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Cour fédérale

 

Federal Court


 

Date : 20091015

Dossier : T-287-09

Référence : 2009 CF 1041

Ottawa (Ontario), le 15 octobre 2009

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE BARNES

 

 

ENTRE :

CORPS CANADIEN DES COMMISSIONNAIRES

DE LA COLOMBIE-BRITANNIQUE

s/n COMMISSIONNAIRES C.-B.

demandeur

et

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

et ALLIANCE DE LA FONCTION

PUBLIQUE DU CANADA

défendeurs

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande du Corps canadien des commissionnaires de la Colombie‑Britannique (les Commissionnaires), qui cherche à obtenir une ordonnance annulant la décision d’un agent de santé et sécurité (l’agent) agissant en vertu de la partie II du Code canadien du travail, L.R.C. 1985, ch. L-2. Dans cette décision, l’agent a décidé que le travail des commissionnaires, sous contrat avec l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC) pour fournir des services de surveillance et de transport des détenus en matière d’immigration depuis ses installations de détention au centre-ville et à l’aéroport international de Vancouver, n’était pas régi par la partie II du Code canadien du travail.

 

[2]               Aucun des défendeurs n’a déposé d’observations à l’appui de cette demande et, le jour de l’audience, le procureur général du Canada et l’Agence de la fonction publique du Canada (AFPC) ont concédé que la décision faisant l’objet du contrôle judiciaire était mal fondée. Indépendamment des contestations à l’égard des intérêts prima facie de la province en matière constitutionnelle, le procureur général de la Colombie-Britannique a fait savoir qu’il n’avait pas pris position sur le bien-fondé de la demande.

 

[3]               Au début de l’audience, j’ai soulevé la question de savoir si, en raison du fait que le contrat entre l’ASFC et les commissionnaires avait expiré au cours de l’année en cours, la question soumise à la Cour était peut-être devenue théorique. Cependant, j’estime que le litige sous-jacent entre les Commissionnaires et leurs employés mécontents n’est pas réglé, tout comme un certain nombre de conflits découlant du travail accompli en vertu du contrat conclu avec l’ASFC. La question juridictionnelle, la question principale en l’espèce, a été soulevée, ou pourrait l’être, dans ces poursuites connexes et elle demeurera vraisemblablement un point litigieux jusqu’à ce qu’une solution judiciaire soit trouvée. De fait, la même question de la compétence a été examinée récemment par la Commission de révision du service de sécurité au travail de la Colombie-Britannique (l’agence pour la santé et la sécurité au travail provinciale), mais cette commission a refusé de statuer, en partie parce que la question était pendante devant notre Cour.

 

[4]               Indépendamment de ce qu’ont convenu les parties, la Cour doit néanmoins avoir la preuve que la décision de l’agent comporte une erreur susceptible de révision et qu’il n’y a pas d’autres raisons de refuser le recours extraordinaire.

 

[5]               J’ai examiné avec soin la décision de l’agent et j’estime qu’il a commis une erreur en décidant que le travail effectué par les employés des Commissionnaires en vertu du contrat conclu avec l’ASFC n’était pas régi par la partie II du Code canadien du travail. Il semble que l’agent ait correctement identifié le critère à appliquer, qui consiste à se demander si le travail effectué par les employés des Commissionnaires était fondamental, vital ou essentiel pour le mandat de l’ASFC : voir Northern Telecom c. Travailleurs en communication, [1980] 1 R.C.S. 115, 98 D.L.R. (3d) 1 (C.S.C.). Par contre, il semble aussi qu’il n’ait pas appliqué correctement ce critère à la preuve essentiellement non contredite.

 

[6]               L’arrêt Northern Telecom, précité, enseigne que pour décider si la compétence fédérale s’applique à une activité accessoire à une entreprise fédérale principale, il faut déterminer si le lien est vital, essentiel ou fondamental pour cette entreprise. Il est pour cela nécessaire d’effectuer un examen de l’interdépendance qui existe entre les deux entités, y compris à l’égard de leurs liens matériels et opérationnels. La tâche a été décrite plus en détail dans le passage suivant de la décision :

Un autre facteur, beaucoup plus important aux fins de l’examen de la relation entre des entreprises, est le lien matériel et opérationnel qui existe entre elles. Dans la présente affaire, il faut, comme le souligne le jugement dans Montcalm, étudier la continuité et la régularité du lien sans tenir compte de facteurs exceptionnels ou occasionnels. La simple participation d’employés à un ouvrage ou à une entreprise fédérale n’entraîne pas automatiquement la compétence fédérale. Il est certain que plus on s’éloigne de la participation directe à l’exploitation de l’ouvrage ou de l’entreprise principale, plus une interdépendance étroite devient nécessaire. Sur la base des grands principes constitutionnels exposés ci-dessus, il est clair que certains faits sont décisifs sur la question constitutionnelle. De façon générale, il s’agit notamment :

