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Cour fédérale

 

 

 

 

 

 

 

 

Federal Court

 

Date : 20090617

Dossier : IMM‑3486‑08

Référence : 2009 CF 641

Ottawa (Ontario), le 17 juin 2009

En présence de monsieur le juge Blanchard

 

 

ENTRE :

OSAZEE DONALD ENABULELE

demandeur

 

et

 

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET

DE LA PROTECTION CIVILE ET

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

défendeurs

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

I.          Introduction

 

[1]               Le demandeur, M. Osazee Donald Enabulele, est un citoyen nigérian qui est marié à une citoyenne canadienne. Il a demandé la résidence permanente dans la catégorie des époux ou conjoints de fait au Canada, sur le fondement de la politique ministérielle publiée au mois de février 2005 et figurant à l’appendice H du Guide opérationnel sur le traitement des demandes au Canada IP 8 de Citoyenneté et Immigration Canada. Cette politique vise à permettre aux époux ou conjoints de fait au Canada de demander la résidence permanente depuis le Canada, conformément aux critères qui s’appliquent aux membres de la catégorie des époux ou conjoints de fait au Canada, et ce, peu importe leur statut au regard de l’immigration. Le demandeur attend une décision au sujet de sa demande de résidence permanente. Dans l’intervalle, il a été informé que, parce qu’il avait été accusé, sous deux chefs, d’agression sexuelle, il n’avait pas droit à une suspension administrative du renvoi de 60 jours aux termes de la politique. Le demandeur cherche à contester la politique en se fondant sur le fait qu’elle porte atteinte aux droits qui lui sont reconnus à l’article 7 et à l’alinéa 11d) de la Charte.

 

II.         Les faits

 

[2]               Le demandeur est arrivé au Canada le 14 juillet 2006; il a demandé l’asile le même jour.

 

[3]               La demande d’asile a été rejetée le 24 septembre 2007. La demande d’autorisation et de contrôle judiciaire que le demandeur a présentée par suite de cette décision a été rejetée le 30 janvier 2008.

 

[4]               Le 7 février 2008, le demandeur a été arrêté et accusé, sous deux chefs, d’agression sexuelle. Il a été mis en liberté sur son propre engagement. Le procès se rapportant à ces accusations n’a pas encore eu lieu.

 

[5]               Le 5 avril 2008, le demandeur a épousé une citoyenne canadienne. La demande de résidence permanente, parrainée par son épouse, qu’il a présentée en tant que membre de la catégorie des époux ou conjoints de fait au Canada, comme le permet la politique du ministre énoncée dans le Guide IP8, a été reçue par l’Agence des services frontaliers du Canada (l’ASFC) le 17 avril 2008.

 

[6]               Le demandeur a reçu un avis daté du 3 juillet 2008 à l’égard de son ERAR; on le convoquait à une entrevue aux bureaux de l’ASFC. Le demandeur s’est présenté à l’entrevue le 25 juillet 2008 et un agent de l’ASFC (l’agent) l’a alors informé qu’il avait le droit de demander un ERAR, que la demande devait être faite au plus tard le 8 août 2008 et que l’omission de demander un ERAR pourrait entraîner la prise de dispositions en vue de son renvoi du Canada. L’agent a également informé le demandeur que celui‑ci n’avait pas droit à une suspension administrative du renvoi en raison des accusations criminelles en instance dont il faisait l’objet.

 

[7]               Le 6 août 2008, le demandeur a déposé la présente demande de contrôle judiciaire, dans laquelle il contestait la politique du ministre énoncée dans le Guide IP8 ainsi que le refus de l’agent de surseoir au renvoi.

 

[8]               Le 13 août 2008, l’ASFC a mis à jour les notes du Système de soutien des opérations des bureaux locaux (le SSOBL) afin d’indiquer qu’aucune demande d’ERAR n’avait été reçue du demandeur et que le demandeur ne bénéficiait plus de la suspension du renvoi, conformément à l’article 163 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés (le RIPR).

