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Date : 20090210

Dossier : T-1529-07

Référence : 2009 CF 131

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 10 février 2009

En présence de madame la juge Layden-Stevenson

 

ENTRE :

ENVIRONNEMENTAL DEFENCE CANADA,

GEORGIA STRAIT ALLIANCE,

WESTERN CANADA WILDERNESS COMMITTEE

et la FONDATION DAVID SUZUKI

 

demanderesses

 

et

 

LE MINISTRE DES PÊCHES

ET OCÉANS

défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Le défendeur, le ministre des Pêches et Océans (le ministre) interjette appel de l’ordonnance du protonotaire Lafrenière en date du 4 novembre 2008. Le protonotaire a ordonné au ministre de fournir aux demanderesses une copie certifiée non caviardée du mémorandum pour le sous-ministre des Pêches et des Océans en date du 18 juillet 2007 (le mémorandum d’action). Le protonotaire Lafrenière a conclu que le ministre n’a pas établi que le passage caviardé est protégé par le secret professionnel de l’avocat. Je suis du même avis. Par conséquent, la requête du ministre sera rejetée.

 

Faits

[2]               Le naseux de Nooksack est un petit mené d’eau douce qui peuple quatre rivières dans la région de la vallée de Fraser de la Colombie-Britannique. En 1996, le naseux de Nooksack a été désigné comme espèce menacée d’extinction par le Comité sur la situation des espèces en péril au Canada. Par conséquent, il était inclus dans la liste des espèces en péril figurant à l’annexe 1 de la Loi sur les espèces en péril, L.C. 2002, ch. 29 (LEP) lorsque les dispositions de la LEP qui traitent du programme de rétablissement entreraient en vigueur. Cette inclusion donne lieu à différentes obligations en vertu de la LEP. Une des obligations exige que le ministre prépare, dans des délais précis, un programme de rétablissement pour les espèces extirpées, en péril ou menacées et un plan de gestion des espèces préoccupantes.

 

[3]               La demande de contrôle judiciaire sous-jacente découle de la décision du sous-ministre datant du 23 juillet 2007 d’approuver un programme de rétablissement pour le naseux de Nooksack. Plus précisément, les demanderesses (des groupes environnementalistes qui travaillent pour l’avancement de la conservation des espèces en péril au Canada) allèguent que le programme de rétablissement n’est pas conforme à l’alinéa 41(1)c) de la LEP parce qu’il n’a pas déterminé l’habitat essentiel du naseux de Nooksack dans la mesure du possible. Les demandeurs soutiennent que le ministre n’a pas la compétence de retirer les cartes des scientifiques de l’habitat essentiel des programmes de rétablissement afin de permettre au ministère des Pêches et des Océans (MPO) d’effectuer d’abord un examen par des pairs de ces renseignements.

 

[4]               Dans leur avis de demande de contrôle judiciaire, les demanderesses ont demandé le dossier des documents dont le ministre et le MPO étaient saisis et qui sont pertinents à la préparation et l’approbation du programme de rétablissement du naseux de Nooksack. M. Pardeep Ahluwalia, au nom du ministre, a transmis à la Cour et aux demanderesses conformément à l’article 318 des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106, une copie certifiée des documents pertinents à la demande qui étaient en la possession du ministre, et qui n’était pas en possession des demanderesses (le dossier). Le dossier comprend le mémorandum d’action d’un peu plus de trois pages. Deux phrases comprenant six lignes du mémorandum d’action sont caviardées. Le ministre revendique le secret professionnel de l’avocat en ce qui concerne la partie caviardée.

 

[5]               Devant le protonotaire, les demanderesses ont contesté, entre autres, la revendication par le ministre du secret professionnel de l’avocat. Le protonotaire a examiné la partie caviardée du mémorandum d’action et a conclu qu’elle ne jouissait pas du secret professionnel de l’avocat. Il a souligné que le mémorandum n’avait pas été préparé par un avocat et que la source et le contenu des conseils juridiques ne pouvaient être déterminants. Selon le protonotaire, le ministre n’a pas établi que le passage contesté est confidentiel et directement lié à la demande, la formulation ou la communication de conseils juridiques. En outre, il a conclu que tout privilège qui aurait pu exister avait été renoncé par la divulgation de renseignements étroitement liés dans le reste du mémorandum d’action.

