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Date : 20090522

Dossier : IMM-4512-08

Référence : 2009 CF 535

Ottawa (Ontario), le 22 mai 2009

En présence de madame la juge Mactavish

 

 

ENTRE :

KIRANJIT KAUR BASRA

demanderesse

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Mme Kiranjit Kaur Basra sollicite le contrôle judiciaire d’une décision rendue par un agent des visas qui a refusé sa demande de résidence permanente fondée sur des motifs d’ordre humanitaire (la demande CH), laquelle avait été présentée à l’étranger. Pour les motifs qui suivent, je suis convaincue que plusieurs erreurs ont été commises lors de l’examen de la demande de Mme Basra; par conséquent, la décision contestée n’est pas raisonnable. La demande de contrôle judiciaire sera donc accueillie.

 

 

 

Le contexte

 

[2]               Mme Basra est citoyenne de l’Inde et est la mère d’un jeune garçon, Yudhvir. Son époux a été tué en 2001. Les parents et la sœur de son défunt époux sont citoyens du Canada.

 

[3]               Le défunt époux de Mme Basra était le seul fils de ses parents, et Yudhvir est leur seul petit‑fils. Les membres de la famille qui se trouvent au Canada affirment avoir des liens étroits avec leur petit‑fils, et ils envoient régulièrement de l’argent afin d’aider Mme Basra et Yudhvir en Inde. La preuve établit que la famille a donné plus de 600 000 roupies depuis 2002 à Mme Basra.

 

[4]               Les beaux‑parents de Mme Basra veulent qu’elle déménage au Canada avec son enfant pour qu’ils puissent tous être ensemble. Pour ce faire, la belle‑sœur de Mme Basra et son époux ont signé une entente de parrainage et un engagement en matière d’obligations financières à l’appui de la demande CH de Mme Basra. Les renseignements sur les ressources financières du couple avaient également été fournis à l’agent des visas.

 

[5]               En outre, des éléments de preuve ont été déposés pour établir le lien étroit qu’entretiennent Mme Basra et son fils avec les parents canadiens de son époux. Ont également été fournis des renseignements médicaux portant sur la santé mentale de la belle‑mère de Mme Basra et sur l’importance pour son bien‑être que Yudhvir vienne la rejoindre au Canada.

 

[6]               La demande de résidence permanente de Mme Basra a d’abord été examinée comme étant une demande dans la catégorie des travailleurs qualifiés, et l’agent a conclu que Mme Basra n’appartenait pas à cette catégorie. Cette conclusion n’est pas contestée.

 

[7]               L’agent a par la suite examiné la demande CH présentée par Mme Basra. Après avoir examiné la preuve déposée par Mme Basra et les membres de sa famille, l’agent des visas a conclu que les motifs d’ordre humanitaire ne l’emportaient pas sur la non‑admissibilité de Mme Basra au Canada en qualité de travailleur qualifié.

 

 

Analyse

 

[8]               Comme je l’expliquerai ci‑dessous, il y a trois aspects qui posent problème dans la décision de l’agent des visas, lesquels aspects mènent à la conclusion que la décision était déraisonnable.

 

 

L’agent des visas ne s’est pas fondé sur le bon guide

 

[9]               Premièrement, il ressort des notes du STIDI que l’agent a examiné la demande au regard du paragraphe 6.14 du guide Sélection et traitement à l’étranger des cas de réfugiés au sens de la Convention outre‑frontières et de personnes protégées à titre humanitaire outre‑frontières (le guide OP5). À cet égard, l’agent a noté ce qui suit :

[traduction]

Le paragraphe 6.14 du guide OP5 dispose entre autres que « [les personnes à charge de fait] doivent dépendre du demandeur principal qui est considéré être un membre de l’une des trois catégories de réfugiés. La personne à charge de fait doit respecter la définition de réfugié à part entière même si une relation de dépendance est établie ». Yudhvir Singh ne respecte pas la définition de personne à charge de fait.

 

 

 

[10]           Il est établi que le guide OP5 ne s’applique pas en l’espèce, et que la demande aurait dû être examinée au regard du paragraphe 8.3 du guide Traitement des demandes présentées en vertu de l’article 25 de la LIPR (le guide OP4).

 

[11]           L’agent des visas a déposé un affidavit où il explique qu’il s’était trompé en faisant référence au guide OP5 et qu’il aurait faire référence au guide OP4.

 

[12]           J’ai déjà fait des observations sur la pratique des agents des visas de déposer des affidavits expliquant ou précisant les motifs de leurs décisions, et j’ai expliqué pourquoi on ne devrait accorder que peu de poids à de tels affidavits : voir, par exemple, Fakharian c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 440, paragraphe 4; Bin Abdullah c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1185, paragraphes 12 à 15; Alam c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 182, paragraphe 19. D’autres juges de la Cour ont exprimé un point de vue semblable : voir Hansra c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 230; Sklyar c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 1226; Santhirasekaram c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 1188; Jesuorobo c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 1092.

 

[13]           En outre, en l’espèce, l’affidavit de l’agent des visas donne à penser que le renvoi au mauvais guide n’était rien de plus qu’une erreur de frappe. Cependant, il ressort clairement des notes du STIDI elles-mêmes que, plutôt que d’avoir simplement renvoyé par erreur au guide OP5 au lieu d’au guide OP4, la demande a effectivement été examinée selon le mauvais guide.