 

[9]               Le 25 août 2008, le demandeur a présenté une requête en vue d’obtenir une ordonnance sursoyant à l’ERAR tant que la présente demande d’autorisation et de contrôle judiciaire ne serait pas tranchée. La requête a été rejetée le 27 août 2008 pour le motif qu’étant donné qu’aucune date de renvoi n’avait encore été fixée, le demandeur avait omis d’établir qu’un préjudice irréparable lui serait causé s’il était assujetti au processus d’ERAR.

 

III.       La décision faisant l’objet du présent contrôle

 

[10]           L’agent a conclu que le demandeur n’avait pas le droit de bénéficier de la suspension administrative du renvoi aux termes de la « Politique d’intérêt public établie en vertu du paragraphe 25(1) de la LIPR pour faciliter le traitement selon les règles de la catégorie des époux ou conjoints de fait au Canada » (la Politique). La Politique figure à l’appendice H du Guide opérationnel sur le traitement des demandes au Canada IP 8 de Citoyenneté et Immigration Canada. L’agent a conclu que le demandeur n’était pas admissible à la suspension administrative aux termes de la Politique en raison des accusations criminelles en instance qui pesaient contre lui.

 

[11]           Il est allégué que l’agent a violé son obligation de veiller à ce que la Politique ne porte pas atteinte aux droits que la Charte reconnaît au demandeur. L’existence d’une telle obligation a été invoquée en tant que question en litige dans la présente demande; toutefois, le demandeur et le défendeur ont tous deux omis de soumettre des observations sur la question. En l’absence d’argumentation, je puis uniquement supposer que la question a été abandonnée.

 

[12]           Il n’a pas été allégué devant moi que l’agent avait commis une erreur en refusant d’accorder la suspension administrative. Le demandeur conteste uniquement la constitutionnalité de la Politique.

 

[13]           Les parties n’ont pas soulevé la question de la compétence de la Cour, mais le 14 mai 2009, je leur ai demandé de soumettre des observations par écrit sur la question de savoir si la Cour avait compétence pour examiner les questions fondées sur la Charte qui sont soulevées dans la présente demande, sans en aviser les procureurs généraux conformément à l’article 57 de la Loi sur les Cours fédérales.

 

[14]           J’ai lu les observations des parties et les décisions faisant autorité pertinentes, et je suis convaincu que la demande ne met pas en question la validité, l’applicabilité ou l’effet, sur le plan constitutionnel, d’une loi ou de son texte d’application. Par conséquent, il n’est pas nécessaire de signifier l’avis prévu à l’article 57 : Slaight Communications Inc. c. Davidson, [1989] 1 R.C.S. 1038; Première nation crie Mikisew c. Canada (Ministre du Patrimoine canadien), [2004] 2 C.N.L.R. 74; Trevor Jacobs c. Sports Interaction, 2006 CAF 116; Bekker c. Canada, 2004 CAF 186; Gitxsan Treaty Society c. Hospital Employees Union, [2000] 1 C.F. 135 (C.A.); Giagnocavo c. Canada, [1995] A.C.F. no 1355 (QL); Husband c. Canada (Commission canadienne du blé), 2006 CF 1390; Canada (Commissaire à l’information) c. Canada (Premier ministre), [1993] 1 C.F. 427.

 

[15]           Par conséquent, je suis convaincu que la Cour a compétence pour entendre les questions soulevées dans la présente demande.

