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Date : 20090422

Dossier : IMM-3499-08

Référence : 2009 CF 393

Ottawa (Ontario), le 22 avril 2009

En présence de monsieur le juge Russell

 

 

ENTRE :

KONSTANTINA KOROMILA

demanderesse

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET

DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande, présentée en application du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi), visant le contrôle judiciaire de la décision d’un agent de Citoyenneté et Immigration Canada (l’agent), rendue à Rome, en Italie, le 31 mai 2008 (la décision), par laquelle l’agent a rejeté la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire (demande CH) que la demanderesse a présentée en vertu de l’article 25 de la Loi.

 

 

 

 

LE CONTEXTE

 

[2]               La demanderesse habite en Grèce. Elle n’est pas mariée et n’a pas d’enfants. Elle a une sœur nommée Maria qui habite présentement au Canada et qui est citoyenne canadienne.

 

[3]               La mère de la demanderesse est décédée alors qu’elle avait trois ans et son père ne s’est jamais remarié. La demanderesse et sa sœur ont été élevées en Grèce par leur père et leur tante. Leur père est décédé d’une crise cardiaque alors qu’elles étaient adolescentes et leur tante a continué à prendre soin d’elles.

 

[4]               La demanderesse et sa sœur ont toutes les deux fait des études postsecondaires. La demanderesse est devenue administratrice au ministère des services sociaux en Grèce où elle a travaillé jusqu’à la retraite.

 

[5]               La sœur du demandeur a rencontré George Pefanis alors qu’il était en vacances en Grèce en 1968. George était d’origine grecque, mais il est devenu citoyen canadien. Maria et George se sont mariés et Maria a immigré au Canada. La demanderesse est restée en Grèce pour habiter avec sa tante et s’occuper d’elle. Elles avaient l’intention de rejoindre Maria et George au Canada.

 

[6]               Maria et George voyageaient chaque été pour rendre visite à la demanderesse et à sa tante en Grèce. Lorsque Maria a donné naissance à son premier enfant en 1969, un fils qu’elle a appelé Constantine, leur tante s’est rendue au Canada pour aider Maria et elle y est restée pendant neuf mois et demi. Lorsque la tante est retournée en Grèce, Maria et Constantine se sont aussi rendus en Grèce pour y habiter pendant environ huit mois.

 

[7]               Six mois après le retour de Maria et de Constantine au Canada, la tante a subi un grave accident vasculaire cérébral (AVC) et le côté gauche de son corps est resté paralysé. Au moment de l’AVC, Maria était enceinte de son deuxième fils, John, mais elle s’est rendue en Grèce pendant six mois pour aider à s’occuper de sa tante. Maria est ensuite revenue au Canada et la demanderesse est restée en Grèce pour s’occuper de sa tante.

 

[8]               En raison de l’état de santé de sa tante, la demanderesse n’a pas pu venir au Canada pendant plusieurs années, mais Maria et sa famille ont continué à se rendre en Grèce et à y rester pendant un mois tous les étés. La demanderesse était très proche de Maria, de George et de leurs enfants.

 

[9]               En 1986, la demanderesse a embauché un aidant naturel pour s’occuper de sa tante pendant qu’elle était en voyage au Canada. Lorsque Constantine s’est fiancé, la demanderesse a de nouveau embauché un aidant naturel pour s’occuper de sa tante alors qu’elle était au Canada pour le mariage en 2000.

 

[10]           En 2002, l’état de santé de la tante s’est détérioré et Maria s’est rendue en Grèce pour passer du temps avec elle. L’état de santé de la tante a continué à s’aggraver après le retour de Maria au Canada et, en décembre 2002, elle est décédée. Maria est retournée en Grèce et y est restée pendant plusieurs semaines pour que la demanderesse et elle puissent vivre leur deuil ensemble.

 

[11]           Au printemps 2003, la demanderesse a commencé à souffrir de problèmes cardiaques et on lui a installé un stimulateur cardiaque. Maria s’est rendue en Grèce pour la soutenir, et la demanderesse est venue au Canada avec sa sœur pour rester avec elle pendant quatre mois.

 

[12]           La demanderesse et Maria se rendent visite régulièrement et, lorsqu’elles sont séparées, elles se parlent souvent au téléphone. La demanderesse parle aussi souvent à Constantine et à John. La demanderesse a assisté au mariage de John au Canada en 2005. Elle a aussi effectué de longs séjours au Canada lorsque les deux enfants de Constantine sont nés.

 

[13]           La demanderesse affirme qu’elle est seule en Grèce et qu’elle est maintenant une femme âgée. Bien qu’elle soit en bonne santé, elle se sent vulnérable comme [traduction] « les personnes âgées qui vivent seules peuvent l’être ».

 

[14]           Bien que Maria et George se soient rendus en Grèce de nombreuses fois au cours des dernières années, des problèmes de santé empêchent maintenant George de faire le voyage. La demanderesse soutient que, comme elles vieillissent, Maria et elle auront de plus en plus de difficulté à se rendre visite.

 

[15]           La demanderesse a demandé la résidence permanente au Canada en juin 2007. Sa famille au Canada est prête à être responsable de son bien-être, sans compter que la demanderesse possède un revenu suffisant pour subvenir à ses propres besoins. John, qui est maintenant médecin, a ajouté une demande de parrainage à la demande de résidence permanente de la demanderesse.

