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Cour fédérale

 

Federal Court


 

Date : 20090729

Dossier : IMM-5615-08

Référence : 2009 CF 774

Ottawa (Ontario), le 29 juillet 2009

En présence de monsieur le juge Kelen

 

 

ENTRE :

PARMJIT SINGH

demandeur

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision rendue le 31 octobre 2008, dans laquelle la demande d’examen des risques avant renvoi (l’ERAR) présentée par le demandeur a été rejetée sur le fondement que le demandeur ne serait pas exposé à un risque de persécution s’il retournait dans son pays de nationalité, l’Inde.

 

LES FAITS

[2]               Le demandeur est âgé de 43 ans et est un citoyen de l’Inde originaire de l’État du Panjab. Son frère et sa mère demeurent à Brampton, en Ontario. Sa première demande de visa de visiteur au Canada, présentée le 26 juin 1997, et sa seconde demande, présentée le 8 mars 2004, ont été refusées en raison de réserves portant sur son salaire et son emploi. Cependant, le demandeur s’est vu délivrer un permis de séjour temporaire valide pour trois semaines le 20 juillet 2004.

 

[3]               Le demandeur est arrivé au Canada le 25 juillet 2004 et il a demandé l’asile le 20 août 2004. Le demandeur a affirmé craindre d’être persécuté aux mains de la police de l’Inde parce que la police croyait qu’il était associé avec des activistes cachemiriens. Le demandeur a également affirmé qu’il craignait d’être persécuté aux mains des activistes cachemiriens. Sa demande a été rejetée par la Section de la protection des réfugiés le 16 mai 2005 au motif qu’il n’était pas crédible et qu’il avait de toute façon une possibilité de refuge intérieur. La demande d’autorisation et de contrôle judiciaire de cette décision a été rejetée le 13 septembre 2005.

 

[4]               La décision de la SPR renfermait une analyse exhaustive de la demande présentée par le demandeur et la SPR a conclu comme suit à la page 2 de sa décision :

[…] Toutefois, presque tous les éléments de sa description de cette arrestation étaient contradictoires. Le demandeur d’asile a donné des réponses multiples à la question concernant la durée de sa détention. Il a dit que la détention avait duré 15 jours lors de son témoignage de vive voix, alors qu’il a indiqué qu’elle avait duré environ deux jours dans son FRP. Il a dit qu’elle avait duré une journée à l’agent d’immigration. À l’agent de protection des réfugiés, il a dit qu’il était retourné chez lui, que la police l’avait autorisé à retourner chez lui le jour même après lui avoir soutiré un montant d’argent pour sa libération. Il s’est vu offrir la possibilité d’expliquer ces contradictions quant à la durée de sa détention, mais il n’a pas pu y arriver. Le tribunal n’accorde aucune importance à l’allégation du demandeur d’asile selon laquelle il aurait été persécuté dans le passé du fait des opinions politiques qui lui étaient prêtées, et ce, en raison de ces contradictions non expliquées et pour les motifs exposés ci‑dessous.

 

La SPR a par la suite fait état d’un certain nombre d’autres contradictions dans le témoignage du demandeur et a conclu comme suit à la page 4 :

 

Le tribunal a estimé que les éléments de preuve du demandeur d’asile quant à son arrestation et à sa détention, qui représente l’incident central sur lequel repose sa demande d’asile, sont incohérents et contradictoires. Ils manquent de crédibilité ou de fiabilité.

 

 

[5]               Le demandeur a présenté une demande de résidence permanente fondée sur des motifs d’ordre humanitaire de l’intérieur du Canada. Cette demande a été rejetée le 29 octobre 2005. Le 9 mars 2006, le demandeur a présenté la demande d’ERAR sous­jacente à la présente demande de contrôle judiciaire.

 

La décision d’ERAR soumise au contrôle

[6]               L’agent d’examen des risques avant renvoi (l’agent d’ERAR) a conclu que les nouveaux éléments de preuve qui lui ont été présentés et dont ne disposait pas la SPR n’établissaient pas que le demandeur serait exposé à un risque de persécution s’il retournait en Inde.

