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Cour fédérale

 

Federal Court


 

 

 


Date : 20090615

Dossier : IMM‑4677‑08

Référence : 2009 CF 633

Ottawa (Ontario), le 15 juin 2009

En présence de monsieur le juge Kelen

 

 

ENTRE :

VIKAS RAKHEJA

demandeur

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit de la demande de contrôle judiciaire présentée contre la décision d’une agente d’immigration (l’agente) datée du 9 octobre 2008, par laquelle l’agente a refusé la demande de résidence permanente du demandeur présentée en application de l’article 25 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (LIPR), dans la catégorie des époux ou conjoints de fait au Canada. L’agente a conclu que le demandeur ne répondait pas aux exigences de la catégorie énoncées à la section 5.14 du Guide du traitement des demandes au Canada (IP 8) ‑ Catégorie des époux ou conjoints de fait au Canada. En particulier, l’agente a conclu que le demandeur n’avait pas satisfait à l’exigence de posséder un passeport valide et non périmé, et qu’il n’était pas admissible au bénéfice de la dispense existante lorsque le passeport est arrivé à expiration au cours du traitement de la demande.

 

LES FAITS

[2]               Le demandeur est un citoyen de l’Inde. Il est parti de l’Inde en 1997, et il a vécu aux États‑Unis jusqu’à ce qu’il entre au Canada à un point d’entrée non officiel en 2003, où il a présenté une demande d’asile. Sa demande d’asile a été rejetée en 2004.

 

[3]               Le 8 septembre 2002, le demandeur a épousé Madhu Rani, une résidente permanente au Canada lors d’un mariage traditionnel indou. À l’époque, les époux n’avaient pas obtenu de permis de mariage et ils n’étaient donc pas légalement mariés jusqu’à ce qu’ils obtiennent ce permis en mai 2008. Ils ont un fils, Ram Rakheja, qui est né à Edmonton le 18 décembre 2003.

 

[4]               En juillet 2005, le demandeur ne s’est pas présenté à une entrevue préalable au renvoi et un mandat d’arrestation fut délivré contre lui. Le demandeur a été arrêté en avril 2008. Après avoir légalement épousé sa femme en mai 2008, le demandeur a présenté une demande de résidence permanente dont le refus fait l’objet de la présente demande de contrôle judiciaire.

 

[5]               Le passeport de l’Inde du demandeur a expiré en janvier 2008. À l’époque, le demandeur n’avait pas encore présenté sa demande de résidence permanente.

 

[6]               En octobre 2008, une agente d’immigration a interviewé le demandeur. Pendant l’entrevue, il a déclaré qu’il ne serait pas en mesure d’obtenir un nouveau passeport parce qu’un mandat d’arrestation avait été décerné contre lui en Inde.

 

La décision soumise au contrôle

[7]               L’agente  a rejeté la demande au motif que le demandeur n’avait pas satisfait aux exigences de possession d’un passeport valide. L’agente a déclaré ce qui suit (Dossier de demande du demandeur, à la page 7) :

[traduction]

Pour devenir résident permanent au titre de la catégorie des époux ou des conjoints de fait au Canada, vous devez satisfaire aux exigences prévues par le Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés (le Règlement).

 

Puisque ni vous ni votre répondante n’avez fourni de preuve que vous avez un passeport valide ou un titre de voyage ou pouvez en obtenir un, vous ne satisfaites pas aux exigences de la catégorie. Votre demande de résidence permanente comme membre de la catégorie des époux ou conjoints de fait est donc rejetée.

 

[8]               Le rapport de l’agente versé au dossier déclare ce qui suit (Dossier de demande du demandeur, à la page 12) :

[traduction]

J’ai examiné les renseignements et les faits de la présente affaire. Vu la preuve, je ne suis pas convaincue que le demandeur satisfait aux exigences de la catégorie des époux ou conjoints de fait au Canada décrites à la section 5.14 du Guide IP 8. Le demandeur n’a pas établi qu’il possède ou qu’il pourra posséder un passeport valide ou un titre de voyage. Comme il est énoncé dans la politique d’intérêt public établie sous le régime du paragraphe 25(1) de la LIPR pour faciliter le traitement selon les règles de la catégorie des époux ou conjoints de fait, les demandeurs régis par cette politique ne sont pas admissibles à la dispense de possession d’un passeport valide. La demande est rejetée.

