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Date : 20090211

Dossier : IMM-2179-08

Référence : 2009 CF 143

Montréal (Québec), le 11 février 2009

En présence de l'honorable Maurice E. Lagacé 

 

ENTRE :

JHOTAN KAR

demandeur

 

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

I.          Introduction

[1]               Le demandeur sollicite en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (LIPR), la révision judiciaire de la décision rendue le 30 novembre 2007 par la Section de la protection des réfugiés (SPR) de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié de ne pas lui reconnaître la qualité de « réfugié », ni celle de « personne à protéger » conformément au sens des articles 96 et 97 de la LIPR, et en conséquence de rejeter sa demande d’asile.

 

II.        Les faits

[2]               Le demandeur, citoyen du Bangladesh de religion hindoue, marié et père de 2 enfants laissés  au Bangladesh avec sa famille, dit craindre une bande de terroristes islamistes affiliés aux partis Jamat et BNP.

 

[3]               Le demandeur soutient qu’un groupe de trois islamistes connus sous les noms de Haider, Jubair et Didar (HJD) se seraient emparés des terres résidentielles et non résidentielles de son défunt père au cours des années 2003 – 2004, en inscrivant celles-ci au registre foncier au nom du groupe en question. Bien que la partie non résidentielle de ces terres ait été occupée par HJD depuis un certain temps avant le décès du père du demandeur en 2004, ce dernier n’aurait fait aucune démarche de son vivant pour en reprendre possession.

 

[4]               En mars 2006, le demandeur vérifie le titre des terres au bureau du registre foncier et apprend alors que les terres paternelles sont enregistrées au nom de HJD.

 

[5]               Après avoir consulté son frère, un résident des États-Unis depuis 1996, et certains membres de la communauté locale, par crainte de représailles le demandeur décide de ne pas entamer de poursuites judiciaires contre HJD pour régulariser le titre des terres paternelles. Il approche néanmoins un élu local et certains leaders de la Ligue Awami pour que ceux-ci entament en son nom des discussions auprès de HJD de façon à ce qu’il puisse recouvrer les terres paternelles; ces pourparlers s’avéreront inutiles.

[6]               Le 7 avril et le 16 mai 2006, des islamistes non identifiés se seraient présentés au commerce du demandeur pour le voler, l’agresser, endommager son équipement et menacer sa vie et celle de sa famille s’il ne quittait pas le pays.

 

[7]               C’est aussi lors de ces événements que le demandeur prétend avoir été déclaré un ennemi de l’Islam, pour s’être plaint auprès de la Ligue Awami de l’usurpation des terres paternelles par HJD.

 

[8]               Le 28 mai 2006, à la sortie du temple hindouiste Kalibari, des terroristes islamistes auraient attaqué et menacé les deux fils et l’épouse du demandeur en les encourageant à quitter le pays s’ils voulaient vivre en paix.

 

[9]               Le 10 juin 2006, des terroristes islamistes se seraient présentés au temple précité au moment de la prière pour commander à l’auditoire de mettre fin à sa réunion et ses chants religieux. Le demandeur ayant décidé d’intervenir à cette occasion pour commenter les pratiques religieuses musulmanes, aurait provoqué une altercation avec les assaillants qui l’auraient alors menacé de nouveau de mort et encouragé à quitter le pays.

 

[10]           Pourchassé par ses agresseurs suite à ce dernier incident, le demandeur serait allé se cacher avec sa famille dans une autre localité avant son départ pour le Canada pour y chercher refuge.

 

 

III.       Question en litige

[11]           La SPR a-t-elle commis une erreur justifiant l’intervention de cette Cour dans l’appréciation de la preuve qui l’amène à conclure que le demandeur n’est ni un réfugié ni une personne à protéger?

 

IV.       Analyse

Norme de contrôle

[12]           Les cours doivent traiter avec déférence les décisions des tribunaux administratifs spécialisés bénéficiant, comme dans l’espèce, d’une expertise dans les affaires où s’exerce leur juridiction (Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9; Aguebor c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] A.C.F. no 732 (C.A.F.) (QL); Yurteri c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 478, aux paras. 12-13).

 

[13]           Les conclusions de fait de la SPR, et plus précisément celles portant sur la crédibilité du demandeur, sont assujetties à la norme de la « décision raisonnable » de sorte que pour justifier son intervention, la Cour doit se demander si la décision contestée est raisonnable, compte tenu de sa « justification », et de son « appartenance aux issues possibles acceptables au regard des faits et du droit » (Dunsmuir, ci-dessus, para. 47; Yurteri, ci-dessus, au para. 13).

 

Revendication du demandeur

[14]           Le problème de crédibilité se relie nécessairement aux faits mêmes que le demandeur invoque dans sa demande. Au moment d’évaluer le caractère raisonnable de la conclusion générale de la SPR portant sur la crédibilité du demandeur, encore faut-il regarder les faits invoqués à la base de la revendication du demandeur et identifier les éléments essentiels de celle-ci.

