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Federal Court

 

Cour fédérale

 


 

Date : 20090717

Dossier : IMM‑4790‑08

Référence : 2009 CF 733

Vancouver (Colombie‑Britannique), le 17 juillet 2009

En présence de monsieur le juge Harrington

 

 

ENTRE :

SAMUEL NATHANIEL BAILEY

Demandeur

 

et

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’ IMMIGRATION

défendeur

 

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

 

[1]               Une personne devrait‑elle être renvoyée du Canada en raison d’une contravention au Code de la route? Immédiatement après l’audience, j’ai accueilli le contrôle judiciaire d’une décision d’une agente d’immigration qui avait refusé que M. Bailey présente, de l’intérieur du Canada, une demande de visa de résident permanent fondée sur des motifs d’ordre humanitaire. Les motifs de la présente décision suivent.

 

[2]               M. Bailey a fait quelque chose de très mal. Il a été accusé de complicité visant le trafic de cocaïne ainsi que de possession de produits de la criminalité, ce à quoi il a plaidé coupable et, en octobre 2000, il a été reconnu coupable de ces crimes. Il a été condamné à cinq ans et trois mois d’emprisonnement pour la première infraction et à une autre année à purger consécutivement pour la deuxième infraction. Il a bénéficié d’une libération conditionnelle en décembre 2001 et il n’a été reconnu coupable d’aucun crime depuis ce temps. La surveillance de la libération conditionnelle dont il faisait l’objet s’est terminée en février 2007.

 

[3]               M. Bailey n’est pas un citoyen du Canada. Il est originaire de la Jamaïque. En raison de ses déclarations de culpabilité, il a été frappé d’une mesure d’expulsion en juin 2001, mais la Section d’appel de l’immigration (la SAI) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié a accordé un sursis à l’exécution de la mesure d’expulsion suivant certaines conditions. L’une de ces conditions était qu’il devait signaler toute accusation criminelle ou déclaration de culpabilité. Une autre de ces conditions, laquelle était cochée sur un formulaire imprimé, était qu’il devait [traduction] « ne pas troubler l’ordre public et garder une bonne conduite ». Ce sursis a été prolongé, mais il a plus tard été révoqué parce qu’il avait omis de [traduction] « ne pas troubler l’ordre public et [de] garder une bonne conduite », c’est‑à‑dire qu’il avait commis une infraction à la Motor Vehicle Act [la Loi sur les véhicules à moteur] de la Colombie‑Britannique : par deux fois, il avait conduit une automobile alors qu’il était muni d’un permis de conduire expiré. L’agente d’immigration a noté ce qui suit :

 

 

[traduction]

Le 12 juin 2007, j’ai joint le bureau des véhicules automobiles des T.N.‑O. et j’ai demandé qu’il effectue une vérification quant au permis de conduire de M. Samuel Nathaniel BAILEY. J’ai parlé à Mme Kelley Merilees‑Keppel, directrice des Immatriculations des véhicules automobiles. Mme Merilees‑Keppel m’a informée que M. BAILEY avait possédé un permis de conduire de la Colombie‑Britannique, du 12 juin 1990 au 19 juin 1991. Elle m’a également informée que M. BAILEY avait reçu deux billets d’infraction, un à Westminster (C.‑B.) en 2003, et un à Burnaby (C.‑B.) en 2002. Les deux billets lui avaient été remis en vertu de la [Motor Vehicle Act] parce qu’il avait conduit sans détenir un permis de conduire. Elle a également effectué une vérification pancanadienne de permis de conduire et elle a déclaré que M. BAILEY n’avait jamais obtenu un permis de conduire ailleurs qu’en Colombie-Britannique.

 

 

[4]               Les renseignements qui précèdent ne sont pas tout à fait exacts parce que M. Bailey a également déjà possédé un permis de conduire de la Saskatchewan lequel avait expiré deux mois avant qu’il ne reçoive sa première contravention.

 

[5]               L’affaire de M. Bailey chevauche l’ancienne Loi sur l’immigration et l’actuelle Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (LIPR) et entraîne l’application de dispositions transitoires. Ces dispositions sont clairement énoncées dans la décision rendue par le juge Martineau, laquelle portait sur le contrôle judiciaire d’une décision de la SAI de révoquer un sursis (2008 CF 938, 333 F.T.R. 282).

 

[6]               Comme le juge Martineau l’a noté, la récente jurisprudence de la Cour a suivi de façon constante l’arrêt R. c. R.(D.) (1999) 138 C.C.C. (3d) 405, 178 Nfld. & P.E.I.R. 200, rendu par la Cour d’appel de Terre‑Neuve‑et‑Labrador. Comme le juge O’Reilly l’a mentionné au paragraphe 7 de la décision Huynh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CF 1426, [2003] A.C.F. no 1844 (QL) : « […] Pour “avoir une bonne conduite”, une personne doit se conformer aux lois et règlements fédéraux, provinciaux et municipaux », ce qui veut littéralement dire qu’une personne n’a pas une « bonne conduite » si elle omet de retourner un livre à temps à la bibliothèque municipale ou si elle met ses vidanges au chemin une heure trop tôt.