 

[9]               Le demandeur fait valoir que l’agente a commis une erreur lorsqu’elle conclu qu’il n’était pas admissible à une dispense de passeport, et que, selon les lignes directrices, il aurait dû se voir donner l’occasion d’obtenir un passeport avant que sa demande soit rejetée.

 

LES DISPOSITIONS LÉGALES APPLICABLES

[10]           Le demandeur a présenté une demande de résidence permanente de l’intérieur du Canada, en application de l’article 25 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés; cet article est libellé de la façon suivante :

Séjour pour motif d’ordre humanitaire

25. (1) Le ministre doit, sur demande d’un étranger se trouvant au Canada qui est interdit de territoire ou qui ne se conforme pas à la présente loi, et peut, de sa propre initiative ou sur demande d’un étranger se trouvant hors du Canada, étudier le cas de cet étranger et peut lui octroyer le statut de résident permanent ou lever tout ou partie des critères et obligations applicables, s’il estime que des circonstances d’ordre humanitaire relatives à l’étranger — compte tenu de l’intérêt supérieur de l’enfant directement touché — ou l’intérêt public le justifient.

 

Humanitarian and compassionate considerations

25. (1) The Minister shall, upon request of a foreign national in Canada who is inadmissible or who does not meet the requirements of this Act, and may, on the Minister’s own initiative or on request of a foreign national outside Canada, examine the circumstances concerning the foreign national and may grant the foreign national permanent resident status or an exemption from any applicable criteria or obligation of this Act if the Minister is of the opinion that it is justified by humanitarian and compassionate considerations relating to them, taking into account the best interests of a child directly affected, or by public policy considerations.

 

 

[11]           Les exigences d’obtention du statut de résident permanent sont énoncées à l’article 72 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002‑227 (le Règlement). Le sous‑alinéa 72(1)e)(ii) énumère les documents que le demandeur doit posséder :

Obtention du statut

 

72. (1) L’étranger au Canada devient résident permanent si, à l’issue d’un contrôle, les éléments suivants sont établis :

a) il en a fait la demande au titre d’une des catégories prévues au paragraphe (2);

b) il est au Canada pour s’y établir en permanence;

c) il fait partie de la catégorie au titre de laquelle il a fait la demande;

d) il satisfait aux critères de sélection et autres exigences applicables à cette catégorie;

e) sauf dans le cas de l’étranger ayant fourni un document qui a été accepté aux termes du paragraphe 178(2) ou de l’étranger qui fait partie de la catégorie des résidents temporaires protégés :

(i) ni lui ni les membres de sa famille — qu’ils l’accompagnent ou non — ne sont interdits de territoire,

(ii) il est titulaire de l’un des documents visés aux alinéas 50(1)a) à h),

(iii) il est titulaire d’un certificat médical attestant, sur le fondement de la plus récente visite médicale à laquelle il a été requis de se soumettre aux termes du présent règlement dans les douze mois qui précèdent, que son état de santé ne constitue vraisemblablement pas un danger pour la santé ou la sécurité publiques et, sauf si le paragraphe 38(2) de la Loi s’applique, ne risque pas d’entraîner un fardeau excessif;

f) dans le cas de l’étranger qui fait partie de la catégorie des résidents temporaires protégés, il n’est pas interdit de territoire.

 

Catégories

(2) Les catégories sont les suivantes :

a) la catégorie des aides familiaux;

b) la catégorie des époux ou conjoints de fait au Canada;

c) la catégorie des résidents temporaires protégés.

