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Cour fédérale

 

Federal Court

 

Date : 20090414

Dossier : IMM‑3456‑08

Référence : 2009 CF 372

Ottawa (Ontario), le 14 avril 2009

En présence de monsieur le juge Russell

 

 

ENTRE :

PATRICIA EYAMARO

ONOME PATRIA EYAMARO

EFEMENA PAOLA EYAMARO

OVIE PATER EYAMARO

demandeurs

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit de la demande de contrôle judiciaire présentée en application du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi), contre la décision de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission) datée du 8 juillet 2008 (la décision), décision par laquelle la Commission a rejeté la demande d’asile des demandeurs au motif qu’ils n’étaient pas des réfugiés au sens de la Convention ni des personnes à protéger selon les termes des articles 96 et 97 de la Loi.

 

RÉSUMÉ DES FAITS

 

[2]               Les demandeurs sont des citoyens du Nigeria. La demanderesse principale, Patricia Eyamaro, est âgée de quarante‑six ans. Elle soutient qu’en avril 2006, sa famille a reçu la visite de sa belle‑famille laquelle a insisté pour que leurs deux filles pubères soient excisées (soit qu’elles subissent des « mutilations génitales ») et que leur fils subisse des scarifications. Deux des nièces de l’époux de la demanderesse principale avaient été excisées et elles en étaient mortes. La demanderesse principale et son époux ont refusé de céder aux demandes de la famille.

 

[3]               La belle‑famille de la demanderesse principale est revenue en juin 2006 et elle a insisté pour que les excisions et les scarifications soient faites. La demanderesse principale, craignant pour ses enfants, s’est enfuie avec eux au Canada. Ils sont arrivés par avion à Toronto le 26 août 2006 et ils ont présenté leur demande d’asile au bureau de traitement des demandes d’Etobicoke, le 6 septembre 2006. Selon la demanderesse principale, les membres de la famille de son époux étaient les agents de persécution. La demanderesse principale a accepté d’être la représentante désignée des demandeurs mineurs.

 

[4]               Après que les demandeurs se furent enfuis du Nigeria, un membre de la belle‑famille de la demanderesse principale, qui était policier, a proféré des menaces contre l’époux de la demanderesse principale. Le véhicule de l’époux a aussi été incendié lorsqu’il est allé rendre visite à sa mère malade.

 

LA DÉCISION SOUMISE AU CONTRÔLE

 

[5]               La Commission a conclu que les demandeurs n’étaient ni des réfugiés au sens de la Convention ni des personnes à protéger.

 

[6]               La Commission a conclu qu’il existait une possibilité de refuge intérieur (PRI) pour les demandeurs dans la région d’Abuja et même dans certaines parties de Lagos. La demanderesse principale n’a présenté aucune preuve de quelque poursuite organisée que ce soit contre les demandeurs dans d’autres parties du Nigeria. Les demandeurs n’étaient pas recherchés par la police et ils n’avaient commis aucune infraction. Le seul problème que les demandeurs avaient au Nigeria était lié à la belle‑famille de la demanderesse principale, laquelle résidait dans la région du Delta. La demanderesse principale a fait observer que l’un des oncles de son époux était policier. Toutefois, rien dans l’affidavit de son époux ou de sa sœur ne donnait à penser que ce policier se servait de son poste pour mener des recherches sur les demandeurs partout au Nigeria.

 

[7]               Lorsqu’on a demandé à la demanderesse principale la raison pour laquelle ses enfants ne pourraient pas vivre en sécurité dans d’autres régions du Nigeria, elle a déclaré que la famille de son époux avait beaucoup d’influence et que cette famille avait des représentants qui se déplaçaient partout et qui étaient agressifs. La Commission a conclu que cette déclaration était conjecturale; elle a estimé qu’il n’y avait pas de preuve que la belle‑famille de la demanderesse principale avait pour mission de les rechercher ou de les appréhender où qu’ils aillent au Nigeria. L’avocat des demandeurs a déclaré qu’à l’inscription des enfants de la demanderesse principale dans une école n’importe où au Nigeria, la famille de son époux serait en mesure de les retrouver. La Commission a conclu que cette déclaration aussi était conjecturale.