 

[6]               Au retour de la requête présentée en l’espèce, les demanderesses demandent à introduire de nouveaux éléments de preuve, plus précisément l’affidavit de Ranj Dhaliwal, confirmé le 19 décembre 2008, auquel un mémorandum d’action d’une autre instance est joint en pièce jointe (dossier de la cour No T-1552-08). Les demanderesses ont pris la possession de ce mémorandum d’action le 6 novembre 2008, deux jours après l’ordre du protonotaire Lafrenière.

 

Questions en litige

[7]               Le contexte factuel donne lieu à trois questions :

a)         L’admission proposée des « nouveaux éléments de preuve »;

b)         la norme de contrôle applicable à la décision du protonotaire Lafrenière; et

c)         l’erreur alléguée du protonotaire de ne pas conclure que la partie caviardée du mémorandum d’action est protégée par le secret professionnel de l’avocat.

 

Nouveaux éléments de preuve

[8]               Les critères pour déposer de nouveaux éléments de preuve sont énoncés dans Atlantic Engraving Ltd.  c. Lapointe Rosenstein (2002), 299 N.R. 244 (C.A.F) (Atlantic Engraving). Les demandeurs doivent démontrer que les éléments de preuve à produire vont dans le sens des intérêts de la justice, aideront la Cour et ne causeront pas de préjudice grave à la partie adverse. De plus, il faut démontrer que les éléments de preuve n’étaient pas disponibles avant le contre-interrogatoire. Le pouvoir discrétionnaire de la Cour de permettre le dépôt de documents additionnels doit être exercé avec une grande circonspection (Mazhero c. Canada (Conseil canadien des relations industrielles) (2002), 292 N.R. 187 (C.A.F.) (Mazhero). 

 

[9]               Bien que les demanderesses m’aient convaincue que l’annexe « A » à l’affidavit de Dhaliwal n’était pas mise à leur disposition auparavant, je ne suis pas convaincue qu’autoriser ce document servira les intérêts de la justice ou aidera la Cour. Premièrement, l’autorisation du document n’est pas cruciale pour démontrer l’objectif pour lequel il est présenté. L’étiquette décrivant un document n’est pas déterminante; ce n’est qu’un ’acteur à prendre en considération Abrams c. Grant [1978] O.J. No 2283, 5 C.P.C » 308 (Abrams). En outre, la jurisprudence contient assez de références à la « désignation » de mémorandums d’action afin de permettre aux demanderesses de faire valoir leur argument : Chatham-Kent (Municipalité) c. Canada (Ministre des Affaires Indiennes et du Nord Canadien), [2002] 1 C.N.L.R. 103 (C.F.) confirmée (2002), 289 N.R. 123 (C.A.F.) (Chatham-Kent); Telus Communications Inc. c. Canada (Procureur général) (2002), 329 N.R. 96 (C.A.F.) (Telus). Le « nouveau » mémorandum d’action n’était pas devant le ministre, il était ébauché une année après le mémorandum d’action en question, il se rapporte à une espèce différente en vertu d’un article différent de la LEP. Sa pertinence, s’il en a une, est marginale. Pour ces motifs, la requête des demanderesses est rejetée.

 

Norme de contrôle

[10]           Les ordonnances discrétionnaires des protonotaires ne doivent pas être modifiées par un juge saisi d’un appel sauf si les questions soulevées dans la requête ont une influence déterminante sur l’issue de la cause ou l’ordonnance est entachée d’erreur flagrante en ce sens que le protonotaire a exercé son pouvoir discrétionnaire en vertu d’un mauvais principe ou d’une mauvaise appréciation des faits : Merck & Co. Inc. c. Apotex Inc. [2004] 2 R.C.F. 459 (C.A.) (Merck), demande d’appel rejetée [2004] C.S.C.R. no 80; Canada c. Aqua-Gem Investments Ltd., [1993] 2 R.C.F. 425 (C.A.) (Aqua-Gem). Il n’y a aucune suggestion que la décision du protonotaire a une influence déterminante sur l’issue de la cause en l’espèce.

