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Date : 20090924

Dossier : IMM-969-09

Référence : 2009 CF 962

Ottawa (Ontario), le 24 septembre  2009

En présence de monsieur le juge Mainville

 

 

ENTRE :

SEVERO RICARDO SOTO GALICIA

demandeur

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

 

Le contexte

[1]               Le demandeur est citoyen du Mexique. Il est arrivé au Canada le 17 septembre 2007 et, peu après, a présenté une demande en qualité de personne à protéger, aux termes des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (la Loi). Le fondement principal de sa demande est qu’il craint pour sa vie parce qu’il est au courant des activités relatives au trafic d’armes que mènent son ancien employeur et un haut responsable corrompu de la police au Mexique.

 

[2]               Cette demande a été entendue le 2 février 2009 devant un tribunal de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (le tribunal). La demande a été rejetée dans une décision du tribunal datée du 6 février 2009 (la décision).

 

[3]               Le demandeur a présenté à la Cour une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire de la décision, et l’autorisation a été accordée par le juge Mandamin le 24 juin 2009.

 

[4]               J’ai entendu le présent contrôle judiciaire à Toronto, le 22 septembre 2009.

 

La décision faisant l’objet du présent contrôle

[5]               Dans sa décision, le tribunal passe en revue les prétentions du demandeur : ce dernier travaillait comme directeur des ventes dans une entreprise située à Mexico et il a fini par se rendre compte, en juin 2007, que cette entreprise se livrait à du trafic d’armes. Le demandeur a transmis l’information à la police, mais il a constaté plus tard que l’un des officiers supérieurs auquel il s’était plaint était impliqué dans cette opération avec son employeur. Il soutient également qu’il a été enlevé et menacé le 15 août 2007, et qu’il a porté plainte à la police quant à cet incident.

 

[6]               Le demandeur prétend également que son employeur l’a menacé lui aussi de représailles s’il ne gardait pas le silence. Il soutient de plus avoir déposé une autre plainte à la police à ce sujet. Il a décidé peu après de quitter son employeur et de fuir à Chihuahua pour y vivre chez l’un de ses amis. Durant son séjour à Chihuahua, il dit avoir été agressé par deux hommes qui étaient au service de son ancien employeur et de l’officier supérieur de la police qui était impliqué dans le trafic d’armes. Ces individus l’ont sévèrement battu et il a fallu l’hospitaliser pendant quatre jours. Il a ensuite décidé de prendre la fuite pour le Canada.

 

[7]               Le tribunal a conclu que le demandeur ne craignait pas avec raison d’être persécuté. Il a ajouté que le demandeur n’avait pas été agressé à Chihuahua par des hommes au service de son ancien employeur, mais par de simples criminels. Le tribunal a jugé que l’ancien employeur n’avait aucun intérêt à relancer le demandeur, et il n’a donc pas conclu que ce dernier craignait avec raison d’être persécuté par son ancien employeur et son complice, membre de la police.

 

[8]               Après un long examen de la situation de la protection de l’État au Mexique, le tribunal a également conclu que, pour les personnes comme le demandeur, il existe au Mexique une protection de l’État adéquate.

 

[9]               Enfin, le tribunal a conclu que le demandeur bénéficiait d’une possibilité de refuge intérieur au  Mexique, plus précisément à Chihuahua. Cette conclusion découlait de la conclusion du tribunal quant à la crédibilité du demandeur. En fait, le tribunal n’a pas ajouté foi au témoignage du demandeur, à savoir que les individus qui s’en étaient pris à lui à Chihuahua agissaient pour le compte de son ancien employeur.

 

[10]           Le tribunal a donc conclu que le demandeur n’avait ni la qualité de réfugié ni celle de personne à protéger au sens de la Loi.

 

La position du demandeur

[11]           Le demandeur a reconnu que la décision du tribunal est fondée en grande partie sur des questions de crédibilité; il a néanmoins souligné que le tribunal a tiré des conclusions de fait qui contredisent les éléments de preuve présentés.

 

[12]           En particulier, le tribunal a conclu que le demandeur n’avait pas produit un rapport médical concernant son hospitalisation à Chihuahua et il a fait référence au témoignage du demandeur sur les tentatives faites par lui pour obtenir ce rapport par l’entremise de sa mère. En fait, une preuve médicale abondante a été présentée au tribunal sur l’hospitalisation du demandeur, et aucune mention de la mère du demandeur en rapport avec cette question ne figure dans le dossier.