 

[8]               La Commission a souligné l’existence de ressources auxquelles les demandeurs pourraient avoir accès au Nigeria s’ils voulaient se réinstaller et recevoir du soutien par l’entremise des ONG qui soutiennent les femmes qui ne veulent pas subir de mutilations génitales. La Commission a aussi déclaré que la preuve documentaire étayait l’existence de réinstallations à l’intérieur du Nigeria pour les femmes qui voulaient éviter des mutilations génitales. La Commission a conclu que différentes ressources pouvaient venir en aide aux demandeurs, en particulier s’ils voulaient éviter des mutilations génitales au Nigeria. Plus précisément, ils pouvaient résider en sécurité soit à Abuja ou dans beaucoup de parties de Lagos.

 

[9]               La Commission a conclu qu’il ne serait pas déraisonnable que les demandeurs vivent dans un des endroits qu’elle a désignés. La demanderesse principale avait du soutien. Sa sœur et son époux ont présenté des affidavits dans lesquels ils déclarent soutenir fermement la demanderesse principale et les enfants. La Commission a aussi fait remarquer qu’elle ne pouvait pas ne pas tenir compte du fait que la demanderesse principale est mariée à un époux qui la soutient, qui jouit d’un certain confort matériel comme en font foi les visites antérieures de la demanderesse au Canada, en France et à d’autres endroits. La demanderesse principale n’a présenté aucune preuve pour réfuter le postulat selon lequel son époux et elle continueraient d’élever leurs enfants ensemble au Nigeria et qu’ils continueraient de s’opposer à toutes excisions ou scarifications de leurs enfants.

 

[10]           La demanderesse principale était la directrice de l’entreprise familiale, Mother’s Dream Nigeria Ltd., de 2002 à 2006. Elle avait aussi suivi des études universitaires pendant trois ans. La Commission a conclu que le niveau d’études de la demanderesse principale et son expérience professionnelle la rendaient apte à trouver du travail et à élever sa famille d’une façon viable. Aussi, les demandeurs mineurs jouiraient de la garde bienveillante de leur père et de leur mère. La Commission était convaincue qu’il existait des endroits au Nigeria, en particulier Abuja, qui offraient des PRI raisonnables pour les demandeurs et où les demandeurs seraient en sécurité. La Commission a conclu que les demandeurs n’avaient pas établi l’absence de PRI à Abuja ou même dans certaines parties de Lagos.

 

LA QUESTION EN LITIGE

 

[11]           Dans la présente demande, les demandeurs soulèvent la question suivante :

1.                   La Commission a‑t‑elle commis une ou des erreurs de droit et/ou de fait?

 

LES DISPOSITIONS LÉGALES

 

[12]           Les dispositions suivantes de la Loi s’appliquent à la présente instance :

Définition de « réfugié »

 

96. A qualité de réfugié au sens de la Convention — le réfugié — la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :

 

Convention refugee

 

96. A Convention refugee is a person who, by reason of a well-founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,

 

a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;

 

(a) is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail themself of the protection of each of those countries; or

 

b) soit, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ni, du fait de cette crainte, ne veut y retourner.

 

(b) not having a country of nationality, is outside the country of their former habitual residence and is unable or, by reason of that fear, unwilling to return to that country.

 

Personne à protéger

 

97. (1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n’a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée :

 

Person in need of protection

 

97. (1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally

 

a) soit au risque, s’il y a des motifs sérieux de le croire, d’être soumise à la torture au sens de l’article premier de la Convention contre la torture;

 

(a) to a danger, believed on substantial grounds to exist, of torture within the meaning of Article 1 of the Convention Against Torture; or

 

b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant :

 

(b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if

 

(i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

 

(i) the person is unable or, because of that risk, unwilling to avail themself of the protection of that country,

 

(ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas,

 

(ii) the risk would be faced by the person in every part of that country and is not faced generally by other individuals in or from that country,

 

(iii) la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes — sauf celles infligées au mépris des normes internationales — et inhérents à celles‑ci ou occasionnés par elles,

 

(iii) the risk is not inherent or incidental to lawful sanctions, unless imposed in disregard of accepted international standards, and

 

(iv) la menace ou le risque ne résulte pas de l’incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats.

 

(iv) the risk is not caused by the inability of that country to provide adequate health or medical care.

 

Personne à protéger

 

(2) A également qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et fait partie d’une catégorie de personnes auxquelles est reconnu par règlement le besoin de protection.

Person in need of protection

 

(2) A person in Canada who is a member of a class of persons prescribed by the regulations as being in need of protection is also a person in need of protection.

