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Cour fédérale

Federal Court

 

 

Date : 20090513

Dossier : T-536-04

Référence : 2009 CF 497

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Toronto (Ontario), le 13 mai 2009

En présence de monsieur le juge Mosley

 

ENTRE :

OMAR AHMED KHADR, par son représentant

FATMAH EL-SAMHAH

demandeur

 

 

et

 

 

SA MAJESTÉ LA REINE

DU CHEF DU CANADA

 

défenderesse

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

[1]               La Cour est saisie d’une requête écrite fondée sur l’article 369 des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106, en vue d’obtenir une ordonnance autorisant le demandeur à déposer une déclaration modifiée pour la deuxième fois en vertu de l’article 75 des Règles. La requête a pour objet principal de réintroduire une demande fondée sur l’article 12 de la Charte canadienne des droits et libertés, partie 1 de la Loi constitutionnelle de 1982, édictée comme l’annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.), (la Charte). Un certain nombre de modifications non contestées sont proposées. La défenderesse consent à toutes les modifications proposées, à l’exception de la demande fondée sur l’article 12.

 

[2]               Dans l’action intentée en mars 2004, le demandeur allègue qu’il y a eu violation des articles 6, 7, 11 et 12, ainsi que des alinéas 10a), 10b), 10c) de la Charte. En août 2004, la défenderesse a déposé une requête en radiation de la déclaration dans laquelle elle alléguait, relativement à la demande fondée sur l’article 12 de la Charte, qu’elle ne pouvait constituer un chef de responsabilité à l’encontre de Sa Majesté du chef du Canada puisque la peine ou les mauvais traitements ont été infligés à l’extérieur du Canada sur un territoire contrôlé par le gouvernement des États-Unis d’Amérique

 

[3]               À l’audition de la requête de 2004, l’avocat du demandeur a reconnu qu’il n’était pas en possession de renseignements permettant d’étayer une demande fondée sur l’article 12. Par conséquent, la requête a été retirée et la déclaration a été modifiée : Khadr c Canada (Procureur général), 2004 CF 1394. Le demandeur et son avocat ne s’étaient jamais rencontrés au moment où cette décision a été rendue, car le demandeur était détenu sous des conditions strictes dans l’établissement militaire américain à la Baie de Guantanamo, à Cuba, lequel interdisait toute communication confidentielle entre un avocat et son client.

 

[4]               Le 25 juin 2008, la Cour a rendu une décision ordonnant la communication de documents confirmant qu’un responsable canadien avait été avisé, avant de s’entretenir avec le demandeur en mars 2004, que celui-ci avait été soumis à une pratique de privation de sommeil appelé le « programme grand voyageur » : Khadr c Procureur général, 2008 CF 807.

 

[5]               Au paragraphe 88 de mes motifs, j’ai conclu que cette pratique constituait une violation du droit international en matière de droits de la personne relativement au traitement de détenus en vertu de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, [1987] R.T. Can. nº 36 des Nations Unies et les conventions de Genève de 1949. J’ai conclu que le Canada était devenu partie à la violation des droits du demandeur en vertu de ces instruments lorsque le responsable canadien a obtenu les renseignements relatifs à la pratique et qu’il a choisi de procéder à l’interrogatoire.

 

[6]               Le demandeur allègue que les circonstances en vertu desquelles il était détenu à Guantanamo empêchaient son avocat, à l’époque, d’obtenir les renseignements qui lui permettraient d’étayer une demande fondée sur l’article 12. En outre, la défenderesse avait les renseignements en sa possession, mais les revendications de privilèges soulevées par celle‑ci ont également empêché le demandeur d’obtenir les renseignements, jusqu’à ce que’unedécision soit rendue en juin 2008. Le demandeur souhaite maintenant ajouter une demande alléguant que la Couronne a violé l’article 12 de la Charte en l’interrogeant tout en sachant qu’il avait été soumis au « programme grand voyageur ».

