécution et aux préjudices.

 

[40]           Le demandeur soutient que l’agente a commis une erreur en ne reconnaissant pas qu’il fait partie d’un sous-groupe oromo ciblé par des agents du gouvernement éthiopien. L’agente a commis une erreur de droit en exigeant qu’il prouve qu’il est personnellement exposé à un risque, le simple fait de faire partie de la communauté des Oromos étant insuffisant. En fait, dans la décision Salibian c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1990] 3 C.F. 250, la Cour d’appel fédérale a désapprouvé l’utilisation d’une telle règle de « preuve individuelle ».

 

[41]           Le demandeur fait valoir que l’agente a commis une erreur dans l’application du guide de l’ERAR qui aborde la question du risque personnel. Selon lui, il n’a pas à démonter qu’il serait personnellement exposé à un risque. Il lui suffit de démontrer qu’il fait partie d’un groupe de personnes qui sont exposées à un risque, contrairement à d’autres groupes dans le pays en cause. Ni la SPR ni l’agente n’ont jamais contesté que le demandeur est un citoyen d’origine oromo. Ainsi, selon le demandeur, il importe peu qu’il soit ou non un membre actif d’un groupe de l’opposition. Il suffit qu’il soit un citoyen d’origine oromo et qu’il y ait une abondance de preuves qui démontrent l’existence d’un risque pour tout citoyen d’origine oromo en Éthiopie.

 

[42]           De plus, le demandeur soutient que l’article 97 de la Loi ne renferme pas les termes [traduction] « risque précis » ou [traduction] « risque personnel ». L’article 97 exige tout simplement que le risque ne soit pas un risque auquel sont généralement exposés les gens dans ce pays. Étant donné que le demandeur fait partie d’un sous-groupe qui est davantage exposé au risque que l’ensemble de la population, il s’agit d’un risque au sens de l’article 97. En fait, se reportant à l’analyse de la juge Dawson dans Surajnarain c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 1165, le demandeur fait valoir qu’il est visé par l’article 97 parce qu’il a une crainte fondée sur son origine ethnique. Selon la juge Dawson, il n’est pas nécessaire que la menace soit personnelle. Il peut s’agir d’un risque auquel est exposée une personne particulière et auquel sont peut-être exposées également d’autres personnes dans une situation similaire. Étant donné que le demandeur dans la présente affaire est oromo et que sa crainte repose sur son origine ethnique, cette crainte est visée par l’analyse de la décision Surajnarain.

 

Conclusions

 

[43]           Le demandeur conclut que l’agente a commis de nombreuses erreurs dans la présente affaire. Par exemple, elle n’a pas compris la pleine ampleur de l’aggravation de la persécution subie par les Oromos, attestée par la preuve documentaire fournie par le demandeur. De plus, l’agente s’est fondée sur un élément de preuve datant d’il y a cinq ans pour trancher que certains Oromos sont persécutés alors que d’autres ne le sont pas. Ainsi, elle a fondé à tort son analyse sur le profil particulier du demandeur plutôt que sur son appartenance à la communauté oromo. Elle a également commis une erreur en décidant que la preuve sur laquelle se fondait le demandeur concernant la situation à laquelle il serait exposé en Éthiopie reflétait la situation à laquelle est exposée l’ensemble de la population, et non pas seulement la communauté ethnique oromo. Enfin, l’agente a commis une erreur en ne concluant pas que les Oromos sont des personnes se trouvant dans une situation similaire à celle du demandeur.

 

[44]           De l’avis du demandeur, ces nombreuses erreurs devraient entraîner l’annulation de la décision et le renvoi de l’affaire en vue d’un nouvel examen.

 

Les défendeurs

            La décision

 

[45]           Les défendeurs font valoir que l’agente a réalisé une évaluation exhaustive et mûrement réfléchie, et a examiné attentivement les observations du demandeur concernant le danger mortel auquel il serait exposé s’il était renvoyé en Éthiopie à cause de ses opinions politiques et en tant qu’Oromo soupçonné d’appuyer le FLO. La décision est le reflet d’une analyse soignée et approfondie des observations et de la preuve produite par le demandeur.

 

Questions liées à la preuve

 

[46]           Selon les défendeurs, l’agente a eu raison de ne pas prendre en considération les documents soumis par le demandeur qui dataient d’avant la décision de la SPR. Aucune explication n’a été fournie pour justifier que ces éléments de preuve n’aient pas été présentés à la SPR. Le processus d’ERAR n’est pas un moyen d’interjeter appel d’une décision de la SPR, si bien que les seuls éléments de preuve qui seront pris en considération se rapportent à des risques nouveaux, additionnels ou différents dont la SPR n’aurait pas pu tenir compte.

 

[47]           Il incombe au demandeur de fournir à l’agente de nouveaux éléments de preuve qui appuient la demande d’ERAR, et non les mêmes éléments de preuve dont était saisie la SPR, et de démontrer comment ces nouveaux éléments répondent aux exigences exposées à l’article 113 de la Loi : Kaybaki c. Canada (Solliciteur général), 2004 CF 32, paragraphe 11.

