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Cour fédérale

 

 

 

 

 

 

 

 

Federal Court


Date : 20091015

Dossier : T-436-04

Référence : 2009 CF 1043

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 15 octobre 2009

En présence de monsieur le juge Phelan

 

ENTRE :

TODD SIMPSON, SKONWAKWENINI GABRIEL,

SYLVIA BONSPILLE LORENTE, ANNIE MICHALA,

HILDA BONSPILLE, RUBY MARTIN, BELLIE BEAUVAIS,

SANDRA RICHARDS et STEVEN BONSPILLE, JOHN HARDING,

PEARL BONSPILLE en leur qualité personnelle

et en leur qualité de chefs dûment élus de la

COMMUNAUTÉ MOHAWK DE KANESATAKE

demandeurs

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DU CANADA,

le MINISTRE DES AFFAIRES INDIENNES ET DU NORD CANADIEN

le MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE,

JAMES GABRIEL, CLARENCE SIMON, MARIE CHÉNÉ, DOREEN CANATONQUIN en leur qualité de chefs dûment élus de la

COMMUNAUTÉ MOHAWK DE KANESATAKE

défendeurs

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 


I.          INTRODUCTION

[1]               La Cour est saisie de requêtes présentées par les défendeurs qui sollicitent le rejet de l'action dans sa totalité ou, subsidiairement, la radiation de parties importantes et essentielles de la déclaration déposée par les demandeurs.

 

[2]               La présente action soulève d'importantes questions dont la moindre n'est pas celle de savoir qui sont les demandeurs appropriés, les défendeurs appropriés, les avocats des demandeurs, et quelle est la véritable nature de la demande, ainsi que la question de savoir si la compétence de la Cour à l'égard de la demande est une compétence ratione materiae et/ou une compétence ratione personae.

 

[3]               La Cour n'entend donner qu'un résumé du dossier, tous les détails se trouvant dans le dossier de la Cour.

 

II.        CONTEXTE

[4]               La présente action a été intentée le 1er mars 2004. La déclaration a été modifiée le 3 juin 2005, date à laquelle ont été ajoutés plusieurs demandeurs et à laquelle les demandeurs ont demandé que les défendeurs soient condamnés, conjointement et solidairement, à leur verser 90 millions de dollars en dommages-intérêts généraux, plus des dommages-intérêts punitifs. Les demandeurs invoquent une rupture de contrat, le manquement à une obligation fiduciale, le manquement l’obligation de consulter, la négligence, l'exercice abusif du pouvoir, l'abus de procédure, le complot, le préjudice moral, un traumatisme psychologique et psychiatrique et une violation de droits qui leur sont garantis par la Constitution.

 

[5]               Les demandeurs sollicitent également diverses ordonnances et jugements déclaratoires sur le fondement de l'article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982 et de l'article 35 de la Charte des droits et libertés.

 

[6]               Il y a eu dans la poursuite de l'instance toute une série de retards dus en partie seulement au temps dont ont besoin les ministères pour préparer, compte tenu de l'ampleur des réclamations présentées, un volumineux affidavit de documents.

 

[7]               Par ordonnance du 9 mai 2005, ceux qui étaient alors les demandeurs se sont vu enjoindre de fournir un cautionnement pour frais en faveur des défendeurs individuels (qui sont, en l'espèce, représentés séparément) d'un montant de 32 960 $, et l'action a été suspendue en attendant le versement du cautionnement. Or, ce cautionnement n'a pas encore été versé.

 

[8]               Dans une action connexe ‑ à l'action initialement engagée, ceux qui étaient à l'époque demandeurs ont déposé une demande à l'encontre des mêmes défendeurs essentiellement. Ceux qui étaient les demandeurs à l'époque ont fait savoir à la Cour qu'ils ne reconnaissent pas la compétence de la Cour fédérale. Le juge von Finckenstein, responsable à l'époque de la gestion des deux instances, a rejeté la demande le 20 janvier 2005, adjugeant aux défendeurs individuels 18 900 $ au titre des dépens. Cette somme n'a pas été acquittée.

