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Cour fédérale

 

 

 

 

Federal Court

  


Date : 20090528

Dossier : IMM-2188-08

Référence: 2009 CF 557

Ottawa (Ontario), le 28 mai 2009

En présence de madame la juge Heneghan

 

 

ENTRE :

MOHAMED FAZLATH MOHAMED NIZAR

demandeur

 

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               M. Mohamed Fazlath Mohamed Nizar (le demandeur) sollicite le contrôle judiciaire de la décision dans laquelle l’agente Mazzotti (l’agente) a rendu une décision défavorable sur sa demande d’examen des risques avant renvoi (la demande d’ERAR).

 

[2]               Le demandeur, un citoyen du Sri Lanka, est entré au Canada en novembre 2000. Il a affirmé qu’il était Sri-Lankais, qu’il appartenait à l’ethnie Moor et qu’il était un homme d’affaires ayant des liens avec la communauté tamoule sri-lankaise dans le Nord du Sri Lanka. Il a soutenu qu’il était pris pour cible par la police parce qu’on le soupçonnait d’avoir des liens avec le mouvement tamoul.

 

[3]               La demande d’asile du demandeur a été rejetée le 7 janvier 2002. Sa demande d’autorisation et de contrôle judiciaire visant cette décision a été rejetée le 16 mai 2002.

 

[4]               Le demandeur a déposé une demande d’ERAR le 13 janvier 2002. Son avocate, à l’époque, avait présenté des observations selon lesquelles il avait été menacé et battu par la police en raison de sa participation prétendue aux activités des Tigres de libération de l’Eelam tamoul (les TLET).

 

[5]               Le dossier que le nouvel avocat du demandeur a obtenu de son ancienne avocate indique que des observations additionnelles sur l’ERAR ont été préparées le 15 novembre 2007. Toutefois, selon la décision de l’agente, aucune observation additionnelle n’a été produite.

 

[6]               Une décision défavorable a été rendue sur la demande d’ERAR du demandeur le 19 mars 2008. Selon l’affidavit qu’il a déposé à l’appui de sa demande d’autorisation et de contrôle judiciaire, le demandeur a communiqué avec son ancienne avocate, qui lui a conseillé de présenter une demande de contrôle judiciaire. Le demandeur témoigne qu’il a donné l’instruction à son ancienne avocate de prendre les mesures nécessaires pour déposer une demande de contrôle judiciaire et qu’elle a dit qu’elle pourrait s’en charger.

 

[7]               En mai 2008, le demandeur a reçu un appel téléphonique l’informant qu’il devrait se présenter pour son renvoi. À la suite de cet appel, il s’est rendu au bureau de son ancienne avocate pour s’enquérir du statut de sa demande de contrôle judiciaire et elle l’a informé qu’elle [traduction] « s’occuperait » de la demande de contrôle judiciaire et de la mesure de renvoi. Le demandeur a alors décidé de prendre un nouvel avocat.

 

[8]               Dans l’affidavit qu’il a déposé à l’appui de la présente demande, le demandeur affirme que son ancienne avocate fait maintenant l’objet d’une procédure disciplinaire devant le Barreau du Haut‑Canada parce qu’elle a omis de donner suite à de nombreuses plaintes du service de résolution des plaintes du Barreau. Il a décidé de déposer une plainte contre cette dernière.

 

[9]               Dans sa demande de contrôle judiciaire, le demandeur soutient qu’en concluant qu’il ne risquait pas d’être persécuté au Sri Lanka, au titre de l’article 96 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR), et qu’il n’y avait pas de motifs sérieux de croire qu’il risquait d’être soumis à la torture, de subir des peines cruelles et inusitées, ou de voir sa vie menacée, aux termes du paragraphe 97(1) de la LIPR, l’agente a commis une erreur susceptible de contrôle parce qu’elle a mal interprété la preuve ou tiré des inférences déraisonnables. Le demandeur soutient également qu’il y a eu manquement à la justice naturelle parce qu’il était représenté par une avocate incompétente.

 

[10]           Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration (le défendeur) affirme que l’agente a tenu compte de l’ensemble de la preuve et ne l’a pas mal interprétée, ce qui comprend la preuve documentaire qu’elle a consultée. Le défendeur soutient que la décision de l’agente est raisonnable à la lumière de la preuve qui lui a été soumise. De plus, il souligne que l’agente a pris en considération la preuve selon laquelle la famille du demandeur continuait à vivre au Sri Lanka sans que les agents de persécution prétendus ne lui causent de problèmes.

