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Date : 20090729

Dossier : IMM-5691-08

Référence : 2009 CF 781

Ottawa (Ontario), le 29 juillet 2009

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE RUSSEL

 

 

ENTRE :

MOHAMED SAID JAMA

demandeur

et

 

MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi), en vue d’obtenir le contrôle judiciaire d’une décision de la déléguée du ministre (déléguée), datée du 8 décembre 2008 (la décision), concluant que le demandeur représente un danger pour le public au Canada suivant l’alinéa 115(2)a) de la Loi.

 

CONTEXTE

 

[2]               Le demandeur est entré au Canada au Peace Bridge de Fort Erie le 16 juin 1991 et a demandé le statut de réfugié. Le 11 mars 1992, la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (CISR) lui a reconnu la qualité de réfugié au sens de la Convention. Le 2 octobre 2002, le désistement a été prononcé à l’égard de sa demande de résidence permanente et une mesure de renvoi a été prise à son endroit le 21 juin 2007.

 

[3]               Le 5 novembre 2007, les agents de Citoyenneté et Immigration Canada (CIC) à Winnipeg ont informé le demandeur qu’ils avaient l’intention de demander au ministre de délivrer un avis portant qu’il représente un danger pour le public et qu’il devrait être renvoyé en Somalie. Le demandeur a refusé d’accuser réception de cette information.

 

[4]               Le casier judiciaire du demandeur contient les mentions suivantes :

Le 15 novembre 1995     Burnaby (C.-B.) Déclaré coupable de :

Conduite avec des facultés affaiblies – Alinéa 253a) du Code criminel. Il a été condamné à une amende de 300 $, et à défaut à trois jours d’emprisonnement, et à une interdiction de conduire d’un an.

 

Le 18 mai 2005               Winnipeg (Man.) Déclaré coupable de :

Possession d’arme – article 88 du Code criminel. Il a été condamné à 9 mois et à une ordonnance d’interdiction obligatoire en vertu de l’article 109 du Code criminel.

 

Méfait public – alinéa 140(1)b) du Code criminel. Il a été condamné à une peine concurrente de 8 mois.

 

Vol qualifié – alinéa 344b) du Code criminel. Il a été condamné à une peine concurrente de 6 mois et à une ordonnance d’interdiction obligatoire concurrente en vertu de l’article 109 du Code criminel.

 

Omission de se conformer à un engagement (x2) – paragraphe 145(3) du Code criminel. Il a été condamné pour chaque chef d’accusation à une peine concurrente de 3 mois concurrente aux autres condamnations.

 

Le 25 août 2005              Winnipeg (Man.) Déclaré coupable de :

Omission de se conformer à un engagement – paragraphe 145(3) du Code criminel. Il a été condamné à 1 jour (et 15 jours de détention provisoire).

 

Le 4 décembre 2006       Winnipeg (Man.) Déclaré coupable de :

Vol qualifié – alinéa 344b) du Code criminel Il a été condamné pour chaque chef d’accusation à une peine concurrente de 7 ans avec une réduction de peine de 27 mois pour le temps passé en détention provisoire) et à une ordonnance d’interdiction obligatoire en vertu de l’article 109 du Code criminel.

 

Voies de fait graves – paragraphe 268(1) du Code criminel. Il a été condamné pour chaque chef d’accusation à une peine concurrente de 7 ans (avec une réduction de peine de 27 mois pour le temps passé en détention provisoire) et à une ordonnance d’interdiction obligatoire en vertu de l’article 109 du Code criminel.

 

Agression armée – alinéa 267a) du Code criminel. Il a été condamné pour chaque chef d’accusation à une peine concurrente de 7 ans (avec une réduction de peine de 27 mois pour le temps passé en détention provisoire) et à une ordonnance d’interdiction obligatoire en vertu de l’article 109 du Code criminel.

 

Le 16 avril 2007              Winnipeg (Man.) Déclaré coupable de :

Omission de se conformer à un engagement – paragraphe 145(3) du Code criminel. Il a été condamné pour chaque chef d’accusation à une peine concurrente de 30 jours.

 

Omission de comparaître – alinéa 145(2)a) du Code criminel. Il a été condamné pour chaque chef d’accusation à une peine concurrente de 30 jours.

 

[5]               Le demandeur a interjeté appel de la sentence prononcée le 4 décembre 2006 et l’appel a été entendu le 7 juin 2007. On lui a accordé une réduction de peine additionnelle de 13 mois (et 15 jours de détention provisoire supplémentaires). Le demandeur a également un casier judiciaire aux États‑Unis.

 

LA DÉCISION CONTESTÉE

 

[6]               La déléguée a conclu que le demandeur est interdit de territoire pour grande criminalité en raison du fait qu’il a été déclaré coupable de vol qualifié et de voies de fait graves.

 

[7]               La déléguée a fait remarquer qu’une décision en matière de danger public doit tenir compte de la balance des risques : le risque que représente le demandeur en Somalie contre le risque qu’il représente pour la société canadienne. Dans une lettre envoyée à la déléguée, le demandeur a indiqué qu’il s’était engagé [traduction] « sur le mauvais chemin » et qu’il avait [traduction] « saisi l’occasion de changer sa vie ». Il a aussi dit qu’[traduction] « il peut et sera à la hauteur de ses responsabilités en tant que membre de la société canadienne et qu’il sera un membre actif de la communauté ».

 

Évaluation du danger et conclusion

 

[8]               La déléguée cite La c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CFPI 476 (C.F. 1re inst.), au paragraphe 17 :

17        L’approche à adopter à l’égard de la question dont je suis saisi a été énoncée par Monsieur le juge Strayer dans l’arrêt Williams c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 1997 CanLII 4972 (F.C.A.), [1997] 2 C.F. 646 (C.A.) au paragraphe 29, où il a expliqué le sens de l’expression « danger pour le public » figurant dans la Loi et le genre d’analyse nécessaire :

 

29  La Cour suprême a déclaré dans l’arrêt R. c. Nova Scotia Pharmaceutical Society [[1992] 2 R.C.S. 606] qu’une loi est d’une imprécision inconstitutionnelle « si elle manque de précision au point de ne pas constituer un guide suffisant pour un débat judiciaire ». Dans le contexte du contrôle judiciaire d’une décision du ministre sur la question de savoir si, « selon le ministre, [une personne] constitu[e] un danger pour le public au Canada », la question qu’il faut se poser est la suivante: cette phraséologie donne-t-elle des instructions suffisantes au ministre, afin que le ministre et la Cour puissent déterminer si le ministre exerce ce pouvoir comme le législateur l’entendait? À mon avis, le libellé du paragraphe 70(5) est suffisamment clair à cet égard. Dans ce contexte, le sens de l’expression « danger pour le public » n’est pas un mystère : cette expression doit se rapporter à la possibilité qu’une personne ayant commis un crime grave dans le passé puisse sérieusement être considérée comme un récidiviste potentiel. Point n’est besoin de prouver « à vrai dire, on ne peut pas prouver » que cette personne récidivera. Selon moi, cette disposition oriente convenablement la pensée du ministre vers la question de savoir si, compte tenu de ce que le ministre sait de l’intéressé et des observations que l’intéressé a faites en son propre nom, le ministre peut sincèrement croire que l’intéressé est un récidiviste potentiel dont la présence au Canada crée un risque inacceptable pour le public.

 

 

[9]               La déléguée a trouvé encourageant le fait que le demandeur a complété avec succès de nombreux programmes qui lui ont été offerts pendant son incarcération et que ses professeurs ont émis des commentaires positifs à son égard. Le demandeur a pris la responsabilité de ses actes et il a exprimé des remords pour ce qu’il a fait. Toutefois, ces remords et la prise de responsabilité personnelle sont tout récents.

 

[10]           La déléguée juge les voies de fait du 26 avril 2004 particulièrement violentes et révélatrices du type [traduction] « de préjudice insensé que les actions du demandeur ont infligé à des membres du public canadien ». Le demandeur et ses coagresseurs s’en sont pris à deux victimes sans armes qui se trouvaient dans leur appartement. Lorsque l’une des victimes a tenté de fuir la scène du crime, le demandeur a couru à sa poursuite et l’a poignardé au visage. Bien que la déléguée ait reconnu que le demandeur avait pris des mesures pour contrôler sa colère et son agressivité, [traduction] « tout bien pesé, il [le demandeur] est un récidiviste potentiel capable de commettre à nouveau une infraction violente similaire ».

 

[11]           La déléguée a également conclu que le demandeur a démontré qu’il était un récidiviste ayant tendance à faire preuve d’agressivité et de violence envers ses victimes. La déléguée a noté que malgré le fait que le demandeur prétend avoir abandonné son comportement criminel depuis qu’il a été incarcéré et qu’il participe à des programmes, sa conduite révèle une personnalité disposée à menacer et à commettre des actes violents contre des membres de la communauté en faisant usage d’armes. Il a reçu de multiples condamnations pénales, y compris pour voies de fait graves, agression armée et vol qualifié. Il n’est donc pas question d’un événement isolé où le demandeur a commis une erreur et où ce dernier a tiré une leçon de son interaction avec le système de justice pénale. Le comportement criminel du demandeur a un « effet cumulatif » qui fait de lui une personne ayant montré à maintes reprises son manque de respect pour les lois canadiennes. Cela permet de conclure qu’il est susceptible de récidiver dans le futur.

 

[12]           La déléguée a également commenté l’absence de respect du demandeur pour le système judiciaire canadien. Ce dernier n’a pas respecté les ordonnances, a omis de comparaître devant le tribunal et a enfreint les conditions de libération à plus d’une occasion; ce sont là des indices propres au comportement de quelqu’un qui est susceptible de récidiver. La déléguée fait remarquer que la [traduction] « menace de sanction supplémentaire ne l’a pas empêché [le demandeur] de récidiver [...]. Une personne qui ne respecte pas les conditions imposées par la Cour est, tout compte fait, une personne qui est susceptible de récidiver et qui représente un danger pour la sécurité et le bien-être des Canadiens ».

