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Federal Court

Cour fédérale

 

Date : 20090923

Dossier : IMM-5099-08

Référence : 2009 CF 951

 

Ottawa (Ontario), le 23 septembre 2009

En présence de monsieur le juge suppléant Louis S. Tannenbaum

 

ENTRE :

NENAD KOTUR et ALENKA BARESIC

demandeurs

 

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

défendeur

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire visant la décision du 1er octobre 2008 par laquelle l’agent d’examen des risques avant renvoi Thierry Alfred N’kombe (l’agent) a rejeté la demande d’examen des risques avant renvoi (ERAR) des demandeurs.

 

L’HISTORIQUE

[2]               Les demandeurs, M. Kotur et Mme Baresic, sont des citoyens de la Croatie. Mme Baresic est arrivée au Canada en septembre 2003 et M. Kotur en mai 2004. Ils ont tous deux demandé l’asile pour crainte de persécution, en raison de l’origine ethnique de M. Kotur et de leur union de fait mixte, Mme Baresic étant pour sa part d’ethnicité croate. La Section de la protection des réfugiés (la SPR) a rejeté la demande d’asile, en février 2006, pour manque de crédibilité. La demande d’autorisation de présenter une demande de contrôle judiciaire a également été rejetée.

 

[3]               Les demandeurs ont aussi présenté, depuis le Canada, une de demande de résidence permanente fondée sur des considérations humanitaires, qui a été rejetée le même jour que leur demande d’ERAR. Il sera traité dans des motifs distincts de la contestation de cette décision.

 

[4]               Le 10 décembre 2008, les demandeurs ont sollicité et obtenu un sursis à l’exécution de la mesure de renvoi vers la Croatie, fixée à l’origine au 13 décembre 2008, dont ils faisaient l’objet, jusqu’à ce qu’il soit statué sur la demande d’autorisation et demande de contrôle judiciaire visant tant la demande d’ERAR que la demande pour considérations humanitaires.

 

L’ANALYSE

[5]               On peut considérer les agents d’ERAR comme étant des tribunaux administratifs spécialisés dont les décisions appellent une grande retenue, particulièrement celles qui ont trait à l’importance à accorder à la preuve qui leur est présentée. Pour ce motif, la norme de la raisonnabilité est la norme de contrôle judiciaire applicable à leurs décisions (Da Mota c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 386). L’appréciation du risque advenant le retour dans un pays donné donne lieu à un examen fortement tributaire des faits et les cours de justice doivent faire montre de déférence devant les décisions fondées sur des faits (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12, [2009] 1 R.C.S. 339). La Cour n’a pas pour rôle d’apprécier de nouveau la preuve, mais elle peut intervenir si la décision n’est pas étayée par la preuve présentée ou ne tient pas compte de facteurs pertinents (Kaybaki c. Canada (Solliciteur général), 2004 CF 32).

 

[6]               En l’espèce, l’objet de la procédure d’ERAR consiste en une évaluation fondée sur des faits ou des éléments de preuve nouveaux survenus depuis le rejet de la demande d’asile. L’alinéa 113a) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés , L.C. 2001, ch. 27, prévoit ce qui suit à cet égard :

113. Il est disposé de la demande comme il suit :

a) le demandeur d’asile débouté ne peut présenter que des éléments de preuve survenus depuis le rejet ou qui n’étaient alors pas normalement accessibles ou, s’ils l’étaient, qu’il n’était pas raisonnable, dans les circonstances, de s’attendre à ce qu’il les ait présentés au moment du rejet;

 

113. Consideration of an application for protection shall be as follows:

(a) an applicant whose claim to refugee protection has been rejected may present only new evidence that arose after the rejection or was not reasonably available, or that the applicant could not reasonably have been expected in the circumstances to have presented, at the time of the rejection;

 

 

[7]               Dans l’arrêt Raza c. Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2007 CAF 385, 370 N.R. 344, aux paragraphes 13 à 15, la juge Sharlow de la Cour d’appel fédérale a déclaré que, pour établir si un agent d’ERAR pouvait, aux termes de l’alinéa 113a) de la LIPR, admettre un élément de preuve présenté, on devait examiner s’il comportait comme caractéristiques la crédibilité, la pertinence, la nouveauté et le caractère substantiel, et prendre en compte également les conditions législatives explicites.

 

 

[8]               L’un des éléments à prendre en considération quant à la « nouveauté », selon la juge  Sharlow, consiste à se demander si le nouvel élément de preuve proposé est apte à réfuter une conclusion de fait tirée par la SPR. En l’espèce, l’agent a conclu, en faisant allusion à une lettre de la mère du demandeur, qu’on n’y faisait aucune mention [traduction] « de la persécution ni de l’agression physique prétendument subies par les demandeurs, non plus que de la vendetta à laquelle ils auraient été confrontés ». L’agent a accordé peu de poids à cette lettre. Il a cependant omis de faire état d’une lettre de la mère de la demanderesse, datée du 10 mars 2006, où non seulement il est question de la « vendetta » mais où la demanderesse est informée du fait qu’un membre de la famille a menacé de tuer le demandeur. La mère déclare expressément à la demanderesse, en outre, que sa famille n’acceptera jamais l’enfant des demandeurs, et que ceux-ci n’obtiendront aucun soutien. L’agent a omis de traiter de cet élément de preuve de quelque manière que ce soit, même s’il semble contredire les conclusions de la SPR. Il n’a pas dit s’il l’admettait à titre de nouvel élément de preuve ni, dans l’affirmative, pour quel motif il l’avait écarté.