 

[16]           Le 2 avril 2008, il semble que l’agent ait avisé la demanderesse que, pour traiter sa demande, elle devait lui fournir les résultats d’examens de langues.

 

[17]           L’avocat du demandeur a répondu à l’agent par courriel, le 28 avril 2008, que la demande de la demanderesse était fondée sur des motifs d’ordre humanitaire et qu’elle ne demandait aucun point pour les aptitudes en langues. L’avocat a aussi précisé que la demanderesse n’habitait pas près d’un centre d’examen et qu’il serait difficile pour elle de se rendre à un tel centre. C’est pourquoi elle demandait une exemption en vertu de l’article 25 de la Loi. L’avocat a aussi demandé à l’agent de tenir compte de l’alinéa 3(1)d) de la Loi, qui porte sur la réunification des familles au Canada.

 

[18]           L’agent a répondu par courriel le 21 mai 2008 et a soutenu que la demanderesse avait présenté une demande en vertu de la catégorie des travailleurs qualifiés et qu’elle n’avait pas obtenu le nombre de points minimal requis. De plus, le fait que la demanderesse habitait trop loin d’un centre d’examen n’était pas un argument acceptable. L’agent a aussi noté que les motifs d’ordre humanitaire ne suffisaient pas comme examen et que la demande de la demanderesse dans la catégorie des travailleurs qualifiés devait quand même être examinée.

 

[19]           Par courriel le 11 juin 2008, l’avocat de la demanderesse a expliqué que le formulaire pour la catégorie des travailleurs qualifiés avait été présenté parce qu’il n’existait aucun formulaire spécial pour le traitement des affaires à l’étranger en vertu de l’article 25 de la Loi et que pour présenter sa demande initiale, la demanderesse devait utiliser l’un des formulaires existants dans la catégorie du regroupement familial, de l’immigration économique ou des réfugiés. L’avocat a expliqué que la demande était fondée sur des motifs d’ordre humanitaire parce que la demanderesse ne satisfaisait pas aux exigences des trois catégories existantes.

 

[20]           L’agent les a avisés par courriel, le 11 juin 2008, qu’une décision finale avait été rendue. La demanderesse a reçu une lettre le même jour dans laquelle on lui expliquait que l’agent avait rejeté sa demande de résidence permanente.

 

[21]           L’agent a été contre-interrogé sur son affidavit le 10 décembre 2008.

 

LA DÉCISION FAISANT L’OBJET DU PRÉSENT CONTRÔLE

 

[22]           L’agent a conclu que les motifs d’ordre humanitaire dans la catégorie des travailleurs qualifiés ne s’appliquaient pas à la demanderesse.

 

[23]           Il a conclu que les problèmes de santé de la demanderesse ne l’empêchaient pas de rester active et qu’elle s’était fait beaucoup d’amis et de connaissances à Kalamata, où elle habitait. L’agent a noté que la demanderesse s’était rendue au Canada par le passé et que sa famille lui avait rendu visite en Grèce. Elle communiquait aussi de façon régulière avec sa famille au Canada, elle était indépendante financièrement et elle était bien établie. L’agent a remarqué que la demanderesse se sentait seule, mais il était d’avis que ce n’était pas suffisant pour justifier une décision favorable pour des motifs d’ordre humanitaire.

 

[24]           L’agent a souligné que rien n’empêchait la demanderesse de rendre visite à sa famille au Canada pendant six mois ou plus, si elle le voulait. Il a aussi noté que, bien qu’il serait pratique pour la demanderesse d’être proche de sa famille, lorsque sa sœur a immigré au Canada il y a des décennies, la famille a été séparée et la décision avait été acceptée et comprise à l’époque.

 

[25]           L’agent a noté que la demanderesse était restée en Grèce, qu’elle avait une vie active et remplie et qu’elle était restée bien informée au sujet de sa famille au Canada au cours de la dernière décennie. L’agent a conclu que l’alinéa 3(1)d) de la Loi, qui vise la réunification des familles, ne s’appliquait pas à la demanderesse.

 

[26]           L’agent a aussi conclu que tous les aspects des critères d’une demande CH ne s’appliquaient pas à la demanderesse et qu’elle ne possédait pas les points requis pour la catégorie des travailleurs qualifiés. Il lui a accordé 46 points sur un total possible de 100 points.

 

Les questions en litige

 

[27]           La demanderesse soulève les questions suivantes :

1)                  L’agent des visas a commis une erreur en interprétant de façon erronée et inexacte l’alinéa 3(1)d) de la Loi;

2)                  l’agent a commis une erreur de droit dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire en négligeant de tenir compte d’éléments de preuve, en les interprétant mal et en limitant l’exercice de son pouvoir discrétionnaire.

 

LES DISPOSITIONS LÉGALES

 

[28]           Les dispositions suivantes de la Loi s’appliquent en l’espèce :

3. (1) En matière d’immigration, la présente loi a pour objet :

 

[…]

 

d) de veiller à la réunification des familles au Canada;

 

Immigration économique

 

12(2) La sélection des étrangers de la catégorie « immigration économique » se fait en fonction de leur capacité à réussir leur établissement économique au Canada.

 

Séjour pour motif d’ordre humanitaire

 

25. (1) Le ministre doit, sur demande d’un étranger interdit de territoire ou qui ne se conforme pas à la présente loi, et peut, de sa propre initiative, étudier le cas de cet étranger et peut lui octroyer le statut de résident permanent ou lever tout ou partie des critères et obligations applicables, s’il estime que des circonstances d’ordre humanitaire relatives à l’étranger — compte tenu de l’intérêt supérieur de l’enfant directement touché — ou l’intérêt public le justifient.