 

[13]           En ce qui concerne le comportement du demandeur en détention, la déléguée souligne qu’il a été décrit comme problématique. Le demandeur a été accusé à plusieurs reprises d’avoir proféré des menaces et commis des actes de violence envers le personnel, d’avoir enfreint les règles au cours d’un isolement cellulaire des détenus par mesure de sécurité, d’avoir promu les activités des groupes criminels et d’avoir agressé et tenté d’agresser ses codétenus. Le demandeur n’a pas assumé la responsabilité de cette conduite et a [traduction] « renvoyé la faute sur le personnel de l’établissement correctionnel ». Le rapport d’évaluation préliminaire du demandeur (concernant sa déclaration portant sur son désir de suivre son plan correctionnel et de changer sa vie), a indiqué que [traduction] « la motivation semble plutôt porter sur le désir de " défier le système " et de " battre le système ", plutôt que sur le désir sincère de changer ».

[14]           La déléguée conclut sur ce point en déclarant que, bien que le demandeur [traduction] « ait fait des progrès vers une attitude pro-sociale », selon la prépondérance des probabilités, le demandeur est susceptible de commettre de nouvelles infractions et montre une tendance à la récidive contredisant la conclusion selon laquelle il est réhabilité. La déléguée affirme que le demandeur [traduction] « est un récidiviste potentiel dont la présence au Canada crée un risque inacceptable pour le public », de sorte qu’elle estime qu’ « il représente un danger pour le public canadien ... [le demandeur] est un danger pour le public canadien à l’heure actuelle maintenant et dans le futur ». Elle dit avoir « pris en compte les condamnations pénales au dossier, mais non les accusations retirées ou sa condamnation pour trafic de drogue aux États‑Unis ».

 

Évaluation des risques

 

[15]           La déléguée fait remarquer que l’alinéa 115(2)a) de la Loi crée une exception à la protection générale accordée à ceux qui ont qualité de réfugié contre le refoulement dans un pays où ils seraient exposés à un risque de persécution. Il s’agit de la transposition dans la législation nationale du Canada du paragraphe 33(2) de la Convention des Nations unies relative au statut des réfugiés. La déléguée a examiné tous les arguments des avocats au sujet de la situation en Somalie et, en particulier, au sujet de la situation personnelle du demandeur. La déléguée a évalué, selon la prépondérance des probabilités, le risque que le demandeur soit exposé à l’un des dangers énumérés à l’article 97 de la Loi.

 

[16]           La déléguée a estimé que le fait que le demandeur appartienne à l’un des clans les plus forts qui restent en Somalie diminuerait, en définitive, les risques que ce dernier courrait à son retour. Bien que l’avocat ait soutenu qu’il n’y avait aucune faction en Somalie qui serait disposée et apte à protéger le demandeur, la déléguée a conclu que son appartenance au clan Darod lui donnerait une accointance, ainsi qu’une protection dans les régions du pays où le clan des Marehan est plus répandu.

 

[17]           La déléguée a également souligné que le demandeur a résidé au Canada pendant les 18 dernières années et n’a pas été identifié, recherché ou ciblé en tant que fils d’une personne ayant été affiliée au régime de Siad Barre. Elle a estimé que l’allégation voulant que le demandeur subisse le même sort que son père et son frère n’est qu’une hypothèse et les risques potentiels fondés sur cette allégation n’ont pas suffit à la convaincre qu’il était probable que le demandeur serait visé personnellement en raison de l’affiliation passée de son père avec le régime de Siad Barre. La déléguée a conclu qu’il était probable qu’on ne se souviendrait plus du demandeur et qu’il ne représenterait pas un intérêt particulier pour l’une des factions en lutte actuellement pour le pouvoir en Somalie.

 

[18]           La déléguée poursuit en disant que l’appartenance du demandeur à un clan et à un sous‑clan ne l’exposent pas à des risques plus grands que ceux auxquels doivent faire face les autres habitants de la Somalie, où les combats interclaniques sont la norme. Bien que le demandeur risque d’éprouver des difficultés à se réintégrer en Somalie, la déléguée est convaincue, selon la prépondérance des probabilités, que [traduction] « toute difficulté à laquelle le demandeur serait confronté au cours de sa réinsertion dans la société somalienne, en particulier dans les endroits où habitent les Marehan, son sous-clan, n’équivaudrait pas, selon la preuve [...] à le soumettre aux risques énumérés à l’article 97 de la LIPR ».

 

[19]           La déléguée conclut que le demandeur ne sera pas confronté à un risque de torture, une menace à sa vie ou un risque de traitements cruels ou inusités fondé sur la situation existant actuellement en Somalie et qu’il peut être renvoyé vers une région de la Somalie située à bonne distance de Mogadiscio, là où les membres de son clan, les Marehan, sont plus en sécurité. La déléguée a conclu que le demandeur était un danger pour le public au Canada et que la nécessité de protéger la société canadienne l’emportait sur tout risque éventuel auquel le demandeur pouvait être exposé dans le cas où il serait renvoyé en Somalie.

 

Circonstances d’ordre humanitaire et intérêt supérieur de l’enfant

 

[20]           Le demandeur est séparé de sa femme et de son enfant vivant au Canada et, en 2006, il n’avait eu aucun contact avec eux depuis cinq ans. Le demandeur a également quatre enfants issus de relations passées qui vivent aux États‑Unis. Il a déclaré en 2006 qu’il était en contact avec la mère de trois de ses enfants. Elle n’était pas au courant que le demandeur avait toujours des contacts réguliers avec ses enfants nés à l’étranger. Elle a fait observer que [traduction] « l’intérêt supérieur des enfants [du demandeur] ne serait pas sensiblement affecté par son renvoi du Canada vu le peu d’informations disponibles concernant la façon dont les intérêts de ses enfants seraient affectés s’il était renvoyé du Canada ».

 

[21]           La déléguée a noté qu’aucune lettre de soutien n’avait été déposée par des membres de la famille du demandeur. Vu l’absence de preuve appuyant l’apparent désir de longue date du demandeur d’être avec sa femme et ses enfants habitant aux États‑Unis, la déléguée a accordé très peu de crédibilité aux [traduction]  « facteurs de regroupement familial et d’établissement qui pourrait avoir permis [au demandeur] de demeurer au Canada ».

 

[22]           À propos de cette question, la déléguée a conclu de la manière suivante :

[traduction] … Il n’y a pas suffisamment de motifs d’ordre humanitaire permettant au demandeur de demeurer au Canada. Compte tenu du manque de motifs d’ordre humanitaire jouant en faveur du demandeur en contrepartie du risque potentiel qu’il représente pour le public au Canada s’il restait, je conclus que la balance des risques penche fortement en faveur de son renvoi.

 

QUESTIONS EN LITIGE

 

[23]           Le demandeur n’a pas présenté de liste formelle des questions en litige, mais il a relevé diverses erreurs dans la décision. J’ai examiné ces erreurs en reprenant grosso modo l’ordre qu’a suivi le demandeur.

 

DISPOSITIONS LÉGISLATIVES

 

[24]           Les dispositions suivantes de la Loi sont applicables en l’espèce :

36. (1) Emportent interdiction de territoire pour grande criminalité les faits suivants :

 

 

a) être déclaré coupable au Canada d’une infraction à une loi fédérale punissable d’un emprisonnement maximal d’au moins dix ans ou d’une infraction à une loi fédérale pour laquelle un emprisonnement de plus de six mois est infligé;

 

 

b) être déclaré coupable, à l’extérieur du Canada, d’une infraction qui, commise au Canada, constituerait une infraction à une loi fédérale punissable d’un emprisonnement maximal d’au moins dix ans;

 

c) commettre, à l’extérieur du Canada, une infraction qui, commise au Canada, constituerait une infraction à une loi fédérale punissable d’un emprisonnement maximal d’au moins dix ans.

 

 

 

Définition de « réfugié »

 

96. A qualité de réfugié au sens de la Convention — le réfugié — la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :

 

a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;

 

 

b) soit, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ni, du fait de cette crainte, ne veut y retourner.

 

Personne à protéger

 

97. (1) À qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n’a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée :

 

a) soit au risque, s’il y a des motifs sérieux de le croire, d’être soumise à la torture au sens de l’article premier de la Convention contre la torture;

 

b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant :

 

(i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

 

 

(ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas,

 

(iii) la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes — sauf celles infligées au mépris des normes internationales — et inhérents à celles-ci ou occasionnés par elles,

 

(iv) la menace ou le risque ne résulte pas de l’incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats.

 

 

Personne à protéger

 

(2) A également qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et fait partie d’une catégorie de personnes auxquelles est reconnu par règlement le besoin de protection.

 

115. (1) Ne peut être renvoyée dans un pays où elle risque la persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques, la torture ou des traitements ou peines cruels et inusités, la personne protégée ou la personne dont il est statué que la qualité de réfugié lui a été reconnue par un autre pays vers lequel elle peut être renvoyée.

 

Exclusion

 

(2) Le paragraphe (1) ne s’applique pas à l’interdit de territoire :

 

a) pour grande criminalité qui, selon le ministre, constitue un danger pour le public au Canada;

 

 

 

b) pour raison de sécurité ou pour atteinte aux droits humains ou internationaux ou criminalité organisée si, selon le ministre, il ne devrait pas être présent au Canada en raison soit de la nature et de la gravité de ses actes passés, soit du danger qu’il constitue pour la sécurité du Canada.

 

36. (1) A permanent resident or a foreign national is inadmissible on grounds of serious criminality for

 

(a) having been convicted in Canada of an offence under an Act of Parliament punishable by a maximum term of imprisonment of at least 10 years, or of an offence under an Act of Parliament for which a term of imprisonment of more than six months has been imposed;

 

(b) having been convicted of an offence outside Canada that, if committed in Canada, would constitute an offence under an Act of Parliament punishable by a maximum term of imprisonment of at least 10 years; or

 

(c) committing an act outside Canada that is an offence in the place where it was committed and that, if committed in Canada, would constitute an offence under an Act of Parliament punishable by a maximum term of imprisonment of at least 10 years.