 

Obtaining status

 

72. (1) A foreign national in Canada becomes a permanent resident if, following an examination, it is established that

(a) they have applied to remain in Canada as a permanent resident as a member of a class referred to in subsection (2);

(b) they are in Canada to establish permanent residence;

(c) they are a member of that class;

(d) they meet the selection criteria and other requirements applicable to that class;

(e) except in the case of a foreign national who has submitted a document accepted under subsection 178(2) or of a member of the protected temporary residents class,

(i) they and their family members, whether accompanying or not, are not inadmissible,

(ii) they hold a document described in any of paragraphs 50(1)(a) to (h), and

(iii) they hold a medical certificate, based on the most recent medical examination to which they were required to submit under these Regulations within the previous 12 months, that indicates that their health condition is not likely to be a danger to public health or public safety and, unless subsection 38(2) of the Act applies, is not reasonably expected to cause excessive demand; and

(f) in the case of a member of the protected temporary residents class, they are not inadmissible.

 

Classes

(2) The classes are

(a) the live-in caregiver class;

(b) the spouse or common-law partner in Canada class; and

(c) the protected temporary residents class.

 

 

 

[12]           Le sous‑alinéa 72(1)e)(ii) renvoie au paragraphe 50(1), qui énumère les documents qu’une personne qui demande la résidence permanente doit détenir :

Documents : résidents permanents

50. (1) En plus du visa de résident permanent que doit détenir l’étranger membre d’une catégorie prévue au paragraphe 70(2), l’étranger qui entend devenir résident permanent doit détenir l’un des documents suivants :

a) un passeport — autre qu’un passeport diplomatique, officiel ou de même nature — qui lui a été délivré par le pays dont il est citoyen ou ressortissant;

b) un titre de voyage délivré par le pays dont il est citoyen ou ressortissant;

c) un titre de voyage ou une pièce d’identité délivré par un pays aux résidents non‑ressortissants, aux réfugiés au sens de la Convention ou aux apatrides qui sont dans l’impossibilité d’obtenir un passeport ou autre titre de voyage auprès de leur pays de citoyenneté ou de nationalité, ou qui n’ont pas de pays de citoyenneté ou de nationalité;

d) un titre de voyage délivré par le Comité international de la Croix-Rouge à Genève (Suisse) pour permettre et faciliter l’émigration;

e) un passeport ou un titre de voyage délivré par l’Autorité palestinienne;

f) un visa de sortie délivré par le gouvernement de l’Union des républiques socialistes soviétiques à ses citoyens obligés de renoncer à leur nationalité afin d’émigrer de ce pays;

g) un passeport intitulé « British National (Overseas) Passport », délivré par le gouvernement du Royaume-Uni aux personnes nées, naturalisées ou enregistrées à Hong Kong;

h) un passeport délivré par les autorités de la zone administrative spéciale de Hong Kong de la République populaire de Chine.

 

Documents — permanent residents

50. (1) In addition to the permanent resident visa required of a foreign national who is a member of a class referred to in subsection 70(2), a foreign national seeking to become a permanent resident must hold

(a) a passport, other than a diplomatic, official or similar passport, that was issued by the country of which the foreign national is a citizen or national;

(b) a travel document that was issued by the country of which the foreign national is a citizen or national;

(c) an identity or travel document that was issued by a country to non-national residents, refugees or stateless persons who are unable to obtain a passport or other travel document from their country of citizenship or nationality or who have no country of citizenship or nationality;

(d) a travel document that was issued by the International Committee of the Red Cross in Geneva, Switzerland, to enable and facilitate emigration;

(e) a passport or travel document that was issued by the Palestinian Authority;

(f) an exit visa that was issued by the Government of the Union of Soviet Socialist Republics to its citizens who were compelled to relinquish their Soviet nationality in order to emigrate from that country;

(g) a British National (Overseas) passport that was issued by the Government of the United Kingdom to persons born, naturalized or registered in Hong Kong; or

(h) a passport that was issued by the Government of Hong Kong Special Administrative Region of the People’s Republic of China.

 

 

[13]           L’article 124 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés énumère les exigences de la catégorie des époux ou conjoints de fait au Canada :

Qualité

 

124. Fait partie de la catégorie des époux ou conjoints de fait au Canada l’étranger qui remplit les conditions suivantes :

a) il est l’époux ou le conjoint de fait d’un répondant et vit avec ce répondant au Canada;

b) il détient le statut de résident temporaire au Canada;

c) une demande de parrainage a été déposée à son égard.