3. (1) The objectives of this Act with respect to immigration are

 

[…]

 

(d) to see that families are reunited in Canada;

 

Economic immigration

 

12(2) A foreign national may be selected as a member of the economic class on the basis of their ability to become economically established in Canada.

 

Humanitarian and compassionate considerations

 

25. (1) The Minister shall, upon request of a foreign national who is inadmissible or who does not meet the requirements of this Act, and may, on the Minister’s own initiative, examine the circumstances concerning the foreign national and may grant the foreign national permanent resident status or an exemption from any applicable criteria or obligation of this Act if the Minister is of the opinion that it is justified by humanitarian and compassionate considerations relating to them, taking into account the best interests of a child directly affected, or by public policy considerations.

 

[29]           Les dispositions suivantes du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 (le Règlement) s’appliquent aussi en l’espèce :

Catégorie

 

75. (1) Pour l’application du paragraphe 12(2) de la Loi, la catégorie des travailleurs qualifiés (fédéral) est une catégorie réglementaire de personnes qui peuvent devenir résidents permanents du fait de leur capacité à réussir leur établissement économique au Canada, qui sont des travailleurs qualifiés et qui cherchent à s’établir dans une province autre que le Québec.

 

Qualité

 

(2) Est un travailleur qualifié l’étranger qui satisfait aux exigences suivantes :

 

a) il a accumulé au moins une année continue d’expérience de travail à temps plein au sens du paragraphe 80(7), ou l’équivalent s’il travaille à temps partiel de façon continue, au cours des dix années qui ont précédé la date de présentation de la demande de visa de résident permanent, dans au moins une des professions appartenant aux genre de compétence 0 Gestion ou niveaux de compétences A ou B de la matrice de la Classification nationale des professions — exception faite des professions d’accès limité;

 

b) pendant cette période d’emploi, il a accompli l’ensemble des tâches figurant dans l’énoncé principal établi pour la profession dans les descriptions des professions de cette classification;

 

 

c) pendant cette période d’emploi, il a exercé une partie appréciable des fonctions principales de la profession figurant dans les descriptions des professions de cette classification, notamment toutes les fonctions essentielles.

 

Exigences

 

(3) Si l’étranger ne satisfait pas aux exigences prévues au paragraphe (2), l’agent met fin à l’examen de la demande de visa de résident permanent et la refuse.

 

Critères de sélection

 

76. (1) Les critères ci-après indiquent que le travailleur qualifié peut réussir son établissement économique au Canada à titre de membre de la catégorie des travailleurs qualifiés (fédéral) :

 

 

 

a) le travailleur qualifié accumule le nombre minimum de points visé au paragraphe (2), au titre des facteurs suivants :

 

 

(i) les études, aux termes de l’article 78,

 

(ii) la compétence dans les langues officielles du Canada, aux termes de l’article 79,

 

(iii) l’expérience, aux termes de l’article 80,

 

(iv) l’âge, aux termes de l’article 81,

 

(v) l’exercice d’un emploi réservé, aux termes de l’article 82,

 

(vi) la capacité d’adaptation, aux termes de l’article 83;

 

b) le travailleur qualifié :

 

(i) soit dispose de fonds transférables — non grevés de dettes ou d’autres obligations financières — d’un montant égal à la moitié du revenu vital minimum qui lui permettrait de subvenir à ses propres besoins et à ceux des membres de sa famille,

 

 

(ii) soit s’est vu attribuer le nombre de points prévu au paragraphe 82(2) pour un emploi réservé au Canada au sens du paragraphe 82(1).

 

 

Nombre de points

 

(2) Le ministre établit le nombre minimum de points que doit obtenir le travailleur qualifié en se fondant sur les éléments ci-après et en informe le public :

 

a) le nombre de demandes, au titre de la catégorie des travailleurs qualifiés (fédéral), déjà en cours de traitement;

 

 

b) le nombre de travailleurs qualifiés qui devraient devenir résidents permanents selon le rapport présenté au Parlement conformément à l’article 94 de la Loi;

 

c) les perspectives d’établissement des travailleurs qualifiés au Canada, compte tenu des facteurs économiques et autres facteurs pertinents.

 

Substitution de l’appréciation de l’agent à la grille

 

(3) Si le nombre de points obtenu par un travailleur qualifié — que celui-ci obtienne ou non le nombre minimum de points visé au paragraphe (2) — ne reflète pas l’aptitude de ce travailleur qualifié à réussir son établissement économique au Canada, l’agent peut substituer son appréciation aux critères prévus à l’alinéa (1)a).

 

 

 

 

 

 

Confirmation

 

(4) Toute décision de l’agent au titre du paragraphe (3) doit être confirmée par un autre agent.


Class

 

75. (1) For the purposes of subsection 12(2) of the Act, the federal skilled worker class is hereby prescribed as a class of persons who are skilled workers and who may become permanent residents on the basis of their ability to become economically established in Canada and who intend to reside in a province other than the Province of Quebec.