 

[7]               M. Bailey vit une union de fait stable à long terme. Sa conjointe de fait a essayé de le parrainer, mais, en raison de sa déclaration de culpabilité pour grande criminalité, la demande a dû être convertie en une demande de résidence permanente régulière fondée sur des motifs d’ordre humanitaire et présentée au Canada. La règle habituelle veut qu’une personne doive présenter sa demande à l’étranger.

 

[8]               L’article 25 de la LIPR prévoit que le ministre peut :

[…] étudier le cas de cet étranger et peut lui octroyer le statut de résident permanent ou lever tout ou partie des critères et obligations applicables, s’il estime que des circonstances d’ordre humanitaire relatives à l’étranger – compte tenu de l’intérêt supérieur de l’enfant directement touché – ou l’intérêt public le justifient.

 

 

…examine the circumstances concerning the foreign national and may grant the foreign national permanent resident status or an exemption from any applicable criteria or obligation of this Act if the Minister is of the opinion that it is justified by humanitarian and compassionate considerations relating to them, taking into account the best interests of a child directly affected, or by public policy considerations.

 

[9]               L’agent évalue l’établissement du demandeur au Canada en fonction de ses liens avec son pays d’origine. La question est de savoir si M. Bailey subirait des difficultés inhabituelles, injustifiées ou excessives s’il devait présenter sa demande à l’étranger. La norme de contrôle applicable est la raisonnabilité comme la Cour suprême du Canada l’a établi dans l’arrêt Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817.

 

[10]           L’agente a déterminé que M. Bailey était bien établi au Canada et qu’il n’avait pour ainsi dire aucun lien avec son pays d’origine. Sa mère ainsi que ses frères et sœurs sont ici de même que ses deux fils âgés actuellement de 13 et 15 ans. Même s’il est séparé de leur mère, qui a la garde des deux fils, et qu’il est en union de fait depuis 2003, M. Bailey joue un grand rôle dans la vie de ses fils. Ses fils le visitent régulièrement, ils prennent des vacances ensemble et M. Bailey, accompagné de leur mère, participe à des réunions parents‑enseignants. Le dossier renferme des rapports selon lesquels son plus jeune fils a particulièrement besoin de M. Bailey. Les garçons sont métis et il est important pour eux de non seulement continuer à avoir une relation avec leur mère blanche, mais également avec leur père noir.

 

[11]           L’agente a noté que M. Bailey avait réussi un programme d’art culinaire à Vancouver, qu’il avait fait du bénévolat et qu’il avait travaillé dans des restaurants depuis ce temps. Il travaille actuellement en tant que sous‑chef dans un restaurant gastronomique à North Vancouver. L’agente a conclu que M. Bailey et sa conjointe de fait avait une relation fondée sur l’amour et l’engagement, que M. Bailey avait un lien fort et une relation fondée sur l’amour avec ses enfants, qu’il est un père dévoué et affectueux et qu’il joue un rôle important dans la vie de ses enfants. L’agente a reconnu qu’il était dans l’intérêt supérieur de tout enfant d’avoir accès à ses deux parents et qu’une séparation, [traduction] « si courte soit‑elle », peut être difficile émotionnellement. Elle a même mentionné une lettre du psychologue de l’école, mais elle était convaincue que le plus jeune des fils pourrait se fonder sur sa mère afin de trouver un soutien émotionnel et que le psychologue de l’école pourrait fournir de l’aide et des conseils lorsque nécessaire.

 

[12]           L’agente était d’avis que, pendant que la demande de résidence permanente de leur père était dûment traitée, les enfants pourraient garder contact avec leur père au moyen d’appels téléphoniques, de lettres ainsi que de visites en Jamaïque.

 

[13]           En raison de la formation de M. Bailey, l’agente était d’avis qu’il serait capable de trouver un emploi en Jamaïque et de fournir de l’aide financière à ses enfants.

 

[14]           Même si au moment de la décision M. Bailey était au Canada depuis 23 ans, l’agente a mentionné ce qui suit : [traduction] « Je note que M. Bailey n’a pas gardé un bon dossier en tant que citoyen durant toute cette période. » Elle a mentionné les déclarations de culpabilité en matière pénale, auxquelles elle a donné beaucoup de poids, ainsi que le fait que c’est en raison de la violation des conditions fixées par la SAI que le sursis à l’exécution de la mesure de renvoi a été révoqué par la SAI.

 

[15]           Dans l’ensemble, même si les facteurs positifs étaient convaincants, ils ne l’emportaient pas sur les facteurs négatifs.