 

[48]           Les défendeurs affirment également que l’agente a eu raison d’établir une distinction entre les partisans du FLO qui sont connus des autorités et ceux qui ne le sont pas, et de conclure que la vie du demandeur ne serait pas menacée s’il était renvoyé en Éthiopie. De plus, l’agente renvoie à une directive opérationnelle du ministère de l’Intérieur du Royaume‑Uni qui appuie sa conclusion que le demandeur n’a pas un profil qui ferait de lui une cible des autorités.

 

[49]           De l’avis des défendeurs, il était raisonnable de la part de l’agente de prendre en considération et de mettre en application la directive selon laquelle les individus n’étaient pas exposés à un danger à leur retour en Éthiopie du simple fait qu’ils étaient d’origine oromo ou en raison d’une participation peu importante aux activités du FLO. La Cour a tiré une telle conclusion dans une cause récente, soit Mohamed c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 315, au paragraphe 25 : « L’idée générale de la preuve documentaire objective, c’est que le gouvernement éthiopien prend pour cible le FLO et ses sympathisants, mais non pas les 35 millions d’Oromos ». De plus, l’agente a conclu que rien ne démontrait que les autorités étaient à la recherche du demandeur en raison de ses activités politiques, et que la demande d’ERAR ne comportait aucune preuve substantielle nouvelle donnant à penser que la situation dans le pays en cause avait changé depuis la décision rendue par la SPR.

 

[50]           Les défendeurs soutiennent aussi que l’agente n’a pas commis d’erreur en renvoyant seulement à une partie de la Réponse à la demande d’information (RDI) dans ses motifs. Bien que les paragraphes que l’agente a écartés appuient dans une certaine mesure les observations formulées par le demandeur, ils sont précédés dans le rapport par la déclaration selon laquelle « [a]ucune information sur l’existence d’éléments prouvant que des agents du gouvernement surveillent les manifestations hostiles à l’Éthiopie en Europe et en Amérique du Nord n’a pu être trouvée parmi les sources consultées par la Direction des recherches ». Ainsi, les défendeurs avancent qu’il était raisonnable de la part de l’agente de parvenir à la conclusion qu’elle a tirée. Omettre de faire renvoi à l’ensemble de la RDI dans ses motifs ne porte pas un coup fatal à la décision, d’autant plus qu’il n’y avait rien dans les sections non signalées de la RDI qui démontre que la présence du demandeur à la manifestation a attiré l’attention des autorités éthiopiennes, ou que l’agente a commis une erreur en concluant que le demandeur était exposé à moins que la simple possibilité d’être persécuté s’il était renvoyé en Éthiopie.

 

[51]           Le simple fait que l’agente n’a pas signalé explicitement ces éléments de preuve dans ses motifs ne signifie pas qu’elle ne les a pas examinés. Un agent peut rejeter des éléments de preuve s’ils ne démontrent pas que la situation dans le pays en cause au moment de la demande d’ERAR est sensiblement différente à celle qui régnait quand la décision de la SPR a été rendue. Le demandeur n’a pas démontré que l’agente a omis d’examiner ces éléments de preuve ou qu’elle a commis une erreur en n’abordant pas les sections de la RDI qui renvoient à des agents secrets éthiopiens affectés aux ambassades ou à l’existence d’un [traduction] « plan stratégique ».

 

[52]           De plus, les défendeurs soutiennent que la décision du juge O’Keefe d’accorder un sursis dans la présente affaire n’est pas déterminante. Il incombe maintenant au demandeur de convaincre la Cour que la décision était incorrecte ou n’était pas raisonnable – une norme plus exigeante que la simple démonstration que la question n’est pas futile ou vexatoire.

 

La lettre d’un ami

 

[53]           Les défendeurs soutiennent que l’agente n’a pas commis d’erreur en omettant de signaler la lettre rédigée par un ami du demandeur, Bahiru Duguma, dans sa décision. Dans sa demande d’ERAR, le demandeur décrit cette lettre comme étant [traduction] « une lettre de mon ami […] indiquant qu’il ne se rend plus en Éthiopie depuis 2003 en raison de ses craintes liées à son origine oromo ».

 

[54]           Le demandeur n’a pas indiqué en quoi cette lettre était liée à sa demande d’ERAR. Une bonne partie du contenu de cette lettre, notamment le renvoi à des amis communs de l’auteur et du demandeur, ainsi que le traitement auquel pourrait être exposé le demandeur, est déjà signalée dans d’autres documents que l’agente a expressément examinés dans ses motifs. De l’avis des défendeurs, le simple fait que l’agente n’a pas renvoyé expressément à cette lettre ne signifie pas qu’elle n’en a pas tenu compte. De plus, la lettre ne renferme aucun nouvel élément de preuve démontrant que la situation dans le pays en cause avait changé de manière significative depuis la décision de la SPR au point où le demandeur serait exposé à un risque personnel additionnel s’il était renvoyé en Éthiopie.