 

[9]               L'instance semble être tombée dans l’oubli après coup. Le 30 avril 2008, un rapport de vérification juricomptable a été remis par deux ministères fédéraux, après quoi les demandeurs ont réclamé au ministère de la Sécurité publique l'ouverture d'une enquête sur les événements du mois de janvier 2004, événements qui font partie des faits allégués en l'espèce. Le 15 juillet 2008, le ministre a rejeté leur demande, se disant cependant disposé à étudier les moyens permettant de procéder autrement que par voie judiciaire. Bien qu'ils aient manifesté la volonté de prendre part à des discussions en ce sens, les demandeurs n'ont rien fait.

 

[10]           Le 26 septembre 2008, la Cour a donné une directive aux parties, leur demandant de l'informer de l'état de l'instance et de ce qu'elles envisageaient pour faire avancer le dossier. Les parties devaient répondre au plus tard le 15 janvier 2009.

 

[11]           À la date prévue, l'avocat des demandeurs (Me Reynolds) a demandé un report de 45 jours afin d'obtenir les instructions de ses clients et de transmettre aux défendeurs une proposition quant au moyen de procéder autrement que par voie judiciaire.

 

[12]           Par télécopie en date du 15 janvier 2009, la date prévue, Me Allali, sous sa seule signature, a déposé un avis de changement d'avocat.

 

[13]           La Cour a accordé un report, imposant aux demandeurs l'obligation d'informer la Cour, au plus tard le 2 mars 2009, de l'état de la cause, faisant savoir que faute de progrès sensibles dans le dossier, une date serait fixée pour un examen de l’état de l’instance.

 

[14]           Les demandeurs n'ont donné aucune suite aux directives et ordonnances de la Cour concernant les moyens de faire avancer le dossier.

 

[15]           Il semble y avoir confusion, du côté des demandeurs, concernant lequel des avocats les représente. Le 8 mai 2009, la Cour a rendu une ordonnance enjoignant aux défendeurs de signifier et de déposer, dans les 30 jours, des requêtes en rejet ou en radiation, pour cause de retard ou d'autres motifs. La Cour a en outre ordonné qu'une copie de cette ordonnance soit signifiée par télécopie ou par messager, à l'ancien avocat des demandeurs.

 

[16]           Les défendeurs, manifestement contrariés par l'inaction des demandeurs et les graves lacunes relevées dans les actes de procédure, ont manifesté leur intention de solliciter par requête le rejet de l'action ou la radiation de certaines parties de la déclaration.

 

[17]           Le 8 septembre 2009, la Cour a ordonné que les requêtes présentées par les défendeurs soient signifiées aux deux avocats, et fait savoir que les requêtes seraient entendues le 29 septembre 2009.

 

[18]           Le jour de l'audience, la Cour a été informée que Me Reynolds lui avait écrit l'après-midi précédent pour faire savoir qu'il n'avait pu obtenir de ses clients aucune instruction au sujet des requêtes en question, ou concernant l'avocat les représentants (il voulait sans doute parler de l’avocat à qui la représentation des demandeurs serait confiée).

 

[19]           Maître Allali a comparu à l'audience, faisant savoir cependant qu'il n'avait pas reçu d'instructions au sujet de la requête, qu'il ne savait pas au juste qui il représentait, ni à quel titre ses clients se présenteraient devant la Cour. L'audience a eu lieu sans la moindre documentation ou observation de la part des demandeurs.

 

III.       ANALYSE

[20]           Avant d'examiner le bien-fondé de la requête, la Cour doit aborder la question de la représentation par avocat.

 

[21]           La question de la représentation par avocat est demeurée en suspens depuis le 15 janvier 2009 et, malgré les efforts de la Cour, la réponse n’est pas plus claire maintenant qu’elle ne l’était.