 

[15]           Le demandeur soumet que le tribunal a mal interprété sa demande d’asile, puisque malgré le fait que la question de l’appropriation de la terre paternelle constitue l’événement déclencheur des incidents qui devaient suivre, celle-ci selon lui n’aurait rien à voir avec les incidents qui ont provoqué sa fuite. En d’autres termes, il soutient que « […] la revendication était fondée sur deux éléments : [d]’une part, il y avait la question religieuse et d’autre part il y avait la question de la persécution quant à la possession de la terre […] » (paragraphe 1 du deuxième mémoire supplémentaire du demandeur).

 

[16]           Voyons si la question de la terre et celle de la religion peuvent dans la présente affaire être dissociées ou si elles sont indissociables.

 

[17]           Il n’est pas contesté au départ que le demandeur soit hindou. Mais la SPR dans sa décision met en doute les prétentions du demandeur voulant que les terres paternelles aient été accaparées par des islamistes, tout comme plusieurs hindous l’ont été dans le passé au profit d’islamistes.

 

[18]           Il appert tout au long de la preuve du demandeur que HJD auraient usurpé le titre et pris possession des terres de son défunt père. Ils auraient même occupés la partie non résidentielle de ces terres bien avant le décès de son père, et ce, sans que ce dernier entreprenne la moindre démarche pour les déloger.

 

[19]           Le demandeur cherche maintenant à scinder les problèmes reliés à ses prétentions sur les terres paternelles aux problèmes survenus le 10 juin 2006, lors de la prière au temple Kalibari. En somme, il conteste la conclusion de la SPR à l’effet que la question des terres paternelles constitue le point central de sa revendication.

 

[20]           Il ressort clairement de la lecture de l’ensemble de la preuve et de l’aveu même du demandeur que la revendication du demandeur sur les terres paternelles constitue l’élément déclencheur de ses problèmes à l’égard de HJD, et n’a jamais cessé de l’être. Le récit circonstancié du demandeur dans le formulaire de renseignements personnels (FRP) en témoigne tout comme les notes de l’agent d’immigration et le témoignage du demandeur lors de l’audition. Ce n’est pas parce que HJD s’avèrent être islamistes et que des amis islamistes de HJD tentent d’intimider le demandeur pour qu’il abandonne ses prétentions sur les terres paternelles, que le demandeur serait pour autant persécuté pour des motifs religieux.

 

[21]           Compte tenu de l’ensemble de la preuve, la Cour se doit de reconnaître que la SPR pouvait raisonnablement conclure que les problèmes vécus par le demandeur étaient intimement liés à ses prétentions sur la terre paternelle, n’ont jamais cessé d’être au cœur de sa revendication et que ses ennuis découlent de là même si HJD étaient islamistes et qu’ils avaient des amis islamistes pour les seconder dans leurs prétentions. Partant de là, il s’ensuit qu’il revenait au demandeur de faire la preuve de ses prétentions et de convaincre la SPR du bien-fondé de celles-ci (Kante c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] A.C.F. no 525 (C.F. 1re inst.) (QL), para 8).

[22]           Il incombait donc au demandeur de dissiper toute incohérence dans son récit avec une preuve satisfaisante qu’il appartenait à la SPR d’apprécier à l’intérieur de ses pouvoirs de décideur. La SPR pouvait donc apprécier tant l’authenticité que la valeur probante des documents soumis par le demandeur au soutien de sa revendication d’asile y compris la valeur probante et l’authenticité de la preuve documentaire (Mahendran c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1991] A.C.F. n549 (C.A.F.) (QL); Chaudhary  c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1997] A.C.F. no 961 (C.F. 1re inst.) (QL)).

 

[23]           Or, la preuve documentaire n’établit pas clairement que les terres en litige aient été enregistrées au nom de HJD, pas plus qu’il n’est clair quelle superficie de terre aurait été usurpée, et si les terres prétendument prises incluent la résidence paternelle. Il appartenait à la SPR d’apprécier la valeur de la preuve documentaire soumise par le demandeur. Or, le demandeur a failli à son fardeau de convaincre la SPR que les terres en litige appartenaient de droit à son défunt père et qu’elles avaient été usurpées par HJD.

 

            Crédibilité du demandeur

[24]           Il était loisible à la SPR de tirer des conclusions raisonnables portant sur la crédibilité du demandeur sur la base de divers éléments de preuve (Shahamati c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] A.C.F. no 415 (C.A.F.) (QL). Ici, les conclusions d’absence de crédibilité tirées par le décideur sont raisonnables puisqu’elles s’appuient sur la preuve ou l’absence de preuve, sur des contradictions, des invraisemblances et le comportement du demandeur.

 

[25]           Puisque la SPR conclut à un manque général de crédibilité du demandeur, elle était bien fondée à n’accorder aucune valeur probante aux autres éléments de preuve que celui-ci lui reproche de ne pas avoir considérés (Sheikh c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1990] 3 C.F. 238 (C.A.F.); Perjaku c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 496; Songue c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1996] A.C.F. no 1020 (C.F. 1re inst.) (Q.L.)).