 

 

IV.       La politique contestée

 

[16]           Les passages pertinents de la Politique sont reproduits ci‑dessous :

F. SUSPENSION ADMINISTRATIVE DU RENVOI

L’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC) a accepté d’accorder, aux demandeurs qui sont visés par cette politique d’intérêt public, une suspension administrative du renvoi. La suspension ne sera pas accordée aux demandeurs :

  • qui sont interdits de territoire pour raison de sécurité (L34), pour atteinte aux droits humains et internationaux (L35), pour criminalité et grande criminalité (L36) ou pour crime organisé (L37);
  • qui sont exclus par la Section de la protection des réfugiés aux termes de la section F de l’article premier de la Convention de Genève;
  • qui font l’objet d’accusations en instance ou contre qui des accusations ont été portées, mais que la Couronne a retirées, si ces accusations ont été abandonnées pour procéder au renvoi;
  • qui ont déjà profité d’une suspension administrative découlant d’une demande CH de conjoint;
  • qui sont visés par un mandat non exécuté en vue du renvoi;
  • qui ont déjà entravé ou retardé le renvoi;
  • qui ont déjà été expulsés du Canada et n’ont pas été autorisés à y revenir.

 

F. ADMINISTRATIVE DEFERRAL OF REMOVAL

The Canada Border Services Agency has agreed to grant a temporary administrative deferral of removal to applicants who qualify under this public policy. The deferral will not be granted to applicants who:

·        Are inadmissible for security (A34), human or international rights violations (A35), serious criminality and criminality (A36), or organized criminality (A37);

·        Are excluded by the Refugee Protection Division under Article F of the Geneva Convention;

·        Have charges pending or in those cases where charges have been laid but dropped by the Crown, if these charges were dropped to effect a removal order;

·        Have already benefited from an administrative deferral of removal emanating from an H&C spousal application;

·        Have a warrant outstanding for removal;

·        Have previously hindered or delayed removal; and

·        Have been previously deported from Canada and have not obtained permission to return.

 

Dans le cas des demandeurs qui font l’objet d’un examen des risques avant renvoi (ERAR), la suspension administrative pour le traitement des demandes présentées en vertu de cette politique d’intérêt public sera en vigueur le temps qu’il faudra pour effectuer l’examen en question (R232). Les demandeurs qui ont renoncé à l’ERAR ou qui n’y ont pas droit se verront accorder une suspension administrative de 60 jours.

 

For those applicants who are receiving a pre‑removal risk assessment (PRRA), the administrative deferral for processing applicants under this H&C public policy will be in effect for the time required to complete the PRRA (R232). Applicants who have waived a PRRA or who are not entitled to a PRRA will receive an administrative deferral of removal of 60 days.

 

Les demandeurs qui présentent une demande aux termes de cette politique d’intérêt public après avoir été jugés prêts au renvoi par l’ASFC ne bénéficieront pas de la suspension administrative du renvoi, sauf dans les circonstances limitées énoncées ci‑dessous (cas visés par les dispositions transitoires).

 

Applicants who apply under this public policy after they are deemed removal ready by CBSA will not benefit from the administrative deferral of removal except in the limited circumstances outlined below (transitional cases).

 

 

 

 

[17]           L’objectif déclaré de cette politique est de « faciliter le regroupement familial ainsi que le traitement des cas des époux et des conjoints de fait qui vivent déjà ensemble au Canada ». La Politique a pour effet de permettre aux époux ou aux conjoints de fait au Canada pour lesquels un engagement de subvenir à leurs besoins a été pris de demander la résidence permanente au Canada selon les critères qui s’appliquent aux membres de la catégorie d’époux ou de conjoint de fait au Canada, et ce, peu importe leur statut au regard de l’immigration. Les demandeurs qui sont admissibles aux termes de la Politique, à part ceux à qui une dispense est accordée en vertu de l’Appendice H, section F, bénéficient également d’une suspension administrative du renvoi. Dans le cas des demandeurs qui font l’objet d’un ERAR, la suspension est en vigueur tant que l’ERAR n’est pas effectué. Ceux qui n’ont pas droit à un ERAR ou qui y ont renoncé se voient accorder une suspension de 60 jours.