 

Convention refugee

 

96. A Convention refugee is a person who, by reason of a well-founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,

 

 

 

(a) is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail themself of the protection of each of those countries; or

 

(b) not having a country of nationality, is outside the country of their former habitual residence and is unable or, by reason of that fear, unwilling to return to that country.

 

Person in need of protection

 

97. (1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally

 

(a) to a danger, believed on substantial grounds to exist, of torture within the meaning of Article 1 of the Convention Against Torture; or

 

(b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if

 

 

(i) the person is unable or, because of that risk, unwilling to avail themself of the protection of that country,

 

(ii) the risk would be faced by the person in every part of that country and is not faced generally by other individuals in or from that country,

 

(iii) the risk is not inherent or incidental to lawful sanctions, unless imposed in disregard of accepted international standards, and

 

 

(iv) the risk is not caused by the inability of that country to provide adequate health or medical care.

 

 

Person in need of protection

 

(2) A person in Canada who is a member of a class of persons prescribed by the regulations as being in need of protection is also a person in need of protection.

 

 

 

115. (1) A protected person or a person who is recognized as a Convention refugee by another country to which the person may be returned shall not be removed from Canada to a country where they would be at risk of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion or at risk of torture or cruel and unusual treatment or punishment.

 

Exceptions

 

(2) Subsection (1) does not apply in the case of a person

 

 

(a) who is inadmissible on grounds of serious criminality and who constitutes, in the opinion of the Minister, a danger to the public in Canada; or

 

(b) who is inadmissible on grounds of security, violating human or international rights or organized criminality if, in the opinion of the Minister, the person should not be allowed to remain in Canada on the basis of the nature and severity of acts committed or of danger to the security of Canada.

 

 

 

NORME DE CONTRÔLE

 

[25]           Le défendeur soutient que l’appréciation de la délégué sur la question de savoir si une personne constitue un danger pour le public au Canada et si cette personne s’expose à des risques en cas de renvoi, appelle un haut degré de retenue et que la norme de contrôle applicable à son égard est celle de la raisonnabilité : Nagalingam c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CAF 153, au paragraphe 32 (Nagalingam); Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9 (Dunsmuir), paragraphe 51; Suresh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2002] 1 R.C.S. 3, aux paragraphes 29 et 41. Le défendeur dit que les questions de droit sont susceptibles de révision selon la norme de la décision correcte et qu’une erreur de droit sans conséquence, qui ne pouvait avoir aucune incidence sur la décision, ne nécessite pas que la Cour annule la décision soumise à l’examen : Genex Communications Inc c. Canada (Procureur général), 2005 CAF 283, au paragraphe 42, et Assoc. c. American College Sports Collective of Canada, Inc, [1991] 3 C.F. 626 (C.A.F.), au paragraphe 41.

 

[26]           Dans Sittampalam c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 65, au paragraphe 13, la Cour dit ce qui suit :

 

[traduction]

13     Au moment où l’avis a été émis en juillet 2006, la norme de contrôle appliquée pour déterminer si le demandeur représentait un danger pour le public et devait être renvoyé du Canada en raison de la nature et de la gravité des actes commis était celle de la décision manifestement déraisonnable. Dans Dunsmuir, la norme de la décision manifestement déraisonnable et celle de la décision raisonnable simpliciter ont été ramenées à une seule norme, celle de la raisonnabilité...

 

 

[27]           Dans l’arrêt Dunsmuir, la Cour suprême du Canada a reconnu que bien que la norme de la décision raisonnable simpliciter et celle de la décision manifestement déraisonnable soient théoriquement différentes, « les difficultés analytiques soulevées par l’application des différentes normes réduisent à néant toute utilité conceptuelle découlant de la plus grande souplesse propre à l’existence de normes de contrôle multiples » (Dunsmuir, au paragraphe 44). Par conséquent, la Cour suprême du Canada a décidé que les deux normes de contrôle relatives au caractère raisonnable de la décision devaient être fusionnées pour en former une seule : « la raisonnabilité ».

 

[28]           La Cour suprême du Canada dans l’arrêt Dunsmuir a également statué que l’analyse relative à la norme de contrôle ne doit pas nécessairement être effectuée dans tous les cas. Au contraire, lorsque la jurisprudence antérieure établit clairement quelle est la norme de contrôle applicable à une question particulière, la cour de révision peut adopter cette norme. Ce n’est que lorsque cette démarche se révèle infructueuse que le tribunal entreprendra l’analyse des quatre éléments qui permettent d’arrêter la bonne norme de contrôle.

 

[29]           Ainsi, compte tenu de l’arrêt Dunsmuir de la Cour suprême du Canada et de la jurisprudence antérieure de notre Cour, je conclus que la norme de contrôle généralement applicable en l’espèce est celle de la raisonnabilité. Toutefois, l’argumentation du demandeur soulève également une variété de questions juridiques que j’ai examinées selon la norme de la décision correcte, comme mon analyse le montrera. Dans l’examen d’une décision suivant la norme de la raisonnabilité, l’analyse porte sur « la justification de la décision […] la transparence et […] l’intelligibilité du processus décisionnel [ainsi que sur] l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » : Dunsmuir, paragraphe 47. En d’autres termes, la Cour ne devrait intervenir que si la décision était déraisonnable au sens où elle ne relève pas des « issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ».

 

ARGUMENTS

            Le demandeur

                        Évaluation des risques

                                    i) Catégories de risques

 

[30]           Le demandeur soutient que l’évaluation du danger exigée par la loi n’est pas seulement une évaluation du danger qu’il représente pour la société. Il s’agit plutôt d’un examen mettant en balance le risque que court la société si le demandeur reste au Canada avec le risque qu’il courra s’il retourne en Somalie et les considérations humanitaires qui militent contre le renvoi. Cette mise en balance a été greffée à la Loi par la Charte canadienne des droits et libertés. Le demandeur cite Ragupathy c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CAF 151, aux paragraphes 18 et 19 :

18     Si la déléguée estime que la présence au Canada de la personne protégée ne constitue pas un danger pour le public, cela met fin à l’analyse qu’exige le paragraphe 115(2). La personne en question n’est pas visée par l’exception à l’interdiction du refoulement des personnes protégées, prévue au paragraphe 115(1), et elle ne peut donc pas être expulsée. Par contre, si la déléguée estime que la personne constitue un danger pour le public, elle doit alors évaluer si, et dans quelle mesure, la personne risquerait d’être persécutée, torturée ou de subir d’autres peines ou traitements inhumains si elle était renvoyée. À cette étape‑ci, la déléguée doit se prononcer sur la gravité du danger qu’entraîne la présence de la personne en question, dans le but de mettre en balance le risque et, apparemment, les autres circonstances d’ordre humanitaire, avec la gravité du danger que cette personne constituerait pour le public dans le cas où celle‑ci demeurerait au Canada.

 

19     L’analyse du risque et la comparaison subséquente du danger et du risque ne sont pas expressément exigées par le paragraphe 115(2) qui parle uniquement de grande criminalité et de danger pour le public. Ces éléments ont en fait été ajoutés à l’avis relatif au danger pour le public, de façon à pouvoir décider si le renvoi de la personne protégée choquerait la conscience des Canadiens au point de violer le droit, garanti par l’article 7 à cette personne, de n’être privée de son droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne qu’en conformité avec les principes de justice fondamentale. Voir Suresh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), en particulier aux paragraphes 76 à 79.

 

[31]           Le demandeur soutient qu’en l’espèce la déléguée transforme l’analyse du risque au titre de la Charte en une analyse au titre de l’article 97 de la LIPR. Pourtant, les deux sont différentes sur le plan juridique. Le demandeur affirme également que la déléguée n’a pas effectué d’analyse du risque au titre de l’article 96. Le demandeur soutient que la raison pour laquelle la déléguée n’a effectué qu’une analyse des risques partielle et qu’elle a abandonné l’élément persécution, qui est nécessaire selon la Cour d’appel fédérale, n’est pas claire. Il dit que c’est peut-être le résultat d’une confusion sur la relation entre le paragraphe 33(2) de la Convention sur les réfugiés et le paragraphe 115(2) de la Loi.

 

[32]           Le demandeur soutient que l’interprétation du paragraphe 33(2) de la Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés et l’interprétation du paragraphe 115(2) de la Loi en droit canadien doivent mener à la même conclusion. Il doit y avoir un équilibre entre les risques que court l’individu et ceux que court la société. Le demandeur cite une publication  du Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés, Protection des réfugiés en droit international, publiée par Erika Feller, Volker Türk et Frances Nicholson, dans un chapitre auquel ont contribué sir Elihu Lauterpacht et Daniel Bethlehem et dans lequel figure un intitulé « Avis sur la portée et le contenu du principe du non-refoulement » :

(v) L’exigence de proportionnalité

 

177. Faisant référence aux discussions ayant eu lieu au cours des travaux préparatoires, Weis a exposé la question de la manière suivante :

Le principe de proportionnalité doit être respecté, c’est-à-dire selon les termes du représentant britannique à la Conférence, il doit s’agir de déterminer si le danger encouru par le réfugié en cas d’expulsion ou de renvoi prime sur la menace pour la sécurité publique qui surviendrait s’il était autorisé à rester.

 

178. L’exigence de proportionnalité nécessitera de prendre en considération les facteurs suivants :

 

a) la gravité du danger pesant sur la sécurité du pays;

b) la probabilité que ce danger se réalise et son imminence;

c) la question de savoir si le danger pour la sécurité du pays serait éliminé ou considérablement réduit par le renvoi de l’intéressé.

d) la nature et la gravité du risque encouru par l’intéressé en cas de refoulement;

e) la question de savoir si d’autres possibilités compatibles avec l’interdiction du refoulement existent et pourraient être utilisées, que ce soit dans le pays d’accueil ou par le renvoi de l’intéressé vers un pays tiers sûr.