 

Member

 

124. A foreign national is a member of the spouse or common-law partner in Canada class if they

(a) are the spouse or common-law partner of a sponsor and cohabit with that sponsor in Canada;

(b) have temporary resident status in Canada; and

(c) are the subject of a sponsorship application.

 

 

Les lignes directrices de la politique du ministère

[14]           Le Guide opérationnel IP 8 expose la politique d’intérêt public de Citoyenneté et Immigration Canada (CIC) qui a pour but de faciliter le traitement des demandes selon les règles de la catégorie des époux ou conjoints de fait au Canada, en application de l’article 25 de la LIPR et en conformité au Règlement. La politique dispense le demandeur de l’obligation prévue à l’article 124 du Règlement [traduction] « d’avoir un statut d’immigration » et de l’exigence du sous‑alinéa 72(1)e)(i) du Règlement de ne pas être interdit de territoire pour absence de statut. La section 5.14 du Guide opérationnel IP 8 prévoit, entre autres, ce qui suit :

L’étranger devient résident permanent s’il satisfait aux exigences énoncées au R72

 

A foreign national becomes a permanent resident if they meet the requirements of R72

 

[...]

 

...

 

·          s’il détient un passeport ou un titre de voyage valide au moment où CIC accorde la résidence permanente. Voir les détails ci‑dessous.

 

·          if the foreign national has a valid passport or travel document by the time CIC seeks to grant permanent residence.  See details below.

 

[...]

 

 

Exigences relatives au passeport

 

Passport requirements

 

Clients qui sont entrés au Canada sans passeport

 

Les clients peuvent faire l’objet d’un examen en vertu de la politique d’intérêt public, et par le fait même en vertu de la catégorie des époux ou conjoints de fait au Canada, même s’ils sont visés par une mesure de renvoi ou doivent faire face à une procédure d’exécution de la loi parce qu’ils ne sont pas entrés au Canada munis d’un passeport ou d’un titre de voyage valide, car ils répondent aux autres exigences énoncées au R124.

 

Ils ne peuvent toutefois pas obtenir la résidence permanente au titre du R72 s’ils n’ont pas acquis de passeport ou de titre de voyage valide au moment où CIC accorde la résidence permanente. Par conséquent, on doit leur offrir la possibilité d’obtenir un passeport ou un titre de voyage avant de refuser leur demande de résidence permanente. Toutefois, les personnes dont le cas est examiné aux termes de cette politique publique ne peuvent pas bénéficier d’une dispense de passeport. Les personnes qui demandent cette dispense doivent présenter leur demande dans le cadre du processus CH habituel.

 

Clients who have entered Canada without a passport

 

Clients are eligible for consideration under the public policy, and thus under the class, notwithstanding the fact that they are under a removal order or face enforcement proceedings for failure to enter Canada with a valid passport or required travel document as they still meet the remaining criteria under R124.

 

However, clients cannot be granted permanent residence under R72 if they do not obtain a valid passport or travel document by the time CIC seeks to grant permanent residence.  Accordingly, clients should be given the opportunity to obtain a passport or travel document before the application for permanent residence is refused.  However, cases considered under this public policy are not eligible for a passport waiver.  Persons seeking this waiver must apply through the regular H&C route.

 

Obligation de posséder un passeport valide pour obtenir le statut de résident permanent

 

En règle générale, CIC ne devrait accepter que les passeports valides et non périmés pour octroyer la résidence permanente [R72]. Cela dit, l’utilisation d’un passeport qui est arrivé à expiration au cours du traitement de la demande peut être appropriée dans certaines circonstances pour répondre aux exigences du R72. Par conséquent, bien que cela ne soit pas idéal, les agents ne devraient pas hésiter à se servir de leur jugement pour accepter des passeports qui sont arrivés à expiration au cours du traitement de la demande lorsque l’identité de l’intéressé a été établie avec certitude.

Requirement to have a valid passport in order to become a permanent resident

 

As a general rule, CIC should accept only valid and non-expired passports to grant permanent residence [R72].  This being said, the use of a passport that has expired during the processing of an application may be appropriate in some instances to fulfill the requirements of R72.  Therefore, while not ideal, officers should feel free to use their judgment in accepting passports that have expired during processing when no identity issues remain.

