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Cour fédérale

Federal Court

Date : 20090514

Dossier : IMM-4856-08

Référence : 2009 CF 501

Montréal (Québec), le 14 mai 2009

En présence de monsieur le juge Martineau

 

 

ENTRE :

ADEDAYO ODETOYINBO

demandeur

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Le demandeur, citoyen du Nigeria, conteste la légalité d’une décision de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission) rendue le 7 octobre 2008 et dans laquelle la Commission a conclu qu’il n’était ni un réfugié au sens de la Convention ni une personne à protéger. La demande du demandeur repose sur une allégation de bisexualité. Comme l’homosexualité est illégale au Nigeria, le demandeur craint d’être persécuté en raison de son orientation sexuelle.

 

[2]               La Cour doit répondre à une seule question : le rejet par la Commission de la demande du demandeur pour manque de crédibilité est-il raisonnable dans les circonstances?

 

[3]               La façon dont la Commission apprécie la preuve présentée à l’audience est une question de fait. Par conséquent, elle emporte l’application de la norme de la raisonnabilité (Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190 (l’arrêt Dunsmuir)). La Cour n’interviendra pas si la décision appartient « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir, au paragraphe 47; Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12, au paragraphe 59, [2009] A.C.S. n12 (l’arrêt Khosa)). De plus, à moins que les conclusions en matière de crédibilité n’aient été tirées de façon arbitraire ou sans preuve à l’appui, ou à moins que la Commission n’ait pas fourni de motifs suffisants en termes clairs et explicites pour conclure comme elle l’a fait, la Cour doit accorder le plus haut degré de déférence à ces conclusions (alinéa 18.1(4)d) de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, ch. F-7, tel que confirmé par la suite dans l’arrêt Dunsmuir (Khosa, au paragraphe 46)).

 

[4]               À l’ouverture de l’audience devant la Commission, le président de l’audience a clairement énoncé les questions en litige :

[traduction] […] [L]’audience aujourd’hui devrait porter plus particulièrement sur les questions suivantes : l’identité du demandeur comme bisexuel et la crédibilité [du demandeur] en général. […]

 

[5]               À l’audience, le demandeur a été interrogé en long et en large à propos de sa bisexualité et des faits l’ayant mené à fuir le Nigeria. En ce qui concerne le premier point, on a demandé au demandeur d’indiquer quand il s’était rendu compte de sa bisexualité, le nombre de partenaires qu’il avait eu, s’il avait dévoilé sa bisexualité à sa famille et quand cela avait eu lieu, si ses partenaires avaient dévoilé leur orientation sexuelle à leur famille, s’il connaissait l’existence d’organisations défendant les droit des homosexuels au Nigeria, s’il avait une connaissance personnelle des lois condamnant l’homosexualité au Nigeria et de personnes ayant été jugées ou arrêtées en vertu de ces lois, s’il avait un partenaire depuis son arrivée au Canada et s’il connaissait la communauté gaie au Canada.

 

[6]               Malheureusement, malgré un interrogatoire poussé à l’audience quant à l’identité du demandeur comme bisexuel, les motifs de la Commission sont complètement silencieux sur cette question clé de la demande du demandeur. Après avoir étudié attentivement le dossier du tribunal, y compris les transcriptions et la preuve documentaire, je conclus que, globalement, la conclusion de la Commission était déraisonnable. Même si la Commission a tiré des conclusions défavorables quant à la crédibilité du demandeur au sujet des événements qui l’avaient poussé à fuir le Nigeria, une évaluation de l’orientation sexuelle du demandeur au Canada comme au Nigeria était tout de même nécessaire compte tenu de la preuve documentaire au dossier relativement à la persécution des homosexuels au Nigeria et du témoignage détaillé du demandeur sur cette question primordiale de sa demande (lequel, soit dit en passant, est corroboré par des lettres produites par le demandeur). En conséquence, le fait que la Commission n’ait pas tiré de conclusions explicites au sujet de la bisexualité du demandeur constitue une erreur susceptible de contrôle et justifie qu’on statue à nouveau sur la demande du demandeur (Burgos-Rojas c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 162 F.T.R. 157, [1999] A.C.F. n88; Alemu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 997, [2004] A.C.F. no 1210, aux paragraphes 45 et 46).

 

[7]               Il est clairement établi qu’une conclusion défavorable sur la crédibilité, quoiqu’elle puisse être concluante quant à une demande du statut de réfugié au titre de l’article 96 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi), n’est pas nécessairement concluante quant à une demande en application du paragraphe 97(1) de la Loi. En effet, la preuve requise pour établir une demande au titre de l’article 97 diffère de celle requise pour l’application de l’article 96 (Jarada c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 409, [2005] A.C.F. n506). Lorsqu’elle examine l’article 97, la Commission doit décider si le renvoi du demandeur l’exposerait personnellement aux risques et aux menaces prévus aux alinéas 97(1)a) et b) de la Loi (Bouaouni c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CF 1211, [2003] A.C.F. no 1540). De plus, l’article 96 a des composantes objectives et subjectives qui ne se retrouvent pas à l’alinéa 97(1)a) : une personne se fondant sur cet alinéa doit démontrer, selon la prépondérance des probabilités, qu’il est plus probable que le contraire qu’elle soit persécutée (Chan c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1995] 3 R.C.S. 593, [1995] A.C.S. n78; Li c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CAF 1, [2005] A.C.F. n1).

 

[8]               Il faut souligner que la crainte de persécution du demandeur ou le risque individuel doit être évalué compte tenu de ce qui est généralement connu quant aux conditions et aux lois dans le pays d’origine du demandeur, et des expériences de personnes se trouvant dans des situations semblables dans ce pays. En l’espèce, la Commission n’a pas affirmé expressément dans ses motifs qu’elle ne croyait pas que le demandeur était bisexuel. Par conséquent, la Commission ne pouvait pas ne pas tenir compte de la preuve objective convaincante au dossier faisant état des violences subies par les hommes homosexuels au Nigeria. En conséquence, même si la Commission avait rejeté le témoignage du demandeur quant à ce qui lui était arrivé au Nigeria, elle avait tout de même le devoir d’examiner si l’orientation sexuelle du demandeur le mettrait personnellement en danger dans son pays.

 

[9]               La demande sera donc accueillie et renvoyée à la Commission pour qu’un autre commissaire statue à nouveau sur l’affaire. Il n’y a pas de question à certifier.

 

 


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est accueillie. La décision rendue par la Commission le 7 octobre 2008 est annulée et l’affaire est renvoyée à un autre commissaire pour qu’il rende une nouvelle décision. Aucune question n’est certifiée.

 

 

« Luc Martineau »

Juge

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Julie Boulanger, LL.M.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-4856-08

 

INTITULÉ :                                       ADEDAYO ODETOYINBO c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 12 mai 2009

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              Le juge Martineau

 

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT :                       Le 14 mai 2009

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Annick Legault

 

POUR LE DEMANDEUR

Jocelyne Murphy

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Annick Legault

Montréal (Québec)

 

POUR LE DEMANDEUR

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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