 

179. Nous nous devons de rappeler qu’un État n’aura pas le droit d’invoquer la dérogation relative à la sécurité nationale si, ce faisant, il exposait l’intéressé à un danger de torture ou de peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants ou à un risque relevant du champ d’application d’autres principes de droits de l’Homme auxquels il ne peut être dérogé. Lorsque la dérogation s’applique, cela doit être fait en stricte conformité avec la procédure prévue par la loi.

 

c) Interprétation et application de la dérogation relative à la « menace pour la communauté »

 

180. L’article 33 § 2 dispose que l’interdiction du refoulement ne peut être invoquée par un réfugié « qui, ayant été l’objet d’une condamnation définitive pour un crime ou délit particulièrement grave, constitue une menace pour la communauté dudit pays ».

 

181. Beaucoup d’éléments examinés ci-dessus concernant l’interprétation de la dérogation relative à la « sécurité nationale » s’appliqueront mutatis mutandis à l’interprétation et à l’application de la dérogation relative à la « menace pour la communauté ». Celle‑ci  s’apprécie également clairement par rapport à l’avenir. Bien que le comportement passé puisse être pris en compte dans cette évaluation, l’élément pertinent est la question de savoir s’il existe une menace pour la communauté à l’avenir.

 

183. Parmi d’autres éléments développés plus haut au sujet de la dérogation relative à la « sécurité nationale », également applicables à la dérogation relative à la « menace pour la communauté », figurent l’exigence d’examiner la situation individuelle, l’exigence de proportionnalité et le fait de mettre en balance les intérêts de l’État et ceux de l’intéressé.

 

[33]           Le demandeur prétend que la déléguée semble déduire à la lecture du paragraphe 33(2) de la Convention sur les réfugiés que le seul risque pour la société peut rendre inutile toute évaluation des risques énoncés à l’article 96. Par conséquent, le demandeur soutient que la déléguée a mal compris la Convention et que son analyse au regard de la Charte est déficiente. Le demandeur affirme que le droit ne reconnaît pas que l’article 7 de la Charte est l’équivalent de l’article 97 de la Loi. Les risques visés aux articles 96 et 97 de la Loi sont d’une importance égale pour l’évaluation du risque de violation de l’article 7 de la Charte. Le demandeur affirme également que le raisonnement de la déléguée voulant que seuls les risques énoncés à l’article 97 peuvent servir à empêcher le renvoi du demandeur en vertu de la Charte, et non ceux énoncés à l’article 96, est erroné en droit.

 

ii. Perte de l’asile

 

[34]           Le demandeur soutient qu’on lui a reconnu la qualité de réfugié parce que son père était un général de la marine dans le gouvernement de l’ancien dictateur somalien Siad Barre. L’évaluation de la déléguée voulant que le risque pour le demandeur ait diminué avec le temps n’était pas de son ressort. Le demandeur invoque l’article 108 de la Loi :

 

108. (1) Est rejetée la demande d’asile et le demandeur n’a pas qualité de réfugié ou de personne à protéger dans tel des cas suivants :

 

 

a) il se réclame de nouveau et volontairement de la protection du pays dont il a la nationalité;

 

 

b) il recouvre volontairement sa nationalité;

 

c) il acquiert une nouvelle nationalité et jouit de la protection du pays de sa nouvelle nationalité;

 

d) il retourne volontairement s’établir dans le pays qu’il a quitté ou hors duquel il est demeuré et en raison duquel il a demandé l’asile au Canada;

 

 

 

e) les raisons qui lui ont fait demander l’asile n’existent plus.

108. (1) A claim for refugee protection shall be rejected, and a person is not a Convention refugee or a person in need of protection, in any of the following circumstances:

 

(a) the person has voluntarily reavailed themself of the protection of their country of nationality;

 

(b) the person has voluntarily reacquired their nationality;

 

(c) the person has acquired a new nationality and enjoys the protection of the country of that new nationality;

 

(d) the person has voluntarily become re-established in the country that the person left or remained outside of and in respect of which the person claimed refugee protection in Canada; or

 

(e) the reasons for which the person sought refugee protection have ceased to exist.

 

 

[35]           Le demandeur soutient qu’il peut y avoir perte du droit d’asile s’il est constaté que les raisons pour lesquelles la personne a demandé l’asile n’existent plus. En l’espèce, le demandeur soutient qu’un tel constat n’a pas été fait et que la déléguée ne pouvait pas rendre la décision rendue par la CISR. Le demandeur cite Nagalingam au paragraphe 43 :

À cet égard, j’abonde dans le sens de l’intimé lorsqu’il affirme que la méthode proposée dans l’arrêt Ragupathy assure que la déléguée ne déborde pas le cadre de ses attributions, car il ne lui appartient pas d’enlever à l’intéressé son statut de réfugié ou de modifier ce statut (mémoire de l’intimé, au paragraphe 71). En procédant de cette manière, on s’assure que la déléguée n’usurpe pas le pouvoir conféré à la Section de la protection des réfugiés par le paragraphe 108(2) de la Loi en matière de perte du droit d’asile.

 

[36]           Le demandeur soutient que la déléguée a fait ce que la Cour d’appel fédérale a conclu qu’elle ne pouvait pas faire. Elle a conclu à la perte du droit d’asile, alors que seule la Section de la protection des réfugiés de la CISR peut le faire. Le demandeur rappelle que la déléguée a fait une évaluation des risques erronée sur le plan juridique et qu’elle a outrepassé ses attributions, car le critère est le changement de circonstances dans le pays d’origine et non pas le passage du temps. Le demandeur cite Canada (Procureur général) c. Ward, [1993] 2 R.C.S. 689, au paragraphe 48 :

En outre, le fait que le demandeur doive mettre sa vie en danger en sollicitant la protection inefficace d’un État, simplement pour démontrer cette inefficacité, semblerait aller à l’encontre de l’objet de la protection internationale.

 

 

            iii. Violence généralisée

 

 

[37]           Sur cette question, le demandeur affirme que la déléguée a conclu qu’il ne tombait pas sous le coup de l’article 97 de la Loi. Le demandeur cite Salibian c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1990] 3 C.F. 250 (C.A.F.) (Salibian), au paragraphe 17 :

17     À la lumière de la jurisprudence de cette Cour relative à la revendication du statut de réfugié au sens de la Convention, il est permis d’affirmer

 

(1)  que le requérant n’a pas à prouver qu’il avait été persécuté lui-même dans le passé ou qu’il serait lui-même persécuté à l’avenir;

(2)  que le requérant peut prouver que la crainte qu’il entretenait résultait non pas d’actes répréhensibles commis ou susceptibles d’être commis directement à son égard, mais d’actes répréhensibles commis ou susceptibles d’être commis à l’égard des membres d’un groupe auquel il appartenait;

(3)  qu’une situation de guerre civile dans un pays donné ne fait pas obstacle à la revendication pourvu que la crainte entretenue soit non pas celle entretenue indistinctement par tous les citoyens en raison de la guerre civile, mais celle entretenue par le requérant lui-même, par un groupe auquel il est associé ou, à la rigueur, par tous les citoyens en raison d’un risque de persécution fondé sur l’un des motifs énoncés dans la définition;

(4)  que la crainte entretenue est celle d’une possibilité raisonnable que le requérant soit persécuté s’il retournait dans son pays d’origine (voir Seifu c. Commission d’appel de l’immigration, A-277-82, juge Pratte, J.C.A., jugement en date du 12 janvier 1983, cité dans Adjei c. Canada, reflex, [1989] 2 C.F. 680 (C.A.), à la p. 683; Darwich c. Le ministre de la Main-d’oeuvre et de l’Immigration, [1979] 1 C.F. 365 (C.A.); Rajudeen c. Ministre de l’Emploi et de l’Immigration (1984), 55 N.R. 129 (C.A.), aux pages 133 et 134).

 

[38]           Le demandeur fait valoir que la déléguée a ignoré certains des motifs exposés par la Cour d’appel dans Salibian parce qu’elle a seulement pris en compte les risques prévus à l’article 97, et non ceux prévus à l’article 96. La déléguée ne fonde pas son raisonnement sur le risque précis auquel fait face le demandeur en tant que membre d’un clan parce qu’elle est d’avis que tous les Somaliens sont confrontés à un risque en raison de leur appartenance à un clan.

 

[39]           Le demandeur cite Ward à nouveau au paragraphe 50 :

50     Il s’agit donc de savoir comment, en pratique, un demandeur arrive à prouver l’incapacité de l’État de protéger ses ressortissants et le caractère raisonnable de son refus de solliciter réellement cette protection.  D’après les faits de l’espèce, il n’était pas nécessaire de prouver ce point, car les représentants des autorités de l’État ont reconnu leur incapacité de protéger Ward.  Toutefois, en l’absence de pareil aveu, il faut confirmer d’une façon claire et convaincante l’incapacité de l’État d’assurer la protection.  Par exemple, un demandeur pourrait présenter le témoignage de personnes qui sont dans une situation semblable à la sienne et que les dispositions prises par l’État pour les protéger n’ont pas aidées, ou son propre témoignage au sujet d’incidents personnels antérieurs au cours desquels la protection de l’État ne s’est pas concrétisée.  En l’absence d’une preuve quelconque, la revendication devrait échouer, car il y a lieu de présumer que les nations sont capables de protéger leurs citoyens.  La sécurité des ressortissants constitue, après tout, l’essence de la souveraineté.  En l’absence d’un effondrement complet de l’appareil étatique, comme celui qui a été reconnu au Liban dans l’arrêt Zalzali, il y a lieu de présumer que l’État est capable de protéger le demandeur.