 

[7]               L’agent d’ERAR a reconnu que le demandeur avait déposé deux affidavits d’une page chacun comme nouveaux éléments de preuve personnels et objectifs. L’un de ces affidavits a été signé par l’épouse du demandeur, Mme Kuldip Kaur; l’autre affidavit a été signé par une personne nommée Gursharan Singh Namberdar. L’agent a noté que le dernier affidavit ne mentionnait pas les références de M. Namberdar ni son lien avec le demandeur. L’agent a résumé les affidavits à la page 11 du dossier de demande :

[traduction]

Selon les deux affidavits, le demandeur a été faussement accusé d’avoir des liens avec des militants, de leur avoir fourni de la nourriture et un abri ainsi que de les avoir aidés, et le demandeur a été injustement arrêté et torturé par la police. Les affidavits mentionnent que le demandeur a été relâché non seulement parce qu’il avait donné un pot‑de‑vin, mais également parce qu’il avait obtenu de l’aide de personnes haut placées dans la région. [] Les deux affidavits mentionnent que la police continue de se rendre à la maison du demandeur afin de harceler sa famille et ils renferment une mise en garde : le demandeur ne devrait pas retourner à sa maison parce qu’il pourrait être arrêté, torturé et tué par la police s’il y retournait.

 

[8]               L’agent a conclu que la preuve selon laquelle la police avait continué de harceler la famille du demandeur après son départ ne constituait pas une nouvelle preuve et que la SPR disposait de cette preuve (dossier de demande, page 11).

 

[9]               L’agent a examiné les rapports sur la situation au pays et a conclu que la situation en Inde n’avait pas changé depuis 2005 d’une telle façon qu’il y aurait un risque nouveau ou supplémentaire. L’agent a conclu comme suit (dossier de demande, page 12) :

[traduction]

En conclusion, après avoir examiné l’ensemble de la preuve, je conclus que la nouvelle preuve déposée par le demandeur ne me convainc pas qu’il y a plus qu’une simple possibilité qu’il serait persécuté en Inde, ni que, selon toute vraisemblance, il serait exposé à une menace à sa vie ou à un risque de torture ou de traitements ou peines cruels et inusités. Le demandeur ne respecte pas les conditions prévues aux articles 96 et 97 de la LIPR. Il n’est ni un réfugié au sens de la Convention ni une personne à protéger.

 

LES QUESTIONS EN LITIGE

[10]           Le demandeur affirme que l’agent d’ERAR a commis une erreur :

1.      en omettant d’examiner le risque particulier soulevé par le demandeur;

 

2.      en appliquant le mauvais critère lorsqu’il a exigé que le demandeur présente une nouvelle preuve ou établisse qu’il serait exposé à un risque [traduction] « nouveau, différent ou supplémentaire »;

 

3.      en concluant que les affidavits ne constituaient pas de nouveaux éléments de preuve;

 

4.      en manquant à l’équité procédurale parce qu’il n’a pas communiqué des documents publiés après les observations du demandeur;

 

5.      en omettant de fournir des motifs adéquats.

 

LA NORME DE CONTRÔLE

[11]           La norme applicable aux décisions des agents d’ERAR est habituellement la raisonnabilité; Erdogu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 407, [2008] A.C.F. n546 (QL); Elezi c. Canada, 2007 CF 40, 310 F.T.R. 59. Les erreurs alléguées par le demandeur portent sur des questions mixtes de fait et de droit et la norme applicable est donc la raisonnabilité.

 

[12]           Dans le cadre du contrôle de la raisonnabilité des conclusions de l’agent, la Cour « examinera la justification de la décision, […] la transparence et […] l’intelligibilité du processus décisionnel », ainsi que « l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit »; (Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, 372 N.R. 1, paragraphe 47).

 

[13]           La première et la deuxième question en litige soulevées par le demandeur constituent des questions de droit et la norme applicable à ces questions est la décision correcte. La quatrième question en litige soulève une question d’équité procédurale et la norme applicable sera donc également la décision correcte.

