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Date : 20090212

Dossier : IMM-3352-08

Référence : 2009 CF 139

Ottawa (Ontario), le 12 février 2009

En présence de monsieur le juge Orville Frenette

ENTRE :

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE

ET DE LA PROTECTION CIVILE

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

demandeurs

 

et

 

Fakera Tanveer WARAICH

Sahrash Tanveer WARAICH

Adeel Tanveer WARAICH

Anza Tanveer WARAICH

défendeurs

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision rendue le 30 juin 2008 par la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission), dans laquelle la Commission a rejeté la demande des demandeurs d’annuler une décision accueillant les demandes d’asile des défendeurs; la demande d’annulation a été présentée en vertu de l’article 109 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi), et en conformité avec l’article 57 des Règles de la Section de la protection des réfugiés, DORS/2002‑228. 

 

Les faits

[2]               Les défendeurs, une mère et ses trois enfants mineurs, sont des citoyens du Pakistan. Ils ont présenté des demandes d’asile le 10 juin 2002, dans lesquelles ils alléguaient que la défenderesse principale craignait d’être persécutée en raison de son appui à la Ligue musulmane du Pakistan – Section Nawaz. La défenderesse principale a soutenu qu’elle et son époux étaient recherchés par la police en raison de fausses accusations qui avaient été portées contre eux par leurs opposants politiques.

 

[3]               À l’appui des demandes d’asile des défendeurs, la défenderesse principale avait déposé des copies de deux premiers rapports d’information (les FIR) et de mandats d’arrestation correspondants aux FIR. Selon ces documents, la défenderesse principale et son époux étaient recherchés par la police au Pakistan parce qu’ils auraient participé à des activités antigouvernementales.

 

[4]               Les représentants des demandeurs n’étaient pas présents lors de l’audience portant sur les demandes d’asile des défendeurs, mais ils avaient déposé des éléments de preuve documentaire selon lesquels les défendeurs n’avaient pas établi leur identité à la satisfaction des agents d’immigration du Canada.

 

[5]               Le 8 mars 2004, le premier tribunal de la Commission a rendu sa décision, dans laquelle il accordait les demandes d’asile aux défendeurs. Convaincu que les défendeurs avaient réussi à établir leur identité, laquelle avait été contestée, le premier tribunal a fondé sa décision sur le témoignage crédible de la défenderesse principale.

 

[6]               La défenderesse principale avait allégué qu’elle et son époux étaient recherchés par la police qui voulait les arrêter en raison de leur participation à des activités politiques antigouvernementales.

 

[7]               La défenderesse principale a également eu de la difficulté à établir son identité et l’audience a dû être ajournée pour qu’elle puisse l’établir. Les audiences relatives aux demandes d’asile se sont tenues pendant deux jours en 2003, et la dernière audience a eu lieu le 6 février 2004.

 

[8]               Plus tard en 2004, les autorités de l’immigration, après avoir vérifié les FIR délivrés en 2002, ont conclu que tant le FIR de la défenderesse principale que celui de son époux étaient faux parce qu’ils concernaient d’autres personnes et des infractions pénales différentes.

 

[9]               Les demandeurs, en vertu de l’article 109 de la Loi, ont immédiatement présenté une demande d’annulation de la décision précédente prise par la Commission, dans laquelle la Commission avait accordé les demandes d’asile sur le fondement des faux documents.


La décision contestée

[10]           Dans une décision de deux pages et demie rendue le 30 juin 2008, Me Michael Hamelin, membre de la Commission, a rejeté la demande des demandeurs d’annuler la décision et a donc confirmé la décision de la Commission d’accorder les demandes d’asile aux défendeurs.

 

[11]           La Commission a reconnu que les défendeurs avaient déposé deux documents, les FIR, qui s’étaient révélés faux et qui – de concert avec le témoignage de la défenderesse principale et les documents d’ordre général sur la situation sociale et politique au Pakistan – constituaient le fondement de la décision de la Commission.

 

[12]           La Commission a estimé que, malgré les fausses déclarations, il y avait d’autres éléments de preuve qui justifiaient l’application du paragraphe 109(2) de la Loi.

 

[13]           Le fait que la défenderesse principale s’était rendue au Pakistan à deux occasions pour de longs séjours en 2005 et en 2006 sans qu’il n’y ait de problème a également été porté à la connaissance de la Commission et elle l’a examiné.

 

[14]           Cependant, la Commission a refusé de tenir compte de ces séjours parce que, lors de l’audience initiale relative à la présente affaire, les séjours n’avaient pas été présentés en preuve.

 

[15]           La Commission a conclu qu’elle n’allait pas accueillir la demande d’annulation de la décision d’accorder les demandes d’asile aux défendeurs parce « qu’il subsiste suffisamment d’éléments de preuve parmi ceux pris en compte à la première audience pour justifier la décision initiale ».

 

La question en litige

[16]           La question en litige en l’espèce est de savoir si la décision de la Commission était raisonnable.

 

La norme de contrôle

[17]           Selon la jurisprudence, la norme applicable à l’examen de question mixte de faits et de droit est la raisonnabilité (Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, [2008] 1 R.C.S. 190).

 

Les dispositions légales

[18]           L’article pertinent de la Loi se lit comme suit :

  109. (1) La Section de la protection des réfugiés peut, sur demande du ministre, annuler la décision ayant accueilli la demande d’asile résultant, directement ou indirectement, de présentations erronées sur un fait important quant à un objet pertinent, ou de réticence sur ce fait.

 

  (2) Elle peut rejeter la demande si elle estime qu’il reste suffisamment d’éléments de preuve, parmi ceux pris en compte lors de la décision initiale, pour justifier l’asile.

 

 

  (3) La décision portant annulation est assimilée au rejet de la demande d’asile, la décision initiale étant dès lors nulle.