 

 

Skilled workers

 

(2) A foreign national is a skilled worker if

 

 

(a) within the 10 years preceding the date of their application for a permanent resident visa, they have at least one year of continuous full-time employment experience, as described in subsection 80(7), or the equivalent in continuous part-time employment in one or more occupations, other than a restricted occupation, that are listed in Skill Type 0 Management Occupations or Skill Level A or B of the National Occupational Classification matrix;

 

 

 

(b) during that period of employment they performed the actions described in the lead statement for the occupation as set out in the occupational descriptions of the National Occupational Classification; and

 

(c) during that period of employment they performed a substantial number of the main duties of the occupation as set out in the occupational descriptions of the National Occupational Classification, including all of the essential duties.

 

Minimal requirements

 

(3) If the foreign national fails to meet the requirements of subsection (2), the application for a permanent resident visa shall be refused and no further assessment is required.

 

 

Selection Criteria

 

76. (1) For the purpose of determining whether a skilled worker, as a member of the federal skilled worker class, will be able to become economically established in Canada, they must be assessed on the basis of the following criteria:

 

(a) the skilled worker must be awarded not less than the minimum number of required points referred to in subsection (2) on the basis of the following factors, namely,

 

(i) education, in accordance with section 78,

 

(ii) proficiency in the official languages of Canada, in accordance with section 79,

 

(iii) experience, in accordance with section 80,

 

(iv) age, in accordance with section 81,

 

(v) arranged employment, in accordance with section 82, and

 

(vi) adaptability, in accordance with section 83; and

 

(b) the skilled worker must

 

(i) have in the form of transferable and available funds, unencumbered by debts or other obligations, an amount equal to half the minimum necessary income applicable in respect of the group of persons consisting of the skilled worker and their family members, or

 

(ii) be awarded the number of points referred to in subsection 82(2) for arranged employment in Canada within the meaning of subsection 82(1).

 

Number of points

 

(2) The Minister shall fix and make available to the public the minimum number of points required of a skilled worker, on the basis of

 

 

(a) the number of applications by skilled workers as members of the federal skilled worker class currently being processed;

 

(b) the number of skilled workers projected to become permanent residents according to the report to Parliament referred to in section 94 of the Act; and

 

(c) the potential, taking into account economic and other relevant factors, for the establishment of skilled workers in Canada.

 

 

Circumstances for officer’s substituted evaluation

 

 

(3) Whether or not the skilled worker has been awarded the minimum number of required points referred to in subsection (2), an officer may substitute for the criteria set out in paragraph (1)(a) their evaluation of the likelihood of the ability of the skilled worker to become economically established in Canada if the number of points awarded is not a sufficient indicator of whether the skilled worker may become economically established in Canada.

 

Concurrence

 

(4) An evaluation made under subsection (3) requires the concurrence of a second officer.

 

La norme de contrôle

 

[30]           La demanderesse fait valoir que la norme de contrôle applicable aux questions de droit est celle de la décision correcte : Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9 (Dunsmuir). Elle souligne qu’avant l’arrêt Dunsmuir, la norme de contrôle applicable aux décisions discrétionnaires dans le cadre d’une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire était celle de la décision raisonnable simpliciter : Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817 au paragraphe 61 (Baker).

 

[31]           Le défendeur soutient que la norme de contrôle à appliquer pour cette décision est la même que la norme énoncée aux pages 7 et 8 de l’arrêt Maple Lodge Farms Ltd. c. Canada, [1982] 2 R.C.S. 2 :

C’est aussi une règle bien établie que les cours ne doivent pas s’ingérer dans l’exercice qu’un organisme désigné par la loi fait d’un pouvoir discrétionnaire simplement parce que la cour aurait exercé ce pouvoir différemment si la responsabilité lui en avait incombé. Lorsque le pouvoir discrétionnaire accordé par la loi a été exercé de bonne foi et, si nécessaire, conformément aux principes de justice naturelle, si on ne s’est pas fondé sur des considérations inappropriées ou étrangères à l’objet de la loi, les cours ne devraient pas modifier la décision.

 

[32]           Pour ce qui concerne la norme de contrôle que la Cour doit appliquer à des décisions rendues dans le cadre d’une demande fédérale pour travailleur qualifié, la décision Silva c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2007] A.C.F. no 981 (C.F.), au paragraphe 7, précise :

Je souscris à cet égard au principe selon lequel l’expertise particulière des agents des visas exige la retenue dans le contrôle de leurs décisions. L’appréciation d’une personne qui demande la résidence permanente dans la catégorie des travailleurs qualifiés (fédéral) et une « substitution de l’appréciation » en vertu du paragraphe 76(3) constituent des décisions discrétionnaires mettant en cause des conclusions de fait qui appellent de la part de la Cour une très grande retenue. La norme de contrôle applicable à de telles décisions devrait être celle de la décision manifestement déraisonnable.

 

[33]           La question de savoir si un agent a appliqué le bon critère lorsqu’il a évalué le risque allégué dans une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire est une question de droit et la décision correcte est la norme de contrôle applicable : Pinter c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 296; Mooker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2007] A.C.F. no 1029, au paragraphe 16 et Kim c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2008] CF 632, au paragraphe 24. Cependant, en plus des questions de droit, la demanderesse et le défendeur soulèvent des questions au sujet de l’exercice de la discrétion de l’agent, qui doivent être examinées en fonction de la norme de la décision raisonnable.

 

[34]           Dans l’arrêt Dunsmuir, la Cour suprême du Canada a reconnu que, malgré les différences théoriques entre la norme de la décision raisonnable simpliciter et celle de la décision manifestement déraisonnable, « les difficultés analytiques soulevées par l’application des différentes normes réduisent à néant toute utilité conceptuelle découlant de la plus grande souplesse propre à l’existence de normes de contrôle multiples » : Dunsmuir, paragraphe 44. La Cour suprême du Canada a donc conclu qu’il y avait lieu de joindre en une seule les deux normes de raisonnabilité.