 

ANALYSE

La question en litige no 1 : L’agent a­t­il omis d’examiner le risque particulier soulevé par le demandeur?

[14]           Le demandeur soutient que l’agent d’ERAR n’a fourni aucune analyse en ce qui concerne le risque particulier qu’il avait soulevé, et que l’agent, en fait, n’a pas mentionné les risques particuliers soulevés dans sa demande d’ERAR.

 

[15]           Le demandeur se fonde sur deux décisions : Brzezinkska c. Canada (MCI) 2006 CF 1182, 57 Imm. L.R. (3d) 59; et Hovarth c. Canada, 2008 CF 1005, 74 Imm. L.R. (3d) 198. Dans ces deux décisions, le juge Campbell a conclu que l’agent d’ERAR avait commis une erreur parce qu’il avait simplement cité la plus grande partie d’une décision de la SPR et qu’il avait effectué une analyse générale de la situation du pays sans examiner la protection de l’État au regard des risques particuliers soulevés par le demandeur. Ces deux affaires sont différentes de la présente affaire. En l’espèce, les risques soulevés par le demandeur ressortent clairement des motifs de l’agent d’ERAR. À la page 10 de sa décision, l’agent cite la décision de la SPR, dans laquelle la SPR mentionne ce qui suit :

Le demandeur d’asile craint maintenant la police et les militants cachemiriens advenant son retour en Inde. Il craint la police parce qu’elle croit qu’il a été un sympathisant des militants cachemiriens.

 

[16]           L’agent a par la suite résumé les deux affidavits présentés comme nouvelle preuve, et a affirmé ce qui suit à la page 11 :

[traduction]

Les deux affidavits mentionnent que la police continue de se rendre à la maison du demandeur afin de harceler sa famille et ils renferment une mise en garde : le demandeur ne devrait pas retourner à sa maison parce qu’il pourrait être arrêté, torturé et tué par la police s’il y retournait.

 

[17]           Il ressort clairement des motifs que l’agent d’ERAR a compris le risque auquel le demandeur avait affirmé devoir faire face s’il retournait en Inde et qu’il a correctement relevé les documents que le demandeur avait déposés en tant que nouveaux éléments de preuve.

 

La question en litige no 2 : L’agent d’ERAR a­t­il commis une erreur de droit en exigeant que le demandeur établisse qu’il serait exposé à un risque nouveau, différent ou supplémentaire?

 

[18]           Le demandeur affirme que l’agent d’ERAR a, à tort, affirmé qu’un demandeur d’ERAR devait déposer des éléments de preuve établissant qu’il serait exposé à une situation soulevant des risques nouveaux, différents ou supplémentaires. Il soutient que, dans le cadre d’une demande d’ERAR, le demandeur doit seulement présenter des éléments de preuve survenus depuis le rejet de sa demande ou qui n’étaient pas raisonnablement accessibles et que l’ERAR peut renfermer un examen d’une partie ou de l’ensemble des questions de fait et de droit qui ont été tranchées dans la demande d’asile. Le demandeur se fonde sur les pages 10 et 11 des motifs de l’agent d’ERAR, dans lesquelles il a cité une décision que j’ai rendue : Kaybaki c. Canada (Solliciteur général du Canada), 2004 CF 32, 128 A.C.W.S. (3d) 784 :

[traduction]

Comme l’établit la décision Kaybaki, « le but d’un ERAR n’est pas de débattre à nouveau des faits présentés à la SPR. La décision de la SPR doit être considérée comme définitive pour ce qui est de la question de la protection prévue aux articles 96 ou 97, sous réserve uniquement de la possibilité que de nouveaux éléments de preuve démontrent que le demandeur sera exposé à une situation soulevant un risque nouveau, différent ou supplémentaire qui ne pouvait pas être examiné au moment où la SPR a rendu sa décision. » Je conclus que la nouvelle preuve n’établit pas que le demandeur serait exposé à une situation soulevant un risque nouveau, différent ou supplémentaire qui n’aurait pas pu être envisagé par la formation de la SPR.