 

[22]           Il importe de souligner que, selon les règles de la Cour, l’avis de changement d’avocat doit être déposé par une « partie ». Normalement, l'avis est déposé par le nouvel avocat agissant en tant que mandataire de la partie concernée. Si la question de la représentation ne soulève aucun désaccord, il s’agit d’une simple question de mandat qui, juridiquement, se défend parfaitement. En l'espèce, cependant, la question de la légitimité du changement d'avocat est en cause, et les demandeurs n'ont eux-mêmes déposé aucun document indiquant quel avocat les représente.

 

[23]           Ce manque d'attention porté à la question de savoir qui représente les demandeurs est une autre indication que les demandeurs n'ont ni l'intention ni les moyens de poursuivre l'instance.

 

A.        Requête en radiation

[24]           Les défendeurs ont, collectivement, invoqué de nombreux motifs justifiant la radiation de parties importantes de la déclaration. La déclaration pose de nombreux problèmes, dont certains tellement graves que la déclaration ne saurait la mettre en état simplement en modifiant certains de ses passages et en en supprimant d'autres. La Cour ne fera qu'évoquer quelques-uns de ces problèmes.

 

[25]           Le lien entre les défendeurs individuels et la Couronne est insuffisant pour justifier à leur égard la compétence de la Cour que l'article 17 de la Loi sur les Cours fédérales, LRC 1985, c F‑7 lui confère.

 

[26]           La « communauté Mohawk de Kanesatake » n'a pas d'existence juridique. Les « Mohawks de Kanesatake » constitueraient plutôt l’entité pertinente : or, les allégations ne permettent pas de savoir en quelle qualité les demandeurs individuels, chacun ou collectivement, peuvent invoquer le statut juridique de la bande. Certains des demandeurs ne sont d'ailleurs pas membres de la bande, et l'un d'entre eux est décédé.

 

[27]           La déclaration modifiée n’indique pas sur quelle base les demandeurs, une minorité du Conseil de bande, peuvent intenter une demande en justice au nom de la Bande, ni sur quelle base, étant donné qu'ils ne sont pas partie au contrat en cause, ils peuvent invoquer une rupture du contrat, ou avoir qualité pour invoquer, au nom de la Bande, certains droits collectifs.

 

[28]           S’agissant des faits importants allégués par les demandeurs, la déclaration modifiée comporte des lacunes telles qu'un défendeur est dans l'impossibilité d'y répondre convenablement. Les allégations concernant le manquement à l’obligation fiduciale et à l’obligation de consulter, la violation des droits prévus à l'article 35 et à l'article 25, les dommages-intérêts punitifs et la négligence comportent de sérieuses lacunes avant même que se pose la question de savoir si l'action intentée se défend au moins au regard de certains des motifs invoqués.

 

[29]           Les gouvernements défendeurs invoquent plusieurs autres motifs ayant trait à l'applicabilité de divers principes juridiques, issus tant de la common law que du Code civil, motifs sur lesquels il n'est pas en l'espèce nécessaire de se prononcer.

 

[30]           Le problème, pour les demandeurs, est le suivant : les actes de procédures sont si manifestement truffés de lacunes qui ne peuvent être facilement corrigées par des modifications, ou par l'autre solution qui consisterait à radier la réclamation tout en autorisant les demandeurs à déposer une demande mieux formulée et plus précise.

 

B.        Requête en rejet de l'action

[31]           Les gouvernements défendeurs ont également présenté une requête en rejet d'action au motif qu'elle constitue un abus de procédure comme le démontre le fait, pour les demandeurs, de ne pas donner suite ni à l'action ni à l'ordonnance de la Cour.

 

[32]           Je partage les préoccupations dont font état ces défendeurs. C'est effectivement un abus que d'engager une action sans avoir l’intention d’y donner suite. La Cour n'est pas un terrain de stationnement où l'on peut laisser les litiges en se réservant la possibilité de les reprendre ultérieurement. Il semble bien que les demandeurs se soient servis de la présente instance pour faire pression sur le gouvernement (ce qui n'est pas chose rare de la part de certaines parties), mais, fait plus important, ils n'avaient pas vraiment l'intention de poursuivre leur action.