 

LA NORME DE CONTRÔLE

 

[13]           En ce qui a trait à la norme de contrôle pour une PRI, la Cour a résumé la jurisprudence au paragraphe 24 de Diaz c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2008] A.C.F. no 1543 (C.F.), de la façon suivante :

[] La décision Ortiz c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2006] A.C.F. no 1716, résume les éléments des conclusions relatives à une PRI en contrôle judiciaire : « [Le juge Richard] a statué au paragraphe 26 qu'il faut faire preuve de retenue à l'égard de ces décisions rendues par la Commission parce que cette question relève directement du champ d'expertise de celle-ci. Ces décisions exigent l'appréciation de la situation des demandeurs, telle qu'ils l'ont expliquée dans leur déposition, et une compréhension experte de la situation existant dans le pays. » (voir Sivasamboo c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1995] A.C.F. no 2018). Compte tenu de ces questions, la Cour, avant l'arrêt Dunsmuir, précité, a conclu que la norme de contrôle applicable était la norme de la décision manifestement déraisonnable. Voir par exemple : Nwokomah c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2005] A.C.F. no 1889, Chorny c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2003] A.C.F. no 1263, Nakhuda c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2006] A.C.F. no 882. Le juge de Montigny a déclaré ce qui suit dans Ako c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'immigration), [2006] A.C.F. no 836, au paragraphe 20 :

 

Il est bien établi en droit que la norme de contrôle applicable aux questions de fait relevant du champ d’expertise d’un tribunal est généralement celle de la décision manifestement déraisonnable. Plus particulièrement, la Cour a conclu à maintes reprises que c’est la norme qu’il convient d’appliquer relativement à l’existence d’une possibilité de refuge intérieur viable [...]

 

Par conséquent, la jurisprudence est fixée : la Cour ne doit modifier la conclusion de la Commission concernant la question de la PRI que si celle‑ci est manifestement déraisonnable. À la suite de l'arrêt Dunsmuir, précité, la norme de contrôle applicable est la norme de la décision raisonnable.

 

 

[14]           Dans Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, la Cour suprême du Canada a admis que même si la décision raisonnable simpliciter et la décision manifestement déraisonnable sont des normes théoriquement différentes, « les difficultés analytiques soulevées par l’application des différentes normes réduisent à néant toute utilité conceptuelle découlant de la plus grande souplesse propre à l’existence de normes de contrôle multiples » : Dunsmuir, au paragraphe 44. Par conséquent, la Cour suprême du Canada a décidé que les deux normes de contrôle relatives au caractère raisonnable de la décision devaient être fusionnées pour en former une seule : « la raisonnabilité ».

 

[15]           La Cour suprême du Canada dans Dunsmuir a aussi décidé que l’analyse de la norme de contrôle n’a pas besoin d’être menée dans chaque instance. Plutôt, lorsque la norme de contrôle applicable à une question précise présentée à la cour est bien établie par la jurisprudence, la cour de révision peut adopter cette norme de contrôle. Ce n’est que lorsque cette démarche se révèle infructueuse que la cour de révision doit entreprendre l’analyse des quatre facteurs qui permettent de déterminer la bonne norme de contrôle.

 

[16]           Ainsi, vu l’arrêt Dunsmuir de la Cour suprême du Canada et la jurisprudence de la Cour, je conclus que la norme de contrôle applicable aux questions relatives à la PRI est la raisonnabilité. Lorsque la Cour effectue le contrôle de la décision selon la raisonnabilité, son analyse tiendra « à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit. » Dunsmuir, au paragraphe 47. Autrement dit, la Cour devrait intervenir seulement si la décision est déraisonnable en ce sens qu’elle n’appartient pas aux « issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ».

 

[17]           Les demandeurs soutiennent aussi que des erreurs ont été commises en raison du fait que la Commission n’a pas pris en compte des éléments de preuve importants. Cette question est susceptible de contrôle selon la décision correcte. Voir Uluk c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2009] A.C.F. no 149, au paragraphe 16.

 

LES ARGUMENTS

            Les demandeurs

 

 

[18]           Les demandeurs soutiennent que la Commission a commis de graves erreurs de droit et de fait, y compris une mauvaise interprétation et une mauvaise application de la Loi.

