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Date : 20090924

Dossier : IMM-2841-08

Référence : 2009 CF 958

Ottawa (Ontario), le 24 septembre 2009

En présence de monsieur le juge Mainville

 

 

ENTRE :

SINGH, HARDIAL

demandeur

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

Le contexte

 

[1]               Le demandeur est sikh et citoyen de l’Inde. En 1998, il a quitté son pays pour la première fois, à destination des Émirats arabes unis (EAU), après avoir obtenu un permis de travail. Il dit n’être jamais retourné en Inde, par peur, avant le mois de mai 2005, quand il a fait le voyage vers son pays d’origine pour voir son père malade et mourant.

 

[2]               Il a ensuite quitté l’Inde pour les EAU en octobre 2005. De là, il est arrivé au Canada le 1er décembre 2005 muni d’un visa de visiteur temporaire en vue d’assister à un salon professionnel tenu à Toronto. Il a demandé l’asile quelques mois plus tard, en avril 2006.

 

[3]               Après une série d’audiences sur l’affaire, un tribunal de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié a rejeté la demande dans une décision datée du 30 mai 2008.

 

[4]               Le demandeur a demandé l’autorisation de soumettre cette décision à un contrôle judiciaire devant la Cour fédérale, et le juge Edmond Blanchard y a fait droit le 16 octobre 2008.

 

[5]               Le contrôle judiciaire a été entendu par le juge Lemieux le 14 janvier 2009, mais cette audition a été interrompue après la présentation des arguments du demandeur, lesquels soulevaient des questions tout à fait nouvelles qui n’avaient pas été évoquées plus tôt. Le juge Lemieux a permis à l’avocate du ministre de présenter des arguments juridiques et factuels supplémentaires en vue de répondre à ces nouvelles questions, et ces arguments supplémentaires ont finalement été déposés auprès de la Cour.

 

[6]               J’ai entendu les parties sur le contrôle judiciaire dans le cadre d’une audience de novo, tenue à Montréal le 16 septembre 2009 et, à cette occasion, l’avocate du demandeur a informé la Cour du retrait des nouvelles questions qui avaient été soulevées devant le juge Lemieux. De ce fait, l’avocate du ministre a elle aussi retiré ses arguments supplémentaires connexes.

 

La décision faisant l’objet du contrôle

[7]               Le tribunal de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié a rejeté la demande au motif que le demandeur n’était pas digne de foi (pages 2 et 10 de la décision : « La crédibilité était la question déterminante à trancher dans cette demande d’asile. »; « Compte tenu de ce qui précède, le demandeur d’asile n’a pas été jugé crédible. »).

 

[8]               Le demandeur a déclaré qu’en Inde la police l’avait arrêté et torturé en 1997, car on le soupçonnait d’aider des militants sikhs. Il a affirmé que la police l’avait relâché après le paiement de pots-de-vin et qu’il avait ensuite pris la fuite vers les EAU en janvier 1998 pour éviter d’être persécuté. Il n’était pas retourné en Inde, par peur, avant 2005, quand il était allé voir son père malade et mourant. Il n’a fourni aucune preuve concernant ces faits, à part son témoignage ainsi que deux phrases tirées d’une déclaration d’un sarpanch, faite par voie d’affidavit, et dont il est question plus en détail ci-après.

 

[9]               Une copie de son passeport antérieur aurait pu établir qu’il était vrai que le demandeur n’était jamais retourné en Inde entre 1998 et 2005, ce qui aurait conféré une certaine preuve objective quant à sa peur de retourner dans ce pays. Quand on a demandé le passeport, le demandeur a répondu qu’il avait disparu, apparemment volé. Le demandeur a déclaré qu’il était en mesure de fournir une photocopie de ce passeport, mais on a déterminé plus tard que cette photocopie était illisible.

 

[10]           Le demandeur a déclaré qu’après son retour en Inde le 3 mai 2005, la police a fait irruption chez lui, l’a arrêté, l’a interrogé et l’a torturé, alléguant qu’il avait suivi un entraînement au Pakistan et qu’il se trouvait en Inde pour troubler les célébrations du 15 août, jour de l’Indépendance. Même confronté à des allégations aussi sérieuses, le demandeur n’a fourni à la police aucune preuve qu’il se trouvait aux EAU durant ce temps, et non au Pakistan.

