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          Date : 20090624

Dossier : IMM-4861-08

Référence : 2009 CF 662

Toronto (Ontario), le 24 juin 2009

En présence de monsieur le juge Zinn

 

 

ENTRE :

TIGIST DAMTE

demanderesse

 

 

 

et

 

 

 

 

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE

ET DE LA PROTECTION CIVILE

défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Pour les motifs qui suivent, je suis d’avis que la demande est théorique et qu’elle doit être rejetée.

 

[2]               Le 2 novembre 2008, un agent d’exécution de la loi de l’Agence des services frontaliers du Canada a refusé de surseoir pour des raisons administratives au renvoi du Canada de la demanderesse, qui était prévu le 18 novembre 2008, en attendant que soit rendue la décision sur sa deuxième demande d’examen des risques avant renvoi (ERAR). Le sursis du renvoi a été accordé par le juge Lemieux, en attendant que soit rendue la décision sur cette demande : voir Damte c. Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2008 CF 1277.

 

[3]               Mme Tigist Damte est une citoyenne éthiopienne dont la demande d’asile a été rejetée. Ses démêlés avec les autorités canadiennes de l’immigration sont relatés au complet dans la décision du juge Lemieux. Pour les besoins de la présente affaire, un bref sommaire va suffire.

 

[4]               En 2006, l’allégation de Mme Damte voulant qu’elle ait été arrêtée et détenue en 1998 en raison de son statut de membre du Parti révolutionnaire du peuple éthiopien par les autorités éthiopiennes a été rejetée pour manque de crédibilité par la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la SPR). La SPR a aussi rejeté sa revendication du statut de réfugiée « sur place » en raison de sa participation à des manifestations au Canada et aux États-Unis contre le régime actuel de l’Éthiopie, au motif que les autorités éthiopiennes ne seraient pas au courant de sa participation à des manifestations en Amérique du Nord. L’autorisation de solliciter le contrôle judiciaire de la décision de la SPR lui a été refusée.

 

[5]               Moins d’un an après l’audience de la SPR la presse a rapporté que le régime éthiopien épiait les partisans de l’opposition à l’étranger, particulièrement en enregistrant sur vidéo les manifestations antigouvernementales et en dressant des listes des participants de celles‑ci. Cependant, cet élément de preuve n’était pas inclus dans les observations de Mme Damte à l’appui de son premier ERAR en mars 2007, malgré sa disponibilité. Le premier agent d’ERAR a conclu que le renvoi de Mme Damte ne l’exposerait pas à un risque de persécution pour des motifs prévus par la Convention, ou à un risque de traitements ou peines cruels et inusités ou à la mort. Le 8 octobre 2008, cette décision a été jugée raisonnable lors d’un contrôle judiciaire, compte tenu de la preuve dont disposait l’agent, laquelle, tel qu’il est mentionné précédemment, n’incluait pas les rapports faisant état du repérage des opposants au gouvernement à l’étranger par les autorités éthiopiennes. 

 

[6]               Mme Damte a ensuite fait l’objet d’une mesure d’expulsion en février 2008, mais la juge Gibson a sursis à son renvoi dans une ordonnance rendue le 11 février 2008 (dossier de la Cour IMM-549-08), en attendant que soit tranchée sa demande d’autorisation et de contrôle judiciaire. Par conséquent, la mesure d’exécution est devenue caduque.

 

[7]               Mme Damte a déposé une deuxième demande d’ERAR en mars 2008, qui était étayée par les éléments de preuve concernant la surveillance des manifestants antigouvernementaux dans d’autres pays par les autorités éthiopiennes.

 

[8]               En octobre 2008, alors que la deuxième demande d’ERAR était pendante, Mme Damte a encore fait l’objet d’une mesure d’expulsion. Elle a demandé le report administratif de son renvoi en attendant l’issue du deuxième ERAR, en soulignant les « nouveaux » éléments de preuve portant sur la surveillance et en mettant l’accent sur le fait que ces éléments n’avaient pas été examinés par personne, outre la juge Gibson qui les avait estimé suffisants pour établir la composante du préjudice irréparable du critère d’octroi d’un sursis. Le 3 novembre 2008, l’agent d’exécution de la loi a refusé d’autoriser le report administratif demandé, en mentionnant ce qui suit :

[traduction]

Le nouvel élément de preuve en question n’a pas été inclus dans sa première demande d’ERAR présentée en mars 2007. Selon l’avocat, la preuve pouvait être présentée depuis juin 2006. Cet élément de preuve n’a jamais déposé en raison de l’erreur de l’avocat lors de l’ERAR initial. Il était possible de présenter l’élément de preuve en mars 2007, et l’omission de l’avoir présenté ne peut mener au report d’un renvoi.