 

[7]               La défenderesse fait valoir qu’il ne s’est produit aucun changement important depuis que la requête de 2004 a été tranchée. Elle soutient que le nouvel alinéa 4j) proposé par le demandeur ne fait que préciser les allégations selon lesquelles les responsables canadiens savaient que le demandeur avait fait l’objet de mauvais traitements par des représentants du gouvernement américain, et que les autres modifications proposées sont simplement descriptives. La défenderesse allègue que les modifications proposées devraient être rejetées, car le demandeur n’aurait aucune chance d’obtenir gain de cause.

 

[8]                La défenderesse fait valoir que les allégations en question ne permettraient pas d’étayer une demande fondée sur l’article 12, car les mauvais traitements ont été infligés sous le contrôle des autorités américaines : R. c Terry, [1996] 2 R.C.S. 207. Même si l’on pouvait dire que l’article 12 s’applique aux gestes des responsables canadiens ayant interrogé le demandeur à la suite des mauvais traitements qui lui ont été infligés par l’armée américaine, ces gestes ne pourraient être qualifiés de traitements cruels et inusités au sens de l’article 12 : États-Unis c Burns, [2001] 1 R.C.S. 283; Rodriguez c Colombie‑Britannique (Procureur général), [1993] 3 R.C.S. 519. Dans la présente action, le demandeur allègue qu’il y a eu violation de l’article 7 de la Charte. La défenderesse fait valoir qu’il s’agit de la disposition à appliquer pour traiter des violations des droits par d’autres gouvernements et leurs représentants susceptibles d’être liées aux actions du gouvernement canadien : Burns, précité, aux paragraphes 55 et 57.

 

[9]               Les parties s’entendent sur le critère servant à déterminer s’il y a lieu de permettre la modification des actes de procédure. Selon la règle générale, telle qu’énoncée dans la décision Canderel Ltée c Canada, [1994] 1 RCF 3,  une modification devrait être autorisée à tout stade de l’action pour déterminer les véritables questions litigieuses, pourvu que celle‑ci ne cause pas d’injustice à l’autre partie que des dépens ne pourraient réparer, et qu’elle serve les intérêts de la justice.

 

[10]           Dans l’affaire Airth c Canada (Minister of National Revenue – M.N.R.), 2007 FC 1334, le juge Michael Phelan a réitéré cette approche générale libérale et a cité le paragraphe 12 de la décision Canderel, qui est en partie rédigé ainsi :

Il s’agit, en fin de compte, de tenir compte de la simple équité, du sens commun et de l’intérêt qu’ont les tribunaux à ce que justice soit faite.        

[11]           Dans une requête en autorisation de modifier, une partie n’a pas à établir le bien‑fondé de sa demande. Le tribunal doit plutôt présumer que les faits allégués sont exacts et refuser la demande de modification uniquement lorsqu’il est évident et manifeste qu’elle est vouée à l’échec : Pembina County Water Resource District c Manitoba, 2008 CF 1390; Dené Tha’ First Nation c Canada (Attorney General), 2008 FC 679. 

 

[12]           Je souligne que mon collègue, le juge James O’Reilly, a récemment examiné la question de la participation de responsables canadiens au traitement du défendeur à Guantanamo dans la décision Khadr c Canada (Premier ministre), 2009 CF 405, et qu’il a conclu ce qui suit au paragraphe 83 de ses motifs :  

Les défendeurs soulignent que ce sont des non-Canadiens qui ont maltraité M. Khadr. En vertu de l’article 7, « la garantie relative à la justice fondamentale s’applique même aux atteintes au droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de la personne qui sont le fait d’acteurs autres que le gouvernement canadien, à condition qu’il existe un lien causal suffisant entre la participation de notre gouvernement et l’atteinte qui survient en bout de ligne » (Suresh, précité, au paragraphe 54). Dans le cas présent, le degré nécessaire de participation réside dans l’interrogatoire de M. Khadr que le Canada a mené, tout en sachant qu’il avait été soumis à des traitements qui allaient à l’encontre des normes internationales en matière de droits de la personne et que le Canada s’était expressément engagé à respecter. [Non souligné dans l’original.]