 

[11]           Là encore, le demandeur semble avoir échappé à la police, même si l’on formulait contre lui des allégations aussi sérieuses. En fait, il est resté en Inde jusqu’en octobre 2005, soit bien plus de trois mois après le décès de son père, survenu le 12 juin 2005. Le tribunal a conclu qu’un tel retard à quitter le pays allait tout à fait à l’encontre du récit du demandeur. S’il était vrai que sa vie ou sa sécurité personnelle était en péril, que l’on soupçonnait qu’il avait suivi un entraînement au Pakistan et se trouvait en Inde pour y causer des troubles et qu’il avait été l’objet d’une arrestation et d’actes de torture ainsi que de menaces de mort, le tribunal s’est demandé pourquoi le demandeur n’était pas parti plus tôt, dès la première occasion venue. Le demandeur a répondu qu’il devait prendre soin des affaires de la famille à la suite du décès de son père. Le tribunal a jugé que cette réponse n’était pas digne de foi.

 

[12]           Le demandeur n’avait pas mentionné dans son Formulaire de renseignements personnels (FRP) initial que sa famille avait été victime de déplacement ou de harcèlement depuis qu’il avait quitté l’Inde en octobre 2005. Il a par la suite modifié cette prétention avant l’audience pour ajouter que la police avait harcelé des membres de sa famille au point d’exiger qu’ils soient déplacés de leur village. Le tribunal a conclu que le demandeur n’avait pu fournir aucun détail ni aucune date concernant ces actes de harcèlement allégués, et que, hormis son propre témoignage, il n’avait offert aucune confirmation indépendante.

 

[13]           Par ailleurs, le demandeur a déclaré qu’il n’avait eu aucune difficulté à quitter l’Inde en octobre 2005, même s’il avait été soumis aux inspections de sécurité habituelles à l’aéroport. Le tribunal a conclu que ce fait minait sérieusement la crédibilité du demandeur, car celui-ci avait déclaré qu’il avait été arrêté à trois reprises au moins avant son départ, qu’on avait pris ses empreintes digitales et sa photographie et qu’on lui avait dit de ne pas quitter le pays.

 

[14]           Après avoir examiné plus en détail le témoignage du demandeur et relevé de nombreuses autres incohérences et déclarations invraisemblables, le tribunal a fait des commentaires sur la preuve de tiers que le demandeur avait fournie au soutien de sa demande.

 

[15]           Le demandeur avait fourni à l’appui de sa demande l’affidavit d’un sarpanch. Le tribunal a conclu que cet affidavit manquait de détails. En outre, a-t-il fait remarquer, l’affidavit portait les mentions [traduction« Document non judiciaire Inde » et [traduction« Valide à l’extérieur de l’Inde » et il a donc conclu qu’à son avis ce document n’avait aucune valeur juridique sur le territoire indien et qu’il ne pouvait donc pas en avoir non plus au Canada. En conclusion, le tribunal a jugé que la preuve par affidavit n’était « pas crédible » (page 9 de la décision).

 

[16]           Par ailleurs, le demandeur a produit un rapport médical à l’appui des arrestations dont il disait avoir été victime le 5 mai et le 10 septembre 2005. Le tribunal a relevé des incohérences entre les déclarations du demandeur sur la nature de ses problèmes de santé et les traitements reçus, tels que mentionnés dans le rapport. En conséquence, le tribunal a conclu que le « témoignage [du demandeur] ne corrobore nullement le rapport […] » (page 10 de la décision), ce qui minait davantage sa crédibilité.

 

Les questions en litige

[17]           À l’audition du contrôle judiciaire, l’avocate du demandeur a soulevé trois questions :

a)      le tribunal n’a pas évalué convenablement la crédibilité du demandeur et, de ce fait, il a commis une erreur dans sa décision;

 

b)      le tribunal a commis une erreur en faisant abstraction de l’affidavit du sarpanch présenté à l’appui de la demande;

 

c)      le tribunal a commis une erreur en faisant abstraction des rapports médicaux, car il n’a aucune expertise en médecine et aurait donc dû prendre ces rapports au pied de la lettre.