 

[40]           Le demandeur soutient que la Cour suprême du Canada considère l’effondrement complet de l’appareil d’État comme satisfaisant aux exigences de risque, mais il prétend que la déléguée a agi contrairement à la loi en faisant complètement fi des risques dans son appréciation de la situation du demandeur.

 

[41]           Le demandeur s’appuie également sur Osman c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1995] A.C.F. n° 131, au paragraphe 17 :

La Commission ne peut pas invoquer la guerre civile et conclure automatiquement que les demandeurs qui viennent de la Somalie ne sont pas des réfugiés…

 

[42]           Le demandeur affirme que le fait que la déléguée n’a pas pris en compte les risques énumérés à l’article 96 fait une réelle différence parce que la déléguée a appliqué une exception qui écarte seulement un des risques visés à l’article 97. Si la déléguée avait effectué une analyse des risques au regard de l’article 96 et qu’elle n’avait pas appliqué l’exception pour violence généralisée, il est impossible de dire qu’elle aurait été sa conclusion.

 

Motifs d’ordre humanitaire

 

[43]           Concernant cette question, le demandeur fait valoir que la déléguée a ignoré un facteur crucial : le risque pour le demandeur, indépendamment des risques énoncés aux articles 96 et 97 de la Loi. Le demandeur affirme qu’une personne peut être à risque sans que ce risque satisfasse au critère énoncé dans la définition de réfugié ou à l’article 97 de la Loi. Ce risque est particulièrement pertinent pour une décision fondée sur des motifs d’ordre humanitaire.

 

[44]           Le demandeur affirme que, dans un certain nombre d’affaires, la Cour a annulé une décision où l’agent avait rejeté une demande d’asile pour motifs humanitaires en tenant pour acquis qu’il n’y avait aucun risque simplement parce qu’une demande d’ERAR avait été rejetée : Pinter c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 296.

 

[45]           Le demandeur soutient également que la déléguée a commis une erreur de droit en concluant qu’elle n’était pas tenue de prendre en compte les facteurs de risque dans son évaluation des motifs d’ordre humanitaire. Le demandeur dit qu’elle n’aurait pas dû écarter les facteurs de risque, même si le demandeur n’a pas à affronter les risques décrits à l’article 97 de la Loi.

 

[46]           Le demandeur fait remarquer que la déléguée ne conclut pas qu’il serait en sécurité en Somalie, mais juge seulement que [traduction] « tous les risques auxquels M. Jama fait face sont ceux auxquels doivent faire face en général les autres personnes qui résident en Somalie ». Le demandeur affirme que ces risques auraient dû être pris en compte dans l’évaluation des considérations humanitaires, même s’ils ne répondaient pas aux exigences de l’article 97, à savoir une menace pour sa vie ou un risque de traitements cruels et inusités.

 

[47]           Le demandeur conclut en disant que la [traduction] « déléguée présume que tant que le demandeur ne répond pas aux exigences de l’article 97, la question du risque ne se pose pas, que ce soit au regard de l’article portant sur l’évaluation des risques ou pour l’évaluation des considérations humanitaires. Comme ce raisonnement va à l’encontre de la loi, il n’est pas valide ».

 

Le défendeur

            Risque correctement évalué

 

[48]           Le défendeur soutient que la déléguée a évalué rigoureusement le risque de persécution couru par le demandeur. Dans la mesure où la déléguée peut avoir commis une erreur en ne formulant pas son analyse des risques en termes de considération du risque de persécution, cette erreur serait sans conséquence et ne constituerait pas un motif de contrôle.

 

Pas de décision sur la perte de l’asile

 

[49]           Le défendeur fait valoir que la déléguée a procédé à une évaluation en vertu du paragraphe 115(2) de la Loi et convient qu’elle n’a pas compétence pour statuer sur la perte de l’asile. Le défendeur reconnaît que la déléguée en l’espèce n’a pas conclu que le demandeur n’était plus à risque. Il n’est cependant pas d’accord pour dire que la déléguée a rendu une décision sur la perte du droit d’asile.

 

[50]           La décision de la déléguée rendue en application de l’alinéa 115(2)a) de la Loi n’a pas pour effet d’enlever au demandeur sa qualité de réfugié au sens de la Convention non plus que de porter atteinte à cette qualité, et la déléguée n’a pas décidé qu’il avait perdu cette qualité. (Voir Ragupathy c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2005] A.C.F. n° 1044 (C.F.), au paragraphe 2; Sittampalam c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 687, au paragraphe 52; Suresh, aux paragraphes 76 à 78; Pushpanathan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] 1 R.C.S. 982, au paragraphe 58, et Fabian c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CF 1527, aux paragraphes 37 à 39.

 

[51]           Le défendeur souligne que la Cour suprême du Canada a reconnu qu’une « réévaluation » des risques pouvait être nécessaire dans le cadre des facteurs à considérer pour déterminer si le renvoi est justifié. Le défendeur cite Camara c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 168, aux paragraphes 58 et 60 :

58     Toutefois, le fait que le demandeur ait été considéré à risque par la Section du statut en 1992 n’établissait pas qu’il était toujours à risque en 2005.

 

 

60     Il appartenait au demandeur de démontrer qu’il serait toujours à risque dans son pays, ce qu’il n’a pas fait devant la déléguée du ministre.

 

[52]           Le défendeur affirme que le risque auquel le demandeur serait exposé s’il était renvoyé en Somalie ne pouvait être établi par la qualité de réfugié ou d’après les faits sur la base desquels la qualité de réfugié a été reconnue. Le risque doit être évalué au moment présent.

 

Violence généralisée

 

[53]           En ce qui concerne le risque de persécution, la conclusion de la déléguée n’est pas fondée sur le risque couru par le reste de la population, mais plutôt sur le fait qu’elle a estimé que le demandeur ne représenterait pas un intérêt particulier pour ses persécuteurs présumés. En ce qui concerne les risques associés à son appartenance à un clan et à une famille en particulier, le défendeur a fait valoir que selon la preuve, tous les clans risquent d’être impliqués dans affrontements interclaniques et dans ce sens, le risque ne visait en aucune façon le demandeur personnellement, ce qui constitue un critère nécessaire pour bénéficier de la protection.

 

[54]           Le défendeur établit une distinction d’avec l’affaire Osman, où l’avocat du ministre avait soutenu que les exactions pouvant être commises dans le contexte d’une guerre n’ont pas de lien avec la définition de réfugié. Or l’énoncé tiré de Osman sur lequel s’appuie le demandeur constituait la réponse de la Cour à cet argument. En lisant l’énoncé dans son contexte, on voit que la Cour n’a fait qu’affirmer que l’argument du ministre ne représentait pas l’état du droit et que les circonstances particulières d’un demandeur devaient être évaluées pour déterminer si elles satisfont à la définition, qu’elles aient pris place dans un contexte de guerre civile ou non. L’énoncé tiré de Osman, par conséquent, ne nie pas le fait que, pour bénéficier de la protection prévue à l’article 97, les risques ne doivent pas être courus par l’ensemble des habitants ou des personnes originaires de ce pays.

 

Pas d’exigence d’évaluer les risques une deuxième fois

 

[55]           Le défendeur affirme qu’il n’y a pas de jurisprudence appuyant l’argument du demandeur voulant que la déléguée doive procéder à une évaluation du risque en plus de traiter des facteurs de risque dans son évaluation des motifs d’ordre humanitaire. La seule jurisprudence citée par le demandeur se résume à une affaire où le rejet d’une demande de résidence permanente au Canada pour motifs d’ordre humanitaires a fait l’objet d’un contrôle judiciaire. Bien que la Cour ait effectivement conclu dans Pinter qu’une agente d’immigration ne pouvait fonder sa décision sur le résultat défavorable d’une évaluation préalable des risques avant renvoi pour l’évaluation des facteurs risques, mais qu’elle devait plutôt évaluer ces derniers elle-même dans le cadre de la demande pour motifs d’ordre humanitaire, le défendeur soutient que Pinter n’a aucune incidence sur une décision relative au danger au regard du paragraphe 115(2) de la Loi. L’évaluation de motifs humanitaires dans le cadre d’une décision sous le régime du paragraphe 115(2) n’est pas une décision distincte, comme l’est une décision fondée sur des motifs d’ordre humanitaire. Au contraire, les facteurs d’ordre humanitaire soulevés au cours de l’évaluation constituent d’autres considérations devant être mises en balance avec le danger que présente le demandeur pour le public du Canada et les risques auxquels il pourrait faire face en retournant dans le pays qu’il a fui. Le défendeur cite le paragraphe 44 de Nagalingam :

la déléguée doit mettre en balance la nature et la gravité des actes commis ou le danger pour la sécurité du Canada et le degré de risque, en tenant également compte de tout autre facteur d’ordre humanitaire applicable…

 

[56]           Le défendeure conclut qu’il n’y a pas de fondement à la proposition défendue par le demandeur parce que le risque est pris en compte par le décideur dans le cadre d’une décision relative au danger sous le régime du paragraphe 115(2).

 

Réplique du demandeur

 

[57]           En réplique, le demandeur soutient que le défendeur ne conteste pas que la déléguée ait commis une erreur, mais dit seulement que celle‑ci est sans conséquence. Le demandeur soutient qu’une erreur de droit est sans conséquence si elle « n’a pu avoir et n’a eu aucun effet sur l’issue ». Pour qu’une décision entachée d’une erreur résiste à un contrôle judiciaire, il ne suffit pas de montrer que l’erreur n’a pas eu d’effet sur l’issue. Si l’erreur avait pu avoir un effet sur l’issue, même si elle n’en a pas eu, elle entraîne une conséquence. Voir : Schaaf c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1984] 2 C.F. 334 (C.A.F.), au paragraphe 341; Nawaratnam c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CFPI 976; Canada (Secrétaire d’État) c. Dee, [1995] A.C.F. no 45 (C.F. 1re inst.), et Romero c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1423.