 

Le tribunal n’a pas examiné et/ou pris en compte la preuve contradictoire

 

[19]           Les demandeurs font valoir que la décision est fatalement viciée parce que la Commission avait l’obligation de prendre en compte les éléments de preuve contradictoires contenus dans le dossier et qu’elle ne l’a pas fait. La Cour a auparavant considéré cela comme étant une erreur : Balasingham c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] A.C.F no 1387 (C.F. 1re inst.); Esparza‑Alvarez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 638.

 

[20]           Les demandeurs ne sont pas d’accord qu’ils avaient une PRI dans des parties de Lagos ou à Abuja seulement parce que ce sont de grandes zones urbaines. Ils déclarent que la preuve documentaire présentée à la Commission donne à penser que, dans les grands centres urbains, certains Nigérians vivent le rejet par d’autres et le manque de logement. La preuve donne aussi à penser qu’il n’est pas très difficile de trouver une femme au Nigeria qui peut refuser des mutilations génitales parce qu’elle ne peut pas [traduction] « être facilement hébergée par des parents ou des membres de sa communauté dans d’autres parties du pays. Quitter sa famille signifie une exclusion sociale et économique pour la grande majorité de Nigérians et en particulier pour les femmes. »

 

[21]           Les demandeurs déclarent que la Commission n’a pas tenu compte de la preuve documentaire qui contredisait ses conclusions et qu’elle n’a pas fait l’analyse des difficultés auxquelles les demandeurs seraient exposés dans la PRI envisagée.

 

Les exigences relatives à la preuve

 

[22]           Les demandeurs font valoir que la Commission a justifié sa conclusion sur la PRI en déclarant que les demandeurs n’avaient pas présenté de preuve qu’il existait quelque poursuite organisée que ce soit contre les demandeurs dans d’autres parties du Nigeria, et qu’il n’y avait pas de preuve que « les membres de la famille élargie de l’époux de la demandeure d’asile ont été invités à chercher et à appréhender les demandeurs d’asile où qu’ils aillent au Nigeria ». Les demandeurs déclarent que ce raisonnement est fautif et qu’il fait peser sur eux un fardeau de preuve trop lourd et dont il est impossible de se décharger.

 

[23]           Les demandeurs déclarent aussi que la conclusion de la Commission selon laquelle il n’y avait pas de preuve d’une « poursuite organisée » contredit la preuve pour les raisons suivantes :

 

1)                  l’époux de la demanderesse principale a été la cible d’une attaque et les agents de persécution ont incendié et détruit son véhicule dans son village;

2)                  les agents de persécution se sont rendus trois fois chez la sœur de la demanderesse principale à Lagos dans une tentative de trouver les demandeurs;

3)                  les agents de persécution se sont rendus plusieurs fois à la maison de la demanderesse à Lagos avant que les demandeurs trouvent le moyen de s’enfuir du Nigeria.

 

[24]           Les demandeurs font aussi valoir que la Commission a exigé d’eux qu’ils fournissent une preuve relative au mode opératoire des persécuteurs, preuve qui ne leur était pas accessible. Ils soutiennent que le fardeau qui pesait sur eux était déraisonnable et qu’il leur était impossible de s’en décharger.

 

Les ressources fiables

 

[25]           Les demandeurs soutiennent en outre que la Commission a énuméré différentes ressources auxquelles les demandeurs ont accès au Nigeria s’ils désirent se réinstaller et recevoir le soutien d’une organisation non gouvernementale (ONG). Les demandeurs s’opposent à une telle prise de position puisque les ressources dont il est question ne traitent pas de la persécution à laquelle pourrait faire face le demandeur mineur. Les demandeurs s’opposent aussi au fait que la Commission a identifié une ONG à Enugu, lieu qui ne faisait pas partie des PRI qu’elle avait mentionnées et recommandées.

 

[26]           De plus, la Commission a mentionné la possibilité que les demandeurs établissent leur résidence à Lagos. Les demandeurs font valoir que, pour que la Commission conclue qu’une PRI existe, il doit y avoir plus qu’une simple possibilité d’établir sa résidence. La Commission avait l’obligation de trouver un endroit accessible aux demandeurs et où ils seraient raisonnablement en sécurité. Les demandeurs déclarent aussi que la Commission n’a pas tenu compte de la preuve documentaire selon laquelle la protection de l’État est inefficace et n’est pas accessible aux personnes dans leur situation.