 

 

[19]           L’argument du demandeur est fondé sur une mauvaise interprétation des mots [traduction] « situation soulevant un risque nouveau, différent ou supplémentaire » utilisés par l’agent d’ERAR. Contrairement à l’argument du demandeur, il ne s’agit pas de la même chose que d’exiger l’établissement de [traduction] « risques nouveaux, différents ou supplémentaires ». Rien dans la citation précitée ou dans la décision relative à l’ERAR ne donne à penser que l’agent d’ERAR a, à tort, estimé que le demandeur devait lui présenter des éléments de preuve établissant un risque nouveau, différent ou supplémentaire dont ne disposait pas la SPR. Les mots [traduction] « situation soulevant un risque nouveau, différent ou supplémentaire » utilisés dans la décision Kaybaki et cités à juste titre par l’agent d’ERAR, renvoient à l’obligation que la preuve établisse une situation nouvelle, différente ou supplémentaire au regard de la preuve dont disposait la SPR.

 

[20]           La Cour d’appel fédérale a expliqué ce qui suit au paragraphe 13 de l’arrêt Raza c. Canada (MCI), 2007 CAF 385, 370 N.R. 344 :

[…] l’agent d’ERAR doit prendre acte de la décision de la SPR de rejeter la demande d’asile, à moins que des preuves nouvelles soient survenues depuis le rejet, qui auraient pu conduire la SPR à statuer autrement si elle en avait eu connaissance.

 

[21]           En l’espèce, l’agent d’ERAR a décrit les deux nouveaux affidavits, lesquels répètent simplement les allégations dont était saisie la SPR, mais ils fournissent des renseignements à jour. De plus, l’agent d’ERAR a noté que l’un des affidavits avait été signé par la femme du demandeur et que l’autre affidavit provenant d’un associé du demandeur, dont les liens avec le demandeur n’ont pas été expliqués; il n’y a également aucune mention quant à savoir comment cet associé a été mis au courant des faits que renferment les affidavits. En outre, l’agent d’ERAR a noté que les deux affidavits étaient exactement pareils [traduction] « mot pour mot » et [traduction] que « les deux affidavits répètent les faits dont a déjà tenu compte la SPR » (sauf en ce qui concerne la mise à jour d’une allégation que le demandeur avait présentée à la SPR). Cette conclusion tirée par l’agent d’ERAR établit qu’aucun poids n’a été accordé à ces affidavits. Rien ne permet d’établir que ces affidavits constituent de nouveaux éléments de preuve qui contredisent la conclusion relative à la crédibilité tirée par la SPR, laquelle a été tirée après que la SPR eut examiné le témoignage oral du demandeur et eut fourni des motifs détaillés expliquant pourquoi elle a conclu que le témoigne du demandeur n’était pas crédible.

 

La question en litige no 3 : L’agent a­t­il commis une erreur en concluant que les affidavits ne constituaient pas de nouveaux éléments de preuve?

[22]           Le demandeur soutient que l’agent d’ERAR a commis une erreur en concluant que les affidavits de sa femme et de la connaissance ne constituaient pas de nouveaux éléments de preuve. L’agent d’ERAR a affirmé ce qui suit à la page 11 :

[traduction]

À la suite de la lecture des documents, je conclus que les deux affidavits répètent des faits dont a déjà tenu compte la SPR. L’exposé circonstancié qui se trouve dans le FPR du demandeur mentionne que le demandeur a été arrêté parce qu’il était soupçonné d’aider des activistes cachemiriens qui louaient une chambre pour lui. Dans le dernier paragraphe de l’exposé circonstancié, le demandeur affirme ce qui suit :

 

Mes frères ont été capables de m’aider à obtenir un visa de visiteur au Canada, et mon épouse ainsi que mon ami m’ont affirmé au téléphone que la police me cherchait toujours. Je ne devrais pas retourner en Inde. Si j’y retourne, je serai arrêté, torturé et peut­être tué lors d’un coup monté.