 

[11]           En ce qui a trait aux observations relatives à un manquement à l’équité procédurale en raison de l’incompétence reprochée à l’ancienne avocate du demandeur, le défendeur soutient que le demandeur ne s’est pas acquitté de son fardeau de la preuve à cet égard. Selon le défendeur, le demandeur n’a pas démontré que le comportement de son ancienne avocate constituait une faute professionnelle et, de toute façon, il n’a pas démontré qu’il avait subi un préjudice en raison de cette faute, ni qu’une erreur judiciaire en était résultée, en ce sens que la décision de l’agente aurait été différente n’eût été cette faute.

 

[12]           La première question dont il faut traiter est la norme de contrôle applicable. Suivant l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, [2008] 1 R.C.S. 190, les décisions déterminées par les faits rendues par des décideurs administratifs sont susceptibles de contrôle selon la norme de la raisonnabilité. Lorsque la jurisprudence antérieure a établi la norme de contrôle applicable, la cour chargée du contrôle n’a pas à se livrer à une analyse exhaustive pour déterminer quelle est cette norme (voir l’arrêt Dunsmuir, au paragraphe 57, analysé et appliqué dans la décision Da Mota). Compte tenu de l’ensemble de la jurisprudence qui s’est établie relativement au contrôle judiciaire des décisions en matière d’ERAR, j’adopte la norme de la raisonnabilité en l’espèce.

 

[13]           La question de l’équité procédurale est assujettie à la norme de la décision correcte (voir Ellis‑Don Ltd. c. Ontario (Commission des relations de travail), [2001] 1 R.C.S. 221, au paragraphe 65).

 

[14]           L’allégation selon laquelle l’agente n’a pas dûment tenu compte de la preuve démontrant que le demandeur avait été persécuté ou serait exposé à des risques constitue essentiellement une question de fait. L’agent a le mandat d’évaluer la preuve qui lui est soumise.

 

[15]           Dans sa contestation des conclusions de fait de l’agente, le demandeur fait valoir que l’agente n’a pas tenu compte de son statut en tant que jeune homme tamoul ayant, dans le passé, attiré l’attention de la police, qu’elle a mal interprété ce statut ou qu’elle a fait des inférences inexactes à cet égard. Il soutient également qu’elle n’a pas tenu compte du fait qu’il était un homme d’affaires et qu’à Colombo, les hommes d’affaires tamouls étaient particulièrement pris pour cible. De plus, il affirme qu’à la lumière des conclusions quant à l’usage de la torture par la police et quant à la situation désastreuse des droits de la personne au Sri Lanka, la conclusion de l’agente selon laquelle il ne subirait pas de torture est déraisonnable.

 

[16]           La preuve soumise à l’agente n’étaye pas ces arguments. L’agente explique clairement pourquoi elle doutait que la police s’intéresse au demandeur. Sa conclusion est raisonnable.

 

[17]           Je suis d’accord avec l’observation du défendeur selon laquelle l’agente n’a commis aucune erreur en tirant sa conclusion sur le statut du demandeur. Il s’est présenté dans sa demande d’ERAR comme un Sri-Lankais appartenant à l’ethnie Moor et un homme d’affaires ayant des liens avec la communauté tamoule. Cette description n’est pas la même que celle d’un [traduction] « jeune tamoul » et, à mon avis, il n’était pas déraisonnable que l’agente ne le décrive pas comme tel, surtout s’il n’a pas lui-même utilisé cette description.

 

[18]           L’agente a tiré une conclusion raisonnable quant au statut du demandeur à titre d’homme d’affaires puisque rien ne prouvait qu’il continuait à exploiter une entreprise au Sri Lanka ou qu’il serait obligé de le faire s’il y retournait.

 

[19]           Il y a des éléments de preuve selon lesquels le gouvernement violait les droits de la personne de jeunes hommes tamouls, mais, en l’absence de preuve établissant que le demandeur correspondait au profil du « jeune tamoul », il était raisonnable que l’agente n’utilise pas ces éléments de preuve pour rendre sa décision sur la demande d’ERAR dont elle était saisie.