 

[58]           Le demandeur a également commenté l’appartenance de son père au régime de Siad Barre ainsi que la décision de la déléguée voulant qu’il n’était plus à risque en raison de sa longue absence de la Somalie. Il a également cherché à montrer que le défendeur n’a pas examiné ces questions.

 

[59]           Le demandeur note que le défendeur essaie d’établir une distinction d’avec l’affaire Osman, mais qu’il n’a pas cité d’autre jurisprudence. Il y a lieu de le souligner compte tenu de l’abondante jurisprudence qu’invoque le défendeur pour étayer l’argument précédent sur la perte de la qualité de réfugié. Le demandeur conclut, en opposant les deux articles, que le défendeur ne peut citer aucune jurisprudence à l’appui de la position adoptée et ajoute qu’il ne le pourrait pas non plus. Le demandeur soutient qu’il n’existe pas de jurisprudence concernant la Charte ou les réfugiés voulant qu’une personne alléguant un risque doive établir que le risque auquel elle est exposée est supérieur à celui auquel les autres habitants du pays sont exposés. Ce qui importe est le niveau absolu de risque, non le niveau de risque relatif. Le demandeur soutient que la déléguée ne répond pas à la question suivante, parce qu’elle a conclu qu’elle n’avait pas à y répondre : le demandeur fait‑il face, objectivement, selon la prépondérance des probabilités, à un risque pour sa vie, sa liberté et la sécurité de sa personne, sans égard aux principes de justice fondamentale en raison de son appartenance à un clan?

 

[60]           Le demandeur a également fait remarquer qu’il est nécessaire d’examiner les facteurs pertinents cumulativement lorsqu’il s’agit de rendre une décision d’ordre humanitaire. Même si l’on suppose que la décision de la déléguée portant sur l’évaluation du risque était correcte (une hypothèse que le demandeur rejette), cela ne signifie pas que le risque cesse d’être pertinent pour la décision portant sur l’évaluation des motifs d’ordre humanitaire. Le demandeur cite Retnem c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1991] A.C.F. n° 428 (C.A.F.) à l’appui du principe selon lequel une erreur typique en droit consiste à examiner séparément un certain nombre d’éléments pertinents, puis à les rejeter un par un, en omettant d’examiner si, cumulativement, les éléments établissent la revendication, même si aucun élément pris séparément n’est en mesure de le faire. La question ne porte pas seulement sur l’examen cumulatif des facteurs de risque, mais sur l’examen cumulatif des motifs humanitaires. Le demandeur soutient qu’il n’y a pas eu d’examen cumulatif en l’espèce.

 

ANALYSE

            Question principale

[61]           Il y a un désaccord fondamental entre les parties quant à savoir si la décision a pris en compte les risques énoncés à l’article 96. Le demandeur affirme que, pour des raisons qui ne sont pas claires, l’agente n’a pas pris en compte les risques prévus à l’article 96 dans son analyse et qu’elle ne s’est attachée qu’aux risques prévus à l’article 97 au moment de procéder à la mise en balance exigée par le paragraphe 115(2) et la jurisprudence afférente. De l’avis du demandeur, cette erreur de droit a une incidence sur divers aspects de la décision et il est impossible de dire quelle aurait été le résultat si l’erreur n’avait pas été commise.

 

[62]           Le défendeur, d’autre part, soutient que l’agente a pris en compte les risques énoncés à l’article 96 dans son analyse et que la façon dont la décision a été formulée ne doit pas faire oublier sa substance.

 

[63]           De toute évidence, la première chose que je dois faire consiste à interpréter la décision afin de déterminer si l’agente a fait une erreur de droit en ne mentionnant pas les risques énoncés à l’article 96 dans son analyse fondée sur le paragraphe 115(2).

 

Les risques énoncés à l’article 96

 

[64]           Le demandeur a relevé deux risques fondamentaux auxquels l’expose son retour en Somalie. Premièrement, le risque d’être tué parce qu’il est membre d’une famille qui était associée à l’ancien dictateur Siad Barre, compte tenu du fait que le père et le frère du demandeur ont été tués en raison de cette association. Deuxièmement, le risque du fait de la violence entre clans, qui semble être largement répandue en Somalie. Les deux risques sont liés dans une certaine mesure car le demandeur fait valoir qu’il n’y avait pas de factions aptes ou disposées à le protéger où que ce soit en Somalie.

 

[65]           Dans sa décision, l’agente démontre manifestement qu’elle comprend que, dans l’examen de la question de l’alinéa 115(2)a), les risques énoncés aux articles 96 et 97 doivent être pris en compte :

[traduction] [...] je note que l’alinéa 115(2)a) de la LIPR crée une exception à l’égard de la protection générale dont jouissent les personnes ayant qualité de réfugié, à savoir qu’elles ne seront pas renvoyées dans le pays où elles seraient exposées à un risque de persécution (possibilité élevée ou risque raisonnable de persécution).

 

[66]           L’agente poursuit en citant les articles 96 et 97 de la LIPR.

 

[67]           Dans la partie de la décision portant sur l’évaluation des risques, l’agente se réfère aux observations de l’avocat et souligne les risques spécifiques que le demandeur lui a demandé d’évaluer. L’agente commence ensuite son analyse de la manière suivante :

[traduction] Comme point de départ, je note que l’alinéa 115(2)a) crée une exception à la protection générale dont jouissent les personnes ayant qualité de réfugié, à savoir qu’elles ne seront pas renvoyées dans le pays où elles seraient exposées à un risque de persécution (possibilité élevée ou risque raisonnable de persécution). C’est la transposition dans la législation nationale du Canada du paragraphe 33(2) de la Convention des Nations unies relative au statut des réfugiés. Dans le cadre de cette évaluation des risques, j’ai examiné tous les arguments des avocats au sujet des conditions existant en Somalie et en particulier de la situation personnelle de M. Jama à l’égard de ces conditions. L’analyse que j’ai entreprise vise à déterminer si M. Jama risque, selon la prépondérance des probabilités, d’être personnellement exposé à l’un des risques énumérés à l’article 97 de la LIPR.

 

[68]           Cet exposé est quelque peu confus. La persécution est mise en évidence au début du paragraphe et la partie portant sur les risques énoncés à l’article 97 se trouve à la fin. La Cour doit déterminer si la seule analyse de risque effectuée dans la décision concernant le renvoi du demandeur en Somalie porte sur les « risques énumérés à l’article 97 de la LIPR ».

 

[69]           À la lecture de l’évaluation des risques dans son ensemble, je comprends que bien que l’agente ne fasse pas formellement référence aux risques énoncés à l’article 96, elle prend manifestement en compte les risques énoncés à l’article 96 soulevés par le demandeur et tire des conclusions de fait concernant ces risques :

[traductionM. Jama a déclaré que sa vie serait menacée et qu’il risquait de connaître le même sort que son frère et son père en raison de son appartenance au clan des Darod et plus précisément, en raison de son appartenance au sous-clan des Marehan puisque beaucoup d’entre eux travaillaient pour le régime de Siad Barre. Compte tenu des informations figurant dans le rapport portant sur les conditions du pays, il semblerait qu’à l’heure actuelle, le clan des Darod soit toujours l’un des principaux clans en Somalie. Selon l’article ci-dessus, bien que ces appartenances claniques soient complexes et subdivisées en sous-clans et sous-sous-clans, j’estime que le fait même que M. Jama appartienne à l’un des clans les plus forts qui restent diminue, dans l’ensemble, les risques auxquels son renvoi l’exposerait. Bien que l’avocat rappelle qu’il n’existe nulle part en Somalie de faction qui serait apte ou disposée à le protéger, son appartenance au clan des Darod, l’un des clans les plus importants en Somalie, lui permet de bénéficier du réseau ainsi que de la protection du clan dans les régions du pays où le clan des Marehan est prédominant.

 

Dans ses observations, l’avocat de M. Jama soutient que ce dernier risque de subir le même sort que son père et son frère. Comme il s’agit d’une allégation très grave, je l’ai examinée attentivement. M. Jama est au Canada depuis 18 ans, et vu la preuve qui m’est soumise, j’estime, selon la prépondérance des probabilités, que M. Jama ne sera pas personnellement recherché ou ciblé en tant que fils d’une personne affiliée à l’ancien régime de Siad Barre. Plus particulièrement, je conclus que l’allégation selon laquelle M. Jama risque de subir le même sort que son père et son frère n’est qu’une hypothèse et je ne suis pas convaincue que la probabilité qu’il soit personnellement ciblé à cause de l’affiliation antérieure de son père au régime de Siad Barre représente un risque réel. Au contraire, j’estime qu’il aura probablement été oublié ou qu’il ne représentera pas un intérêt particulier pour l’une des factions en lutte actuellement pour le pouvoir en Somalie. Je fonde cette conclusion sur le fait que M. Jama a été longtemps absent de la Somalie, car il a quitté la Somalie alors qu’il était un jeune homme et réside au Canada depuis 1991. Je conclus donc, selon la prépondérance des probabilités, que M. Jama ne représentera pas un intérêt particulier en Somalie en raison de l’ancien statut de son père, un général associé à Siad Barre, l’ancien président de la Somalie.

 

J’ai également tenu compte des risques auxquels est confronté le clan des Darod, sous-clan des Marehan, en particulier à l’égard du clan Hawiye. Toutefois, l’appartenance de M. Jama à un clan et à un sous-clan ne l’expose pas en soi à un plus grand risque que celui que court tout habitant de la Somalie, où les affrontements interclaniques sont la norme.

 

[70]           Il me semble que, à titre de conclusions de fait, cette partie de la décision examine l’ensemble des risques soulevés par le demandeur et conclue que :

a.                   Le demandeur ne sera ni pris à partie et ciblé en raison de ses associations familiales ni remarqué en Somalie en raison de l’ancien statut de son père, un général associé à Siad Barre, l’ancien président de la Somalie;

b.                   Le demandeur jouit de la protection de son clan et les affiliations de son clan ne l’exposent pas à un plus grand risque que tout autre citoyen de la Somalie, où les affrontements interclaniques sont la norme.