 

L’élément de preuve, qui a été présenté en tant que preuve de préjudice irréparable dans le cadre d’un litige antérieur, a été rejeté le 8 octobre 2008.

 

 

[9]               Il s’ensuit que le sursis administratif a été refusé par l’agent d’exécution de la loi, qui a mentionné qu’un deuxième ERAR n’exige pas le sursis d’un renvoi valide et a conclu qu’il avait l’obligation, en application de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, de veiller au renvoi de Mme Damte dès que les circonstances le permettent.

 

[10]           Lorsque le report a été refusé, Mme Damte a sollicité et obtenu un sursis du juge Lemieux, en attendant que soit tranchée la présente demande de contrôle judiciaire. Dans son ordonnance, le juge Lemieux a soulevé la possibilité que l’agent d’exécution de la loi ait erré en refusant de tenir compte des nouveaux éléments de preuve soumis par Mme Damte et a conclu que l’agent a erré en concluant que la Cour avait tenu compte des nouveaux éléments de preuve dans son ordonnance du 8 octobre 2008.

 

[11]           Le deuxième ERAR de la demanderesse a fait l’objet d’une décision défavorable le 9 juin 2009. De plus, le même agent a rejeté sa demande CH le 10 juin 2009. Il est regrettable qu’aucune de ces décisions n’ait été transmise à la demanderesse ou à son avocat avant la veille de la présente audience. Compte tenu de l’importance de ces décisions, le défendeur devrait prendre, de toute urgence, les mesures qui s’imposent afin qu’elles soient immédiatement transmises aux demandeurs ainsi qu’à leurs avocats, surtout lorsqu’elles sont rendues seulement quelques jours avant la tenue d’une audience devant la Cour. L’absence de telles mesures désavantage l’avocat de la partie adverse et peut mener au report de l’audience prévue.

 

[12]           Lors de l’audience sur la présente demande, l’avocat du défendeur a prétendu que la demande de contrôle judiciaire était théorique, parce la décision sur le deuxième ERAR a été rendue et que la Cour ne devrait pas instruire l’affaire.

 

[13]           Le défendeur se fonde sur l’arrêt Baron c. Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2009 CAF 81, de la Cour d’appel fédérale. Dans cette affaire, la Cour d’appel a indiqué qu’une décision à savoir si un litige actuel subsiste entre deux parties dépend de la description appropriée du litige entre les parties. L’arrêt Baron portait sur le contrôle judiciaire d’un refus de reporter le renvoi en attendant qu’il soit statué sur une demande CH, alors que la décision sur cette question n’avait pas été rendue au moment où la Cour a été saisie de l’affaire, mais que la date du renvoi était passée et qu’un sursis avait été octroyé. La Cour a déclaré que la description appropriée du litige consistait à déterminer si le demandeur devait être renvoyé avant que ne survienne un événement précis, soit la décision sur la demande CH dans cette instance. La Cour a jugé que le litige était toujours d’actualité, puisque la demande CH n’avait pas encore fait l’objet d’une décision.

 

[14]           En l’espèce, la description correcte du litige entre les parties consiste à déterminer si la demanderesse devrait être renvoyée avant que la décision sur sa deuxième demande d’ERAR ne soit rendue. Cette décision a maintenant été rendue, et les parties conviennent que, selon l’arrêt Baron, le litige entre elles est caduc.

 

[15]           La demanderesse prétend que, même s’il n’y a plus de litige actuel entre les parties, le rapport contradictoire existe toujours entre elles et que la Cour devrait exercer son pouvoir discrétionnaire d’entendre la demande sur le fond, peu importe le caractère théorique de la question en litige soulevée dans la demande. Dans l’arrêt Borowski c. Canada (Procureur général), [1989] 1 R.C.S. 342, la Cour suprême a jugé que, lorsqu’il décide d’exercer ou non son pouvoir discrétionnaire d’instruire une affaire, sans égard au caractère théorique de celle-ci, le juge doit tenir compte de trois facteurs : (1) l’existence d’un rapport contradictoire entre les parties; (2) l’économie des ressources judiciaires; et (3) le besoin pour la Cour de ne pas empiéter sur le pouvoir législatif.