 

 

 

LES QUESTIONS EN LITIGE

[15]           La question soulevée dans la présente demande est de savoir si l’agente a commis une erreur dans son application de la section 5.14 du Guide opérationnel IP 8. Selon le demandeur, l’agente a commis une erreur lorsque :

1.    elle a conclu que le demandeur ne satisfaisait pas à l’exigence de posséder un passeport valide et non périmé établie à la section 5.14 et qu’elle a omis de donner au demandeur la possibilité d’obtenir un passeport avant de rejeter sa demande;

 

2.    elle a manqué à l’obligation d’équité parce qu’elle n’a pas tenu compte de la preuve établissant la nature authentique de sa relation;

 

3.    elle n’a pas conclu que le demandeur avait droit à la dispense de passeport en application de la section 5.14.

 

 

LA NORME DE CONTRÔLE

[16]           Les décisions de l’agent des visas attirent un degré élevé de retenue. Les décisions de l’agent des visas relatives aux demandes de résidence permanente dans la catégorie des époux ou conjoints de fait au Canada sont susceptibles de contrôle selon la raisonnabilité : voir les paragraphes 25 à 28 de la décision du juge Russell dans Dios c. Canada (MCI), 2008 CF 1322, 76 Imm. L.R. (3d) 195; les paragraphes 9 à 13 de la décision de la juge Tremblay‑Lamer dans Skobodzinska c. Canada (MCI), 2008 CF 887, 331 F.T.R. 295.

 

[17]           Récemment, dans l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12, la Cour suprême du Canada a réexaminé la portée de la raisonnabilité; la Cour suprême a confirmé qu’un degré élevé de retenue était justifié lorsque la décision est soumise au contrôle pour des conclusions de fait ou des conclusions mixtes de fait et de droit. Au paragraphe 17, le juge Binnie a écrit ce qui suit :

Le pourvoi illustre bien pourquoi le changement de cap effectué dans Dunsmuir arrivait à point.  En substituant la norme de contrôle du raisonnable simpliciter à celle du manifestement déraisonnable, les juges majoritaires de la Cour d’appel fédérale se sont crus autorisés à instruire à nouveau d’importants aspects de l’affaire, même si les questions à trancher concernaient la politique d’immigration et non le droit.  Ils ont manifestement estimé que la décision de la SAI était injuste envers M. Khosa.  Or, le législateur a jugé bon de confier la tâche de rendre cette décision particulière à la SAI, et non aux juges.

 

[18]           Lorsqu’elle contrôle la décision de la Commission selon la raisonnabilité, la Cour veillera « à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, [2008] A.C.S. n9, 2008 CSC 9, au paragraphe 47).

 

[19]           Le demandeur fait aussi valoir que l’agente  n’a pas tenu compte de la preuve pertinente. Une telle allégation soulève une question d’équité procédurale et elle est susceptible de contrôle selon la décision correcte : voir le paragraphe 19 de la décision du juge suppléant Frenette dans Chertyuk c. Canada (MCI), 2008 CF 870.

 

 

ANALYSE

Première question :    L’agente a‑t‑elle commis une erreur lorsqu’elle a conclu que le demandeur n’avait pas satisfait à l’exigence de posséder un passeport valide?

 

[20]           Le demandeur fait valoir que même s’il ne possédait pas de passeport valide au moment de son entrevue, selon les exigences de la politique du Guide IP 8, il ne lui était pas interdit d’obtenir le statut de résident permanent. Le demandeur fait valoir que l’agente aurait dû lui donner la possibilité de présenter une demande d’obtention d’un nouveau passeport, avant de rejeter sa demande pour de tels motifs.