 

[16]           S’agit‑il d’une décision raisonnable? Comme il a été noté au paragraphe 15 de l’arrêt Baker, précité, il s’agit de décisions importantes qui ont des conséquences capitales sur l’avenir des personnes visées et elles peuvent également avoir des répercussions importantes sur la vie de tous les enfants canadiens du demandeur « puisqu’ils peuvent être séparés d’un de leurs parents […] » [non souligné dans l’original]. Au paragraphe 63 et suivants, la juge L’Heureux‑Dubé a examiné la raisonnabilité dans le contexte d’une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire. Elle a conclu que « l’intention du Parlement est que ceux qui exercent le pouvoir discrétionnaire conféré par la loi agissent de façon humanitaire ». En outre, au paragraphe 68, elle a conclu comme suit :

[…] le Parlement estime important également de garder ensemble des citoyens et des résidents permanents avec leurs proches parents qui sont déjà au Canada. [L’ancienne loi, qui n’est pas différente à la présente Loi à ce sujet,] énonce l’obligation d’accorder une grande importance au maintien des enfants en contact avec leurs deux parents, si cela est possible, et au maintien du lien entre les membres d’une proche famille.

[Non souligné dans l’original.]

 

 

[17]           Bien que les diverses conventions internationales ne fassent pas partie du droit canadien, la juge l’Heureux‑Dubé a noté au paragraphe 71 que ces conventions « accordent une importance spéciale à la protection des enfants et de l’enfance, et à l’attention particulière que méritent leurs intérêts, besoins et droits » [non souligné dans l’original].

 

[18]           À mon avis, un certain nombre d’aspects de la décision contestée étaient déraisonnables.

 

[19]           L’agente a tenu pour acquis que la séparation serait temporaire. Même si l’agente a noté que la surveillance de la libération conditionnelle dont M. Bailey faisait l’objet s’était terminée en février 2007, elle a omis de prendre en considération que M. Bailey ne pouvait pas présenter de demande de statut de résident permanent de l’étranger tant et aussi longtemps qu’il n’a pas obtenu un pardon ou qu’une réhabilitation ne lui a pas été accordée et que, en vertu de la Loi sur les dossiers criminels, sa demande ne peut même pas être examinée avant que cinq années ne se soient écoulées depuis la fin de sa libération conditionnelle, en d’autres mots, pas avant 2012. Sans tenir compte des délais qu’il peut y avoir dans le traitement d’une telle demande, laquelle peut être accueillie ou non, entre‑temps l’enfance des garçons sera terminée. Comme l’a noté le juge Barnes au paragraphe 17 de la décision Arulraj c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 529, [2006] A.C.F. no 672 (QL), si l’octroi d’un visa au demandeur ne devait être rien de plus qu’une formalité « alors on se demande pourquoi l’agente ne l’a tout simplement pas autorisé à rester au Canada ».

 

[20]           Rien dans le dossier ne justifie que l’agente tienne pour acquis que M. Bailey se trouverait un emploi licite en Jamaïque, lequel lui permettrait de continuer d’aider financièrement ses enfants.

 

[21]           Bien que M. Bailey ait été déclaré coupable d’une sérieuse infraction pénale, il a purgé sa peine et payé sa dette envers la société canadienne. Malgré ses déclarations de culpabilité, la SAI lui a permis de rester au Canada suivant quelques conditions. Même si l’agente n’était pas liée par les décisions précédentes de la SAI, il faut qu’il y ait des motifs pour s’en écarter. On peut faire une analogie avec la jurisprudence élaborée en ce qui concerne le contrôle des motifs d’une détention. Les motifs doivent être énoncés, ou le lecteur doit être capable de les inférer (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Thanabalasingham, 2004 CAF 4, [2004] 3 R.C.F. 572). Le seul nouveau fait négatif est que M. Bailey a conduit une automobile alors que son permis de conduire était expiré, ce qui ne peut pas constituer un facteur si négatif qu’il l’emporte sur les facteurs positifs. Combien d’entre nous peuvent dire qu’ils n’ont jamais même transgressé un règlement municipal? « Que celui d’entre vous qui n’a jamais péché lui jette la première pierre » (Jean, 8:7).

 

[22]           Je répète ce que j’ai dit au début de la décision Espino c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1255, 301 F.T.R. 155 :

« Ô ciel, peux‑tu entendre un bon homme gémir, et ne pas t’attendrir, et ne pas avoir pitié de lui? » Ainsi écrivait Shakespeare dans son Titus Andronicus, acte IV, scène I. La compassion a été définie comme étant l’inclusion, dans la vie d’une personne, de la souffrance d’autrui, la participation à la souffrance; l’entraide, la sympathie, le sentiment ou l’émotion qu’une personne ressent lorsqu’elle est émue par la souffrance ou la détresse d’autrui et qu’elle désire soulager cette souffrance.

 

 

 

[23]           Il y a eu manque de compassion en l’espèce.

 

 

« Sean Harrington »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Jean‑François Martin, LL.B., M.A.Trad.jur.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                    IMM-4790-08

 

INTITULÉ :                                                   SAMUEL NATHANIEL BAILEY c. MCI

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             VANCOUVER (COLOMBIE‑BRITANNIQUE)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           LE 16 JUILLET 2009

                                                           

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE :              LE JUGE HARRINGTON

 

DATE DES MOTIFS :                                  LE 17 JUILLET 2009

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Phillip C. Rankin

 

POUR LE DEMANDEUR

Kimberly Shane

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Rankin & Bond

Vancouver (Colombie-Britannique)

 

POUR LE DEMANDEUR

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

Vancouver (Colombie-Britannique)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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