 

Par conséquent, bien que les deux affidavits aient été rédigés après la décision de la SPR, je conclus que ce que renferment ces documents ne constitue pas de nouveaux éléments de preuve.

 

[23]           Le demandeur soutient que, même si la SPR disposait de ce que renferment les affidavits – c’est­à­dire les renseignements selon lesquels la police cherchait le demandeur et l’allégation selon laquelle le demandeur serait exposé à un risque aux mains de la police s’il devait retourner en Inde –, les affidavits soutiennent la crédibilité du demandeur. La SPR a conclu que, malgré que le demandeur ait été détenu, ses allégations selon lesquelles il avait été torturé en prison et que la police continuait de le chercher ne sont pas crédibles. Les affidavits renferment les déclarations sous serment de deux autres personnes qui déclarent que ces faits se sont bien produits.

[24]           La Cour a minutieusement examiné les deux nouveaux affidavits. Sur le fond, les deux affidavits sont exactement pareils, et ils sont rédigés de la même façon. Les deux affidavits sont simples et peu détaillés, et ils répètent simplement les allégations sur lesquelles le demandeur avait fondé sa demande d’asile. De toute évidence, ces affidavits auraient pu être déposés auprès de la SPR lors de l’audience et ils ne constituaient pas de nouveaux éléments de preuve établissant un fait qui n’était pas connu du demandeur d’asile au moment de l’audition de sa demande d’asile. En outre, les affidavits sont intéressés et ne proviennent pas de sources objectives.

 

[25]           La seule nouvelle partie des deux affidavits est une phrase qui se lit comme suit :

[traduction]

La police vient encore de temps en temps à la maison pour harceler la famille du demandeur.

 

Cette phrase se trouve mot pour mot dans les deux affidavits. Il était raisonnablement loisible à l’agent d’ERAR de donner à ces affidavits peu ou pas de poids en tant que nouveaux éléments de preuve.

 

[26]           Au paragraphe 13 de l’arrêt Raza c. Canada (MCI), précité, la Cour d’appel fédérale a énoncé le critère relatif aux nouveaux éléments de preuve. La juge Sharlow a mentionné ce qui suit :

[13] […]

3. Nouveauté : Les preuves sont‑elles nouvelles, c’est‑à‑dire sont‑elles aptes :

 

a)                  à prouver la situation ayant cours dans le pays de renvoi, ou un événement ou fait postérieur à l’audition de la demande d’asile?

b)                  à établir un fait qui n’était pas connu du demandeur d’asile au moment de l’audition de sa demande d’asile?

c)                  à réfuter une conclusion de fait tirée par la SPR (y compris une conclusion touchant la crédibilité)?

[27]           Une preuve pouvant réfuter une conclusion défavorable relative à la crédibilité est donc « nouvelle » en ce sens que l’issue de l’audience relative à la demande d’asile aurait pu être différente si la SPR avait disposé de cette preuve. Par conséquent, l’affirmation sous serment des déposants, selon laquelle les faits qui n’avaient pas été estimés crédibles par la SPR sont véridiques, fait en sorte que les affidavits constituent de nouveaux éléments de preuve au sens de l’alinéa 113a) de la LIPR. Même si l’agent d’ERAR pouvait accorder à ces affidavits le poids qu’il jugeait approprié, il a commis une erreur en les écartant sur le fondement qu’ils ne constituaient pas une « nouvelle preuve ». Cependant, l’agent d’ERAR a, de façon implicite, conclu que ces deux affidavits n’étaient pas crédibles parce qu’ils étaient en tout point pareils et qu’ils ne provenaient pas de sources objectives. Des affidavits si peu convaincants ne pouvaient pas supplanter les conclusions détaillées relatives à la crédibilité tirées par la SPR en l’espèce.

 

 

La question en litige no 4 : L’agent d’ERAR a­t­il manqué à l’équité procédurale envers le demandeur parce qu’il n’a pas communiqué des documents publiés après les observations présentées par le demandeur dans sa demande d’ERAR?