 

(1)        de la nature générale de l’exploitation de Telecom en tant qu’entreprise active et, en particulier, du rôle du service de l’installation dans cette exploitation;

 

(2)        de la nature du lien entre Telecom et les sociétés avec lesquelles elle fait affaires, notamment Bell Canada;

 

(3)        de l’importance du travail effectué par le service de l’installation de Telecom pour Bell Canada, en comparaison avec ses autres clients;

 

(4)        du lien matériel et opérationnel entre le service de l’installation de Telecom et l’entreprise fédérale principale dans le réseau téléphonique et, en particulier, de l’importance de la participation du service de l’installation à l’exploitation et à l’établissement de l’entreprise fédérale en tant que méthode de fonctionnement.

 

 

[7]               La preuve dont disposait l’agent et qui décrivait la nature de la relation de travail entre les Commissionnaires et l’ASFC a montré que les premiers ont fourni des services de surveillance et de transport des immigrants détenus dans différents contextes. Cela exigeait que les détenus soient maintenus sous garde, y compris par l’usage occasionnel de dispositifs de contrainte. La
nature de ces activités a été décrite de la manière suivante par les Commissionnaires dans les observations suivantes faites à l’agent :

[traduction]

a.         Les Commissionnaires sont affectés à l’ASFC afin d’effectuer des activités d’application de la loi liées aux lois fédérales en matière d’immigration, à savoir, la détention de personnes entrées pour des raisons douteuses et dont le statut au Canada doit faire l’objet d’une décision par la CISR ou tout autre organisme fédéral compétent.

 

b.         Les tâches des Commissionnaires incluent : détenir des personnes au centre de surveillance de la Colombie‑Britannique; transporter ces dernières aux audiences ou au lieu de détention (dans le cas de personnes potentiellement dangereuses); escorter les personnes ayant reçu l’ordre de quitter le Canada jusqu’à l’avion ou à la frontière états-unienne; aller chercher les personnes détenues au Canada, devant être amenées à Vancouver; détenir sous garde les immigrants détenus qui ont été amenés dans des établissements de soins pour être traités; détenir temporairement des personnes entrées au Canada pour des raisons douteuses par l’YVR et qui attendent que l’ASFC rende une décision; offrir des services d’escorte et de détention pour les bureaux de l’ASFC situés au Library Square; nourrir et soigner les personnes en détention.

 

c.         Les personnes dont les Commissionnaires sont responsables ne sont pas des prisonniers – il s’agit de personnes qui sont entrées au Canada dans des circonstances douteuses ou qui ont reçu l’ordre de quitter le pays et à qui on ne fait pas confiance pour le faire par elle-même. Les personnes ayant commis des actes criminels sont prises en charge par les Services correctionnels.

 

d.         Les Commissionnaires travaillant pour l’ASFC n’ont PAS pour tâche d’agir comme garde du corps pour ces individus. Ils sont plutôt chargés de tenir sous garde des personnes dans le but de s’assurer que le Canada ait le contrôle des personnes suspectes.

 

 

[8]               L’agent a estimé que ces tâches n’étaient pas essentielles, vitales ou fondamentales pour les activités de l’ASFC parce que :

a)         Le travail confié aux Commissionnaires aurait pu être effectué par des membres du personnel de l’ASFC;

b)         La perte de services des Commissionnaires ne serait pas préjudiciable aux activités de l’ASFC;

c)         Les Commissionnaires ont par la suite été remplacés par une agence sous réglementation provinciale;

d)         Les employés des commissionnaires n’ont pas effectué d’évaluations des risques, ni d’évaluation du niveau de contrainte, d’arrestations ou de tâches liées à l’application ou à l’interprétation de la loi;

e)         La fourniture de services de sécurité a traditionnellement été considérée comme étant une activité sous réglementation provinciale.

 

[9]               En plus de ce qui a été dit ci-dessus, l’agent a appliqué une décision de la Commission des relations de travail de la Colombie-Britannique dans laquelle il a été décidé que la fourniture au ministère des Pêches et Océans (MPO) de services de communication radio par les Commissionnaires pour le étaient essentielle au travail de cet organisme.

 

[10]           Étonnamment, l’agent a totalement oublié de prendre en considération le fait que l’AFPC avait auparavant été accrédité par le Conseil canadien des relations industrielles pour agir à titre d’agent négociateur pour les employés de cette unité de négociation en vertu de la partie I du Code canadien du travail.