 

Le caractère raisonnable de la PRI envisagée

 

[27]           Les demandeurs soulignent que la Commission a déclaré dans ses motifs que l’époux de la demanderesse principale pourrait les aider. Toutefois, la preuve contenue dans le dossier établissait que l’époux fuyait la persécution et qu’il se cachait. Une telle preuve était également dans son affidavit. Selon les demandeurs, la Commission a commis une grave erreur lorsqu’elle n’a pas pris en compte cette preuve.

 

[28]           La Commission a aussi conclu que la sœur de la demanderesse principale était prête à aider les demandeurs. Toutefois, la preuve contenue dans le dossier établissait que la sœur de la demanderesse principale avait peur des personnes qui poursuivaient les demandeurs et qu’elle avait exprimé le désir de se réinstaller pour éviter les visites de la belle‑famille de la demanderesse principale. Les demandeurs font valoir que la Commission a commis une grave erreur de droit lorsqu’elle n’a pas pris en compte cette preuve cruciale. Les demandeurs concluent à l’annulation de la décision de la Commission et de ses motifs.

 

Le défendeur

                        Absence de possibilité réelle de persécution

 

[29]           Le défendeur soutient que la Commission était convaincue, selon la preuve, que les demandeurs n’étaient pas exposés à un risque de préjudice grave ou de persécution de la part de la belle‑famille de la demanderesse principale. La Commission n’a pas cru que la belle‑famille entreprendrait des efforts concertés pour retrouver les demandeurs s’ils se réinstallaient ailleurs au Nigeria ni qu’il existait une preuve qui donnait à penser qu’une poursuite organisée avait cours. Cela ne contredisait pas la preuve, qui établissait seulement que la famille élargie de l’époux s’était rendue de temps en temps chez la demanderesse principale et chez sa sœur et qu’elle avait incendié le véhicule de l’époux de la demanderesse principale lorsque celui‑ci avait rendu visite à sa mère malade dans l’État où la famille élargie de l’époux résidait.

 

[30]           Le défendeur déclare qu’il existe au Nigeria des organisations qui peuvent venir en aide aux demandeurs pour qu’ils se réinstallent en sécurité. Lorsqu’on examine l’accessibilité de la protection de l’État, ce n’est pas une erreur que de prendre en compte des organismes gouvernementaux autres que la police, y compris les ONG qui reçoivent des subventions de l’État : Pal c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2003] A.C.F. no 894 (C.F. 1re inst.); Nagy c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2002] A.C.F. no 370 (C.F. 1re inst.); Zsuzsanna c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2002] A.C.F. no 1642 (C.F. 1re inst.) et Szucs c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] A.C.F. no 1614 (C.F. 1re inst.).

 

[31]           Le défendeur déclare que la Commission a correctement examiné la preuve documentaire et qu’elle a admis qu’il pouvait être difficile pour une femme qui réside dans la partie sud du Nigeria et qui désire éviter de subir des mutilations génitales d’établir sa résidence dans la partie nord du Nigeria. Toutefois, la Commission a relevé que tous les Nigérians ont la possibilité d’établir leur résidence à Lagos en raison de la diversité ethnique et de la taille de cette ville.

 

[32]           Le défendeur soutient que les documents sur lesquels les demandeurs se sont fondés faisaient partie de l’ensemble de la preuve que la Commission a examinée et qu’elle avait le droit de soupeser et d’évaluer. Les extraits de documents présentés par les demandeurs ne contredisent ni les conclusions de la Commission ni sa décision.

 

[33]           Le défendeur soutient que la demanderesse principale se trouve dans une situation qui est distincte de celle décrite dans les extraits cités. La demanderesse principale a le soutien de sa famille, y compris le soutien de sa sœur et de son époux, et ses allégations de persécution visent seulement les membres de la famille de son époux. On ne se trouve pas dans une situation où la demanderesse principale doit résider au même endroit que la famille de son époux ou dans une situation où la propre famille de la demanderesse principale veut que ses filles soient excisées ou que son fils subisse des scarifications.

 

[34]           Le défendeur répète qu’il n’y avait pas de preuve devant la Commission qui donnait à penser que la famille de l’époux rechercherait les demandeurs quel que soit l’endroit où ils iraient au Nigeria ou même simplement qu’ils recherchaient les demandeurs. La Commission n’était pas convaincue, selon la prépondérance de la preuve, que la famille de l’époux retrouverait les demandeurs dans un endroit comme Abuja ou dans des parties de Lagos.