 

[16]           En l’espèce, la demanderesse prétend que le rapport contradictoire existe toujours entre les parties. Je n’en suis pas convaincu. La demanderesse peut être en désaccord avec les décisions sur le deuxième ERAR et la demande CH et a toujours la possibilité de demander l’autorisation de faire contrôler ces décisions, ce qui ne s’est pas encore produit. Jusqu’à ce qu’elle le fasse, on ne peut affirmer qu’il subsiste un litige entre les parties à l’exception de la présente demande, qui est théorique. La demanderesse prétend que la question qui donne lieu au rapport contradictoire n’est pas celle de savoir si le renvoi aurait dû être reporté, mais plutôt celle de savoir si l’agent, en rendant sa décision de ne pas reporter le renvoi, aurait dû tenir compte des nouveaux éléments de preuve au sujet de la surveillance vidéo. Je n’estime pas que la question, telle que formulée, soit encore d’actualité dans quelque sens que ce soit, puisque l’agent a tenu compte des nouveaux éléments de preuve lorsqu’il a tranché le deuxième ERAR.

 

[17]           J’estime qu’examiner la demande sur le fond ne serait pas judicieux du point de vue de l’économie des ressources judiciaires. La demanderesse fait observer qu’une décision de la Cour sur le fond donnerait des directives aux autres agents d’exécution de la loi qui reçoivent une demande de sursis administratif dans les cas où l’on dépose des éléments de preuve qui étaient disponibles auparavant, mais qui n’ont pas été pris en compte, de sorte qu’une décision en l’espèce pourrait réduire le nombre d’actes de procédure déposés à la Cour. Premièrement, de telles situations se produisent rarement. Deuxièmement, je suis d’accord avec le défendeur qu’une décision d’un agent de tenir compte ou non de « nouveaux » éléments de preuve repose en grande partie sur les faits et dépend des raisons pour lesquelles la preuve n’a pas été antérieurement déposée. En conséquence, les directives que pourrait donner la Cour en tranchant la présente affaire seraient peu utiles aux autres parties.

 

[18]           Une décision sur le fond n’empièterait manifestement pas sur le régime législatif. Le défendeur a prétendu que toute décision rendue sur la présente demande pourrait avoir des répercussions sur un éventuel contrôle judiciaire de la deuxième décision d’ERAR. Je ne vois pas un tel lien, puisque les décisions sous-jacentes sont distinctes.

 

[19]           En pondérant les facteurs pertinents, j’en suis venu à la conclusion que je ne devrais pas exercer mon pouvoir discrétionnaire d’entendre la demande sur le fond. Une décision sur le fond n’aurait aucun impact sur les parties, ou sur d’autres parties à l’avenir.

 

[20]           La demanderesse a proposé que la Cour certifie une question, que je formule de la façon suivante : Quelque chose empêche-t-il un agent d’exécution de la loi, lorsqu’il examine une demande de report, de tenir compte d’un élément de preuve qui n’a pas été présenté à l’agent d’ERAR mais qui aurait pu l’être, s’il avait été produit dès que possible?

 

[21]           Afin de pouvoir être certifiée, la question doit être une question grave d’importance générale qui pourrait être déterminante dans un appel. Puisque la seule question qui a été tranchée en l’espèce est celle à savoir si je devais exercer mon pouvoir discrétionnaire d’entendre la demande, peu importe le caractère théorique du litige, la question proposée ne pourrait être déterminante dans un appel. Aucune question ne sera certifiée.


JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est rejetée au motif qu’elle est théorique. Aucune question n’est certifiée.

 

 

                                                                                                                 « Russel W. Zinn »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Maxime Deslippes, LL.B., B.A.Trad.



COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-4861-08

 

INTITULÉ :                                       TIGIST DAMTE c.

                                                            LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

                                                                                                                                                                                               

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Toronto (Ontario)

 

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 23 juin 2009

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              Le juge Zinn

 

 

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT :                       Le 24 juin 2009

 

 

COMPARUTIONS :

 

Hilary Evans Cameron

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Marina Stefanovic

Nina Chandy

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Downtown Legal Services

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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