 

[71]           Il me semble que ces conclusions de fait prennent en compte et rejettent tous les risques sur lesquels s’appuie le demandeur, que ce soit à titre de réfugié selon l’article 96 ou comme personne à protéger comme le prévoit l’article 97. Si le demandeur n’est pas remarqué en Somalie, et s’il bénéficie de la [traduction] « protection du clan dans les régions du pays où le clan des Marehan est prédominant », alors il n’a pas de raison de craindre d’être persécuté et il n’a pas besoin d’être protégé à l’égard des risques énoncés à l’article 97.

 

[72]           Il est peut-être possible de contester la raisonnabilité de ces conclusions, mais je ne peux pas dire que l’agente n’a pas pris en compte le risque de persécution suivant l’article 96, dans son analyse fondée sur le paragraphe 115(2).

 

[73]           Il est vrai que l’agente met l’accent sur l’article 97 à divers endroits dans la décision et qu’elle ne relie pas les risques spécifiques soulevés par le demandeur à l’article 96, particulièrement dans la partie intitulée « Conclusion », où l’agente ne traite que de l’article 97 :

[traduction] En examinant les documents pour déterminer si M. Jama court un risque en étant renvoyé en Somalie, j’ai étudié spécifiquement les risques énumérés à l’article 97 de la LIPR. J’ai également gardé à l’esprit que la personne courant ces risques doit « y [être] exposée en tout lieu de ce pays alors que d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas ». Compte tenu de l’information que j’ai examinée, je suis convaincue, selon la prépondérance des probabilités, que M. Jama ne sera exposé à aucun des risques énoncés à l’article 97 de la LIPR.

 

[74]           J’estime que ce passage est essentiel pour comprendre l’approche qu’a adoptée l’agente pour rendre sa décision. Elle dit qu’elle a examiné les documents [traduction] « pour déterminer si M. Jama court un risque en étant renvoyé en Somalie ». Par là, elle veut dire tous les risques. Cependant, elle a également [traduction] « étudié spécifiquement les risques énumérés à l’article 97 de la LIPR ». En d’autres termes, elle veut qu’il soit clair qu’au moment d’évaluer tous les risques, elle a accordé une attention particulière aux risques visés à l’article 97 parce qu’ils soulèvent des questions différentes de celles soulevées par les risques énoncés à l’article 96. Elle n’a pas dit avoir seulement pris en considération les risques énoncés à l’article 97. Une telle interprétation n’aurait pas de sens étant donné qu’elle a dit plus tôt dans la décision au sujet de l’objet de l’article 115 et de son lien avec la « persécution » et les conclusions de fait précises auxquelles elle est arrivée concernant tous les risques invoqués par le demandeur.

 

[75]           Dans la partie « Évaluation du risque » de sa décision, l’agente est soucieuse de déterminer les risques auxquels est exposé le demandeur, pour les mettre en balance avec le risque que le demandeur représente pour le public au canada. En ce qui concerne l’affirmation du demandeur selon laquelle il risque d’être tué en raison de ses liens familiaux, l’agente s’emploie à démontrer qu’elle ne conclut pas en défaveur du demandeur seulement selon la seule prépondérance des probabilités :

[traduction]   Plus particulièrement, je conclus que l’allégation selon laquelle M. Jama risque de subir le même sort que son père et son frère n’est qu’une hypothèse et je ne suis pas convaincue que la probabilité qu’il soit personnellement ciblé à cause de l’affiliation antérieure de son père au régime de Siad Barre représente un risque réel. Au contraire, j’estime qu’il aura probablement été oublié ou qu’il ne représentera pas un intérêt particulier pour l’une des factions actuellement en lutte pour le pouvoir en Somalie.

 

[76]           En d’autres termes, je pense que l’agente affirme que le risque que court le demandeur en raison de ses liens familiaux n’est pas aussi important que le risque qu’il représente pour le public du Canada. Selon moi, il ne s’agit pas d’une conclusion portant exclusivement sur le risque énoncé à l’article 97. Le risque qu’entraîne l’appartenance à un clan est similaire : « M. Jama a déclaré que sa vie serait menacée et qu’il risquait de connaître le même sort que son frère et son père en raison de son appartenance au clan Darod et plus précisément, en raison de son appartenance au sous-clan des Marehan puisque beaucoup d’entre eux travaillaient pour le régime de Siad Barre ».

 

[77]           La raison pour laquelle l’agente accorde une attention particulière aux risques énoncés à l’article 97 est, à mon avis, parce qu’elle doit déterminer si les prétentions du demandeur voulant que sa vie soit menacée nécessitent un examen au titre du sous-alinéa 97b)(ii) en vue de savoir si le demandeur est exposé à ce risque « en tout lieu de ce pays alors que d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas », comme elle l’indique clairement dans sa « Conclusion ». Après avoir conclu que le demandeur n’a pas démontré l’existence d’un « risque » en ce qui concerne ses liens familiaux et claniques, l’agente a ensuite examiné la question des affrontements interclassiques en général et a conclu que, en ce qui concerne ce risque, le demandeur n’est pas exposé [traduction] « à un risque plus élevé que les autres habitants de la Somalie, où les affrontements interclaniques sont la norme ».

 

[78]           Dans l’ensemble, l’agente semble dire que les risques que le demandeur court et qui doivent être mis en balance avec les risques qu’il représente pour le public du Canada sont des risques qui ne visent pas uniquement sa personne (sa famille et son association à des clans), mais qu’il s’agit plutôt de risques auxquels d’autres personnes en Somalie font également face en raison des affrontements interclaniques, qui sont la norme dans ce pays.

 

[79]           En fin de compte, je ne partage pas l’opinion du demandeur voulant que l’agente ait tout simplement ignoré les risques exposés à l’article 96 dans sa détermination des risques auxquels il serait exposé advenant son retour en Somalie. Les risques auxquels tous les Somaliens font face en raison des affrontements interclaniques ne constituent pas des risques au sens de l’article 96 dans un pays où tout le monde paraît appartenir à un clan et faire face au même risque. Le risque auquel le demandeur soutient être exposé en raison de ses liens familiaux et claniques n’est pas établi parce qu’ [traduction] « on ne se souviendra plus de lui et [parce] qu’il ne présentera aucun intérêt particulier pour l’une des factions actuellement en lutte pour le pouvoir en Somalie ». Cela vaut pour les articles 96 et 97.

 

[80]           Le juge Reed a été confronté à un problème similaire dans Isa c. Canada (Secrétaire d’État), [1995] A.C.F. no 254, et a dit ce qui suit aux paragraphes suivants :

5     L’avocat du requérant soutient que la Commission a conclu à tort que celui-ci pourrait revenir dans la région de Gedo. Que les preuves administrées ne permettent pas de conclure qu’il est objectivement raisonnable d’attendre de lui qu’il le fasse, et que pareille conclusion contredit la constatation initiale de la Commission, savoir que « la guerre civile, l’insécurité et la violence anarchique, combinées avec la sécheresse et la famine qui ont ravagé la Corne de l’Afrique, menacent une grande partie de la population somalienne survivante... ». Et que les réfugiés qui reviennent du Kenya en Somalie le font à cause de l’hostilité manifestée par les Kenyans à leur endroit, et non pas parce qu’il est raisonnable de leur part de rentrer.

 

6     Je ne suis pas convaincue que la Commission a appliqué le mauvais critère. Ainsi qu’elle l’a noté, la Cour d’appel fédérale a jugé, dans la cause Salibian, qu’une situation de guerre civile n’empêche pas de conclure qu’un individu est un réfugié au sens de la Convention. Il a été jugé que si la crainte de l’individu s’explique par l’éventualité d’actes répréhensibles commis contre les membres du groupe auquel il appartient ou contre tous les citoyens pour l’une des causes visées à la définition de réfugié au sens de la Convention, alors cet individu pourrait en revendiquer le statut. Le requérant dans cette affaire était un Arménien chrétien du Liban.

 

7     L’arrêt Rizkallah c. Ministre de l’Emploi et de l’Immigration (A‑606‑90, 6 mai 1992 [Voir [1992] F.C.J. No. 412]) de la Cour d’appel fédérale, qui portait également sur un Libanais chrétien, a confirmé la décision de la section du statut qui refusait de reconnaître à ce dernier le statut de réfugié au sens de la Convention. Il a été jugé que "pour avoir gain de cause, les demandeurs du statut de réfugié doivent établir qu’ils font eux-mêmes l’objet de persécution pour un motif visé par la Convention", c’est-à-dire que "cette persécution doit être dirigée contre eux, soit personnellement, soit en tant que membres d’une collectivité". Il a été jugé en outre que les preuves produites n’établissaient pas que les chrétiens du village libanais du demandeur fussent collectivement persécutés d’une manière qui pourrait les distinguer de l’ensemble des victimes de la terrible guerre civile que se livraient les nombreuses parties.

 

8     Les guerres civiles sont pour la plupart, sinon toutes, causées par un conflit racial ou ethnique. Si les attaques motivées par la haine raciale dans une situation de guerre civile devaient constituer un motif de revendication du statut de réfugié, il s’ensuivrait que tous les individus appartenant à l’un et l’autre camp se qualifient comme réfugiés. Le passage du Guide des Nations Unies (supra) que cite la Commission indique que tel n’est pas l’objectif de la Convention de 1951.