 

[28]           Le demandeur soutient que l’agent a manqué à l’équité procédurale en se fondant sur des documents publiés après ses observations présentées dans sa demande d’ERAR et en ne lui communiquant pas ces documents ou en ne lui donnant pas l’occasion d’y répondre. L’avocat du demandeur a présenté les observations écrites le 11 avril 2006 et a présenté d’autres éléments de preuve documentaires à l’appui de la demande d’ERAR le 3 mai 2006. Tous les documents portant sur la situation au pays sur lesquels s’est fondé l’agent d’ERAR ont été publiés soit en 2007, soit en 2008, à l’exception d’un seul document. Le demandeur s’est fondé sur la décision Kumaraswany c. Canada (MCI), 2008 CF 597, dans laquelle le juge Mandamin a conclu que l’omission de l’agent d’ERAR de communiquer au demandeur un document rédigé par le Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés constituait un manquement à l’équité procédurale, et il a affirmé ce qui suit au paragraphe 18 :

[…] l’agent d’ERAR a le droit, et même a l’obligation, de tenir compte du rapport de l’UNHCR, à titre de rapport récent sur la situation changeante dans le pays, et il peut également faire référence aux lignes directrices du Home Office en réponse au rapport, lesquelles examinent la même situation. Cependant, étant donné que ces documents ont été publiés après la présentation des observations, l’agent aurait dû informer le demandeur de leur existence pour pouvoir profiter de ses observations.

 

[29]           Dans la décision Kumaraswamy, le juge Mandamin a affirmé que les faits sous­jacents à cette affaire étaient différents de ceux de la décision Sinnasamy c. Canada (MCI), 2008 CF 67, 164 A.C.W.S. (3d) 667, dans laquelle le juge de Montigny avait conclu que l’agent d’ERAR n’avait aucune obligation de communication. Dans la décision Sinnasamy, le juge de Montigny a conclu que, lorsqu’un document fait partie du domaine public et s’il renferme les types de renseignements sur lesquels les agents se fondent habituellement, il n’existe pas d’obligation de communication. Il a renvoyé à l’arrêt Mancia c. Canada, [1998] 3 C.F. 461, dans laquelle la Cour d’appel fédérale s’est penchée sur la question de savoir si l’agent saisi d’une demande présentée par un demandeur faisant partie de la catégorie des demandeurs non reconnus du statut de réfugié au Canada doit communiquer les documents portant sur la situation générale au pays sur lesquels il s’est fondé et qui sont issus de sources publiques. Le juge Décary a affirmé ce qui suit aux paragraphes 22 et 26 :

22 [...] Premièrement, un demandeur est réputé savoir, grâce à son expérience du processus applicable aux réfugiés, sur quel type de preuve concernant la situation générale dans un pays l’agent d’immigration s’appuiera et où trouver cette preuve; en conséquence, l’équité n’exige pas qu’il soit informé des documents auxquels il peut avoir accès dans les centres de documentation. Deuxièmement, lorsque l’agent d’immigration entend se fonder sur une preuve qui ne se trouve normalement pas dans les centres de documentation, ou qui ne pouvait pas y être consultée au moment du dépôt des observations du demandeur, l’équité exige que le demandeur soit informé de toute information inédite et importante faisant état d’un changement survenu dans la situation générale d’un pays si ce changement risque d’avoir une incidence sur l’issue du dossier.

 

26 Les documents sont du domaine public. Ils sont de nature générale et neutres, en ce sens qu’ils ne renvoient pas expressément à un demandeur et que le Ministère ne les rédige pas ni ne cherche à les obtenir aux fins de la procédure en cause. Ils ne font pas partie des « prétentions » auxquelles un demandeur doit répondre. Ils sont accessibles et peuvent être consultés, sauf preuve du contraire, dans les dossiers, répertoires et registres des Centres de documentation. Ils sont généralement préparés par des sources dignes de confiance. Ils peuvent être répétitifs, en ce sens que, souvent, ils se limitent à répéter, confirmer ou exposer en d’autres termes la situation générale dans un pays décrite dans des documents déjà accessibles. Le fait qu’un document ne devienne accessible qu’après le dépôt des observations d’un demandeur ne signifie absolument pas qu’il contient des renseignements nouveaux ni que ces renseignements sont pertinents et qu’ils auront une incidence sur la décision. À mon avis, l’obligation de communiquer un document au demandeur se limite aux cas où un agent d’immigration s’appuie sur un document important postérieur aux observations et où ce document fait état de changements survenus dans la situation générale du pays qui risquent d’avoir une incidence sur sa décision.