 

[9]               Les demandeurs soutiennent que les rapports sur les conditions dans le pays sur lesquels l’agent s’est appuyé pour conclure qu’ils ne seraient pas exposés à un risque advenant leur retour en  Croatie renferment des passages qui réfutent ses conclusions, notamment la citation suivante tirée par l’agent des Réponses aux demandes d’information :

[…] Selon la Fédération internationale Helsinki (IHF), la situation générale concernant les droits de la personne s’est améliorée en Croatie, [traduction] « [c]ependant, la situation des minorités serbe et rom est restée déplorable. Même si le gouvernement avait des intentions louables, il n’a pas pris suffisamment de mesures concrètes pour empêcher la discrimination contre les Serbes » (27 juin 2005, 9). Toujours selon l’IHF, la population éprouve [traduction] « une animosité et un ressentiment profonds » envers les Serbes d’origine (IHF 27 juin 2005, 9). D’après une source, le ministère de l’Intérieur a révélé que 50 attaques contre des Serbes étalent survenues en Croatie en 2005 (Courrier des Balkans 17 janv. 2006). La même source ajoute que le président du Comité Helsinki croate (CHC) a laissé entendre, au sujet de l’augmentation du nombre de ces attaques par rapport aux années précédentes, que la situation des droits de la personne en Croatie s’était dégradée (ibid.).

[Non souligné dans l’original.]

 

[10]           Le State Report on Croatia – 2007, du Département d’État américain renferme des passages semblables, notamment le suivant :

[traduction]

Bien que toutes les minorités jouissent d’une protection constitutionnelle contre la discrimination, les Serbes d’origine et les Roms continuent d’être ouvertement victimes de discrimination et de faire l’objet de harcèlement. [Non souligné dans l’original.]

 

 

[11]           Les commentaires suivants formulés par le juge Evans dans la décision Cepeda-Gutierrez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1998), 157 F.T.R. 35 (paragraphe 17) sont instructifs quant à la question qui nous occupe :

Toutefois, plus la preuve qui n’a pas été mentionnée expressément ni analysée dans les motifs de l’organisme est importante, et plus une cour de justice sera disposée à inférer de ce silence que l’organisme a tiré une conclusion de fait erronée « sans tenir compte des éléments dont il [disposait] » : Bains c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1993), 63 F.T.R. 312 (C.F. 1re inst.). Autrement dit, l’obligation de fournir une explication augmente en fonction de la pertinence de la preuve en question au regard des faits contestés. Ainsi, une déclaration générale affirmant que l’organisme a examiné l’ensemble de la preuve ne suffit pas lorsque les éléments de preuve dont elle n’a pas discuté dans ses motifs semblent carrément contredire sa conclusion. Qui plus est, quand l’organisme fait référence de façon assez détaillée à des éléments de preuve appuyant sa conclusion, mais qu’elle passe sous silence des éléments de preuve qui tendent à prouver le contraire, il peut être plus facile d’inférer que l’organisme n’a pas examiné la preuve contradictoire pour en arriver à sa conclusion de fait.

[Non souligné dans l’original.]

 

 

[12]           Les renseignements contenus dans la preuve documentaire objective sur laquelle s’appuie un agent ne sont pas réservés à son usage exclusif. Il incombe à l’agent de prendre expressément en compte les éléments divergents en jeu avant de rendre sa décision. Si l’agent ne le fait pas, il est possible d’inférer qu’il n’a pas examiné la preuve documentaire contradictoire pour en arriver à une décision défavorable.

 

CONCLUSION

[13]           La décision de l’agent faisait abstraction d’éléments de preuve, et celui-ci n’a pas déclaré pourquoi des éléments contradictoires avaient été écartés. J’infère de ces omissions que l’agent a tiré une conclusion de fait erronée sans tenir compte des éléments de preuve dont il disposait. Cette erreur est suffisamment grave pour vicier l’ensemble de la décision contestée et pour justifier l’intervention de la Cour.

 

[14]           Ni l’une ni l’autre partie n’a proposé une question en vue de sa certification.

 

 

 


 

JUGEMENT

 

LA COUR ORDONNE :

  1. Pour tous les motifs énoncés précédemment, la présente demande de contrôle judiciaire est accueillie, la décision de l’agent d’ERAR est annulée et l’affaire est renvoyée à un autre agent d’examen des risques avant renvoi pour qu’il statue à nouveau sur l’affaire.
  2. Il n’y a aucune question de portée générale à certifier.

 

 

 

« Louis S. Tannenbaum »

Juge suppléant

 

Traduction certifiée conforme

Claude Leclerc, LL.B.

 

 


JURISPRUDENCE CONSULTÉE PAR LA COUR

 

1.                  Canada c. Ward, [1993] 2 RCS 689

2.                  Salibian c. M.E.I., [1990] 3 C.F. 250 (C.A.)

3.                  Mandelat c. M.E.I. (C.A.F. nos A-537-89 et A-538-89)

4.                  Retnem c. M.E.I. (1991), 13 Imm. L.R. (2d) 317 (C.A.F.)

5.                  Iossifov c. M.E.I. (A-854-92)

6.                  Kadhm c. M.C.I. (C.F. 1re inst., IMM-652-97)

7.                  N.K. c. Canada, [1995] A.C.F. n° 889

8.                  Cepeda-Gutierrez c. MCI, [1998] A.C.F. n° 1425

9.                  C.D. c. M.C.I. [2008] A.C.F. n° 631

10.              Pillai c. M.C.I., 2008 CF 1312

11.              Osorio c. M.C.I., 2005 CF 1459

 


 

COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-5099-08

 

INTITULÉ :                                       NEDAD KOTUR et ALENKA BARESIC c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 24 juin 2009

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE SUPPLÉANT TANNENBAUM

 

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT :                       Le 23 septembre 2009

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Daniel Kingwell

 

POUR LES DEMANDEURS

Alison Engel-Yan

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Mamman, Sandaluk

Avocats

 

POUR LES DEMANDEURS

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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