 

[11]           Le ministre soutient que la décision est entachée d’erreur flagrante étant donné qu’elle est fondée sur une erreur de droit et une mauvaise appréciation des faits. Par conséquent, elle devrait être examinée de novo. Les demanderesses soutiennent qu’étant donné que le protonotaire n’a pas fait d’erreur de principe juridique et n’a pas mal apprécié les faits, il n’y a pas de différence si l’ordonnance est examinée en vertu de la norme de novo ou non. Les demanderesses soulignent que la décision si le passage caviardé est assujetti au secret professionnel de l’avocat n’est pas véritablement une question de pouvoir discrétionnaire. Par conséquent, elle ne s’oppose pas à un examen de novo. Étant donné que je parviens au même résultat que le protonotaire, je ne vois pas l’utilité de s’attarder sur cette question.

 

Secret professionnel des avocats.

[12]           Les principes fondamentaux sous-tendant le concept du secret professionnel de l’avocat ne sont pas en litige. Il est reconnu que la Cour suprême du Canada a reconnu à maintes reprises le caractère sacré du secret professionnel de l’avocat : Descôteaux c. Mierzwinski, [1982] 1 R.C.S. 860 (Descôteaux); R. c. Campbell, [1999] 1 R.C.S. 565 (Campbell); R. c. McClure, [2001] 1 R.C.S. 445 (McClure); Lavallee, Rackel & Heintz c. Canada (Procureur général), [2002] 3 R.C.S. 209 (Lavallee); Pritchard c. Ontario (Commission des droits de la personne) [2004] 1 R.C.S. 809 (Pritchard); Goodis c. Ontario (Ministère des Services correctionnels), [2006] 2 R.C.S. 32 (Goodis); Ministre de la Justice c. Blank et al., [2006] 2 R.C.S. 319 (Blank).

 

[13]           La jurisprudence susmentionnée établit que le secret professionnel de l’avocat est un droit substantiel. C’est un privilège qui existe entre un client et son avocat. Il s’applique généralement pour autant que la communication tombe dans les limites ordinaires et habituelles de la relation professionnelle. Une fois établi, le privilège est vaste et presque universel. Le principe de « une fois privilégié, toujours privilégié » s’applique. Toutefois, le privilège n’est pas absolu et cédera dans des circonstances étroites prévues qui ne sont pas pertinentes en l’espèce.

 

[14]           Dans le secteur privé, la relation entre un avocat et son client est d’habitude évidente. Dans des circonstances concernant des avocats publics dans les organismes gouvernementaux, la relation doit être examinée au cas par cas. Dans Campbell, le juge Binnie a expliqué que, en raison de la nature du travail, un avocat interne aura souvent des responsabilités à la fois juridiques et non juridiques. Lorsque les avocats du gouvernement donnent des conseils en matière de politique qui sont en dehors de leurs responsabilités juridiques, ils ne sont pas protégés par le secret professionnel de l’avocat. Seules les communications directement liées à la recherche, la formulation ou la communication de conseils juridiques sont protégées.

 

[15]           Le secret professionnel de l’avocat est un sujet bien connu des juges : voir Goodis. Lors du jugement d’une revendication du secret professionnel de l’avocat, la cour doit examiner les déclarations concrètes prétendues protégées afin de tirer une conclusion si la protection existe ou si on y a renoncé. Il incombe à la partie qui revendique le secret professionnel de l’avocat de démontrer qu’il existe : 1185740 Ontario Ltd. c. Canada (Ministre du Revenu national) (1999), 247 N.R. 287 (C.A.F.) (1185740); British Columbia (Securities Commission) c. B.D.S. (2003) 13 B.C.L.R. (4e) 107 (C.A.) (B.D.S.).