 

[13]           Par ailleurs, l’avocat du demandeur a contesté la conclusion du tribunal sur l’existence de la protection de l’État. L’avocat a souligné que divers rapports arrivaient à des conclusions différentes à cet égard, et que le tribunal ne s’est fié qu’à ceux qui concluaient qu’une protection de l’État était disponible et qu’il a donc fait abstraction des autres rapports contradictoires. Le tribunal n’a pas expliqué pourquoi il a retenu certains rapports et ignoré d’autres.

 

[14]           En outre, l’avocat du demandeur a fait remarquer que le tribunal, dans sa décision, s’est fondé dans une large mesure sur l’existence de la procédure de traitement des plaintes devant la Commission mexicaine des droits de la personne. Cependant, d’après la documentation sur laquelle le tribunal s’est fondé, cette procédure n’était pas accessible en rapport avec les membres du Service judiciaire fédéral auquel appartenait l’un des persécuteurs du demandeur.

 

La position du défendeur

[15]           Le défendeur a reconnu que le tribunal a commis une erreur au sujet de la preuve médicale, qui faisait clairement partie du dossier qu’il avait en main.

 

[16]           Cependant, l’avocate du défendeur a exprimé l’avis que la décision du tribunal ne repose pas exclusivement sur des questions de crédibilité ou de preuves liées à l’exposé circonstancié du demandeur, mais qu’elle s’étend aussi aux conclusions relatives à l’existence d’une protection de l’État et d’une possibilité de refuge intérieur pour le demandeur. En conséquence, même si la Cour conclut que l’évaluation du tribunal au sujet de la preuve et de la crédibilité du demandeur est lacunaire, cela n’a pas d’incidence sur la conclusion du tribunal concernant l’existence de la protection de l’État et une possibilité de refuge intérieur.

 

[17]           Pour ce qui est de la question de la protection de l’État, l’avocate du défendeur a fait remarquer que le demandeur n’a déposé qu’une ou deux plaintes officielles auprès de la police au sujet du harcèlement dont il était victime de la part de son employeur et de son complice au sein de la police. D’autres rapports de police établis par le demandeur n’étaient pas liés à cette affaire, ou alors ce dernier n’y a pas donné suite. En outre, le demandeur a reconnu dans son témoignage devant le tribunal que ce ne sont pas tous les agents de police du Mexique qui sont corrompus et, de ce fait, il aurait pu solliciter l’aide de divers organismes mexicains au lieu de fuir au Canada.

 

[18]           Par ailleurs, le tribunal a reconnu qu’il existe des problèmes de corruption policière au Mexique, mais il a aussi conclu que les autorités mexicaines s’en occupent. Il n’était pas nécessaire dans ce contexte que le tribunal passe en revue tous les rapports relatifs au Mexique et qu’il explique pourquoi il se fondait sur un rapport plutôt que sur un autre, ainsi que l’a laissé entendre l’avocat du demandeur. Le tribunal a pris acte des problèmes et a tiré une conclusion sur l’affaire en se fondant sur son évaluation de la preuve. Il n’existe donc pas d’erreur susceptible de contrôle.

 

L’analyse

[19]           Je conclus que le tribunal a commis dans sa décision des erreurs déterminantes. Il n’est pas question ici d’une affaire dans laquelle le poids accordé à la preuve est en jeu. Il ne s’agit pas non plus d’une affaire dans laquelle des éléments de preuve ont été pris en considération mais n’ont pas été mentionnés dans les motifs de décision. Il est plutôt question d’une affaire dans laquelle le tribunal n’a tout simplement pas étudié avec soin le dossier et a donc tiré des conclusions de fait arbitraires et fantaisistes. Ces conclusions de fait arbitraires sont de nature à jeter le discrédit sur l’évaluation tout entière que le tribunal a faite de la preuve ainsi que de la crédibilité du demandeur. De plus, comme il est mentionné ci-après, ces conclusions arbitraires se répercutent également sur les conclusions du tribunal au sujet de la possibilité de refuge intérieur.

 

[20]           Au début de sa décision, le tribunal émet des doutes sur l’exposé circonstancié du demandeur, parce que ce dernier n’a pas fourni de preuves médicales sur les blessures qu’il a subies à la suite de l’agression survenue à Chihuahua :

À l’audience, le demandeur d’asile n’a pas fourni de rapport médical prouvant qu’il a été battu et hospitalisé à Chihuahua. Il a indiqué que sa mère lui avait envoyé le rapport, mais qu’il s’était perdu dans le courrier. Le demandeur d’asile a eu amplement de temps, après avoir déposé son formulaire de renseignements personnels (FRP), pour obtenir une copie du rapport médical qui se serait supposément perdu dans le courrier. Sa mère aurait été en mesure de lui en envoyer une copie puisqu’elle a pu obtenir le rapport initialement. Rien dans la preuve n’indique que sa mère a tenté d’obtenir un autre rapport de l’hôpital auquel il aurait été admis. Il aurait pu à tout le moins demander à sa mère de fournir un affidavit pour établir qu’elle avait envoyé le rapport d’hôpital qui s’est perdu dans le courrier. Il incombe à l’appelant de prouver son allégation. (décision, pages 2 et 3)

