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Cour fédérale

 

Federal Court

 

Date : 20090914

Dossier : IMM-5096-08

Référence : 2009 CF 906

Ottawa (Ontario), le 14 septembre 2009

En présence de monsieur le juge Louis S. Tannenbaum

 

ENTRE :

JOY ITOHAN OKPIAIFO

demanderesse

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
et LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

défendeurs

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire concernant la décision que l’agent d’examen des risques avant renvoi (ERAR) A. Mazzotti a rendue le 15 septembre 2008.

 

Le contexte

[2]               La demanderesse, âgée de trente-cinq ans, est citoyenne du Nigeria. En mars 2003, elle a contracté un mariage arrangé. Après qu’elle est devenue enceinte, les parents de son époux ont demandé qu’elle subisse une excision avant d’accoucher. La demanderesse avait entendu parler des risques graves que l’on associe à cette intervention, qui porte également le nom de « mutilation génitale féminine » (MGF), et elle a refusé. Son époux était d’accord avec sa décision, et ses parents à elle ont tenté de faire appel auprès des aînés de la collectivité, mais sans succès.

 

[3]               Le stress de cette situation a commencé à se faire sentir chez la demanderesse, qui dit avoir commencé à souffrir de certaines complications liées à sa grossesse. Elle a fui le Nigeria pour les États-Unis, où elle est arrivée le 9 juillet 2004. Elle est entrée au Canada le 27 août 2004, et a donné naissance à sa fille le 10 septembre suivant.

 

[4]               La demanderesse a présenté une demande d’asile, qui a été rejetée le 8 septembre 2005 pour manque de crédibilité et pour omission d’avoir présenté une demande d’asile ailleurs avant d’être entrée au Canada. L’autorisation de soumettre cette décision à un contrôle judiciaire a été refusée le 27 mars 2006.

 

[5]               Le 21 décembre 2005, la demanderesse a donné naissance à son second enfant, issu d’un père différent. Elle déclare que, par la suite, son époux et elle ont divorcé et que ce dernier exige maintenant que leur fille soit renvoyée au Nigeria pour y subir une MGF. Elle a fourni à l’appui de cette déclaration une lettre de son ex-époux, datée du 29 novembre 2005. Elle a également produit une lettre de son père, datée du 17 juillet 2006, qui indique que celui-ci est menacé et harcelé par l’époux de la demanderesse et sa famille.

 

[6]               La demande d’ERAR de la demanderesse était fondée sur son appartenance à un groupe social, soit celui des femmes risquant de subir une MGF au Nigeria.

 

[7]               L’agent a conclu que de grands efforts sont faits pour lutter contre la MGF au Nigeria, que la demanderesse pouvait déménager dans un secteur plus diversifié sur le plan ethnique, comme Lagos, Edo ou Osun, où la pratique est interdite, et que, en fin de compte, elle bénéficierait de la protection de l’État si elle rentrait au pays.

 

Les questions en litige

[8]               Les questions en litige sont les suivantes :

1.         L’agent a-t-il commis une erreur à l’égard de ses conclusions concernant le caractère suffisant de la protection de l’État?

2.         L’agent a-t-il commis une erreur en ne tenant pas convenablement compte de la preuve de risque que la demanderesse a présentée?

 

La norme de contrôle applicable

[9]               Dans la décision Rosales c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 257, le juge Gibson a signalé que, dans le cadre d’une analyse visant la protection de l’État, les décisions portant sur des questions de fait sont assujetties à la norme de la décision manifestement déraisonnable. Les deux normes de contrôle déférentes ont depuis été fusionnées en une seule, celle de la décision raisonnable : Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, [2008] 1 R.C.S. 190, au paragraphe 45. Il s’ensuit, selon moi, qu’une conclusion relative au caractère suffisant de la protection de l’État et à l’existence d’une possibilité de refuge intérieur (PRI) devrait être assujettie à la norme de la décision raisonnable.