 

[21]           Toutefois, l’agente a interrogé le demandeur durant l’entrevue sur sa possibilité d’obtenir un nouveau passeport. Le demandeur déclare ce qui suit dans son affidavit (Dossier de demande du demandeur, aux pages 14 et 15) :

[traduction]

Mme Galloway [l’agente] m’a interrogé de façon approfondie sur mon passeport de l’Inde, pour savoir si j’avais essayé de le renouveler et si je prévoyais des embuches au renouvellement de mon passeport. J’ai répondu honnêtement à ses questions, sur la foi de la connaissance que j’avais acquise vers la fin de 2005 ou aux alentours de cette période, lorsque mon épouse et moi avons demandé si nous pouvions obtenir la prorogation de nos passeports au haut commissariat de l’Inde à Vancouver. À l’époque, on nous a avisé que, parce que nous ne possédions pas nos passeports, nous ne pourrions pas obtenir de nouveaux passeports ni faire proroger nos passeports alors en cours.

 

[22]           Dans le rapport de l’agente versé au dossier, elle a déclaré ce qui suit (Dossier de demande du demandeur, à la page 12) :

[traduction]

Lors de l’entrevue, le demandeur m’a avisée qu’il n’avait pas de passeport valide et qu’il était certain de ne pas pouvoir en obtenir un. Le demandeur m’a avisée que le haut commissariat de l’Inde ne s’occupe pas des demandeurs d’asile. Il m’a en outre avisée qu’il était accusé d’une infraction criminelle en Inde et qu’un mandat d’arrestation avait donc été émis contre lui. Le demandeur a déclaré qu’il ne serait pas possible de proroger son passeport parce qu’il faisait l’objet d’un mandat d’arrestation en Inde.

 

[23]           La preuve présentée à l’agente établissait que le demandeur ne pouvait pas obtenir un nouveau passeport ni renouveler son passeport qui avait expiré. Lors de son entrevue, le demandeur a déclaré qu’il était certain de cela. L’agente avait le droit de se fonder sur un tel renseignement. Le demandeur déclare que par la suite, il a appris qu’il avait commis une erreur, et qu’il pouvait en fait obtenir le renouvellement de son passeport. Toutefois, ce renseignement n’a pas été porté à la connaissance de l’agente. L’agente a agi de manière raisonnable en ce qui concerne cette question.

 

Deuxième question : L’agente a‑t‑elle manqué à l’équité lorsqu’elle n’a pas pris en compte la preuve pertinente?

 

[24]           Le demandeur fait valoir que l’agente n’a pas pris en compte la preuve de l’authenticité de son mariage avec son épouse, et que l’agente aurait dû tirer une conclusion sur le fait de savoir si sa relation était authentique avant de procéder à l’examen des exigences d’obtention de la résidence permanente. Le demandeur soutient que l’agente n’a pas pris en compte la preuve selon laquelle il a acheté une maison avec son épouse, qu’ils ont un enfant ensemble, et que cet enfant est atteint d’une maladie.

 

[25]           L’exigence selon laquelle une personne doit posséder un passeport valide ne dépend pas de la conclusion sur l’authenticité de la relation. Même si l’agente avait tiré une conclusion d’authenticité de la relation du demandeur, cela n’aurait rien changé à sa conclusion factuelle basée sur la preuve qui lui avait été présentée, selon laquelle le demandeur ne satisfaisait pas à l’exigence de possession d’un passeport valide. Le fait que l’agente n’a pas tiré de conclusion sur le caractère authentique de la relation du demandeur n’est pas un manquement à l’équité procédurale puisque le demandeur était exclu parce qu’il n’avait pas satisfait à une exigence légale distincte. En outre, l’état de santé de l’enfant n’a rien à voir avec l’authenticité de la relation, et c’est un aspect qui est correctement pris en compte dans le cadre d’une demande de dispense basée sur des circonstances d’ordre humanitaire (CH). Le demandeur peut toujours présenter une demande de dispense CH.

 

Troisième question : L’agente d’immigration a‑t‑elle commis une erreur lorsqu’elle n’a pas conclu que le demandeur avait droit à la dispense de passeport?