 

L’épouse du demandeur

 

[55]         Selon les défendeurs, l’agente n’a commis aucune erreur en ne renvoyant pas à la preuve se rapportant à l’épouse du demandeur et à son départ de l’Éthiopie. Le demandeur fait maintenant valoir que son épouse craignait d’être persécutée en raison de son origine ethnique oromo et de soupçons sur sa participation aux activités du FLO. Toutefois, l’affidavit du demandeur ne contient aucun renvoi à la participation soupçonnée de son épouse aux activités du FLO.

 

[56]           Quant au départ de l’Éthiopie de l’épouse du demandeur, rien dans ce récit ne contredit la conclusion de l’agente selon laquelle cette preuve [traduction] « n’appuyait pas l’affirmation du demandeur qu’il court un risque personnel en Éthiopie à cause de son adhésion au FLO ». Ainsi, l’agente n’a pas commis d’erreur en ne mentionnant pas l’épouse du demandeur, étant donné qu’il n’est omis de tenir compte d’éléments de preuve pertinents que lorsqu’ils vont directement à l’encontre de la conclusion de fait du tribunal ou s’ils appuient la position du demandeur au point où ils exigent une évaluation distincte : Singh c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 494, paragraphes 19, 20 et 24. Manifestement, ce n’était pas le cas en ce qui concerne la présente décision.

 

La faible valeur probante accordée aux lettres

 

[57]           L’agente n’a pas commis d’erreur en accordant une faible valeur probante à la lettre du président d’AFRO-O et au rapport du FLO du 8 novembre 2008. Elle a des compétences spécialisées en matière d’appréciation de la preuve, et les défendeurs soutiennent que le rôle de la Cour n’est pas d’apprécier à nouveau la preuve soumise à l’agente. En fait, la Cour fédérale a statué que [traduction] « les agents d’examen des risques avant renvoi sont des tribunaux administratifs spécialisés dotés d’un pouvoir décisionnel et que la Cour ne saurait modifier à la légère leurs conclusions, et en particulier celles d’entre elles qui concernent le poids à accorder à la preuve qui leur a été soumise » : Da Mota c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 FC 386, paragraphe 15.

 

[58]           Il est clair, d’après les motifs de l’agente, que cette dernière a examiné le contenu de la lettre signée par le président et le Conseil d’administration d’AFRO-O. L’agente note que, selon cette lettre, le demandeur serait en danger à son retour en Éthiopie; toutefois, elle note également qu’on ne sait pas dans quelle mesure cette organisation a communiqué avec le demandeur avant de réaliser son évaluation. De plus, l’agente n’a pas écarté cette lettre; elle lui a accordé une faible valeur probante après avoir conclu que l’auteur n’avait pas précisé ce qu’il savait de la situation personnelle du demandeur. Selon les défendeurs, l’analyse du document par l’agente était exhaustive et sa conclusion de lui accorder une faible valeur probante était raisonnable.

 

[59]           En ce qui a trait au rapport du 8 novembre 2008, les défendeurs soutiennent qu’il était raisonnable de la part de l’agente d’accorder peu de poids à ce document en raison de ses doutes concernant son authenticité : Dzey c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 167, paragraphe 25, Hossain c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] A.C.F no 160, paragraphe 4. L’agente a renvoyé à ce rapport dans sa décision, mais a choisi de lui accorder peu de poids et a fourni une explication détaillée de ce choix : (1) le document ne portait aucune signature; (2) le document n’était pas présenté sur du papier à correspondance officielle; (3) le mot « Oromo » était mal orthographié; et (4) le document ne précisait pas sur quoi il se fondait. À la lumière de ces considérations, il était manifestement raisonnable de la part de l’agente d’attribuer peu de poids au document, et les défendeurs soutiennent qu’il serait donc peu justifié que la Cour intervienne dans la décision.

 

Il n’était pas nécessaire de tenir une audience

 

[60]           Les défendeurs soutiennent qu’aux termes de l’article 167 de la Loi, un agent n’est pas obligé de tenir une entrevue avec un demandeur lorsque la crédibilité de ce dernier n’est pas mise en question. La crédibilité du demandeur n’était pas la question déterminante dans la décision en cause. Par conséquent, il n’était pas nécessaire de tenir une audience. Dans la présente affaire, l’agente a conclu que le demandeur n’était pas une personne à protéger, car il n’a pas présenté suffisamment d’éléments de preuve démontrant que son renvoi en Éthiopie l’exposerait à des risques personnels additionnels que la SPR n’avait pas envisagés. Cette décision ne reposait pas sur la crédibilité du demandeur.