 

[35]           La Cour suprême du Canada a également conclu dans l’arrêt Dunsmuir qu’il n’est pas toujours nécessaire de se livrer à une analyse. En fait, lorsque la norme de contrôle applicable à une question en particulier soumise à la cour de révision est bien arrêtée par la jurisprudence, la cour de révision peut adopter cette norme de contrôle. Ce n’est que lorsque les recherches sont vaines que le tribunal de révision doit entreprendre l’examen des quatre facteurs constituant l’analyse relative à la norme de contrôle.

 

[36]           Dans l’arrêt Baker, la Cour suprême a statué que la norme de contrôle applicable à la décision d’un agent d’accorder une dispense fondée sur des raisons d’ordre humanitaire était celle de la décision raisonnable simpliciter. Par conséquent, compte tenu de l’arrêt que la Cour suprême du Canada a rendu dans Dunsmuir ainsi que de la jurisprudence antérieure de la Cour, je conclus que la norme de contrôle qui s’applique aux questions soulevées, à l’exception des questions de droit, est celle de la décision raisonnable. Lorsqu’une décision est examinée selon la norme du caractère raisonnable, l’analyse a trait « à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision avec issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » : Dunsmuir, paragraphe 47. Autrement dit, la Cour doit uniquement intervenir si la décision était déraisonnable, en ce sens qu’elle n’appartenait pas « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ».

 

L’ARGUMENTATION

            La demanderesse

                        L’objet de l’alinéa 3(1)d) de la Loi

 

[37]           La demanderesse soutient que l’alinéa 3(1)d) de la Loi peut et doit être examiné dans toutes les affaires portant sur un membre de la famille de fait. Elle cite la décision Nalbandian c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (2006), CF 1128, au paragraphe 15 :

[...] rien ne permet de penser qu’elle a tiré des conclusions mal fondées, rien ne permet non plus de penser, au vu de la preuve, qu’elle a tenu compte du principe posé à l’alinéa 3(1)d) de la Loi ou des facteurs précités tirés du guide OP 4 qu’il faut prendre en considération pour déterminer s’il existe des considérations d’ordre humanitaire permettant d’admettre au Canada le membre de la famille de fait en question, ce que – incontestablement – la demanderesse était et est toujours.

 

 

[38]           La demanderesse fait valoir que l’agent a commis une erreur de droit lorsqu’il a conclu que l’alinéa 3(1)d) de la Loi ne s’applique qu’aux parents et aux conjoints, et non aux membres de la famille de fait.

 

L’exercice du pouvoir discrétionnaire

 

[39]           La demanderesse soutient que l’exercice du pouvoir discrétionnaire de l’agent doit être raisonnable. Une décision déraisonnable est définie dans l’arrêt Canada (Directeur des enquêtes et recherches) c. Southam Inc., [1997] 1 R.C.S. 748, au paragraphe 56, qui est cité dans la décision Raudales c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2003] A.C.F. no 532, aux paragraphes 10 et 11 (Raudales) :

10 Sur la question de savoir ce qu’est une décision déraisonnable, Monsieur le juge Iacobucci, s’exprimant pour la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Canada (Directeur des enquêtes et recherches) c. Southam Inc., [1997] 1 R.C.S. 748, écrivait, au paragraphe 56 :

Est déraisonnable la décision qui, dans l’ensemble, n’est étayée par aucun motif capable de résister à un examen assez poussé. En conséquence, la cour qui contrôle une conclusion au regard de la norme de la décision raisonnable doit se demander s’il existe quelque motif étayant cette conclusion. Le défaut, s’il en est, pourrait découler de la preuve elle-même ou du raisonnement qui a été appliqué pour tirer les conclusions de cette preuve. Un exemple du premier type de défaut serait une hypothèse qui n’avait aucune assise dans la preuve ou qui allait à l’encontre de l’essentiel de la preuve.

 

11 Une cour de justice qui examine une décision dans une procédure de contrôle judiciaire ne peut modifier la manière dont un pouvoir discrétionnaire a été exercé simplement parce qu’elle aurait apprécié la situation différemment et serait arrivée à une décision différente. La décision doit cependant résister à un examen assez poussé.

 

 

[40]           La demanderesse soutient que la Cour a déjà conclu que la politique du défendeur permettait aux « derniers membres de la famille » de devenir résidents permanents du Canada, même s’ils ne sont pas autorisés à immigrer au Canada : Sitarul c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1995] A.C.F. No 1067 (Sitarul). Dans la décision Sitarul, la Cour a expliqué :

 

La ligne directrice qui, d’après l’avocat, n’a pas été ou a été incorrectement définie, est la ligne directrice IS 1.17, que voici :

 

1) La réunion des familles

La réunion des familles constitue un des objectifs énoncés dans la politique canadienne d’immigration, comme l’indique l’alinéa 3)c) de la Loi sur l’immigration. Suivant les dispositions de l’article 4 du Règlement sur l’immigration, les proches parents des citoyens canadiens et des résidents permanents rentrent dans la catégorie de la famille et peuvent donc être sélectionnés à titre d’immigrants, mais ces dispositions ne traduisent pas fidèlement toute la portée de la ligne de conduite adoptée à leur égard. Pour ce qui concerne l’exécution de la Loi sur l’immigration, ce fait a toujours été reconnu, et ces dispositions permettent l’admission de certains immigrants qui ne réunissent pas les conditions voulues, mais qui devraient toutefois être autorisés à élire domicile au Canada pour des raisons d’ordre humanitaire.