 

9     La revendication du requérant n’est guère que l’assertion qu’il est un réfugié au sens de la Convention parce qu’il fait partie du sous-clan des Marehan de la tribu des Darod. La Commission a pris acte qu’à la question de savoir s’il risquait en Somalie des difficultés autres que la guerre, il a répondu par la négative. Elle a également noté qu’en sa qualité de Marehan, il pouvait vivre dans la région de Gedo, mais qu’il y aurait toujours la peur que la région ne soit attaquée. Les preuves documentaires produites font état d’attaques brutales contre les Darod, mais il est aussi clair qu’elles ont leur origine dans la guerre tribale en Somalie. Selon ces preuves documentaires, le général "Morgan", l’un des chefs de guerre en présence et le chef du SNF, était un Marehan de la tribu des Darod. Elles corroborent la conclusion tirée par la Commission que "tous les clans et sous-clans sont à la fois auteurs et victimes des actes de violence continue et que le clan du demandeur n’a pas été marqué pour la persécution séparément des autres clans" (voir, par exemple, les pages 238, 239, 2411, 243, 271, 272, 282, 285, 288, 292, 294, 298 du dossier de la requête). Il est clair que le risque auquel est exposé un clan ou sous-clan quelconque est fonction de la région où se trouvent ses membres. La Cour ne trouve rien à redire à la conclusion tirée par la Commission que la crainte éprouvée par le requérant n’était pas différente de celle des autres citoyens somaliens face à la guerre civile qui n’en finit pas dans ce pays.

           

[81]           Je ne constate aucune erreur susceptible de révision en ce qui concerne cette question.

 

Perte de l’asile

[82]           Le demandeur soutient également qu’en ne traitant pas de l’article 96, l’agente n’a pas fait une analyse complète concernant la perte de la qualité de réfugié et n’a pas pris en compte les critères exposés à l’article 108 (raisons impérieuses).

 

[83]           Tout d’abord, comme expliqué ci-dessus, j’estime que l’agente n’a pas omis d’effectuer une analyse au regard de l’article 96. L’agente a formulé des conclusions de fait précises voulant que les risques invoqués par le demandeur (les risques auxquels il est personnellement exposé en raison de ses liens avec sa famille et ses affiliations claniques) n’ont pas été démontrés.

 

[84]           Selon mon interprétation de l’alinéa 115(2)a) de la LIPR, rien ne permet d’affirmer, comme le fait le demandeur, que les critères énoncés à l’article 108 doivent être pris en considération. L’agente n’effectuait pas une analyse touchant la perte de la qualité de réfugié suivant l’alinéa 115(2)a), et la décision Ragupathy c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CAF 151, aux paragraphes 18 et 19, démontre très clairement le type d’évaluation que l’agente était tenue d’effectuer dans ce cas. À mon avis, c’est exactement le type d’analyse que l’agente a effectuée.

 

[85]           La jurisprudence indique clairement qu’il incombe au demandeur d’établir l’existence de risques et que, ce faisant, il ne peut simplement s’autoriser de sa qualité de réfugié, en particulier lorsque, comme en l’espèce, beaucoup de temps s’est écoulé depuis que cette décision a été rendue (1992). Le juge Pinard a déclaré ce qui suit dans Camara :

58     Toutefois, le fait que le demandeur ait été considéré à risque par la Section du statut en 1992 n’établissait pas qu’il était toujours à risque en 2005.

 

59     En fait, rien dans la preuve présentée à la déléguée du ministre, tant par l’Agence que par l’ancienne avocate du demandeur, ne permettait de croire qu’il y avait une possibilité sérieuse ou raisonnable que le demandeur soit persécuté pour l’un des motifs de la Convention ou qu’il soit exposé à un risque prévu à l’article 97 de la Loi lors d’un retour dans son pays. En outre, rien ne permettait de croire que le demandeur avait un casier judiciaire en Guinée, que des accusations avaient été portées contre lui en 1991 ou qu’il serait puni par les autorités guinéennes pour les crimes qu’il a commis au Canada.

 

60     Il appartenait au demandeur de démontrer qu’il serait toujours à risque dans son pays, ce qu’il n’a pas fait devant la déléguée du ministre.

 

[86]           La juge Snider a confirmé à nouveau ce principe dans Hasan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 1069 :

20     J’estime sans fondement cet argument du demandeur, dont la faille essentielle est que le paragraphe 115(2) ne fait pas perdre à l’intéressé la qualité de personne protégée ou de réfugié au sens de la Convention. Le principe du non-refoulement est clairement énoncé au paragraphe 115(1). La décision de la déléguée a été rendue en application du paragraphe 115(2) de la LIPR et elle n’a pas eu pour effet d’enlever au demandeur sa qualité de réfugié au sens de la Convention non plus que de porter atteinte à cette qualité (Ragupathy, précitée, au paragraphe 2; Sittampalam c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2007 CF 687, 62 Imm. L.R. (3d) 271, au paragraphe 52).

 

21     Le paragraphe 115(2) ne prévoit pas l’obligation pour le ministre d’évaluer le risque couru par la personne dont on a conclu qu’elle constituait un danger. Cette obligation découle de l’article 7 de la Charte, tel qu’en a décidé la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Suresh, précité. On ne peut donc établir de parallèle entre les dispositions sur la perte de l’asile de l’article 108, qui oblige expressément le ministre à démontrer que n’existent plus les raisons pour lesquelles l’intéressé a demandé l’asile, et l’article 115, à l’égard duquel la seule obligation entrant en jeu découle de la Charte.

 

22     Il est clairement établi en jurisprudence qu’une fois qu’il a été conclu que le demandeur constitue un danger pour le public, c’est à lui d’établir qu’il serait exposé à un risque (se reporter, par exemple, à Camara c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 168, aux paragraphes 58 à 60; Al-Kafage c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 815, 63 Imm. L.R. (3d) 234, au paragraphe 15; Nagalingam, 1re inst., précitée, au paragraphe 25). Plus récemment, dans l’appel Nagalingam, précité, la Cour d’appel fédérale a confirmé (au paragraphe 44) que « le réfugié au sens de la Convention ou la personne protégée ne peut s’autoriser de son statut pour réclamer l’application de l’article 7 de la Charte ».

 

[87]           À mon avis, donc, les principes de la perte de l’asile ne s’appliquent pas en l’espèce. L’agente a simplement constaté que le demandeur n’avait pas démontré l’existence d’un risque et qu’en raison du passage du temps et du contexte global dans la présente affaire, il ne courait plus personnellement de risque. Je ne constate aucune erreur susceptible de révision à cet égard.

 

Prise en compte des risques et des motifs d’ordre humanitaire

[88]           Le demandeur fait valoir que dans son examen des motifs d’ordre humanitaire, l’agente n’a pas tenu compte du risque auquel l’expose son renvoi en Somalie. Le demandeur soutient que même s’il n’a pas été en mesure de démontrer l’existence d’un risque prévu aux articles 96 ou 97, il fait tout de même face à certains risques advenant son renvoi en Somalie et que cela aurait dû être pris en compte. Par exemple, l’agente a jugé que le demandeur court le même risque que les autres habitants de la Somalie à l’égard des affrontements interclaniques. Le demandeur déclare que cela aurait dû être pris en compte au moment de peser les risques qu’il représente pour le public du Canada.

 

[89]           Je n’ai trouvé aucune jurisprudence à l’appui de cet argument. Je reconnais avec le demandeur que si une demande pour motifs humanitaires était à l’étude, un tel risque constituerait un facteur à prendre en compte. Cependant, j’estime que l’alinéa 115(2)a) requiert un type d’analyse et de mise en balance très différent.

[90]           Comme la décision Ragupathy le montre clairement au paragraphe 18, l’agente doit tout d’abord déterminer si le demandeur représente un danger pour le public. L’agente doit alors décider « si, et dans quelle mesure, la personne risquerait d’être persécutée, torturée ou de subir d’autres peines ou traitements inhumains si elle était renvoyée ». L’agente doit alors « mettre en balance le risque et, apparemment, les autres circonstances d’ordre humanitaire, avec la gravité du danger que cette personne constituerait pour le public dans le cas où celle‑ci demeurerait au Canada ».

 

[91]           En d’autres termes, l’objectif de l’alinéa 115(2)a) et la mise en balance exigée par la jurisprudence ne visent pas à déterminer si les motifs d’ordre humanitaire suffisent à dispenser le demandeur de satisfaire à la Loi. L’objectif est de déterminer si le risque que le demandeur représente pour le public du Canada l’emporte sur les risques qu’il court en cas de renvoi et sur les « autres motifs d’ordre humanitaire ». Le risque pour le demandeur est traité séparément dans le processus de mise en balance et les « autres motifs d’ordre humanitaire » ne peuvent pas, à mon avis, vouloir dire autre chose que des motifs d’ordre humanitaire « autres » que le risque.

 

[92]           Je ne constate aucune erreur susceptible de révision à l’égard de cette question.

 

Conclusions

[93]           Je ne constate aucune erreur susceptible de révision concernant les questions soulevées par le demandeur et je conclus que la présente demande devrait être rejetée.

 

[94]           Les avocats devront signifier et déposer des observations à l’égard de la certification d’une question d’importance générale dans les sept jours suivant la réception des présents motifs. Chaque partie disposera d’un délai supplémentaire de trois jours pour signifier et déposer toute réplique aux observations de la partie adverse, à la suite de quoi un jugement sera rendu.

 

 

 

« James Russell »

Juge

 

Traduction certifiée conforme

Jean-François Vincent

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                                IMM-5691-08

 

STYLE OF CAUSE:                                                  MOHAMED SAID JAMA

                                                                                    c.

MINISTRE DE L’IMMIGRATION ET DE LA CITOYENNETÉ

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                                         WINNIPEG

 

DATE DE L’AUDIENCE :                                       14 juillet 2009

 

MOTIFS DU JUGEMENT :            Le juge RUSSELL

 

DATE DES MOTIFS :                                               Le 29 juillet 2009

 

 

OBSERVATIONS ÉCRITES :

 

David Matas                                                                 POUR LE DEMANDEUR

 

Nalini Reddy                                                                POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

David Matas                                                                 POUR LE DEMANDEUR

Avocats

Winnipeg (Man.)

                       

John H. Sims, c. r.                                                        POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

 

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