 

 

V.        Les questions en litige

 

[18]           Les questions suivantes sont soulevées dans la présente demande :

(1)        La demande du demandeur est‑elle dénuée de tout intérêt pratique?

(2)        La Politique viole‑t‑elle les droits qui sont reconnus au demandeur à l’article 7 et à l’alinéa 11d) de la Charte canadienne des droits et libertés (la Charte)?

(3)        La Politique se justifie‑t‑elle aux termes de l’article premier de la Charte?

 

VI.       Analyse

Première question : La demande du demandeur est‑elle dénuée de tout intérêt pratique?

 

[19]           Le défendeur affirme que, pour les raisons ci‑après énoncées, la demande est dénuée de tout intérêt pratique :

a)         le demandeur a bénéficié d’un sursis réglementaire du fait que l’ERAR avait été entamé;

b)         toute suspension administrative du renvoi se serait appliquée en même temps que le sursis réglementaire que le demandeur a obtenu lorsque l’ERAR a été entamé;

c)         à l’heure actuelle, le demandeur bénéficie d’un sursis légal à son renvoi à cause des accusations criminelles en instance qui pèsent contre lui (alinéa 50a) de la LIPR);

d)         plus de 60 jours se sont écoulés depuis l’entrevue préalable au renvoi, le 25 juillet 2008, de sorte que, même si le demandeur avait obtenu une suspension administrative aux termes de la Politique, cette période serait déjà expirée.

 

 

[20]           Je retiens l’observation du défendeur lorsqu’il affirme que la période prévue, aux fins de la suspension administrative sollicitée par le demandeur aux termes de la Politique, serait déjà expirée même si l’agent avait conclu que le demandeur était admissible. Malgré cette conclusion, j’examinerai les questions fondées sur la Charte qui ont été soulevées dans la présente demande. Compte tenu des principes énoncés dans l’arrêt Borowski c. Canada (Procureur général), [1989] 1 R.C.S. 342, je suis convaincu, dans l’exercice de mon pouvoir discrétionnaire, que l’intérêt de la justice exige que ces questions soient tranchées. Je note également que, malgré les arguments susmentionnés que le défendeur a avancés dans ses observations orales, l’avocat du défendeur a invité la Cour à se prononcer sur les questions liées à la Charte.

 

Deuxième question : La Politique viole‑t‑elle les droits qui sont reconnus au demandeur à l’article 7 et à l’alinéa 11d) de la Charte canadienne des droits et libertés (la Charte)?

 

a) L’article 7

 

L’article 7 de la Charte prévoit ce qui suit :

 

7.  Chacun a droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne; il ne peut être porté atteinte à ce droit qu’en conformité avec les principes de justice fondamentale.

7.  Everyone has the right to life, liberty and security of the person and the right not to be deprived thereof except in accordance with the principles of fundamental justice.

 

 

[21]           Le demandeur affirme que la Politique compromet sa sécurité, en ce sens qu’elle ne lui permet pas de se défendre contre les accusations dont il fait l’objet. Il affirme que la Politique stigmatise les personnes qui sont accusées, mais qui ne sont pas déclarées coupables à la suite d’accusations criminelles.

 

[22]           Pour les motifs ci‑après énoncés, je conclus que l’argument du demandeur est dénué de fondement. Les droits qui sont reconnus au demandeur à l’article 7 de la Charte ne sont pas ici en cause, eu égard aux circonstances.

 

[23]           La politique contestée rend le demandeur inadmissible à une suspension administrative en raison des accusations criminelles qui ont été portées contre lui. Toutefois, cela ne veut pas pour autant dire que le demandeur sera renvoyé sans qu’un examen approprié des risques soit effectué. Le processus d’ERAR, auquel le demandeur a droit, vise à aider les étrangers qui peuvent être obligés de quitter le Canada. C’est le moyen permettant au demandeur de faire examiner les risques auxquels il est exposé, avant son départ. C’est le processus même qui prévoit la prise en compte du droit à la vie, à la liberté et à la sécurité du demandeur dans un contexte préalable au renvoi. La Politique n’influe aucunement sur l’accès du demandeur à ce processus. Dans ce cas‑ci, le demandeur a laissé expirer le délai dans lequel il pouvait initialement demander un ERAR; de plus, il a présenté une demande en vue de faire surseoir à l’ERAR. Dans ces conditions, le demandeur ne peut pas soutenir qu’en raison de la Politique, il est porté atteinte au droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne qui lui est reconnu à l’article 7.