 

2) Derniers membres de la famille se trouvant encore à l’étranger

a) La présente ligne directrice a pour objet d’indiquer une façon de procéder en vertu de laquelle le cas des personnes qui sont, à toutes fins pratiques, à la charge de leurs parents au Canada, peut être traité au même titre que celui des membres de la famille accompagnant le requérant principal, même si ces personnes ne sont pas proprement dites des membres de la catégorie de la famille, selon la définition qu’en donne le Règlement. Certains cas pourront être étudiés au moment où immigre la cellule familiale, ou par la suite.

 

b) En raison de la nature de certains cas (fondée sur les faits comme ils sont présentés) qui seront portés à l’attention des agents d’immigration au Canada et des agents des visas à l’étranger, et dans le contexte du milieu social et économique où vivent les personnes concernées, il faudra faciliter l’admission du parent. En d’autres occasions, il pourra s’agir de personnes à l’égard desquelles la définition légale de « catégorie de la famille » ne s’est jamais appliquée, mais qui sont néanmoins des membres de fait de la cellule familiale, comme une vieille tante ou un vieux domestique âgé qui demeurait avec la famille avant que celle-ci vienne au Canada. Les problèmes d’ordre financier ou émotif que l’immigrant pourrait avoir sans le soutien et l’aide de la cellule familiale qui immigre au Canada ou qui y est déjà installée demeurent les principaux facteurs dont il faut tenir compte. [Non souligné dans l’original.]

 

 

[41]           La demanderesse soutient que les dispositions applicables des directives actuelles du défendeur, qui se trouvent à la page 9 du guide OP-4 de Citoyenneté et Immigration Canada (le guide OP-4), reflètent la politique reconnue ci-dessus. La politique actuellement en vigueur comprend un paragraphe sur les membres de la famille de fait qui peuvent satisfaire aux conditions pour pouvoir immigrer au Canada en fonction de motifs d’ordre humanitaire. Par exemple, les personnes qui peuvent satisfaire à ces conditions comprennent, entre autres, une sœur qui est laissée seule dans son pays d’origine sans autre famille. Bien que les lignes directrices ne soient pas contraignantes, la demanderesse fait valoir qu’elles peuvent aider la Cour à contrôler les décisions discrétionnaires : Legault c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CAF 125.

 

[42]           La demanderesse soutient aussi qu’en ne tenant pas compte de ces renseignements, l’agent a commis une erreur susceptible de révision parce qu’il n’a pas démontré le processus logique en fonction duquel il a tiré ses conclusions : Nalbandian, au paragraphe 15.

 

[43]           La demanderesse fait valoir que l’agent n’a pas correctement tenu compte de ses besoins affectifs et financiers. Elle soutient qu’elle satisfait à chacun des critères établis pour les membres de la famille de fait. Bien que l’agent ait indiqué qu’il avait tenu compte des motifs d’ordre humanitaire, la demanderesse prétend qu’il ne devait pas bien connaître le guide OP-4 et que le fait qu’il lui demande des résultats d’examen de langue démontre qu’il avait mal compris le type de demande qu’elle avait présentée.

 

[44]           La demanderesse soutient aussi que les motifs de l’agent ne peuvent pas résister à un examen assez poussé, comme il a été établi dans Raudales. La demande de contrôle judiciaire devrait être accueillie, la décision de l’agent devrait être annulée et la demande devrait être renvoyée à un autre agent pour nouvel examen.

 

[45]           La demanderesse répond aux arguments du défendeur en soulignant qu’il se fonde de façon erronée sur les décisions Agot c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) 2003 FCT 436 (Agot) et Liang c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) 2006 CF 967 (Liang), parce que les faits dans ces affaires se distinguent des circonstances en l’espèce.

 

[46]           La demanderesse n’est pas restée en Grèce pour s’occuper [traduction] « d’autres parents », comme l’agent l’a déclaré. Elle est restée pour s’occuper de sa mère de fait, qui n’avait personne d’autre pour prendre soin d’elle. D’après la demanderesse, les autorités de l’immigration canadienne ne devraient pas tenir ce fait contre elle.

 

[47]           La demanderesse souligne aussi que le défendeur a tort de se fonder sur la jurisprudence portant sur les difficultés inhabituelles, injustifiées ou démesurées. Elle se trouvait déjà à l’extérieur du Canada lorsqu’elle a présenté sa demande d’immigration; la jurisprudence sur laquelle le défendeur se fonde est donc improductive. Quoi qu’il en soit, la demanderesse fait valoir qu’elle subira des difficultés inhabituelles, injustifiées ou démesurées si elle ne peut pas rejoindre sa famille au Canada.

 

[48]           En contre-interrogatoire, l’agent des visas a reconnu que l’alinéa 3(1)d), qui porte sur la réunification des familles, pouvait théoriquement s’appliquer à un frère ou une sœur. Cependant, l’agent a maintenu que la demanderesse avait le droit légal d’entrer au Canada à titre de visiteur n’importe quand et que toute demande de prorogation du statut de résident permanent pouvait être accueillie, mais l’agent n’a pas été en mesure de présenter de fondement juridique pour cette conclusion.