 

[61]           Dans la décision Ferguson c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 1067, la Cour a statué que la personne qui soumet une demande d’ERAR doit prouver, selon la prépondérance des probabilités, que le renvoi à son pays d’origine l’exposerait à la persécution, à la torture, à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités. Le poids accordé à la preuve présentée par le demandeur permettra de décider si le demandeur s’est acquitté de son fardeau. Dans la décision Ferguson, la Cour s’est penchée sur la crédibilité, par opposition à la suffisance de la preuve, et a conclu que l’évaluation de la crédibilité est tout à fait différente de la pondération de la preuve. Par conséquent, les défendeurs soutiennent que l’agente n’a tiré aucune conclusion sur la crédibilité relativement au rapport du 8 novembre 2008; elle a tout simplement énoncé les motifs pour lesquels elle accordait peu de poids à ce document. Étant donné qu’elle n’a tiré aucune conclusion sur la crédibilité relativement à ce rapport, l’agente n’a pas manqué à son devoir d’équité en ne convoquant pas le demandeur à une entrevue ou à une audience. La présente espèce est différente de l’affaire Liban invoquée par le demandeur. Dans le cas présent, l’agente n’a tiré aucune conclusion sur la crédibilité du demandeur en rendant sa décision. Bien que l’agente ait mentionné les conclusions sur la crédibilité formulées par la SPR, un simple renvoi à des conclusions sur la crédibilité ne signifie pas que le demandeur a droit à une audience.

 

Aucune erreur n’a été commise dans l’application de la Loi

 

[62]           Les défendeurs soutiennent que la décision était raisonnable et citent Raza c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2006 CF 1385, au paragraphe 29 :

Les articles 96 et 97 exigent que le risque soit personnalisé, c’est‑à‑dire qu’il concerne la personne qui demande l’asile. C’est ce que montre clairement l’emploi du terme « personnellement » à l’article 97. Dans le cas de l’article 96, la preuve relative à des personnes placées dans une situation semblable peut mener à la conclusion que le demandeur « crai[nt] avec raison d’être persécuté ».

 

 

[63]           Bien que le demandeur affirme que tous les Oromos sont ciblés en Éthiopie, la SPR était d’avis que la preuve documentaire mène à la conclusion que certains Oromos appuient le gouvernement, tandis que d’autres ne l’appuient pas. L’agente a examiné la preuve présentée par le demandeur et a conclu qu’il n’y avait aucune nouvelle preuve substantielle démontrant l’existence de risques additionnels depuis la décision rendue par la SPR. Elle a plutôt conclu que le demandeur n’avait pas fourni de preuve objective démontrant que son profil en Éthiopie est similaire à celui des personnes qui sont exposées à un risque de préjudices dans ce pays. Les documents fournis ont trait à la situation vécue par l’ensemble de la population ou décrivent la situation individuelle de personnes qu’il n’y a pas lieu de comparer avec le demandeur. L’agente a également décidé que la preuve ne permettait pas de conclure que les autorités éthiopiennes étaient à la recherche du demandeur en raison de ses activités politiques et n’appuyait pas l’affirmation du demandeur selon laquelle il serait personnellement exposé à un risque.

 

Résumé

 

[64]           Pour conclure, les défendeurs soutiennent que les agents d’ERAR ont une expérience considérable dans l’évaluation de la situation qui règne dans des pays étrangers et qu’il faut faire preuve de déférence à l’égard des décisions prises par l’agente dans la présente affaire. Le rôle de la Cour n’est pas d’apprécier à nouveau la preuve qui a fait l’objet d’un examen approfondi par l’agente. Le demandeur n’a pas démontré que la décision n’était pas appuyée par la preuve ou que l’agente a omis d’examiner l’ensemble de la preuve pertinente.

 

ANALYSE

 

[65]           Comme l’ont signalé les défendeurs, la décision quant au risque auquel serait exposé un demandeur à son retour dans un pays particulier est dans une large mesure une enquête visant à établir des faits, et la Cour doit faire preuve d’une déférence considérable à l’égard de la décision de l’agente.

 

[66]           Tel qu’il est indiqué clairement dans la décision, après avoir examiné la preuve à sa disposition, l’agente a conclu que le demandeur n’avait pas un profil [traduction] « qui ferait de lui une cible des autorités gouvernementales à son retour en Éthiopie ». Le demandeur n’est pas d’accord et affirme qu’il court un risque en raison de son origine ethnique oromo. La SPR a déjà rejeté les affirmations du demandeur à cet égard et l’agente a conclu que peu d’éléments de preuve nouveaux laissaient croire que la situation avait changé depuis la décision de la SPR.

 

[67]           L’agente établit une distinction cruciale en ce qui concerne l’adhésion au FLO :

[traduction] Selon des preuves documentaires récentes, le FLO est un groupe d’opposition armé interdit qui est connu pour avoir mené des attaques organisées contre les autorités gouvernementales en Éthiopie. S’il est reconnu qu’une personne a pris part ou si elle est soupçonnée d’avoir pris part aux activités du FLO à titre de non‑combattant et si elle est déjà connue des autorités, alors il y a un risque réel que cette personne soit exposée à la persécution par les autorités gouvernementales. Toutefois, les membres ordinaires aux niveaux hiérarchiques inférieurs qui ne sont pas déjà connus des autorités sont peu susceptibles d’être exposés à un risque réel de persécution.