 

[35]           Dans ses motifs, la Commission n’est pas obligée de mentionner en détail tous et chacun des documents mis en preuve devant elle. La Commission est présumée, jusqu’à preuve du contraire, avoir pesé et considéré toute la preuve dont elle est saisie : Maximenko c. Canada (Solliciteur général), [2004] A.C.F. no 606 (C.F.), au paragraphe 18; Florea c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] A.C.F. no 598 (C.A.F.), au paragraphe 1; Hassan c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), (1992), 147 N.R. 317 (C.A.F.), à la page 318; Ortiz c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 C.F.P.I. 1163.

 

[36]           Le défendeur note que le Collectif d’aide aux femmes dont la demanderesse principale a parlé ne travaille pas uniquement à Enugu. Ce collectif est également présent dans d’autres régions du Nigeria, y compris Abuja. La Commission n’a commis aucune erreur à cet égard.

 

[37]           Le défendeur soutient qu’il n’existe rien dans la preuve documentaire qui donne à penser qu’une ONG qui vient en aide aux femmes ne serait pas venu aussi en aide au demandeur mineur. Le défendeur fait donc valoir que le fils de la demanderesse principale pouvait aussi recevoir de l’aide des ONG. Par conséquent, une PRI à Abuja ou dans d’autres parties de Lagos était viable pour les demandeurs.

 

            La raisonnabilité de la PRI

 

[38]           Le défendeur soutient qu’il était raisonnable que la Commission conclût que la demanderesse principale pourrait trouver un emploi dans de grands centres urbains comme Abuja et Lagos. Il n’y avait pas non plus de preuve pour contredire l’hypothèse selon laquelle la demanderesse principale et son époux élèveraient leurs enfants ensemble et que la sœur de la demanderesse principale soutiendrait fermement la demanderesse principale et ses enfants. Il était raisonnable que la demanderesse principale et ses enfants se réinstallent à Abuja ou dans certaines parties de Lagos.

 

ANALYSE

 

[39]           La demanderesse déclare que la Commission n’a pas pris en compte la preuve contenue dans le rapport du Royaume-Uni daté du 25 mai 2007 intitulé Home Office, Border and Immigration Agency Country of Origin Information Report: Nigeria, rapport qui contredit la conclusion de la Commission selon laquelle il est objectivement raisonnable que les demandeurs recherchent une PRI à Abuja ou dans certaines parties de Lagos.

 

[40]           Les documents dont il est question déclarent ce qui suit : [traduction] « Il est possible pour les Nigérians de se réinstaller dans d’autres parties du Nigeria pour éviter la persécution d’agents non gouvernementaux » et [traduction] « la réinstallation intérieure pour échapper à tout mauvais traitement de la part d’agents non gouvernementaux est toujours une possibilité », mais que [traduction] « certaines personnes peuvent se faire rejeter et ainsi faire face à des difficultés et que les réseaux communautaires peuvent devenir une source de persécution si une personne s’est isolée de sa communauté ». Il est particulièrement important de noter l’information suivante : [traduction] « Les réseaux de communication informels fonctionnent très bien au Nigeria et il n’est pas très difficile de trouver une personne que l’on recherche. Cela est vrai aussi pour ce qu’on appelle les grandes villes, dont les quartiers sont structurés sur le modèle des villages et des communautés. »

 

[41]           Le même rapport souligne aussi que les femmes qui fuient les mutilations génitales ne trouvent pas forcément facilement de l’hébergement chez des parents et que même s’il existe des ONG qui peuvent les héberger pendant un certain temps, ces ONG ne peuvent pas leur venir en aide pour toujours, et alors la seule solution qui leur reste c’est la prostitution.

 

[42]           Lorsque la décision est examinée dans son ensemble, il semble clair que la Commission s’attendait à ce que les demandeurs se réinstallent à Abuja ou dans certaines parties de Lagos, où ils seraient soutenus par l’époux et la sœur de la demanderesse principale et où la demanderesse principale pourrait trouver du travail en raison de son expérience professionnelle et de sa formation universitaire.

 

[43]           Bien que la Commission ait fait mention des ONG auxquelles les demandeurs pourraient s’adresser pour recevoir de l’aide pour se réinstaller, il semble évident que la Commission ne donnait pas à entendre que la demanderesse devrait être hébergée par une ONG. Elle s’attendait à ce que son époux, qui dispose de ressources, l’aide; ainsi, il était très peu probable qu’elle ait à se prostituer.