 

[24]           En outre, le demandeur bénéficie à l’heure actuelle d’un sursis légal au renvoi en raison des accusations criminelles en instance qui pèsent contre lui. Compte tenu de ce sursis, une décision peut être rendue dans le cadre d’un ERAR avant la date prévue du renvoi si le demandeur en fait la demande. Le demandeur pourrait également solliciter un sursis judiciaire si une décision défavorable était rendue à la suite de l’ERAR. Le demandeur peut se prévaloir de ces procédures, qui servent à protéger les droits qui lui sont reconnus à l’article 7.

 

[25]           Pour les motifs susmentionnés, je conclus que la Politique ne fait pas entrer en ligne de compte les droits qui sont reconnus au demandeur à l’article 7 de la Charte.

 

b)  L’alinéa 11d)

[26]           L’alinéa 11d) de la Charte est libellé comme suit :

11. Tout inculpé a le droit :

 

d)  d’être présumé innocent tant qu’il n’est pas déclaré coupable, conformément à la loi, par un tribunal indépendant et impartial à l’issue d’un procès public et équitable;

 

11. Any person charged with an offence has the right

d)  to be presumed innocent until proven guilty according to law in a fair and public hearing by an independent and impartial tribunal;

 

 

 

 

[27]           Le demandeur affirme que, du fait qu’il ne peut pas se prévaloir de la suspension administrative à cause des accusations criminelles en instance qui pèsent contre lui sans qu’il lui soit possible d’établir son innocence, il s’est vu refuser le droit d’être présumé innocent qui lui est reconnu à l’alinéa 11d) de la Charte. Le demandeur affirme que la présomption d’innocence garantie à l’alinéa 11d), qui protège les libertés fondamentales et la dignité humaine de chacun, s’applique aux procédures criminelles ainsi qu’aux politiques gouvernementales, en particulier lorsque ces politiques se fondent sur le processus criminel pour définir les critères applicables.

 

[28]           Le demandeur affirme également que l’alinéa 11d) crée un régime qui enjoint aux agences et organismes gouvernementaux de ne pas faire de distinction entre les gens sur la base d’allégations dont le bien‑fondé n’est pas établi. Il affirme qu’en l’excluant de la Politique, on se trouve à le dépeindre comme un [traduction] « coupable ». Selon lui, la Politique viole les droits qui lui sont reconnus à l’alinéa 11d) de la Charte; il soutient que les accusations criminelles en instance portées contre lui ne devraient pas constituer un critère de non‑admissibilité aux termes d’une politique ou d’un règlement gouvernemental.

 

[29]           Pour les motifs ci‑après énoncés, je conclus que le droit à la présomption d’innocence reconnu au demandeur à l’alinéa 11d) n’est pas en cause en l’espèce. En soi, l’alinéa 11d) ne peut pas être violé du fait d’un traitement différent.