 

[68]           Ainsi, l’agente pensait manifestement que l’origine ethnique oromo du demandeur ne l’exposait pas, à elle seule, à un risque; de plus, en ce qui a trait aux activités du FLO, le demandeur était peut-être un simple membre non combattant de niveau hiérarchique inférieur qui n’était pas connu des autorités. Le demandeur a soulevé diverses questions pour prouver que la décision contenait des erreurs susceptibles de révision. À mon avis, aucune ne suffit pour qualifier la décision d’incorrecte ou de déraisonnable.

 

[69]           Le demandeur a tenté de redéfinir sa demande d’ERAR dans le cadre de la présente demande de contrôle judiciaire. Il affirme que sa demande d’ERAR était fondée uniquement sur son origine ethnique oromo. Toutefois, comme le reflètent clairement les observations qu’il a soumises à l’appui de sa demande d’ERAR (p. 218-219 du dossier du tribunal certifié), le demandeur a attribué les risques non seulement à son origine oromo, mais aussi à ses opinions politiques et à ses liens avec le FLO. Il s’agit d’un problème important pour le demandeur parce que la SPR a conclu que le demandeur [traduction] « n’était pas perçu par le gouvernement comme un organisateur oromo hostile au gouvernement et avait inventé l’histoire de ses arrestations aux fins de la présente revendication du statut de réfugié ». Autrement dit, le demandeur n’avait pas le profil d’une personne qui serait exposée à un risque. La description qu’a faite l’agente du profil du demandeur aux fins de la demande d’ERAR correspond entièrement aux observations soumises par le demandeur. Ce dernier a modifié sa position parce qu’il y a peu d’éléments de preuve démontrant qu’il serait exposé à un risque à titre d’Oromo s’adonnant à l’organisation politique contre le gouvernement.

 

 

Omission de tenir compte de la preuve selon laquelle des agents secrets étaient affectés aux ambassades éthiopiennes et un [traduction] « plan stratégique » de 52 pages avait été envoyé aux ambassades – plan ciblant les Éthiopiens qui s’opposaient au gouvernement

 

 

[70]           Le demandeur a déclaré dans un affidavit qu’il a participé à une manifestation à Ottawa le 20 mai 2004 contre le génocide et le traitement brutal du peuple oromo par le gouvernement éthiopien.

 

[71]           Le demandeur soutient que, pour tirer la conclusion qu’il n’est pas possible de confirmer au moyen de sources fiables que des agents gouvernementaux surveillaient les manifestants, l’agente s’est fiée au premier paragraphe de la RDI, mais a omis de tenir compte des deuxième et troisième paragraphes.

 

[72]           Les deuxième et troisième paragraphes renvoient à des articles publiés sur des sites Web aux États-Unis consacrés aux actualités éthiopiennes ainsi qu’à un article publié sur le site Web Nazret.

 

[73]           Toutefois, les deuxième et troisième paragraphes ne contredisent ni le premier paragraphe, ni la conclusion de l’agente selon laquelle la surveillance en Europe et en Amérique du Nord [traduction] « ne peut être confirmée au moyen de sources fiables ». Le premier paragraphe est un commentaire sur les deuxième et troisième paragraphes. Il n’y a rien de sélectif dans la démarche de l’agente relativement à ce document, et l’agente fournit des motifs convaincants pour sa conclusion que la présence du demandeur à la manifestation d’Ottawa en 2004 n’aurait pas attiré l’attention des autorités éthiopiennes. L’argument du demandeur n’est rien de plus que la supposition que sa présence à la manifestation en 2004 a peut-être été observée. L’agente fournit des motifs tout à fait adéquats pour expliquer pourquoi cela ne suffit pas pour établir l’existence d’un risque prospectif.

 

La lettre personnelle d’un ami proche – Bahiru Duguma

 

[74]           Le demandeur affirme que l’agente n’a pas mentionné cette lettre dans ses motifs et qu’il s’agissait d’une preuve que son renvoi en Éthiopie l’exposerait à un risque.

 

[75]           Il est vrai que la lettre renferme de l’information pertinente pour la décision, dans la mesure où elle indique que le gouvernement de l’Éthiopie [traduction] « procède présentement à des arrestations massives et torture des professionnels et des étudiants oromo ».

 

[76]           Il s’agit d’une position que l’agente n’admet pas, comme elle l’explique dans sa décision. L’agente explique pourquoi elle ne peut admettre cette position et renvoie à des éléments de preuve sur ce point.

 

[77]           L’omission de signaler expressément la lettre ne permet pas, dans le contexte de la décision dans son ensemble, d’inférer que l’agente a négligé la lettre ou omis d’examiner la position mise de l’avant dans la lettre.

 

[78]           L’agente n’est pas tenue de signaler chacun des éléments de preuve et il n’y a rien dans la décision qui laisse penser que la lettre ait été oubliée.

 

[79]           La lettre ne contredit pas la conclusion de l’agente selon laquelle le demandeur n’a pas un profil qui l’exposerait à un risque. Il n’était pas nécessaire de la signaler expressément.