 

[10]           Le fait de savoir si l’agent a omis de prendre en considération les éléments de preuve qui lui étaient soumis est une question de fait, et cette dernière est donc, elle aussi, assujettie à la norme de la décision raisonnable : Kim c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration et al.) (2005), 272 F.T.R. 62, au paragraphe 20 (C.F.).

 

Le droit applicable et les arguments invoqués

1. L’agent a-t-il commis une erreur à l’égard de ses conclusions concernant le caractère suffisant de la protection de l’État?

[11]           La demanderesse soutient que les éléments de preuve soumis à l’agent contredisent directement la conclusion que ce dernier a tirée à propos du caractère suffisant de la protection de l’État. Elle ajoute que les éléments de preuve révèlent qu’en dépit de l’opposition des autorités à la pratique de la MGF, la police fédérale refuse de s’en mêler car elle considère que cette pratique est une affaire de famille.

 

[12]           Le défendeur soutient que l’État est présumé être capable de protéger ses citoyens, à défaut d’une preuve claire et convaincante du contraire. Le fardeau incombe à la partie demanderesse à cet égard : Canada (Procureur général) c. Ward, [1993] 2 R.C.S. 689. Le défendeur soutient que la demanderesse n’a pas réfuté cette présomption. En outre, lorsqu’il existe des éléments de preuve, comme c’est le cas en l’espèce, qui permettraient à un agent de conclure raisonnablement que la protection de l’État serait disponible, la Cour ne devrait pas modifier une décision en ce sens : Jahan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] A.C.F. no 987 (C.F. 1re inst.).

 

[13]           Le simple fait qu’une partie demanderesse puisse faire ressortir des éléments de preuve qui étayent son argument ne veut pas dire qu’un agent a commis une erreur en tirant une conclusion contraire à ces éléments de preuve. Il arrive souvent que la preuve documentaire soumise à un agent soit contradictoire. Il incombe donc à ce dernier de soupeser ces éléments de preuve et d’arriver à une conclusion raisonnable en se fondant sur la totalité des renseignements qu’il a en main.

 

[14]           Il convient d’accorder à un agent une retenue considérable à ce chapitre et il n’y a pas lieu de changer sa décision si elle appartient aux issues possibles et acceptables qui peuvent se justifier au regard des faits et du droit : Selliah c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 872, au paragraphe 16; Dunsmuir, au paragraphe 47.

 

[15]           Par ailleurs, bien que la demanderesse soutienne que l’agent a omis de donner un exemple de situation dans laquelle la loi relative à la MGF a été appliquée au Nigeria, je signale qu’il incombe à la demanderesse de réfuter la présomption de protection de l’État, et non pas à l’agent d’en établir l’existence : Flores Carrillo c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2008] 4 R.C.F. 636, aux paragraphes 18, 19 et 38 (C.A.F.)

 

[16]           L’agent a étayé sa conclusion quant au caractère suffisant de la protection de l’État en faisant référence aux éléments de preuve qu’il avait en main, y compris ceux révélant que la demanderesse avait une PRI au Nigeria. Je conclus que sa décision est raisonnablement étayée par la preuve et, cela étant, il n’y a pas lieu selon moi d’intervenir pour ce motif.

 

2. L’agent a-t-il commis une erreur en ne tenant pas convenablement compte de la preuve de risque présentée par la demanderesse?

[17]           Au dire de la demanderesse, l’agent n’a pas reconnu le nouveau risque posé par le rejet de sa demande d’asile et par la preuve documentaire produite au soutien de cette dernière. La preuve dont elle parle figure dans les lettres de son père et de son ex-époux. Elle soutient que ces lettres constituent de nouveaux éléments de preuve qui établissent le risque que sa fille et elle courraient si elles retournaient au Nigeria. Elle ajoute qu’un agent qui tire une conclusion sans tenir compte des éléments de preuve qui lui sont soumis commet une erreur susceptible de contrôle : Owusu-Ansah c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1989), 8 Imm. L.R. (2d) 106, à la page 113 (C.A.F.).

 

[18]           Le défendeur estime que l’agent a pris en considération la totalité des éléments de preuve qu’il avait en main et qu’il a tenu compte de façon adéquate du risque dont la demanderesse a fait état.