 

[21]           Tout cet énoncé est parfaitement absurde. Non seulement un rapport médical très détaillé du Dr Ramon Gonzalez Arellano a-t-il été soumis au tribunal avec une traduction anglaise certifiée (dossier du tribunal, pages 252 à 256), mais il y a eu aussi des ordonnances de médicaments (dossier du tribunal, pages 267 et 268), des résultats d’analyses sanguines (dossier du tribunal, pages 269 et 270) et des résultats d’analyses d’urine (dossier du tribunal, pages 271 et 272).

 

[22]           Par ailleurs, rien n’est dit dans le dossier sur le fait que la mère du demandeur a tenté d’obtenir des rapports médicaux ou que des documents ont été perdus dans le courrier. Au contraire, la transcription de l’audience révèle que le demandeur a déclaré que sa mère vivait à Mexico et qu’elle était âgée et un peu sénile (dossier du tribunal, pages 334, 346 et 347).

 

[23]           Cela entache clairement la décision. On ne peut s’empêcher d’inférer que le tribunal a entrepris de discréditer le témoignage tout entier du demandeur à partir de ces conclusions fantaisistes.

 

[24]           De plus, étant donné que la décision du tribunal au sujet d’une possibilité de refuge intérieur est entièrement subordonnée à sa conclusion selon laquelle le demandeur n’était pas digne de foi lorsqu’il a allégué que son ancien employeur le poursuivait, et que cette conclusion au sujet de la crédibilité a elle-même été tirée en tenant compte d’une analyse fantaisiste et sérieusement viciée, je ne puis admettre que la conclusion à cet égard est raisonnable.

 

[25]           Je reconnais que les conclusions du tribunal en matière de crédibilité n’ont pas forcément une incidence sur l’analyse que fait ce dernier de l’existence de la protection de l’État, mais elles teintent certainement cette analyse. Cela est particulièrement vrai à la lumière de la prétention du demandeur selon laquelle l’un des agents de persécution était un officier du Service judiciaire fédéral. Le tribunal a pris grand soin de traiter d’une plainte possible du demandeur auprès de la Commission des droits de la personne du Mexique mais, comme l’avocat du demandeur l’a souligné avec justesse, la documentation figurant dans le dossier semble indiquer que le Service judiciaire fédéral échappe à la compétence de cet organisme. Je ne crois donc pas que l’on puisse maintenir la décision en se fondant uniquement sur la conclusion relative à l’existence de la protection de l’État, comme l’avocate du ministre m’a invité à le faire.

 

[26]           Les décisions relatives aux demandes liées à des réfugiés et à des personnes à protéger concernent à proprement parler des questions de persécution, de danger de torture, de risques pour la vie ou de risques de traitements ou de peines cruels et inusités. Ces questions fort graves doivent être tranchées d’une manière juste et équitable, sur la foi des éléments de preuve présentés. De graves erreurs, de la nature de celles qui sont relevées en l’espèce, sont tout simplement inacceptables. Face à une décision aussi lacunaire, la Cour n’a d’autre choix que de l’annuler : Peng c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (C.A.F.), [1993] A.C.F. no 119, 19 Imm. L.R.(2d) 220; Kithome c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (C.A.F.), [1995] A.C.F. no 122, 52 A.C.W.S. (3d) 1337; Saleem c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1996] A.C.F. no 1383, 66 A.C.W.S. (3d) 944.

 

Conclusion

[27]           Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire est accueillie.

 

Certification

[28]           Aucune question à certifier n’a été proposée, et aucune certification n’est justifiée en l’espèce.


 

JUGEMENT

 

 

LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit accueillie et l’affaire renvoyée à un autre tribunal de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié en vue d’une nouvelle audition et d’une nouvelle décision.

 

 

 

« Robert M. Mainville »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Claude Leclerc, LL.B.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-969-09

 

 

INTITULÉ :                                       SEVERO RICARDO SOTO GALICIA c.

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE

                                                            L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Toronto (Ontario)

 

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 22 septembre 2009

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE MAINVILLE

 

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 24 septembre 2009

 

 

COMPARUTIONS :

 

Hamza Kisaka

 

POUR LE DEMANDEUR

Leanne Briscoe

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Hamzan. H. Kisaka

Avocat

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

John H.Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

POUR LE DÉFENDEUR

 

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