 

[30]           La jurisprudence établit clairement que, bien que le demandeur ait le droit, constitutionnellement protégé, d’être présumé innocent dans le contexte des poursuites engagées contre lui à la suite d’accusations criminelles, il n’existe pas de droit analogue dans les procédures administratives : Giroux c. Canada (Commission nationale des libérations conditionnelles), [1994] A.C.F. no 1750 (QL), paragraphe 20. La Cour suprême du Canada a conclu que la présomption d’innocence s’applique uniquement aux procédures judiciaires dans lesquelles l’innocence du demandeur est en jeu. Elle ne s’étend pas à des procédures administratives indépendantes : R. c. Wigglesworth, [1987] 2 R.C.S. 541, page 560. Les droits protégés à l’alinéa 11d) de la Charte s’appliquent aux tribunaux judiciaires et aux tribunaux administratifs qui se prononcent sur la culpabilité de personnes accusées d’une infraction criminelle : Demande fondée sur l’article 83.28 du Code criminel (Re), 2004 CSC 42, paragraphes 80 et 81.

 

[31]           En l’espèce, l’application d’une politique administrative est clairement en cause. On ne saurait dire qu’il s’agit d’une procédure judiciaire dans laquelle l’innocence du demandeur est en jeu. On ne saurait dire non plus que la mise en œuvre de la Politique a porté atteinte à la capacité du demandeur de se défendre. À l’heure actuelle, un sursis légal permet au demandeur de demeurer au Canada et de se défendre contre les accusations en instance qui pèsent contre lui. Il s’ensuit que la Politique ne fait pas entrer en jeu les droits reconnus au demandeur à l’alinéa 11d) ou ne viole pas ces droits.

 

[32]           Je suis également d’avis que, contrairement à ce qui a été allégué, le demandeur n’est pas assujetti à un traitement différent, en violation des droits qui lui sont reconnus à l’alinéa 11d) de la Charte. Je note que le demandeur n’a pas soutenu que l’article 15 avait été violé; il n’a pas non plus procédé à l’analyse requise lorsque la discrimination est alléguée en vertu du paragraphe 15(1) de la Charte, telle que celle qui a été préconisée dans l’arrêt Law c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1999] 1 R.C.S. 497. Je conclus que les arguments concernant l’allégation de traitement différent sont avancés dans le contexte de l’allégation du demandeur fondée sur l’alinéa 11d).

 

[33]           Puisque j’ai conclu que le droit à la présomption d’innocence reconnu au demandeur à l’alinéa 11d) n’était pas en cause, il ne peut pas y avoir, en vertu de cette disposition, traitement différent prohibé fondé sur les accusations criminelles dont le demandeur fait l’objet. En outre, la jurisprudence enseigne que les droits garantis à l’alinéa 11d) doivent être interprétés strictement, en ce sens qu’ils se rapportent à des procédures criminelles et pénales et qu’ils ne peuvent pas être considérés comme offrant aux particuliers une protection générale contre des opinions ou des préjugés qui leur sont défavorables de la part de personnes ou d’organisations, indépendamment des procédures criminelles engagées par l’État : Tadros c. Peel Regional Police Service, and Attorney General of Ontario, 87 O.R. (3d) 563, paragraphe 35 (Cour supérieure de l’Ontario).

 

[34]           Un examen de la Politique indique que les demandeurs faisant partie de la catégorie d’époux au Canada peuvent ne pas être admissibles à une suspension administrative pour des motifs autres que des accusations criminelles en instance, par exemple :

a)         ceux qui ont déjà bénéficié d’une suspension administrative découlant d’une demande CH de conjoint;

b)         ceux qui sont visés par un mandat non exécuté en vue du renvoi;

c)         ceux qui ont déjà entravé ou retardé le renvoi;

d)         ceux qui présentent une demande de résidence permanente après avoir été jugés prêts au renvoi.

 

 

[35]           À mon avis, il est loisible au ministre d’adopter des politiques qui facilitent et accélèrent le traitement de certaines catégories de demandeurs. Le ministre peut également établir les conditions auxquelles les demandeurs faisant partie de cette catégorie sont inadmissibles en vertu de la politique. Comme il en a ci‑dessus été fait mention, l’inadmissibilité découlant d’accusations criminelles en instance ne viole pas la présomption d’innocence et n’entraîne pas non plus un traitement différent prohibé.