 

 

L’information selon laquelle l’épouse du demandeur avait quitté l’Éthiopie pour les mêmes raisons que le demandeur craignait d’y retourner

 

 

[80]           Comme le signalent les défendeurs, dans l’affidavit déposé par le demandeur avec sa demande d’ERAR, il ne signale pas que son épouse était soupçonnée d’être liée au FLO. Ainsi, de ce point de vue, il est compréhensible que l’agente ait omis de mentionner l’épouse du demandeur dans ses motifs. La SPR avait déjà conclu que le demandeur n’avait pas milité contre le gouvernement de l’Éthiopie.

 

[81]           En ce qui a trait aux craintes du demandeur d’être pris en cible du fait de son origine oromo, le fait que son épouse ait formulé les mêmes craintes ne renforce pas vraiment la position du demandeur selon laquelle il était une cible; de plus, l’agente n’était pas tenue de le signaler dans ses motifs. Elle explique adéquatement pourquoi elle ne peut admettre la position du demandeur selon laquelle il serait pris en cible.

 

[82]           Nous n’avons tout simplement pas assez de renseignements sur l’épouse et sa situation pour établir si elle a le même profil que le demandeur. La décision repose sur le profil.

 

[83]           Encore une fois, le peu de preuve disponible au sujet de l’épouse du demandeur ne contredit pas la conclusion de l’agente selon laquelle le demandeur n’a pas un profil qui l’exposerait à un risque en Éthiopie. L’omission de faire renvoi à l’épouse ne constitue pas une erreur susceptible de révision.

 

 

Lettre du 21 novembre 2008 du président d’Advocacy for the Fundamental Rights of Oromos and others (AFRO-O), qui relevait de manière précise les risques auxquels serait exposé le demandeur s’il était renvoyé en Éthiopie

 

 

[84]           L’agente a accordé à ce document [traduction] « une faible valeur probante » pour les motifs exposés. Le demandeur n’est pas d’accord avec cette position.

 

[85]           Il est écrit dans la lettre que le gouvernement du TPLF a récemment intensifié ses activités de terreur [traduction] « ciblant expressément les Oromos […] ».

 

[86]           La lettre indique également que le gouvernement [traduction] « a arrêté et incarcéré plus d’une centaine de personnes, y compris des Oromos qui sont des députés de son propre parlement, des entrepreneurs, des professeurs d’université, des étudiants et des citoyens ordinaires ».

 

[87]           D’après cette lettre, les Oromos représentent 40 pour cent de la population. Ainsi, manifestement, tous les Oromos ne sont pas ciblés. Il en découle que le profil des personnes prises en cible est crucial.

 

[88]           Selon la lettre, si le demandeur est renvoyé en Éthiopie, il [traduction] « aboutira fort probablement dans la prison du TPLF et subira une torture extrême et soutenue ou la mort ». Toutefois, la lettre n’indique pas pourquoi le profil du demandeur le place dans la même situation que ceux qui sont ciblés, à part l’affirmation : [traduction] « à la lumière de l’évaluation par AFRO des antécédents [du demandeur] et des violations des droits de l’homme en Éthiopie […] ».

 

[89]           Nous ne savons tout simplement pas de quelle manière le demandeur a été évalué. Les réserves de l’agente à l’égard de ce document et les motifs pour lesquels elle lui a accordé une faible valeur probante sont tout à fait raisonnables dans les circonstances. Il s’agit d’une question d’appréciation de la preuve et la Cour ne devrait pas infirmer la décision pour ce motif.

 

Le rapport du 8 novembre 2008 du FLO confirmant l’arrestation de l’ami du demandeur parce que les autorités le soupçonnaient d’être un partisan du FLO

 

 

[90]           À mon avis, il s’agit d’une autre plainte visant le poids accordé à un élément de preuve particulier. Encore une fois, le rapport signale que [traduction] « le gouvernement éthiopien du TPLF a incarcéré illégalement plus d’une centaine d’Oromos ayant des antécédents différents et vivant dans différentes villes d’Oromiya, y compris dans la capitale, sous le prétexte notoire d’avoir soutenu le Front de libération des Oromos (FLO) ».

 

[91]           Ainsi, la lettre indique clairement que ce ne sont pas tous les Oromos qui sont pris en cible, et nous ne savons pas si le rapport porte sur des personnes ayant le même profil que le demandeur. Le fait que M. Ishetu Kitili soit peut-être un ami du demandeur ne signifie pas qu’il a le même profil que le demandeur. Ainsi, l’agente devait apprécier cet élément de preuve. Elle note, entre autres, que [traduction] « le rapport n’indique pas sur quoi il se fonde ». Autrement dit, ce rapport ne fournit tout simplement pas assez d’information sur les personnes signalées et sur la pertinence de cette information pour une personne ayant le profil du demandeur pour qu’on puisse y accorder un poids important. Il n’y a rien de déraisonnable dans les conclusions de l’agente concernant ce rapport.

