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Date : 20090219

Dossier : IMM-2909-08

Référence : 2009 CF 174

Ottawa (Ontario), le 19 février 2009

En présence de madame la juge Mactavish

 

 

ENTRE :

SANJIVKUMAR RAM TRIPATHI

demandeur

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

 ET DE L’IMMIGRATION

Défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Sanjivkumar Ram Tripathi est un citoyen de l’Inde dont la demande d’asile a été rejetée par la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié. Bien qu’elle ait jugé crédible l’allégation de M. Tripathi selon laquelle il avait été la cible d’extrémistes hindous lorsqu’il vivait à Mumbai, la Commission a statué qu’il n’avait pas droit à l’asile du fait qu’il disposait d’une possibilité de refuge intérieur viable en Inde.

 

[2]               Pour les motifs qui suivent, je suis d’avis que la décision de la Commission est déraisonnable puisqu’elle ne tient pas compte d’un aspect fondamental de la demande de M. Tripathi dans son analyse de la PRI. La demande de contrôle judiciaire sera donc accueillie.

 

Contexte

 

[3]               Dans son témoignage, M. Tripathi a affirmé qu’en septembre 2004 il a été abordé par deux représentants du mouvement Shiv Sena, un parti pro-hindou de droite associé au Party du peuple indien (le Parti Bharatiya Janata ou le « PBJ »). Le chef du Shiv Sena a fait l’objet d’une enquête pour incitation à la violence entre musulmans et hindous, mais il n’a jamais été accusé de crime.

 

[4]               Les deux hommes ont demandé à M. Tripathi de placer une bombe dans une usine à Mumbai appartenant à M. Al Hatimi, un musulman avec qui M. Tripathi avait régulièrement des relations d’affaires. Le Shiv Sena voulait faire exploser l’usine parce que la plupart des employés qui y travaillaient étaient musulmans.

 

[5]               M. Tripathi a refusé de placer la bombe, répondant aux représentants du Shiv Sena que sa religion ne lui permettait pas de commettre ce type d’acte de violence. M. Tripathi affirme que les deux hommes lui ont alors dit que s’il refusait d’obtempérer, ils le tueraient pour avoir été un mauvais hindou. Les menaces ont été repeté deux jours plus tard lors d’une autre rencontre des trois hommes.

 

[6]               Peu de temps après, la police a fait une descente dans la maison de M. Tripathi, l’accusant de s’adonner au trafic de drogue. M. Tripathi a été confié à la garde de la police, par qui il dit avoir été battu et torturé pendant plusieurs jours. Pendant qu’il était sous garde, les policiers ont dit à M. Tripathi que les personnes qui ne se dévoueraient pas au « Hinduvata » (ou nationalisme hindou) ne survivraient pas. La police a également fait des commentaires laissant entendre qu’il y avait un lien entre elle et les deux hommes qui avaient demandé à M. Tripathi de placer la bombe.

 

[7]               M. Tripathi a été relâché après que son père eut versé un pot-de-vin aux policiers. La police a averti M. Tripathi de ne pas parler publiquement de sa discussion avec des membres du Shiv Sena, de son arrestation ou des traitements qu’il avait subis pendant sa détention. Elle lui a également demandé de se présenter au poste de police s’il en recevait l’ordre.

 

[8]               En raison des blessures qu’il a subies de la part de la police, M. Tripathi a passé plusieurs jours à l’hôpital. Peu après sa sortie de l’hôpital, il a reçu un appel téléphonique d’une personne qui lui a proféré des menaces de mort. M. Tripathi a alors quitté Mumbai, vivant en clandestinité dans  différents endroits en Inde jusqu’en février 2005, époque à laquelle il a quitté l’Inde pour venir au Canada muni d’un visa d’étudiant.

 

[9]               Plusieurs mois après son arrivée au Canada et après avoir constaté que la police et les nationalistes hindous continuaient de harceler sa famille, M. Tripathi a présenté sa demande d’asile.  Quelque temps après le dépôt de sa demande d’asile, sa famille a quitté Mumbai pour s’établir ailleurs en Inde. Elle n’a plus été abordée ni par des membres du Shiv Sena ni par la police.

La décision de la Commission

 

[10]           La Commission a jugé crédible le récit de M. Tripathi. Même si elle semble avoir reconnu que l’organisation Shiv Sena est bien établie partout en Inde, la Commission a néanmoins conclu que M. Tripathi disposait d’une possibilité de refuge intérieur viable à Lucknow ou à Allahabad, où les membres de sa famille résident actuellement.

 

[11]           Pour arriver à sa conclusion, la Commission a fait remarquer que M. Tripathi n’avait plus de relations d’affaires avec M. Al Hatimi. Par conséquent, la Commission a conclu que les membres de Shiv Sena ne seraient plus intéressés à utiliser M. Tripathi pour poser des actes criminels contre M. Al Hatimi. Selon la Commission, cela signifiait que M. Tripathi serait en mesure de vivre en sécurité avec les membres de sa famille à Lucknow ou à Allahabad.

 

 

L’état des notes sténographiques de l’audience antérieure

 

[12]           La décision faisant l’objet du contrôle découle de la seconde audience relative à la demande d’asile de M. Tripathi. Une audience antérieure avait été complétée en 2006, mais, pour une raison inconnue, aucune décision n’avait été rendue.

 

[13]           Les notes sténographiques du témoignage de M. Tripathi prises à l’audience antérieure ont été présentées à la Commission comme partie du dossier de la seconde audience. Tout en admettant que ces notes font partie de la preuve au dossier en l’espèce, l’avocat du défendeur a contesté le fait que M. Tripathi en a invoqué des parties à l’appui de ses arguments présentés à la Cour.