 

[16]           En partant de ces principes, je me penche sur les circonstances de cette affaire. Notamment, à mon avis, en l’espèce il ne s’agit pas de savoir si les communications qui sont protégées par le secret professionnel de l’avocat doivent céder à un intérêt supérieur. Autrement dit, il ne s’agit pas en l’espèce d’une prépondérance des intérêts. Les arguments soutenus du ministre concernant la suprématie du secret professionnel de l’avocat sont exacts et ne sont pas en litige. Toutefois, ce n’est pas ce qui nous concerne. La question est de savoir si le secret professionnel de l’avocat existe bien en ce qui concerne deux phrases caviardées dans le mémorandum d’action. C’est une question préliminaire et il incombe au ministre de démontrer que les conditions préalables pour appuyer la revendication du secret professionnel de l’avocat sont satisfaites.

 

[17]           Les conditions préalables pour valider une revendication du secret professionnel de l’avocat ont été délimitées par monsieur le juge Dickson, comme il l’était alors, dans Solosky c. R., [1980] 1 R.C.S. 821 (Solosky) à la page 837. 

Les voici :

(i) une communication entre un avocat et son client; (ii) qui comporte une consultation ou un avis juridiques; et (iii) que les parties considèrent de nature confidentielle. 

 

 

[18]           Dans Solosky, un détenu a tenté d’invoquer le secret professionnel de l’avocat pour empêcher le directeur de l’institution de Millhaven de censurer sa correspondance avec son avocat. La relation avocat client n’était pas en question. Comme il a été mentionné ci-dessus, ce n’est pas toujours le cas pour les avocats du gouvernement.

 

[19]           L’affidavit de M. Ahluwalia décrit en détail sa perception concernant les parties caviardées. Les paragraphes un à trois contiennent des données d’identification, telles que son rôle en tant que directeur général de la Direction – Espèces en péril du ministère des Pêches et des Océans et sa participation à la préparation du mémorandum d’action. Les paragraphes quatre et cinq se lisent comme suit :
                         [traduction]

La partie caviardée du mémorandum reflète les conseils juridiques obtenus de l’avocat avec le ministère de la Justice (« MDJ ») demandés par le MPO dans des communications confidentielles entre moi-même et d’autres fonctionnaires du MPO et l’avocat du MDJ dans le but de demander et d’obtenir des conseils juridiques.

 

Je m’attendais à ce que les communications entre l’avocat et les fonctionnaires du MPO soient et demeurent confidentielles.

 

 

[20]           Ces affirmations suivent le libellé des conditions préalables prévues par la juge Dickson. À mon avis, les commentaires ne sont pas déterminants.

 

[21]           C’est à la cour de déterminer la question de fond si on a le droit de revendiquer le secret professionnel de l’avocat : voir Goodis. Si je devais accepter les paragraphes quatre et cinq de l’affidavit de M. Ahluwalia comme étant déterminants, cela reviendrait à abdiquer ma responsabilité judiciaire de déterminer la question de fond. Ce qui ne signifie pas que le témoignage de M. Ahluwalia doit être ignoré. C’est plutôt une question de quel poids il faudrait lui accorder.

 

[22]           Je suis d’accord avec le protonotaire Lafrenière que, à première vue, la partie caviardée du mémorandum d’action ne semble pas protégée. Le ministre a raison que le mémorandum ne doit pas nécessairement être rédigé par un avocat : voir Telus. En outre, comme je l’ai indiqué plus haut, l’étiquette qui qualifie le document de « non confidentiel » n’est qu’un facteur à prendre en considération, bien que je relève que la déposante du ministre, Mme Webb, a déclaré au contre-interrogatoire que le document n’était pas confidentiel.