 

[26]           Le demandeur fait valoir que l’agente a commis une erreur lorsqu’elle n’a pas tiré la conclusion selon laquelle il avait droit à la dispense de passeport prévue à la section 5.14. Selon cette dispense, les personnes dont le passeport est arrivé à expiration au cours du traitement de la demande peuvent néanmoins présenter leur passeport expiré. Par commodité, la section 5.14 est reproduite ci‑dessous :

Obligation de posséder un passeport valide pour obtenir le statut de résident permanent

 

En règle générale, CIC ne devrait accepter que les passeports valides et non périmés pour octroyer la résidence permanente [R72]. Cela dit, l’utilisation d’un passeport qui est arrivé à expiration au cours du traitement de la demande peut être appropriée dans certaines circonstances pour répondre aux exigences du R72. Par conséquent, bien que cela ne soit pas idéal, les agents ne devraient pas hésiter à se servir de leur jugement pour accepter des passeports qui sont arrivés à expiration au cours du traitement de la demande lorsque l’identité de l’intéressé a été établie avec certitude.

Requirement to have a valid passport in order to become a permanent resident

 

As a general rule, CIC should accept only valid and non-expired passports to grant permanent residence [R72].  This being said, the use of a passport that has expired during the processing of an application may be appropriate in some instances to fulfill the requirements of R72.  Therefore, while not ideal, officers should feel free to use their judgment in accepting passports that have expired during processing when no identity issues remain.

 

 

[27]           Cette section dispose clairement que les passeports qui sont arrivés à expiration au cours du traitement de la demande peuvent néanmoins être acceptés par l’agent d’immigration. Premièrement, cette disposition ne s’applique pas au demandeur puisque son passeport est arrivé à expiration le 26 janvier 2008, soit avant que le demandeur présente sa demande en mai 2008. Deuxièmement, la disposition prévoit expressément un pouvoir discrétionnaire : les agents « ne devraient pas hésiter à se servir de leur jugement » quant à l’acceptation de ces passeports. Lorsque j’examine la décision de l’agente selon la raisonnabilité, il apparaît alors clairement qu’il était loisible à l’agente de ne pas appliquer une telle dispense à la présente demande. Le demandeur ne faisait pas partie des personnes visées par la disposition, c’est‑à‑dire celles qui possédaient des passeports valides lorsqu’elles ont présenté leur demande, et dont les passeports sont arrivés à expiration au cours du traitement de la demande.

 

Les lignes directrices du Guide IP 8 ne sont pas des lois

[28]           L’agente n’a pas commis d’erreur de droit lorsqu’elle a appliqué la politique. Elle n’a pas non plus interprété les lignes directrices du ministère de façon déraisonnable lorsqu’elle a conclu que le demandeur n’avait pas satisfait aux exigences du ministère pour le traitement de la demande dans la catégorie des époux ou conjoints de fait au Canada, selon la dispense prévue à l’article 25 de la LIPR telle qu’elle est énoncée dans le Guide opérationnel IP 8.

 

[29]           Les Guides opérationnels pour le traitement des demandes au Canada énoncent les politiques de CIC sur la façon dont le ministère interprète la LIPR et le Règlement. Ces lignes directrices du ministère ne sont pas des lois. Voir le paragraphe 10 de la décision du juge Teitelbaum, maintenant juge suppléant, dans l’affaire Balasingham c. Canada (MCI) (1998), 157 F.T.R. 143, 84 A.C.W.S. (3d) 744; le paragraphe 8 de la décision de la juge Layden‑Stevenson dans l’affaire Agot c. Canada (MCI), 2003 CFPI 436, 232 F.T.R. 101; le paragraphe 20 de la décision que j’ai rendue dans l’affaire Wong c. Canada (MCI), 2006 CF 1410, 304 F.T.R. 129; le paragraphe 10 de la décision du juge Mosley dans l’affaire Kisana c. Canada (MCI), 2008 CF 307, 167 A.C.W.S. (3d) 162.

 

[30]           Le sous‑alinéa 72(1)e)(ii) et l’alinéa 50(1)a) du Règlement exigent de toute personne qu’elle fournisse un passeport ou un titre de voyage. L’une des raisons de l’exigence de possession d’un passeport est d’établir l’identité du demandeur. Selon la politique, les personnes dont les passeports arrivent à expiration au cours du traitement de la demande peuvent présenter leur passeport expiré, si leur identité n’est pas en cause. Se basant sur les faits, la Cour conclut que le ministre admet que le demandeur est un citoyen de l’Inde, et qu’il arrivé au Canada en 2003. La Cour conclut que le demandeur est entré au Canada muni d’un passeport valide qui est arrivé à expiration le 26 janvier 2008, quatre mois avant que le demandeur présente sa demande de résidence permanente.