 

[30]           Le juge de Montigny s’est également fondé sur la décision Al Mansuri c. Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2007 CF 22, dans laquelle la juge Dawson a conclu ce qui suit au paragraphe 52 :

52 [...] l’obligation d’équité ne commandait pas la divulgation des deux documents en cause, et cela pour les raisons suivantes : la nature récurrente des arguments des demandeurs à propos du risque, le fait que les deux documents étaient accessibles au public, la notoriété du Home Office du Royaume‑Uni comme source fiable de renseignements sur les conditions ayant cours dans un pays, la nature générale du contenu des deux documents en cause, et enfin le fait que des documents d’Amnesty International sur le même sujet étaient présentés par les demandeurs à l’agente d’ERAR. S’ils l’avaient voulu, les demandeurs auraient pu accéder aux documents. En conséquence, et vu le contenu des documents d’Amnesty International que les demandeurs ont produits, les demandeurs n’ont pas été privés d’une véritable occasion de présenter pleinement et équitablement leurs arguments concernant le risque.

 

[31]           Dans la décision Sinnasamy, le juge de Montigny a également conclu qu’il n’existait pas d’obligation de communiquer les documents, et il a affirmé ce qui suit au paragraphe 39 :

En l’espèce, je crois que l’agente d’ERAR pouvait à juste titre se fonder sur la Operational Guidance Note du ministère de l’Intérieur du Royaume‑Uni concernant le Sri Lanka, étant donné qu’il s’agit d’un document accessible au public provenant d’un site Web digne de confiance et bien connu. […] À maints égards, ce document confirme simplement la preuve disponible dans d’autres sources et rassemble cette preuve. Il ne révèle pas de changements nouveaux et importants dans la situation générale ayant cours dans le pays, même s’il ne correspond pas tout à fait aux constatations dont fait état le document du [UNHCR].

 

[32]           Dans l’affaire Kumaraswamy, sur laquelle le demandeur s’est fondé en l’espèce, le juge Mandamin a affirmé que ses conclusions étaient différentes de celles tirées dans la décision Sinnasamy, parce que le document sur lequel l’agent s’était fondé faisait état d’un changement important dans la situation au pays et qu’il était raisonnable que le demandeur n’ait pas été au courant de ces changements; le demandeur devait donc avoir l’occasion d’en être informé et d’y répondre. Le juge Mandamin a affirmé ce qui suit au paragraphe 14 :

Bien que la présente espèce et l’affaire Sinnasamy, précitée, comportent des similitudes, je suis d’avis qu’il existe une différence de fait majeure faisant en sorte que la présente affaire se soustrait à la sphère de la courtoisie judiciaire. En l’espèce, le demandeur a présenté ses observations relatives à l’ERAR deux mois avant la publication du rapport de l’UNHCR. La raison motivant la publication du rapport de l’UNHCR en 2006, lequel est une mise à jour de la version de 2004, était la situation en constante évolution au Sri Lanka. Celle‑ci avait changé au point où les auteurs du rapport ont déclaré dans l’introduction de la version 2006 que, [traduction] « depuis la publication [du rapport de l’UNHCR] en avril 2004, il y a eu de nombreux nouveaux événements majeurs dans le pays, lesquels touchent de manière fondamentale les besoins en matière de protection internationale des individus de ce pays qui demandent, ou ont demandé, l’asile à l’étranger » (dossier du tribunal, à la page 65).