 

[23]           Les circonstances en l’espèce concernent des avocats du gouvernement. Dans Pritchard, monsieur le juge Major a renvoyé aux commentaires du juge Binnie dans Campbell et a réitéré les indices pour déterminer les revendications du secret professionnel de l’avocat lorsqu’il s’agit d’avocats internes du gouvernement. Au paragraphe 20, il déclare :

Vu la nature du travail d’un avocat interne, dont les fonctions sont souvent à la fois juridiques et non juridiques, chaque situation doit être évaluée individuellement pour déterminer si les circonstances justifient l’application du privilège. Ce dernier s’appliquera ou non selon la nature de la relation, l’objet de l’avis et les circonstances dans lesquelles il est demandé et fourni. (Non souligné dans l’original)

 

 

[24]           Le ministre, à mon avis, n’a pas satisfait à ce critère et n’a pas fourni les renseignements nécessaires pour une évaluation en bonne et due forme. Concernant l’observation du ministre que la divulgation du nom de l’avocat revient à divulguer ce qui est assujetti au secret professionnel de l’avocat, je pense que, si c’était le cas, cela aurait dû être mentionné dans l’affidavit de M. Ahluwalia. En termes simples, le ministre ne s’est pas acquitté du fardeau d’établir l’existence du secret professionnel de l’avocat concernant le passage caviardé du mémorandum d’action. Le protonotaire n’a pas commis d’erreur comme il a été allégué. 

 

Renonciation

[25]           Ma décision concernant le secret professionnel de l’avocat est déterminante. Toutefois, le protonotaire Lafrenière a conclu que, même si le privilège existe, il a été renoncé. Par conséquent, je vais brièvement me pencher sur la question de la renonciation.

 

[26]           La renonciation au secret professionnel de l’avocat est établie lorsqu’il est démontré que la personne possédant le privilège est consciente de l’existence du privilège et volontairement indique une intention d’y renoncer : K.F. Evans Ltd. c. Canada (Affaires étrangères) (1996), 106 F.T.R. 210 (1ère instance) (KF Evans). La renonciation peut également avoir lieu implicitement. Cette dernière idée est abordée dans Sopinka, Lederman et Bryant, The Law of Evidence in Canada (2e édition). (Toronto : Buttersworths, 1999) à la p. 758 :
                         [traduction]

En ce qui concerne ce qui constitue la renonciation présumée, Wigmore a affirmé :

 

La décision judiciaire ne répond pas clairement à cette question. En prenant une décision à ce sujet, il faut prendre en considération les éléments doubles que suppose chaque renonciation, c’est-à-dire non seulement l’élément de l’intention présumée, mais aussi l’élément de l’équité et de l’uniformité. On trouve rarement des personnes protégées par le secret professionnel de l’avocat qui y renoncent, si l’intention de ne pas abandonner pouvait à elle seule contrôler la situation. Il existe toujours également la considération objective que lorsque son comportement touche un certain point de divulgation, l’équité exige que sa protection cesse qu’il en ait eu l’intention ou non. On ne peut pas lui permettre, après avoir divulgué autant qu’il souhaite, de retenir le reste. Il peut choisir de retenir ou de divulguer, mais après un certain point son choix doit demeurer définitif.

 

 

[27]           Dans S. & K. Processors Ltd. c. Campbell Ave. Herring Producers Ltd. (1983), 35 C.P.C. 146, 45 B.C.L.R. 218 (C.S.) (S&K), madame la juge McLachlin, comme elle l’était alors, l’a décrite ainsi :
                         [traduction]

La renonciation peut également avoir lieu en l’absence d’une intention de renoncer, lorsque l’équité et la cohérence l’exigent. La renonciation au privilège en tant qu’une partie d’une communication sera considérée comme une renonciation concernant la communication tout entière. De même, lorsqu’un plaideur s’appuie sur des conseils juridiques comme élément de son allégation ou de sa défense, le privilège qui serait autrement attaché à ces conseils est perdu : Rogers c. Hunter, [1982] 2 W.W.R. 189.

[...]

[10] [...] Dans les cas où il était conclu que l’équité exige une renonciation présumée, il y a toujours une manifestation d’une intention volontaire de renoncer au privilège au moins dans une mesure limitée. D’après la loi, à ce moment-là, dans l’intérêt de l’équité et de la cohérence, il faut y renoncer en entier [...].