 

[19]           L’agent a pris en considération les deux lettres en question et a conclu que rien n’indiquait que l’ex-époux de la demanderesse continuait de s’intéresser à elle ou à sa fille.

 

[20]           Je constate que la lettre du père de la demanderesse, qui date d’environ huit mois après celle de l’ex-époux, contredit en partie cette conclusion, car il y est question du souhait constant de cet homme de voir sa fille revenir au pays pour qu’elle puisse subir une MGF.

 

[21]           Cela dit, toutefois, la demanderesse elle-même ne court pas le risque dont elle fait état concernant sa fille. Même s’il vaudrait la peine de prendre en considération une telle preuve dans le cadre d’une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire, l’agent n’était pas tenu de le faire dans le présent contexte : Kim, au paragraphe 70.

 

[22]           Dans les observations qu’elle a faites à l’agent, la demanderesse a également fait état du risque qu’elle courrait aux mains de son époux vu la nature patriarcale de la société nigériane, mais j’ai conclu plus tôt que l’agent a raisonnablement jugé que la demanderesse bénéficie d’une PRI valable qui, si elle était renvoyée dans son pays, lui permettrait de s’installer dans une région éloignée de son ex-époux.

 

[23]           En résumé, la demanderesse n’est pas parvenue à montrer qu’il y a eu depuis la décision concernant sa demande d’asile de nouveaux éléments de preuve qui étayeraient l’argument selon lequel elle s’exposerait elle-même à un risque aux mains de son ex-époux ou de sa famille à lui si elle retournait au Nigeria. Dans ce contexte, il ne convient pas de modifier la décision de l’agent.

 


 

JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est rejetée. Aucune question de portée générale n’a été soumise pour certification, et aucune ne sera certifiée.

 

 

« Louis S. Tannenbaum »

Juge suppléant

 

Traduction certifiée conforme

David Aubry, LL.B.


Jurisprudence consultée par la Cour

 

 

1.                  Sicaja-Gonzalez c. Canada (M.E.I.), (C.F. 1re inst.), 7 oct. 1993), A-326-92

2.                  Owusu-Ansah c. Canada (M.E.I.) (1989), 8 Imm. L.R. (2d) 106

3.                  Singh et Narang c. Canada (M.E.I.) (1993), 69 F.T.R. 142 (1re inst.)

4.                  Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9

5.                  Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12

6.                  De Medeiros c. Canada (M.C.I.), 2008 CF 386

7.                  Bayavuge c. Canada (M.C.I.), [2007] A.C.F. no 111

8.                  Elezi c. Canada (M.C.I.), 2007 CF 240 (CanLII), 2007 CF 240

9.                  Gyorfi c. Solliciteur général du Canada, 2005 CF 176 (Can LII), 2005 CF 176

10.              Yousef c. Canada (M.C.I.), [2006] A.C.F. no 1101

11.              Selliah c. Canada (M.C.I.), 2004 CAF 261

12.              Ferguson c. Canada (M.C.I.), 2008 CF 1067

13.              Augusto c. Canada (S.G.), 2005 CF 673

14.              Figuardo c. Canada (S.G.), 2004 CF 241

15.              Cupid c. Canada (M.C.I.), 2007 CF 176

16.              Kim c. Canada (M.C.I.), 2005 CF 437

17.              Paul c. Canada (M.C.I.), 2007 CF 398

18.              Rodriguez Zambrano c. Canada (M.C.I.), 2006 CF 883


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-5096-08

 

INTITULÉ :                                       JOY ITOHAN OKPIAIFO c.

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                            ET DE L’IMMIGRATION et

                                                            LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE

                                                            ET DE LA PROTECTION CIVILE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 15 juillet 2009

 

MOTIFS DU JUGEMENT :            Le juge suppléant Tannenbaum

 

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT :                       Le 14 septembre 2009

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Sina Ogunleye

 

POUR LA DEMANDERESSE

Nina Chandy

 

POUR LES DÉFENDEURS

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Sina Ogunleye

Avocate

 

POUR LA DEMANDERESSE

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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