 

[31]           Les lignes directrices du Guide opérationnel IP 8 ne prévoient pas que l’agent d’immigration peut accepter le passeport arrivé à expiration lorsque la date d’expiration est antérieure à la demande de résidence permanente. Toutefois, le but de la politique d’intérêt public est de faciliter la réunification familiale des époux prévue à l’article 25 de la LIPR, même lorsque le demandeur n’a pas de statut d’immigration, contrairement à ce que la Loi exige. Selon moi, lorsque l’identité du demandeur n’est pas contestée, il peut paraître arbitraire d’accorder la dispense aux personnes dont les passeports sont arrivés à expiration au cours du traitement de la demande, mais pas à celles dont les passeports valides sont arrivés à expiration après qu’ils furent entrés au Canada.

 

[32]           L’avocat du défendeur a avisé la Cour que bien que le demandeur ne soit pas admissible dans « la catégorie des époux ou conjoints de fait au Canada » pour l’application de l’article 25 de la LIPR, il peut toujours présenter une demande de dispense de l’exigence de présentation d’un passeport, dans une autre demande CH en application de l’article 25. Cela crée de la confusion. Si la demande du demandeur est déjà examinée pour une dispense basée sur des CH en application de l’article 25 de la LIPR en tant que membre de « la catégorie des époux ou conjoints de fait au Canada », il serait logique que la dispense de l’exigence de possession d’un passeport valide en application du Règlement soit aussi examinée, en même temps, par l’agent d’immigration; ou il faudrait à tout le moins que la demande soit envoyée à un autre agent CH, si l’agent d’immigration est convaincu que la raison de l’exigence du passeport valide est d’établir la véritable identité du demandeur, et en l’espèce, l’identité du demandeur n’est pas remise en cause. Toutefois, il pourrait y avoir d’autres motifs de politique générale pour lesquels le défendeur exige que le demandeur possède un passeport valide, comme par exemple des motifs liés à la sécurité. La Cour doit faire preuve de retenue à l’égard de la politique du défendeur.

 

[33]           Il s’ensuit que la décision de l’agente lui était raisonnablement loisible, et la présente demande de contrôle judiciaire doit être rejetée. La dispense prévue à l’article 25 de la LIPR pour la résidence permanente dans la catégorie des époux ou conjoints de fait au Canada relève du pouvoir discrétionnaire du défendeur. Le défendeur a adopté une politique pour les situations dans lesquelles il peut accorder cette dispense qui comprend l’obligation pour le demandeur de posséder un passeport valide au moment où il présente sa demande. Selon le défendeur, le demandeur peut maintenant présenter une autre demande en application de l’article 25 de la LIPR pour une dispense de l’exigence de possession d’un passeport valide, et ensuite, le demandeur pourra présenter une autre demande de résidence permanente dans la catégorie des époux ou conjoints de fait au Canada. Bien que ce processus en deux étapes semble illogique, la Cour admet qu’il était raisonnablement loisible au défendeur d’exiger que le demandeur possède un passeport valide avant le dépôt de sa demande actuelle.

 

[34]           Les parties ont avisé la Cour qu’elles n’estiment pas que la présente demande de contrôle judiciaire soulève une question grave de portée générale, laquelle devrait être certifiée pour un appel. La Cour est d’accord et aucune question ne sera certifiée.

 


 

JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que :

La présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 

 

 

« Michael A. Kelen »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Laurence Endale, LL.M., M.A. Trad.jur.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                              IMM‑4677‑08

 

INTITULÉ :                                             VIKAS RAKHEJA

                                                                  c.

                                                                  MCI

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                       Edmonton (Alberta)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                     le 8 juin 2009

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                    le juge KELEN

 

DATE DES MOTIFS :                            le 15 juin 2009

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Simon Trela

 

POUR LE DEMANDEUR

Rick Garvin

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Simon Trela

Edmonton (Alberta)

 

POUR LE DEMANDEUR

John H. Sims, c.r.

Sous‑procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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