 

Conclusion sur la crédibilité relativement au rapport du 8 novembre 2008

 

[92]           À mon avis, l’agente n’a pas formulé une conclusion sur la crédibilité relativement à ce rapport. Le cas présent n’est pas similaire à l’affaire Liban citée par le demandeur. Ici, il est tout simplement question du poids à accorder à ce rapport dans le contexte de tous les autres éléments de preuve présentés à l’agente.

 

[93]           L’agente n’affirme pas qu’elle doute des craintes subjectives exprimées par le demandeur ou que le rapport est faux. Elle signale seulement les lacunes du rapport qui ont un effet sur le poids qu’il convient de lui accorder.

 

[94]           Le juge Zinn a récemment abordé la distinction entre l’évaluation de la crédibilité et l’appréciation de la preuve dans la décision Ferguson c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 1067, au paragraphe 27 :

[…] Lorsque le juge des faits évalue la preuve de cette manière, il ne rend pas de décision basée sur la crédibilité de la personne qui fournit la preuve; plutôt, le juge des faits déclare simplement que la preuve qui a été présentée n’a pas de valeur probante suffisante, soit en elle-même, soit combinée aux autres éléments de preuve, pour établir, selon la prépondérance de la preuve, les faits pour lesquels elle est présentée. Selon moi, c’est l’analyse qu’a menée l’agent dans la présente affaire.

 

 

[95]           En l’espèce, l’agente s’est penchée sur la valeur probante et non sur la crédibilité. Il n’y avait aucune obligation d’accorder une entrevue au demandeur.

 

L’agente a commis une erreur dans l’application des articles 96 et 97 de la Loi en ne concluant pas que le demandeur serait ciblé personnellement

 

 

[96]           Les passages cités par le demandeur renvoient à des personnes qui sont des [traduction] « adversaires du gouvernement ». La décision repose sur [traduction] « le profil » et le risque personnel du demandeur repose sur son profil. Même les documents présentés par le demandeur lui-même n’indiquent pas que tous les Oromos sont pris en cible. Par conséquent, l’agente devait réaliser une évaluation du profil du demandeur, qui est manifestement lié à son risque personnel.

 

[97]           Le demandeur fait valoir que la seule question est de savoir s’il est d’origine oromo ou non. L’énoncé des risques mis de l’avant dans sa demande d’ERAR n’appuie pas cette position. Le document clé auquel s’est reportée l’agente était la directive opérationnelle en date de 2008 du ministère de l’Intérieur du Royaume-Uni. Ce document fait ressortir très clairement le point suivant :

[traduction] Le FLO, le FNLO et le PUI sont des groupes d’opposition armés interdits qui sont connus pour avoir mené des attaques organisées contre les autorités gouvernementales en Éthiopie. S’il est reconnu qu’un demandeur a pris part ou si ce dernier est soupçonné d’avoir pris part à des activités pour le compte de ces organisations à titre de non-combattant et s’il est déjà connu des autorités, alors il y a un risque réel qu’il soit exposé à la persécution par les autorités gouvernementales. Par conséquent, l’octroi de l’asile dans de tels cas sera probablement approprié. Toutefois, les non-combattants ordinaires aux niveaux hiérarchiques inférieurs qui ne sont pas déjà connus des autorités sont peu susceptibles d’être exposés à un risque réel de persécution et l’octroi de l’asile dans de tels cas sera vraisemblablement inapproprié.

 

[98]           En fin de compte, le risque auquel sont exposés les Oromos dépend de leur profil. Comme l’a souligné le juge Kelen dans la décision Mohamed c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 315, au paragraphe 25 : « L’idée générale de la preuve documentaire objective, c’est que le gouvernement éthiopien prend pour cible le FLO et ses sympathisants, mais non pas les 35 millions d’Oromos ». On peut dire de même au sujet de la preuve documentaire soumise à l’agente dans la présente affaire. Cette dernière a admis et examiné toute la preuve documentaire qui datait d’après la décision de la SPR. Elle a apprécié la preuve du demandeur à la lumière de documents sur la situation dans le pays en cause qui sont respectés et couramment utilisés. L’appréciation de la preuve et les conclusions de l’agente étaient tout à fait raisonnables.

 

[99]           Toutefois, le demandeur affirme que l’agente a commis une erreur dans l’application des articles 96 et 97. Cette affirmation repose principalement sur l’extrait suivant de la décision :

[traduction] Les autres observations du demandeur décrivent la situation générale qui règne en Éthiopie, et il n’a pas établi de liens entre cette preuve et son risque personnel. Ces observations ne mettent pas de l’avant de nouveaux éléments de preuve substantiels attestant d’un changement important à la situation dans le pays en cause depuis la décision de la SPR. Le demandeur n’a pas fourni de preuve documentaire objective pour corroborer que son profil en Éthiopie est similaire à celui des personnes qui sont présentement exposées au risque d’être persécutées ou de subir des préjudices dans ce pays. Je conclus que les documents fournis ont trait à la situation vécue par l’ensemble de la population ou décrivent la situation individuelle de personnes qu’il n’y a pas lieu de comparer avec le demandeur. Celui‑ci n’est pas retourné en Éthiopie depuis 2002. La preuve ne permet pas de conclure que les autorités éthiopiennes sont à sa recherche en raison de ses activités politiques. La preuve à ma disposition n’appuie pas l’allégation que le demandeur serait exposé à un risque personnel et prospectif en Éthiopie.