 

[14]           Même s’il est vrai que l’agent des visas a bien examiné les différents motifs d’ordre humanitaire lors de l’examen de la demande au regard du guide OP5, on peut difficilement savoir quel poids a été accordé à la conclusion de l’agent des visas, selon laquelle Yudhvir Singh ne respectait pas la définition de personne à charge de fait parce qu’il ne respectait pas la définition de réfugié.

 

 

L’appréciation par l’agent des visas du rapport médical

 

[15]           Le deuxième aspect qui pose problème est l’appréciation, par l’agent des visas, du rapport médical concernant la grand‑mère paternelle de Yudhvir. Il ressort des notes du STIDI que l’agent des visas a donné peu de poids au rapport médical parce que [traduction] « [l]e rapport médical sembl[ait] avoir été produit pour les besoins de la présente demande ».

 

[16]           Il est vrai que l’agent des visas a le pouvoir discrétionnaire de déterminer le poids qu’il faut accorder à la preuve. Cependant, l’explication donnée par l’agent des visas pour ne pas accorder beaucoup de poids au rapport médical en l’espèce est déraisonnable.

 

[17]           Personne n’obtient de rapports écrits de son médecin de façon régulière, à moins qu’il y ait une raison particulière de le faire. Un avis médical peut être nécessaire pour justifier d’une absence au travail – parce qu’il est requis dans une demande d’indemnisation – ou pour appuyer une demande en matière d’immigration. Le fait qu’un rapport médical ait été obtenu dans un but précis ne veut pas dire, en soi, qu’il n’est pas fiable ou que peu de poids devrait lui être accordé.

 

[18]           En outre, le raisonnement de l’agent des visas placerait les demandeurs dans une situation impossible. Si, dans le cadre d’une procédure d’immigration, aucune preuve médicale n’est déposée concernant la maladie d’une personne, le décideur ne tiendra pas compte de cette maladie au motif qu’il n’y avait aucune preuve établissant son existence. Par ailleurs, si un demandeur obtient une preuve médicale à l’appui de sa demande d’immigration, cette preuve pourrait alors être écartée pour les motifs donnés par l’agent des visas en l’espèce. Ce n’est pas raisonnable.

 

 

La conclusion de l’agent des visas portant sur la capacité de Mme Basra de subvenir à ses besoins

 

[19]           Le dernier problème relevé dans les motifs de l’agent des visas concerne la conclusion selon laquelle Mme Basra était capable de subvenir à ses besoins et à ceux de Yudhvir en Inde.

 

[20]           L’agent des visas a souligné dans les notes du STIDI que les beaux‑parents de Mme Basra avaient fourni de l’aide financière à Mme Basra et que l’on pouvait s’attendre à ce qu’ils viennent en aide à la veuve et à l’enfant de leur fils décédé, lesquels se trouvent en Inde. Cependant, l’agent des visas a alors conclu comme suit : [traduction] « En outre, selon les renseignements fournis par le représentant, la demanderesse est capable financièrement de subvenir à ses besoins et à ceux de son fils. »

 

[21]           Bien qu’il soit vrai que la demanderesse a mentionné dans sa demande qu’elle avait un emploi, l’agent des visas ne disposait d’absolument aucune preuve selon laquelle la demanderesse était capable de gagner assez d’argent pour subvenir à ses besoins et à ceux de son fils. En fait, la seule preuve à ce sujet donnait à penser le contraire.

 

[22]           La demanderesse avait en fait affirmé ce qui suit dans ces observations : [traduction] « En tant que veuve vivant avec un jeune enfant, je n’ai pas la capacité de devenir autonome. »

 

[23]           Étant donné qu’il n’y a aucune preuve à l’appui de la conclusion de l’agent des visas selon laquelle la demanderesse était autonome financièrement, la conclusion est déraisonnable.

 

 

Conclusion

 

[24]           Pour ces motifs, la décision n’appartient pas aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit : voir Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, paragraphe 47. Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire sera accueillie.

 

 

Certification

 

[25]           Les parties n’ont proposé aucune question aux fins de certification, et l’affaire n’en soulève aucune.


JUGEMENT

 

            LA COUR STATUE que :

 

            1.         La présente demande de contrôle judiciaire est accueillie, et l’affaire est renvoyée à un tribunal différemment constitué pour qu’il statue à nouveau sur elle;

 

            2.         Aucune question grave de portée générale n’est certifiée.

 

 

« Anne Mactavish »

Juge

 

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Jean-François Martin, LL.B., M.A.Trad.jur.

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                                IMM-4512-08

 

 

INTITULÉ :                                                               KIRANJIT KAUR BASRA c. MCI

                                                           

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                                         CALGARY (ALBERTA)

 

 

DATE DE L’AUDIENCE :                                       LE 20 MAI 2009

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                                      LA JUGE MACTAVISH

 

 

DATE DES MOTIFS :                                              LE 22 MAI 2009

 

 

COMPARUTIONS :

 

Raj Sharma

 

POUR LA DEMANDERESSE

Camile Audain

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Raj Sharma

Avocat

Calgary (Alberta)

 

POUR LA DEMANDERESSE

John H. Sims, c.r.

Sous‑procureur général du Canada

POUR LE DÉFENDEUR

 

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