 

[11]           Il me semble évident que l’agent a mal compris le critère juridique qu’il devait appliquer. Il n’était d'aucune utilité pour son examen de conclure que le travail des employés des Commissionnaires pouvait être effectué par les employés de l’ASFC ou par toute autre « agence sous réglementation provinciale ». Ces conclusions posent essentiellement la question qui devait être tranchée. Je conviens avec l’avocat des Commissionnaires que l’évaluation de ce qui est essentiel ou vital pour une entreprise fédérale principale doit comporter un examen des tâches ou fonctions remplies qui devront être effectuées. L’agent aurait dû demander si le travail effectué par les employés des Commissionnaires était essentiel ou vital pour le mandat opérationnel de l’ASFC au point où la perte du service empêcherait l’ASFC de respecter ses obligations légales. Le fait que l’ASFC avait donné certaines de ces tâches en sous-traitance à d’autres entités, sous réglementation provinciale ou non, n’avait aucune importance sur le plan juridique.

 

[12]           Bien que l’agent ait eu raison d’affirmer que la fourniture de services de sécurité passive ou accessoire au gouvernement fédéral ou à une agence sous réglementation fédérale est généralement considérée comme relevant de la compétence provinciale en matière de travail, la jurisprudence établit également que le type de sécurité ou de soutien actif assuré en vertu du contrat avec l’ASFC est une question de compétence fédérale. Contrairement à ce qu’a conclu l’agent, le type de travail effectué en l’espèce s’apparentait étroitement à des services de contrôle de la sécurité aéroportuaire : voir Pinkerton’s of Canada Ltd. (1990), 90 CLLC 16, 061, 82 di 18, confirmé par (1992), 32 A.C.W.S. (3d) 940, [1992] A .C.F. no 271 (QL) (C.A.F.). De plus, le fait que l’agent se soit appuyé sur la décision de la Commission des relations de travail de la Colombie-Britannique concernant le groupe Radiotélégraphie du MPO constituait également une erreur. Cette décision a été annulée après réexamen dans Re British Columbia Corps of Commissionnaires, [2001] B.C.L.R.B.D. No. 277. Dans cette décision portant sur un contrôle judiciaire, la Commission a également décidé que le fait que les employés des Commissionnaires n’avaient pour tâche d’interpréter ou de faire appliquer la loi n’avait aucune importance sur le plan juridique. Ce qui importait était la question de savoir si les tâches qu’ils devaient effectuer étaient vitales pour l’application générale de la loi par les agents. La Commission a conclu que les tâches étaient vitales et la même conclusion doit être tirée concernant les faits non contredits de la présente espèce.

 

[13]           Dans la plupart des cas de ce genre, la Cour ordonnerait que la décision faisant l’objet du contrôle soit renvoyée au décideur pour réexamen. Cependant, il s’agit d’une situation où il n’existe qu’une seule décision correcte de sorte qu’une déclaration est appropriée. 

 

[14]           Aucune des parties n’a demandé l’adjudication des dépens et aucune ordonnance ne sera donc délivrée à cet égard.

 


 

JUGEMENT

 

LA COUR ORDONNE que la présente demande soit accueillie et que la décision faisant l’objet du contrôle soit annulée. 

 

LA COUR DÉCLARE EN OUTRE que les employés du demandeur qui ont travaillé pour le compte de l’Agence des services frontaliers du Canada au 700 – 300 West Georgia Street, à Vancouver en Colombie-Britannique et à l’aéroport international de Vancouver sont régis par la partie II du Code canadien du travail

 

 

 

« R. L. Barnes »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Jean-François Vincent

 

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        T-287-09

 

INTITULÉ :                                       CORPS CANADIEN DES COMMISSIONNAIRES DE LA COLOMBIE-BRITANNIQUE s/n COMMISSIONNAIRES C.-B.

                                                            c.

                                                            PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA et ALLIANCE DE LA FONCTION PUBLIQUE DU CANADA

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Vancouver (C.-B).

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 1er  octobre 2009

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              Le juge Barnes

 

DATE :                                               Le 15 octobre 2009

 

 

COMPARUTIONS :

 

Andrew Wood

604-684-6633

 

POUR LE DEMANDEUR

Robert Danay

604-775-7499

 

POUR LES DÉFENDEURS

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Harris & Company LLP

Barristers and Solicitors

Vancouver, (C.-B).

 

POUR LE DEMANDEUR

John H. Sims, c. r.

Sous-procureur général du Canada

POUR LES DÉFENDEURS

 

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