 

[13]           Les commentaires du juge O’Reilly font référence aux principes énoncés dans l’arrêt Suresh c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CSC 1, au paragraphe 54. Je suis également d’avis que le paragraphe 55 de l’arrêt Suresh est instructif :

Nous ne pouvons donc souscrire à l’affirmation de la Cour d’appel fédérale selon laquelle le Canada n’est qu’« intermédiaire involontaire » (par. 120) lorsqu’il expulse un réfugié vers un pays où ce dernier risque la torture. Sans l’intervention du Canada, il n’y aurait pas de risque de torture. En conséquence, on ne peut soutenir que le Canada n’est qu’un acteur passif. Cela ne veut évidemment pas dire que constitue une  violation de l’art. 7 toute mesure prise par le Canada et à la suite de laquelle une personne est torturée ou mise à mort. Tout comme en l’espèce, il faut chaque fois se demander s’il existe un lien suffisant entre la mesure prise par le Canada et l’atteinte au droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de la personne. [Non souligné dans l’original.]

 

 

[14]           Les commentaires précités s’appliquent à la question de savoir si l’article 7 de la Charte entre en jeu en ce qui a trait aux actions des gouvernements étrangers et, comme le soutient la défenderesse, une demande fondée sur cette disposition fait déjà partie de l’action. Les questions concernant l’application de l’article 12 de la Charte sont différentes. Il ne s’agit pas ici d’une affaire où des responsables canadiens ont infligé directement une peine ou des traitements inusités au demandeur. Néanmoins, le demandeur peut également être en mesure d’établir un lien causal suffisant entre les actions des représentants canadiens et le traitement qu’il a subi aux mains de l’armée américaine. Les renseignements communiqués l’année dernière montraient que le demandeur avait été privé de sommeil en vue de la visite des représentants officiels, afin de l’inciter à coopérer à l’interrogatoire que ceux-ci allaient mener.

 

[15]           La question ne fait pas de doute, mais il n’est pas évident et manifeste que la demande fondée sur l’article 12 en l’espèce est futile. En outre, la défenderesse n’a invoqué aucun argument selon lequel les modifications demandées causeraient une injustice que des dépens ne pourraient réparer. Par conséquent, je suis convaincu que les modifications devraient être autorisées.

 

 

 

 

ORDONNANCE

 

 

LA COUR ORDONNE ce qui suit :

 

1. Le demandeur est autorisé à présenter une déclaration modifiée pour la deuxième fois suivant la forme prévue à l’onglet B de son dossier de requête;

2. Le demandeur a droit aux dépens de la présente requête, sans égard à l’issue de la cause.

 

« Richard G. Mosley »

Juge

 

Traduction certifiée conforme

Johanne Matte, LL.L, D.D.N., B.A. Trad.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                    T-536-04

 

INTITULÉ :                                                  OMAR AHMED KHADR, par son représentant FATMAH EL-SAMHAH c SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DU CANADA

 

 

                                                                       

REQUÊTE ÉCRITE  EXAMINÉE À TORONTO (ONTARIO), SANS COMPARUTION PERSONNELLE DES PARTIES

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                  LE JUGE MOSLEY

 

DATE DES MOTIFS :                                 Le 13 mai 2009

 

 

OBSERVATIONS ÉCRITES :

 

 

Nathan J. Whitling                                          POUR LE DEMANDEUR

                                                                       

 

Doreen Mueller                                               POUR LA DÉFENDERESSE

 

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Nathan J. Whitling                                          POUR LE DEMANDEUR

Parlee McLaws LLP                                      

Edmonton (Alberta)                                       

 

 

John H. Sims, c.r.                                            POUR LA DÉFENDERESSE

Sous-procureur général du Canada

Edmonton (Alberta)                                                               

 

 

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