 

[26]           En tentant de convaincre la Cour que la SPR erre dans les inférences négatives qu’elle tire de la preuve quant à la crédibilité de son récit, le demandeur cherche en fait à justifier les éléments de preuve que la SPR écarte parce qu’elle les juge non fiables, insatisfaisants, invraisemblables, incomplets ou non corroborés. Or, le demandeur, ne l’oublions pas, a eu toute l’opportunité de présenter pleinement son récit à la SPR pour la convaincre du bien-fondé de ses prétentions; mais malheureusement, il n’a pas réussi à rencontrer de façon satisfaisante le fardeau de preuve qui lui incombait.

 

[27]           Cette Cour a énoncé à plusieurs reprises qu’« un tribunal peut conclure au manque de crédibilité en se basant sur des invraisemblances contenues dans le récit du demandeur d’asile, le bon sens et la raison » (Garcia c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 206, au para. 9). De plus, l’absence de document corroborant les allégations d’un demandeur peut affecter négativement sa crédibilité (Singh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 62).

 

[28]           Or, partant du fait que la SPR ne retient pas, ou ne commente pas dans sa décision certains éléments de preuve que le demandeur considère quant à lui plus importants que ceux retenus par la SPR pour conclure comme elle le fait, celui-ci lui reproche de ne pas avoir considéré toute la preuve offerte, et partant de là, qualifie sa décision de déraisonnable.

 

[29]           Cet argument du demandeur ignore toutefois qu’il faut présumer que la SPR a considéré toute la preuve présentée (Florea c. Canada (ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] A.C.F. no 598 (C.A.F.) (QL), et que lorsqu’elle conclut et explique pourquoi le demandeur n’est pas crédible, elle n’a pas l’obligation pour autant de s’attarder à tous les éléments de preuve soutenant les allégations contraires, soit qu’elle ne les retient pas, soit  qu’elle les juge non crédibles, peu fiables, non corroborés ou non nécessaires à ses conclusions. (Ahmad c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CFPI 471, au para. 26).

 

[30]           Il n’appartient pas à cette Cour à ce stade-ci de refaire l’exercice et d’apprécier la preuve de nouveau ou de substituer son opinion à celle de la SPR, et ce d’autant plus que celle-ci bénéficie de l’avantage de son expertise, et en plus de l’avantage unique d’avoir entendu le récit du demandeur sur les motifs véritables de sa revendication. Somme toute, la SPR demeure sûrement mieux qualifiée que cette Cour pour juger de la crédibilité à accorder au récit du demandeur.

 

[31]           La révision de cette Cour se limite à vérifier uniquement si la décision de la SPR est justifiée et raisonnable selon les critères indiqués dans l’arrêt Dunsmuir, précité. Les décisions touchant la crédibilité d’une partie constituent « l'essentiel du pouvoir discrétionnaire des juges des faits », de sorte que leurs décisions doivent recevoir une grande déférence lors d'un contrôle judiciaire. Elles ne sauraient être infirmées à moins qu'elles ne soient abusives, arbitraires ou rendues sans tenir compte des éléments de preuve (Siad c. Canada (Secrétaire d'État) (C.A.), [1997] 1 C.F. 608, au para. 24; Dunsmuir, précité).

 

[32]           Or, la décision de la SPR, loin d’être abusive ou arbitraire, s’appuie largement sur la preuve pour juger le récit du demandeur non crédible et expliquer pourquoi. Certes, certaines inexactitudes  ou erreurs ont pu se glisser dans la compréhension de la preuve qu’il appartenait à la SPR d’apprécier. Mais vus et analysés dans leur ensemble, les motifs de la décision attaquée par le présent recours ne contiennent aucune erreur suffisamment importante pour justifier une intervention de cette Cour. Au contraire, les conclusions de la SPR portant sur la crédibilité du récit du demandeur ont droit à la déférence de cette Cour.

 

[33]           Bref, le demandeur n’a pas réussi à démontrer que la décision attaquée est fondée sur des conclusions de fait tirées de manière abusive ou arbitraire ou que le Tribunal a rendu sa décision sans tenir compte des éléments de preuve dont il disposait (Lin c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2008 CF 698).

 

V.        Conclusion

[34]           Après l’audition des arguments, l’analyse de la preuve et de la décision visée par le présent recours, la Cour ne peut que constater qu’il s’agit d’une décision justifiée, qu’elle appartient aux issues possibles au regard des faits et du droit, bref la décision est raisonnable et ne justifie pas l’intervention de cette Cour.  

 

[35]           Aucune question importante de portée générale n’ayant été proposée, aucune question ne sera certifiée.


 

JUGEMENT

 

POUR CES MOTIFS, LA COUR :

 

REJETTE la demande de contrôle judiciaire.

 

 

                                                                                                          « Maurice E. Lagacé »

Juge suppléant


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-2179-08

 

INTITULÉ :                                      JHOTAN KAR c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               le 15 janvier 2009

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LAGACÉ J.S.

 

DATE DES MOTIFS :                      le  11 février 2009

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Michel Le Brun

 

POUR LE DEMANDEUR

Geneviève Bourbonnais

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Michel Le Brun

Montréal (Québec)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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