 

[20]           En résumé, il était raisonnablement loisible à l’agente, compte tenu de la preuve, d’en arriver aux conclusions qu’elle a tirées, et elle n’a commis aucune erreur susceptible de contrôle.

 

[21]           Je vais maintenant me pencher sur les observations du demandeur concernant le manquement à l’équité procédurale découlant de l’incompétence de son ancienne avocate. Comme il a été indiqué précédemment, cette question est susceptible de contrôle selon la norme de la décision correcte.

 

[22]           Il faut satisfaire à un critère exigeant pour démontrer que l’incompétence d’un avocat a donné lieu à un manquement à l’équité procédurale. Le juge Denault a analysé cette question dans la décision Shirwa c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] 2 C.F. 51, affirmant ce qui suit au paragraphe 12 :

12. Dans les autres cas où une audience a lieu, la décision rendue ne peut faire l’objet d’un contrôle judiciaire que dans des « circonstances extraordinaires », lorsqu’il y a suffisamment d’éléments de preuve pour établir « l’étendue du problème » et que le contrôle judiciaire a « pour fondement des faits très précis ». Ces restrictions sont essentielles, selon moi, afin de tenir compte des préoccupations exprimées par les juges MacGuigan et Rothstein, selon lesquelles l’insatisfaction d’ordre général ressentie à l’égard de la qualité de la représentation assurée par l’avocat dont le demandeur a, de son propre chef, retenu les services, ne saurait justifier le contrôle judiciaire d’une décision défavorable. Toutefois, lorsque l’incompétence ou la négligence du représentant ressort de la preuve de façon suffisamment claire et précise, elle est en soi préjudiciable au demandeur et elle justifie l’annulation de la décision, même si le tribunal n’a pas agi de mauvaise foi ni omis de faire quoi que ce soit.

[Non souligné dans l’original.]

 

[23]           Le défendeur soutient que pour que cet argument soit retenu, le demandeur doit démontrer les trois éléments suivants :

a.       que les actes ou les omissions de l’avocate constituaient de l’incompétence;

b.      qu’il a subi un préjudice en raison de la faute reprochée;

c.       qu’il y a eu une erreur judiciaire en ce sens qu’il existe une probabilité raisonnable que le résultat de la première audience aurait été différent n’eût été cette faute.

 

À ce sujet, le défendeur se fonde, entre autres, sur les décisions suivantes : Yang c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 269, R. c. G.D.B., [2000] 1 R.C.S. 520, et Ahmad c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 646.

 

[24]           Dans la décision Huynh c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1993), 21 Imm. L.R. (2d) 18, la Cour a jugé que c’est seulement dans les cas les plus extraordinaires qu’elle conclura que la conduite d’un avocat justifie une intervention à l’occasion d’un contrôle judiciaire.

 

[25]           À mon avis, ce n’est pas le cas ici. Mis à part la nature de la conduite de l’ancienne avocate qui a omis de déposer des observations additionnelles à l’appui de la demande d’ERAR, le demandeur a omis de prouver le deuxième et le troisième éléments exposés ci-dessus.

 

[26]           Le demandeur a eu une « audience » devant l’agente d’ERAR. Il n’a subi aucun préjudice à cet égard. Plus important encore, il a omis de démontrer que le résultat aurait été différent. L’agente avait les observations initiales et a examiné des documents à jour concernant les conditions dans le pays.

 

[27]           Je suis convaincue que les actes de l’ancienne avocate du demandeur n’ont pas entraîné de manquement à la justice naturelle en l’espèce et la présente demande de contrôle judiciaire sera donc rejetée. L’affaire ne soulève aucune question à certifier.

 


 

JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée et qu’il n’y a aucune question à certifier.

 

 

« E. Heneghan »

Juge

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Julie Boulanger, LL.M.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-2188-08

 

INTITULÉ :                                       MOHAMED FAZLATH MOHAMED NIZAR c.

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 26 janvier 2009

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LA JUGE HENEGHAN

 

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT :                       Le 28 mai 2009

 

 

COMPARUTIONS :

 

Krassina Kostadinov

 

POUR LE DEMANDEUR

Jennifer Dagsvik

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Waldman & Associates

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

 

 

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