 

 

[28]           Dans Bank Leu Ag v. Gaming Lottery Corp. (1999). 43 C.P.C. (4e) 73 (Ont. S.C.) (Bank Leu Ag), au paragraphe 5, monsieur le juge Ground affirme qu’il « y aura renonciation présumée au privilège lorsque l’équité et la cohérence l’exigent ou lorsque la communication entre client et avocat est légitimement invoquée lors d’un litige ».

 

[29]           Dans Apotex Inc. c. Canada (Ministre de la Santé), [2004] 2 R.C.F. 137 (C.F.) (Apotex), monsieur le juge Lemieux a conclu que la jurisprudence n’étaye pas l’argument selon lequel le fait qu’une partie n’appuie pas sa position sur le contenu ou la teneur de l’avis juridique reçu est déterminant. En outre, l’équité envers une partie constitue le principe directeur applicable pour déterminer s’il y a renonciation présumée au privilège des communications entre client et avocat. La façon de soupeser l’équité par rapport aux valeurs sous-tendant le privilège dépend des circonstances.

 

[30]           Le protonotaire Lafrenière a conclu que tout privilège qui aurait pu exister concernant la partie caviardée du mémorandum d’action a été renoncé en raison de la divulgation de renseignements qui y sont étroitement liés. Je suis du même avis.

 

[31]           J’accepte la position du ministre que l’on ne trouve pas de référence explicite aux conseils juridiques dans la partie non caviardée du mémorandum d’action, ni, en fait, dans aucun des documents du ministre. Toutefois, le dossier, en particulier l’affidavit de Mme Webb et dans un moindre degré son contre-interrogatoire, contiennent des renseignements proches des phrases caviardées du mémorandum d’action.

 

[32]           Il n’est pas loisible au ministre d’affirmer que le contenu de la partie caviardée contient des conseils juridiques et qu’elle est par conséquent privilégiée et, en même temps, d’affirmer que les mêmes renseignements contenus ailleurs dans le dossier du ministre ne constituent pas une divulgation de conseils juridiques. Le ministre soutient qu’il n’y avait pas de renonciation présumée étant donné que les plaidoyers du ministre ne s’appuient pas sur les conseils juridiques contenus dans la rédaction, comme c’était le cas dans K.F. Evans et dans Campbell. Je ne retiens pas cet argument. Le fait d’appuyer sa position sur le contenu ou la teneur d’un avis juridique reçu n’est pas déterminant à lui seul d’une renonciation présumée : voir Bank Leu et Apotex.

 

[33]           À mon avis, vu la divulgation par le ministre, ailleurs dans le dossier, de renseignements étroitement liés à ceux dans les phrases caviardées, il serait injuste et contradictoire de la part du ministre de retenir la partie caviardée du mémorandum d’action. Par conséquent, le protonotaire avait parfaitement raison de conclure que tout privilège qui existe dans les phrases caviardées était présumé voir été renoncé par le ministre.

           

 

 

JUGEMENT

 

La requête est rejetée. Les phrases caviardées contenues dans le mémorandum d’action demeureront caviardées en attendant l’échéance de la période d’appel, ou, si un appel est accueilli, jusqu’au règlement de l’appel par la Cour d’appel fédérale.

 

 

« Carolyn Layden-Stevenson »

Juge

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

NOM DES AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        T-1529-07

 

INTITULÉ :                                       ENVIRONMENTAL DEFENCE CANADA ET AL

c. MPO

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Vancouver (Colombie-Britannique)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 21 juillet 2009

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              La juge Layden-Stevenson

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 10 février 2009

 

 

COMPARUTIONS :

 

Me Lara Tessaro

Me Judah Harrison

 

POUR LES DEMANDERESSES

Me Marja K. Bulmer

Me B.J. Wray

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Ecojustice Canada

Vancouver (Colombie-Britannique)

 

POUR LES DEMANDERESSES

John H. Sims, C.R.

Sous‑procureur général du Canada

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

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