 

[33]           En l’espèce, les documents sur lesquels s’est fondé l’agent d’ERAR ont été publiés bien après que le demandeur eut déposé sa preuve. Cependant, les documents ne font état d’aucun changement « nouveau et important » dans la situation au pays depuis 2006, lequel changement aurait modifié la preuve que le demandeur devait réfuter ou à laquelle le demandeur devait répondre. Les documents sur lesquels s’est fondé l’agent d’ERAR provenaient du Département d’État des États­Unis, de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié et du Home Office du Royaume­Uni. Il s’agit de documents accessibles au public qui sont utilisés par les agents d’ERAR de façon régulière.

 

[34]           Dans ces circonstances, je conclus que l’agent d’ERAR n’a pas manqué à l’équité procédurale en ne communiquant pas les documents au demandeur.

 

La question en litige no 5 : L’agent d’ERAR a­t­il omis de donner des motifs adéquats?

[35]           Le dernier argument du demandeur est que l’agent n’a pas donné de motifs adéquats lorsqu’il a conclu que la situation au pays en Inde n’avait pas changé depuis que le demandeur avait présenté sa demande d’ERAR. Le demandeur allègue également que l’agent n’a pas fourni de motifs lorsqu’il a rejeté l’allégation du demandeur selon laquelle la situation en Inde s’était détériorée d’une telle façon que cela constituait une situation soulevant un nouveau risque.

 

[36]           L’agent a mentionné dans ses motifs qu’il avait fondé sa conclusion, selon laquelle la situation au pays n’avait pas changé depuis 2006, sur son examen des sources qu’il avait citées. La plupart des sources fournies par le demandeur faisaient particulièrement état de la situation dans l’État de Jammu­et­Cachemire et des violations des droits civils des personnes dans cette région. Le demandeur est originaire de la région du Panjab, laquelle est située près du Cachemire, mais il n’est pas originaire des régions les plus touchées par les conflits dont il est question dans un certain nombre de documents qu’il a fournis. Le demandeur n’a présenté aucun élément de preuve montrant qu’il y a un effondrement général de la règle de droit ou de la protection de l’État.

 

[37]           Le demandeur renvoie à un document qui mentionne que la police de l’Inde avait ciblé plusieurs personnes d’origine sikhe (dossier certifié du tribunal, p. 73-4). Cependant, ce document n’est pas un article de journal, mais plutôt une lettre ouverte publiée dans un journal local hebdomadaire et dans laquelle l’auteur se plaignait du traitement que la police de l’Inde avait réservé à plusieurs personnes d’origine sikhe. Les personnes dont il était question dans la lettre n’avaient pas été ciblées en raison d’un lien avec des activistes cachemiriens. Ce document n’était pas fondé sur une enquête faite par un journaliste, il s’agissait plutôt d’une lettre envoyée à un journal. Il ne s’agissait pas d’une source bien connue. Il était raisonnablement loisible à l’agent d’ERAR d’accorder peu de poids à cette lettre. L’agent d’ERAR n’est pas obligé de mentionner chaque élément de preuve au dossier. Je conclus que l’agent d’ERAR n’a négligé aucun élément de preuve pertinent et que le demandeur n’a renvoyé à aucun élément de preuve pertinent n’ayant pas été examiné par l’agent d’ERAR de façon appropriée.

 

[38]           Pour ces motifs, la présente demande de contrôle judiciaire sera rejetée.

 

[39]           Les parties n’ont proposé aucune question aux fins de certification. La Cour est d’accord avec les parties et aucune question ne sera certifiée aux fins d’appel.


 

JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que :

 

La présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 

 

 

 

« Michael A. Kelen »

Juge

 

 

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Jean-François Martin, LL.B., M.A.Trad.jur.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                    IMM-5615-08

 

INTITULÉ :                                                   PARMJIT SINGH c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           LE 23 JUILLET 2009

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                          LE JUGE KELEN

 

DATE DES MOTIFS :                                  LE 29 JUILLET 2009

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Belinda Bozinovski

 

POUR LE DEMANDEUR

Bridget O’Leary

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Bozinovski

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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