 

[33]           Conformément aux motifs que j'ai exposés relativement à la requête en radiation, l'action sera radiée. La question qui se pose est celle est de savoir s'il s'agira d'une radiation définitive portant rejet quant au fond.

 

[34]           Comme l'a indiqué Me Allali, plusieurs des demandeurs étaient présents à l'instruction de ces requêtes. La Cour a fait savoir qu’elle attendrait deux semaines avant de rendre sa décision.

 

[35]           Les demandeurs n'ont, depuis, rien fait pour préciser leur position sur la question de la représentation par avocat, ou sur la manière dont ils souhaiteraient donner suite à leur action.

 

[36]           Compte tenu de leur inaction, leurs retards, leur défaut de se conformer aux ordonnances de la Cour et du fait qu'ils n'ont pas convenablement retenu les services d'un avocat et n’ont donné aucune instruction à un représentant, les gouvernements défendeurs sont en droit de solliciter le rejet de l'action avec dépens, au motif qu'elle constitue un abus de procédure.

 

[37]           La Cour n'est pas disposée à rejeter l'action quant au fond de manière à donner lieu à une certaine forme de préclusion ou de chose jugée. Toutefois, si les demandeurs, quels qu’ils soient, entendent, individuellement ou collectivement, saisir la Cour de l’objet de la déclaration modifiée, ils devront au préalable obtenir son autorisation. Une telle autorisation pourrait bien comporter un certain nombre de conditions.

 


ORDONNANCE

 

LA COUR :

1.                  REJETTE définitivement l'action intentée contre les défendeurs individuels et ADJUGE les dépens en faveur de ces défendeurs.

2.                  REJETTE l'action intentée contre les autres défendeurs et ADJUGE les dépens en leur faveur, sans cependant porter atteinte au droit d'un ou de plusieurs des demandeurs d'intenter, dans les 30 jours suivant la date de la présente ordonnance, une nouvelle action fondée sur le même objet, mais uniquement sur autorisation de la Cour.

 

 

 

« Michael L. Phelan »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Linda Brisebois, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        T-436-04

 

INTITULÉ :                                      TODD SIMPSON, SKONWAKWENINI GABRIEL, SYLVIA BONSPILLE LORENTE, ANNIE MICHALA, HILDA BONSPILLE, RUBY MARTIN, BELLIE BEAUVAIS, SANDRA RICHARDS et STEVEN BONSPILLE, JOHN HARDING, PEARL BONSPILLE en leur qualité personnelle et en leur qualité de chefs dûment élus de la COMMUNAUTÉ MOHAWK DE KANESATAKE

 

                                                            et

 

SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DU CANADA, le MINISTRE DES AFFAIRES INDIENNES ET DU NORD CANADIEN, le MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE, JAMES GABRIEL, CLARENCE SIMON, MARIE CHÉNÉ, DOREEN CANATONQUIN en leur qualité de chefs dûment élus de la COMMUNAUTÉ MOHAWK DE KANESATAKE

 

 

LIEU DE L'AUDIENCE :              Montréal (Québec)

 

DATE DE L'AUDIENCE :             Le 29 septembre 2009

 

 

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

  ET ORDONNANCE :                    Le juge Phelan

 

DATE DES MOTIFS :                     Le 15 octobre 2009

 

 

COMPARUTIONS :

 

Frédéric Allali

 

POUR LES DEMANDEURS

Louis-Alexandre Guay

Marie-Ève Robillard

 

POUR LE DÉFENDEUR,

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

Ian Houle

POUR LES DÉFENDEURS INDIVIDUELS

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

ALLALI AVOCATS

Montréal (Québec)

 

POUR LES DEMANDEURS

JOHN H. SIMS, c.r.

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

 

POUR LE DÉFENDEUR,

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

FRASER MILNER CASGRAIN S.E.N.C.R.L.

Avocats

Ottawa (Ontario)

POUR LES DÉFENDEURS INDIVIDUELS

 

 

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