 

[49]           L’agent a aussi déclaré en contre-interrogatoire qu’il avait tenu compte du fait que la demanderesse aurait de plus en plus de difficultés à voyager avec les années. On lui a demandé de préciser quelles parties des notes du STIDI démontraient qu’il avait tenu compte de la difficulté de voyager à cause de la vieillesse. Il n’y avait aucune mention de ce sujet dans les notes du STIDI.

 

[50]           On a aussi posé des questions à l’agent au sujet de sa conclusion selon laquelle la demanderesse avait beaucoup d’amis et de connaissances à Kalamata. L’agent n’avait en preuve que deux lettres de résidents de Kalamata.

 

[51]           La demanderesse soutient que l’agent a confondu l’obligation de tout étranger de présenter une demande officielle pour entrer au Canada avec l’obligation de certains étrangers d’obtenir des visas à l’avance. Lorsque l’avocat de la demanderesse a tenté de poser des questions additionnelles au sujet du fondement de la conclusion selon laquelle la demanderesse avait automatiquement droit de prolonger son statut au Canada, l’avocat du défendeur a avisé l’agent de ne pas répondre.

 

Le défendeur

 

[52]           Le défendeur a fait valoir que, tel que prévu au paragraphe 11(1) de la Loi, tous les étrangers souhaitant être admis au Canada devaient, préalablement à leur entrée au Canada, demander à un agent les visas et autres documents requis par le Règlement. En vertu de l’article 25 de la Loi, le ministre pouvait octroyer à un étranger le statut de résident permanent ou lever tout ou partie des critères et obligations applicables, s’il estimait que des circonstances d’ordre humanitaire le justifiaient.

 

[53]           Le défendeur soutient que c’est à la demanderesse qu’incombe le fardeau de démontrer qu’avoir à présenter de l’extérieur du Canada une demande de résidence permanente lexposerait à des difficultés inhabituelles et injustifiées ou excessives (Arumugam c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2001] A.C.F. n° 985, aux paragraphes 16 et 17. Une décision portant sur des circonstances d’ordre humanitaire constitue une mesure d’exception relevant d’un pouvoir discrétionnaire : Legault, au paragraphe 15, autorisation d’appel à la CSC rejetée (2002) SCCA no 220, et Baker.

 

[54]           Le défendeur soutient que la demanderesse ne peut pas s’attendre à un résultat en particulier et que, pour réussir à faire annuler la décision défavorable, elle doit démontrer que la décision de l’agent était déraisonnable parce que l’agent a commis une erreur de droit, a agi de mauvaise foi ou a appliqué un mauvais principe : Tartchinska c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] A.C.F. no 373, au paragraphe 17 (C.F. 1re inst.); Baker; Suresh, au paragraphe 34 et Mohammed c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] A.C.F. no 1508, au paragraphe 20 (C.F. 1re inst.).

 

[55]           Le défendeur cite la décision Agot, au paragraphe 15, qui mentionne l’arrêt Barreau du Nouveau-Brunswick c. Ryan, 2003 CSC 20, au paragraphe 55 (qui a été adopté dans la décision Liang) :

55. La décision n’est déraisonnable que si aucun mode d’analyse, dans les motifs avancés, ne pouvait raisonnablement amener le tribunal, au vu de la preuve, à conclure comme il l’a fait. Si l’un quelconque des motifs pouvant étayer la décision est capable de résister à un examen assez poussé, alors la décision n’est pas déraisonnable et la cour de révision ne doit pas intervenir (Southam, par. 56). Cela signifie qu’une décision peut satisfaire à la norme du raisonnable si elle est fondée sur une explication défendable, même si elle n’est pas convaincante aux yeux de la cour de révision (voir Southam, par. 79).

 

[56]           Le défendeur fait aussi valoir que le guide OP-4 mentionné par la demanderesse fait plus que simplement décrire qui peut être considéré comme membre de la famille de fait : il fournit aussi aux décideurs une liste de points dont ils doivent tenir compte lorsqu’ils doivent prendre une telle décision. L’article 8.3 du guide OP-4 prévoit :

Les membres de la famille de fait sont des personnes qui ne satisfont pas à la définition de membres de la catégorie du regroupement familial. Ils se trouvent par ailleurs dans une situation de dépendance qui en fait des membres de fait d’une famille nucléaire qui se trouve au Canada ou qui présente une demande d’immigration. Par exemple, [...] une sœur laissé[e] seul[e] dans le pays d’origine sans autre famille [...]

 

Points à prendre en considération :

·        la question de savoir si la relation de dépendance est authentique et non créée à des fins d’immigration;

·        le degré de dépendance;

·        la stabilité de la relation;

·        la durée de la relation;

·        l’incidence d’une séparation;

·        les besoins financiers et affectifs du demandeur relativement à l’unité familiale;

·        la capacité et la volonté de la famille au Canada de fournir un soutien;

·        les autres solutions qui s’offrent au demandeur, comme de la famille (époux, enfants, parents, fratrie, etc.) à l’extérieur du Canada qui a les capacités et la volonté de fournir un soutien;

·        les preuves documentaires concernant la relation [...];

·        tout autre facteur qui, de l’avis de l’agent, est pertinent à la décision [fondée sur des raisons d’ordre humanitaire].