 

[18]           La Cour signale qu’en ce qui concerne les rapports médicaux, le tribunal n’a pas fait abstraction de ces documents. Il a plutôt accordé à ces derniers une faible valeur probante à cause des différences entre, d’une part, les déclarations faites par le demandeur sur la nature de ses problèmes de santé et des traitements reçus et, d’autre part, ces rapports médicaux. En conséquence, la troisième question que soulève le demandeur n’est rien de plus qu’une simple variante de la première, qui a trait à l’évaluation de la crédibilité du demandeur lui-même.

 

[19]           Quant à l’affidavit du sarpanch, même si le tribunal a déclaré dans sa décision que ce document n’avait force de loi ni en Inde ni au Canada (et il s’agit là d’un point sur lequel je n’exprime aucune opinion), la décision du tribunal de faire abstraction de cet élément de preuve reposait fondamentalement sur le manque de détails précis dans l’affidavit lui-même.

 

[20]           En conséquence, je suis d’avis que la seule question en litige dans le présent contrôle judiciaire a trait à l’évaluation de la crédibilité des éléments de preuve que le demandeur a présentés et a surtout trait à l’évaluation de la crédibilité du demandeur.

 

Analyse

 

[21]           Il est bien établi en droit qu’au stade du contrôle judiciaire il ne convient pas de modifier les conclusions de fait que tirent les tribunaux administratifs, à moins de circonstances exceptionnelles. La Cour ne doit pas réviser les faits ou soupeser les éléments de preuve (voir, notamment, l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, [2008] 1 R.C.S. 190, aux paragraphes 51 et 53 : « [e]n présence d’une question touchant aux faits, au pouvoir discrétionnaire ou à la politique, la retenue s’impose habituellement d’emblée »; Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Khosa, [2009] 1 R.C.S. 339, au paragraphe 46 : « [d]e façon plus générale, il ressort clairement de l’al. 18.1(4)d) que le législateur voulait qu’une conclusion de fait tirée par un organisme administratif appelle un degré élevé de déférence ».

 

[22]           Il est de jurisprudence constante que cette norme de contrôle s’applique aux décisions rendues par la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugiés et portant sur des conclusions de fait ou de crédibilité tirées tire dans le contexte d’une demande d’asile : Aguebor c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), 160 N.R. 315, [1993] A.C.F. no 732 (C.A.F.), paragraphe 4; M.S.M. c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), 2005 CF 147, [2005] A.C.F. no 165, paragraphe 14 (juge Lemieux).

 

[23]           Après avoir examiné avec soin la décision du tribunal, les notes sténographiques de l’audience et les documents formant le dossier soumis à la Section de la protection des réfugiés, je conclus que la décision du tribunal s’inscrit dans les « issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, précité, paragraphe 47; Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Khosa, précité, paragraphe 59).

 

[24]           En fait, le tribunal a pris grand soin d’étudier le témoignage du demandeur et les éléments de preuve que ce dernier a présentés. Le tribunal a exprimé de manière claire et cohérente les motifs pour lesquels il a conclu que le demandeur n’était pas digne de foi et pour lesquels la demande ne pouvait pas être accueillie. Il n’appartient pas à la Cour d’intervenir dans de telles circonstances, car la décision du tribunal se situe manifestement dans les issues possibles acceptables et peut se justifier au regard des faits et du droit.

 

Conclusion

[25]           En conséquence, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 

Certification

[26]           Aucune question à certifier n’a été proposée, et aucune n’est justifiée en l’espèce.


 

JUGEMENT

 

LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit rejetée.

 

 

« Robert M. Mainville »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Jean-François Martin, LL.B., M.A.Trad.jur.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-2841-08

 

 

INTITULÉ :                                       SINGH, HARDIAL c. MCI

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 MONTRÉAL (Québec)

 

 

DATE DE L’AUDIENCE :               LE 16 SEPTEMBRE 2009

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE MAINVILLE

 

 

DATE DES MOTIFS :                      LE 24 SEPTEMBRE 2009

 

 

COMPARUTIONS :

 

Odette Desjardins

 

POUR LE DEMANDEUR

Patricia Nobl

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

ODETTE DESJARDINS

Avocate

Montréal (Québec)

 

POUR LE DEMANDEUR

JOHN H.SIMS, c.r.

Sous-procureur général du Canada

POUR LE DÉFENDEUR

 

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