 

 

[100]       Le demandeur cite la décision Salibian c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1990] 3 C.F. 250, à l’appui de l’affirmation qu’il n’a pas à démontrer qu’il serait lui-même persécuté et qu’il lui est possible de démontrer que ses craintes de retourner en Éthiopie ne découlent pas d’actes commis directement contre lui, mais d’actes commis ou susceptibles d’être commis contre des membres d’un groupe dont il fait partie.

 

[101]       Dans la présente affaire, le demandeur affirme qu’il doit seulement démontrer que les actes qu’il craint sont susceptibles d’être commis contre des Oromos; il n’a pas à prouver que les autorités éthiopiennes le recherchent personnellement.

 

[102]       À la lumière du sens ordinaire de la décision prise dans son ensemble et du paragraphe cité par le demandeur en particulier, il est clair que l’agente n’exigeait pas que le demandeur démontre qu’il était personnellement menacé de persécution ou de préjudices. Lorsque l’agente affirme que le demandeur n’a pas établi de liens entre la situation générale en Éthiopie et un risque personnel, elle veut dire que les observations du demandeur [traduction] « ne mettent pas de l’avant de nouveaux éléments de preuve substantiels attestant d’un changement important à la situation dans le pays en cause depuis la décision de la SPR » et que le demandeur [traduction] « n’a pas fourni de preuve documentaire objective pour corroborer que son profil en Éthiopie est similaire à celui des personnes qui sont présentement exposées au risque d’être persécutées ou de subir des préjudices dans ce pays » (non souligné dans l’original). L’agente répète ces observations dans la conclusion de la décision.

 

[103]       Lorsqu’elle signale que la preuve ne corrobore pas l’affirmation selon laquelle les autorités éthiopiennes sont à la recherche du demandeur, l’agente signale simplement que, pour ce qui est de l’expérience personnelle de celui-ci, il n’a jamais, soit devant la SPR ou dans le cadre de sa demande d’ERAR, présenté le moindre élément de preuve admissible susceptible de démontrer qu’il était recherché par les autorités éthiopiennes. En faisant ressortir ce point, l’agente n’exigeait pas que le demandeur prouve qu’il serait exposé à une persécution ou à des préjudices qui ne viseraient que lui personnellement.

 

[104]       La Cour a clairement exposé le droit se rapportant à la question du risque personnel dans diverses décisions. Il faut se reporter, par exemple, à la décision du juge Mosley Raza c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2006 CF 1385, au paragraphe 29, et à la décision du juge Lemieux Pillai c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 1312, au paragraphe 42.

 

[105]       À mon avis, dans la présente affaire, l’agente a correctement mis en application les articles 96 et 97 et la jurisprudence relative aux risques personnels.

 

Certification

 

[106]       Le demandeur a demandé à la Cour de certifier la question suivante :

[traduction] Dans quelle mesure est-il nécessaire, aux termes de l’article 97 de la Loi, de prouver que le demandeur est personnellement visé?

 

[107]       À mon avis, cette question est trop abstraite et ne correspond pas aux faits de l’espèce. L’agente affirme très clairement que, dans son examen du risque de persécution et de préjudices, elle a mis l’accent sur le profil du demandeur. Elle a conclu que le demandeur ne pouvait ni démontrer qu’il avait personnellement été victime de persécution ou de préjudices, ni démontrer qu’il serait victime de persécution ou de préjudices s’il était renvoyé, ni démontrer qu’il faisait partie d’un groupe de personnes qui sont exposées à la persécution ou aux préjudices. Je reprends encore une fois les propos du juge Kelen dans la décision Mohamed : l’idée générale de la preuve documentaire objective, c’est que le gouvernement éthiopien prend pour cible le FLO et ses sympathisants, mais non pas les 35 millions d’Oromos.


 

JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que

 

1.                  la demande est rejetée;

2.                  aucune question n’est certifiée.

 

 

« James Russell »

Juge

 

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Sandra de Azevedo, LL.B.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                IMM-1004-09

 

INTITULÉ :               MELAKU KENENE WAGE

                                    c.        

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION et

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               le 16 septembre 2009

 

MOTIFS DU JUGEMENT :            LE JUGE RUSSELL

 

DATE DES MOTIFS :                      LE 29 OCTOBRE 2009

 

 

OBSERVATIONS ÉCRITES :

 

M. Russell Kaplan                                            POUR LE DEMANDEUR

 

Mme Julia Barss                                     POUR LES DÉFENDEURS

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

M. Russell Kaplan                                            POUR LE DEMANDEUR

Ottawa (Ontario)

                       

JOHN H. SIMS, C.R.                                      POUR LES DÉFENDEURS

SOUS-PROCUREUR

GÉNÉRAL DU CANADA

 

 

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