 

[44]           En ce qui a trait à la question du réseau communautaire, même si les personnes qui se réinstallent [traduction] « cherchent généralement à trouver hébergement auprès d’un parent ou d’un membre de leur communauté d’origine », je n’ai aucune preuve que cela doive toujours se passer ainsi, en particulier pour des personnes aussi instruites et expérimentées que les membres de cette famille semblent l’être.

 

[45]           Ainsi, je ne peux pas dire que les éléments de preuve auxquels les demandeurs font référence contredisent nécessairement les conclusions de la Commission sur la réinstallation. Ces mêmes éléments de preuve établissent clairement que [traduction] « la viabilité du choix d’une réinstallation interne dépend donc de la question de savoir si une personne serait intéressée à en suivre une autre à Lagos, par exemple ».

 

[46]           À cet égard, la Commission a conclu qu’il n’y avait « aucune preuve de poursuite organisée contre les demandeurs d’asile dans d’autres parties du Nigeria ». Les demandeurs ne sont pas d’accord avec la Commission sur ce point, mais vu la preuve citée par la Commission, je ne peux pas dire que cette conclusion était déraisonnable. Il est toujours possible de ne pas être d’accord, mais je crois que la conclusion appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit qui étaient ouvertes à la Commission.

 

[47]           Considérant ces conclusions dans leur ensemble, je ne pense pas que la preuve à laquelle les demandeurs ont fait référence contredit les conclusions de la Commission. Comme la Commission l’a souligné, aucune preuve n’a été présentée selon laquelle « les membres de la famille élargie de l’époux de la demandeure d’asile ont été invités à chercher et à appréhender les demandeurs d’asile où qu’ils aillent au Nigeria ».

 

[48]           Je crois aussi que les demandeurs interprètent mal la référence que la Commission a faite au bureau d’Enugu du Collectif d’aide aux femmes. Ce que la Commission veut dire, c’est qu’il est évident qu’il y a des ONG au Nigeria qui peuvent apporter leur soutien aux femmes qui ont besoin de se réinstaller et, que si nécessaire, les demandeurs peuvent solliciter ce soutien. Le fait que les organisations comme le Collectif d’aide aux femmes soutiennent les femmes dans leur réinstallation ne signifie pas que la Commission n’a pas tenu compte du fils de la demanderesse principale. La Commission prévoyait évidemment que les demandeurs ne seraient pas hébergés par le Collectif d’aide aux femmes ou par quelque autre ONG que ce soit, mais qu’ils se réinstalleraient à Abuja ou dans d’autres parties de Lagos, où ils seraient soutenus par l’époux de la demandeure d’asile principale, « qui jouit d’un certain confort matériel, comme en fait foi la récente visite antérieure des demandeurs d’asile au Canada, en France et à d’autres endroits », et la demanderesse principale « n’a présenté aucune preuve contredisant l’hypothèse, selon laquelle elle et son époux continueront d’élever leurs enfants ensemble au Nigeria [] ».

 

[49]           Ainsi, une fois de plus, je pense que les demandeurs interprètent mal la décision. Le fils accompagnera évidemment ses parents et ses sœurs et il bénéficiera de tout soutien auquel les demandeurs pourront avoir accès de la part des ONG qui les aideront à se réinstaller à Abuja ou dans certaines autres parties de Lagos, où ils continueront à vivre ensemble comme famille. Examinant la décision dans son ensemble, je ne pense pas que, eu égard à la preuve dont la Commission disposait, une telle conclusion puisse être dite déraisonnable au sens de l’arrêt Dunsmuir.

 


 

JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que :

 

1.      La présente demande est rejetée.

2.      Il n’y a pas de question à certifier.

 

 

« James Russell »

Juge

 

 

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Laurence Endale, LL.M., M.A. Trad.jur.

 

 

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                              IMM‑3456‑08

 

INTITULÉ :                                             Patricia Eyamaro, Onome Patria Eyamaro, Efemena Paola Eyamaro et Ovie Pater Eyamaro

c.

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                       Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                     LE 24 FÉVRIER 2009

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                    LE JUGE RUSSELL

 

DATE DES MOTIFS :                            LE 14 AVRIL 2009

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Kingsley Jesuorobo

 

POUR LES DEMANDEURS

Tessa Anne Kroeker

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Kingsley I. Jesuorobo

Avocat

North York (Ontario)

 

POUR LES DEMANDEURS

John H. Sims, c.r.

Sous‑procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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