 

[14]           Se fondant sur la décision dans l’affaire Diamanama c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1996] A.C.F. n121, l’avocat du défendeur a fait valoir que la Commission « n’était pas liée par le témoignage livré lors de la première audition», et qu’elle pouvait tirer ses propres conclusions en se fondant sur le témoignage rendu devant elle.

 

[15]           Un examen de la décision rendue dans Diamanama révèle que ce que la Cour a affirmé était qu’un second décideur n’est pas lié par une conclusion de crédibilité  tirée dans le cadre d’une audience antérieure, ni n’est tenu d’accepter les faits sur lesquels le tribunal antérieur s’est prononcé. Il n’en est pas ainsi en l’espèce. Le tribunal antérieur n’a jamais fait d’appréciation de la crédibilité, ni n’a accepté les faits en cause dans le cadre de la première audience, puisque aucune décision n’avait été rendue à cette audience.

 

[16]           En outre, la décision Diamanama indique clairement que le second tribunal qui entend la demande peut utiliser comme bon lui semble les notes sténographiques de la première audience : voir paragraphe 10.

 

[17]           Étant donné que les notes sténographiques de la première audience ont fait partie de la preuve au dossier présentée à la Commission lors de la seconde audience, je ne vois rien d’inapproprié dans le fait que l’avocat de M. Tripathi se soit fondé sur des parties de ces notes sténographiques pour appuyer ses arguments. De plus, M. Tripathi a repris à sa seconde audience les points fondamentaux qu’il avait soulevés dans son témoignage à la première audience, quoiqu’un peu moins en détails.

Analyse

 

[18]           Je suis d’avis que la décision de la Commission est déraisonnable, puisque cette dernière n’a pas bien compris les raisons de la crainte de M. Tripathi ni n’en a tenu compte pour déterminer s’il existait effectivement une possibilité de refuge intérieur sûr en Inde.

 

[19]           Même s’il est vrai que M. Tripathi avait été approché au départ par le Shiv Sena en raison de sa relation avec M. Al Hatimi, le fait que M. Tripathi n’ait plus de relations d’affaires avec M. Al Hatimi ne clôt pas l’affaire.

 

[20]           Dans son témoignage, jugé crédible par la Commission, M. Tripathi a affirmé que lorsqu’il avait refusé de placer la bombe dans l’usine de M. Al Hatimi, des membres du Shiv Sena avaient menacé de le tuer pour faire de lui un exemple, afin que personne d’autre refuse de soutenir la cause des nationalistes hindous.

 

[21]           M. Tripathi a aussi affirmé dans son témoignage que les membres du Shiv Sena détruisaient toujours les éléments de preuve qui leur étaient préjudiciables, ce qui expliquait pourquoi ils n’étaient jamais accusés d’infractions criminelles. Étant donné qu’il était en mesure de fournir des éléments de preuve contre l’organisation, M. Tripathi a affirmé que sa vie était encore en danger en Inde.

 

[22]           Même si elle a reconnu que l’organisation Shiv Sena est bien établie partout en Inde, la Commission n’a pas examiné si M. Tripathi serait exposé au risque à Lucknow ou à Allahabad que des membres du Shiv Sena cherchent à le faire taire ou à faire de lui un exemple. La Commission n’a pas non plus examiné la prétention de M. Tripathi selon laquelle il risquerait d’être persécuté par des agents de police qui travaillent en collaboration avec le Shiv Sena.

 

[23]           Le fait que la Commission n’ait pas bien compris ou saisi le fondement de la crainte toujours présente de M. Tripathi pour déterminer s’il disposait effectivement d’une possibilité de refuge intérieur viable en Inde a donné lieu à une décision dont le caractère raisonnable requis ne tient pas à  la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité : voir l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47.

 

 

Conclusion

 

[24]           Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire est accueillie.

 

[25]           Par souci d’économie, l’avocat de M. Tripathi a demandé que l’affaire soit renvoyée au  même commissaire pour qu’il rende une nouvelle décision en conformité avec les motifs de la Cour. L’avocat du défendeur ne s’y est pas opposé, et une ordonnance sera rendue à cet égard.

 

 

Certification

 

[26]           Les parties n’ont proposé aucune question aux fins de certification, et aucune n’est soulevée en l’espèce.


JUGEMENT

 

            LA COUR STATUE :

 

            1.         La présente demande de contrôle judiciaire est accueillie, et l’affaire est renvoyée au même commissaire (s’il est disponible) pour qu’il rende une nouvelle décision en s’appuyant sur le dossier actuel, en conformité avec les présents motifs.

 

            2.         Si le commissaire n’est plus disponible, M. Tripathi a droit à une nouvelle audience de sa demande d’asile devant un autre commissaire.

 

            3.         Aucune question grave de portée générale n’est certifiée.

 

 

 

« Anne Mactavish »

Juge

 

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-2909-08

 

INTITULÉ :                                       SANJIVKUMAR RAM TRIPATHI c.

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                            ET DE L’IMMIGRATION                                                                             

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 10 février 2009

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              La juge Mactavish

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 19 février 2009

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Michel Le Brun

 

POUR LE DEMANDEUR

Alain Langlois

 

       POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Michel Le Brun

Avocat

Lasalle (Québec)

 

POUR LE DEMANDEUR

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

        POUR LE DÉFENDEUR

 

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