 

            Troisième question : La Politique se justifie‑t‑elle aux termes de l’article premier de la Charte?

 

[36]           Puisqu’il a été décidé que les droits reconnus au demandeur par la Charte n’ont pas été violés en l’espèce, il n’est pas nécessaire de procéder à une analyse fondée sur l’article premier.

 

VII.      Conclusion

 

[37]           Pour les motifs susmentionnés, la demande de contrôle judiciaire sera rejetée.

 

VIII.     Certification d’une question

[38]           Le demandeur a proposé la certification de la question suivante à titre de question grave de portée générale :

[traduction]

La politique du ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration en ce qui concerne la suspension administrative du renvoi figurant dans le Guide IP8, catégorie des époux ou conjoints de fait au Canada, contrevient‑elle à la Charte canadienne des droits et libertés? Subsidiairement, la politique du ministre énoncée dans le Guide IP8 enfreint‑elle les droits reconnus au demandeur à l’alinéa 11d) de la Charte?

           

 

[39]           Le critère à appliquer aux fins de la certification d’une question de portée générale a été énoncé dans l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Zazai, 2004 CAF 89, paragraphes 11 et 12 :

[...] l’exigence préliminaire qui s’applique à la certification d’une question demeure la même. Y a‑t‑il une question grave de portée générale qui permettrait de régler un appel? Ce principe est bien établi dans la jurisprudence de la Cour fédérale elle‑même. Voir Bath c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] A.C.F. no 1207 (juge Reed), paragraphe 15; Di Biance c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2002] A.C.F. no 1220 (juge Blanchard), paragraphe 22; Gallardo c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2003] A.C.F. no 352 (juge Kelen), paragraphe 35.

 

Le corollaire de la proposition selon laquelle une question doit permettre de régler l’appel est qu’il doit s’agir d’une question qui a été soulevée et qui a été examinée dans la décision d’instance inférieure. Autrement, la certification de la question constitue en fait un renvoi à la Cour fédérale. Si une question se pose eu égard aux faits d’une affaire dont un juge qui a entendu la demande est saisi, il incombe au juge de l’examiner. Si la question ne se pose pas, ou si le juge décide qu’il n’est pas nécessaire d’examiner la question, il ne s’agit pas d’une question qu’il convient de certifier.

 

 

[40]           Je suis convaincu que la question proposée ci‑après énoncée soulève une question de portée générale qui permettrait de régler l’appel, à savoir :

La politique du ministre en ce qui concerne la suspension administrative du renvoi figurant dans le Guide IP8 enfreint‑elle les droits reconnus au demandeur à l’article 7 et à l’alinéa 11d) de la Charte canadienne des droits et libertés?

 


 

JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que :

 

1.         La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 

2.         La question suivante est certifiée :

La politique du ministre en ce qui concerne la suspension administrative du renvoi figurant dans le Guide IP8 enfreint‑elle les droits reconnus au demandeur à l’article 7 et à l’alinéa 11d) de la Charte canadienne des droits et libertés?

 

 

 

« Edmond P. Blanchard »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

 

Christian Laroche, LL.B.

Réviseur

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                    IMM‑3486‑08

 

 

INTITULÉ :                                                   DONALD OSAZEE ENABULELE

 

                                                                        c.

 

                                                                        LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           LE 21 AVRIL 2009

 

MOTIFS DU JUGEMENT 

ET JUGEMENT :                                          LE JUGE BLANCHARD

 

DATE DES MOTIFS :                                  LE 17 JUIN 2009

 

 

COMPARUTIONS :

 

Matthew Tubie

Woodbridge (Ontario)

POUR LE DEMANDEUR

 

Greg G. George

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DÉFENDEURS

 

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Matthew Tubie

Woodbridge (Ontario)

POUR LE DEMANDEUR

 

John H. Sims, c.r.

Sous‑procureur général du Canada

 

 

POUR LES DÉFENDEURS

 

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