 

[57]           Le défendeur allègue que l’agent a tenu compte des facteurs pertinents dans le dossier de la demanderesse. La demanderesse a une certaine dépendance affective envers sa sœur et la famille de sa sœur, mais elle est aussi financièrement indépendante, elle est à la retraite et a vécu toute sa vie en Grèce. Elle est aussi séparée de sa sœur depuis que sa sœur a décidé de déménager au Canada. La demanderesse est aussi venue en visite au Canada au long des années.

 

[58]           Le défendeur a conclu en déclarant que toute difficulté entraînée par la séparation continue de la demanderesse et de sa sœur ne peut pas être considérée inhabituelle, injustifiée ou excessive. L’agent a examiné les facteurs pertinents, le seul conflit porte sur le poids que l’agent a accordé aux facteurs. Le défendeur affirme que la demanderesse n’a pas démontré que l’examen de l’agent des facteurs pertinents a été fait de mauvaise foi ou en tenant compte de considérations non pertinentes.

 

ANALYSE

 

[59]           Je crois qu’il existe deux erreurs susceptibles de révision dans la décision qui justifient le renvoi de la demande pour nouvel examen.

 

[60]           La décision même est très courte et a été complétée par la suite par l’affidavit et le contre‑interrogatoire de l’agent. Cependant, à mon avis, ces rationalisations et explications subséquentes ne peuvent pas remplacer la décision même.

 

[61]           Tout d’abord, l’agent a déclaré dans sa décision qu’il comprenait la portée de l’alinéa 3(1)d) de la Loi et que [traduction] « l’objectif de la Loi est de réunir les parents avec leurs enfants, les enfants avec leurs parents ou de réunir des conjoints. »

 

[62]           Cela signifie que l’agent a soit mal compris la portée de l’alinéa 3(1)d) de la Loi, et qu’il a ainsi porté atteinte à son pouvoir discrétionnaire, soit il a fait une erreur de droit.

 

[63]           L’affirmation du juge Gibson dans la décision Nalbandian, au paragraphe 15, s’applique aussi en l’espèce :

[...] rien ne permet non plus de penser, au vu de la preuve, qu’elle a tenu compte du principe posé à l’alinéa 3(1)d) de la Loi ou des facteurs précités tirés du guide OP 4 qu’il faut prendre en considération pour déterminer s’il existe des considérations d’ordre humanitaire permettant d’admettre au Canada le membre de la famille de fait en question, ce que − incontestablement − la demanderesse était et est toujours.

 

[64]           L’agent et le défendeur ont, après que la décision ait été rendue, tenté de justifier la position de l’agent au sujet de l’alinéa 3(1)d) en laissant entendre qu’il pouvait s’appliquer à la demanderesse, mais que les faits en l’espèce signifiaient qu’elle ne pourrait jamais satisfaire aux exigences nécessaires pour l’application de cet alinéa.

 

[65]           Cependant, mon interprétation de la décision est que l’agent a exclu l’alinéa 3(1)d) parce qu’il croyait qu’il n’était applicable qu’à la réunification [traduction] « [de] parents avec leurs enfants, [d’]enfants avec leurs parents ou [...] des conjoints ».

 

[66]           Cette erreur a été aggravée par l’évaluation de l’agent selon laquelle la venue de la demanderesse au Canada de façon permanente n’était qu’une question de commodité et que la demanderesse n’était pas un membre de la famille de fait qui avait été laissée derrière.

 

[67]           La qualification de l’agent au sujet de ce qui est arrivé à la famille – [traduction] « [...] lorsque votre sœur a immigré au Canada, il y a des décennies, la famille a été séparée et il s’agit d’une décision qui avait été acceptée et comprise par toutes les personnes concernées » – est, à mon avis, une déformation des faits qui ne tient pas compte de la raison pour laquelle la demanderesse est restée en Grèce et des preuves évidentes de son isolement actuel. Elle a peut-être les ressources financières nécessaires, mais il existe des preuves importantes de son isolement en Grèce et de sa dépendance affective et humaine complète envers sa famille au Canada. En raison de son dévouement et de sa compassion envers une parente âgée et infirme, elle est restée seule en Grèce sans recevoir de soutien de sa famille proche.

 

[68]           Pour reprendre les mots du juge Shore dans la décision Yu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 956, au paragraphe 15, « [l]’agent des visas n’a pas tenu compte de la preuve de la dépendance affective » et il y a « une différence factuelle importante entre le fait de vivre ensemble ainsi que de partager la vie quotidienne et une visite occasionnelle ».

 

[69]           Ces questions semblent avoir été complètement écartées par l’agent de façon déraisonnable. De plus, il n’a pas tenu compte de l’application de l’alinéa 3(1)d) de la Loi à l’affaire en l’espèce.

 

JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que :

 

1.      La demande est accueillie et l’affaire est renvoyée pour nouvel examen par un autre agent des visas;

 

2.      Il n’y a pas de question à certifier.

 

 

Juge

 

 

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Evelyne Swenne, traductrice


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-3499-08

 

INTITULÉ :                                       KONSTANTINA KOROMILA

                                                            c.

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                            ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 23 mars 2009

 

MOTIFS DU JUGEMENT :            MONSIEUR LE JUGE RUSSELL

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 22 avril 2009

 

COMPARUTIONS :

 

Randolph K. Hahn                                                                    POUR LA DEMANDERESSE

 

Marina Stefanovic                                                                     POUR LE DÉFENDEUR

 

 AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Randolph K. Hahn

Avocat                                                                                     POUR LA DEMANDERESSE

 

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada                                           POUR LE DÉFENDEUR

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