 

  109. (1) The Refugee Protection Division may, on application by the Minister, vacate a decision to allow a claim for refugee protection, if it finds that the decision was obtained as a result of directly or indirectly misrepresenting or withholding material facts relating to a relevant matter.

 

  (2) The Refugee Protection Division may reject the application if it is satisfied that other sufficient evidence was considered at the time of the first determination to justify refugee protection.

 

  (3) If the application is allowed, the claim of the person is deemed to be rejected and the decision that led to the conferral of refugee protection is nullified.

 

Analyse

            L’insuffisance des motifs

[19]           Les demandeurs soutiennent que la Commission a commis des erreurs de droit et que sa décision était mal fondée en fait et en droit. Ils allèguent que la Commission, dans sa décision de deux pages et demie, n’a pas examiné ou analysé les conséquences des fausses déclarations faites par la défenderesse principale ni l’incidence de ces déclarations sur le reste de la preuve, principalement sur le témoignage fondé sur les faux documents.

 

[20]           Les défendeurs soutiennent que le reste de la preuve satisfaisait aux conditions applicables.

 

[21]           Une simple analyse de cette allégation appuie la position des demandeurs, car la Commission n’a pas mentionné quels [traduction] « autres éléments de preuve » appuyaient la demande. Elle a également négligé d’évaluer les conséquences des fausses déclarations faites par la défenderesse principale.

 

[22]           La Cour suprême du Canada a conclu comme suit dans l’arrêt R. c. Sheppard, [2002] 1 R.C.S. 869 à 870 (et malgré que cet arrêt porte sur une affaire en matière de droit pénal, il est souvent cité en droit administratif) :

Le pourvoi est rejeté. Le juge du procès a commis une erreur de droit en ne donnant pas de motifs suffisamment intelligibles pour permettre l’examen en appel de la justesse de sa décision.

 

 

 

[23]           Au paragraphe 47 de l’arrêt Dunsmuir, précité, une décision en matière de droit administratif, la Cour suprême du Canada a affirmé que le caractère raisonnable d’une décision tient à la « justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel ». Ce critère a été appliqué dans des affaires en matière de droit de l’immigration (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile c. Gunasingnam, 2008 CF 181, paragraphe 14).

 

[24]           Au paragraphe 18 de la décision Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration c. Fouodji, 2005 CF 1327, le juge Yvon Pinard a écrit ce qui suit : « Le tribunal na pas énoncé de façon claire et explicite quelle partie de ce qui reste de la preuve présentée devant le premier tribunal demeure crédible et pourquoi elle est crédible. »

 

[25]           Au paragraphe 17 de la décision Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration c. Shwaba, 2007 CF 80, le juge Yves de Montigny a écrit ce qui suit : « Il est impossible d’effectuer le contrôle judiciaire d’une décision si on n’est pas en mesure d’évaluer les motifs du décideur. »

 

[26]           Au paragraphe 24 de la décision Gunasingnam, précitée, le juge Sean Harrington est encore plus direct. Il a terminé sa décision, qui portait sur une demande d’asile, en tenant les propos suivants : « Il est tout simplement faux de penser qu’on peut être admis au Canada au moyen d’un mensonge. »

 

[27]           En l’espèce, la Commission ne satisfait pas à ce critère. Dans sa succincte décision, elle n’a pas analysé les conséquences des fausses déclarations de la défenderesse principale et leurs effets sur sa crédibilité, et la Commission n’a pas fourni d’évaluation ni d’examen minutieux de la preuve qui aurait appuyé la conclusion de crédibilité.

 

[28]           Cette erreur importante ou cette omission constitue une erreur susceptible de contrôle justifiant l’intervention de la Cour.

 

L’omission de la Commission d’apprécier la preuve de façon appropriée

[29]           Les demandeurs soutiennent que, même si la Commission avait fourni suffisamment de motifs dans sa décision, elle n’avait pas analysé le reste de la preuve dont disposait le premier tribunal :

a)      Le premier tribunal n’a aucunement mentionné les faux FIR dans ses motifs, et ce, même s’il s’est fondé sur la preuve documentaire. Il a également mentionné le témoignage de la défenderesse principale, qui s’est révélé être en grande partie faux.

b)      La Commission n’a pas mentionné que la première décision était fondée sur les fausses allégations de la défenderesse principale, lesquelles constituaient le fondement de sa demande d’asile. Par exemple, la défenderesse principale a affirmé au paragraphe 23 de son Formulaire de renseignements personnels (le FRP) que de fausses accusations avaient été portées contre elle et son époux, ce qui plus tard s’est révélé être faux. Elle a également noté au paragraphe 24 de son FRP que la police et l’armée la cherchaient au Pakistan. Après son arrivée au Canada, elle est tout de même retournée au Pakistan pour de longs séjours en 2005 et en 2006 sans problème.

 

[30]           La Commission a refusé de tenir compte de cette fausse déclaration. Encore une fois, le fait que la Commission n’a pas mentionné ou analysé ni les [traduction] « autres éléments de preuve » ni l’incidence des mensonges sur la crédibilité de la défenderesse principale constitue une erreur susceptible de contrôle. 

 

[31]           Il s’agissait d’une question importante parce que la simple mention de la preuve documentaire relative à la situation générale d’un pays sans preuve de risque personnel ne peut constituer le fondement d’une demande d’asile légitime (Fouodji, précitée, paragraphe 20).

 

Examen d’un facteur non pertinent

[32]           Les demandeurs allèguent que la Commission aurait dû tenir compte du temps que ça prend aux autorités de l’immigration pour vérifier l’authenticité des documents, et ils affirment que la vérification aurait pu être faite avant la première journée d’audience.

 

[33]           La Cour ne connaît pas le poids qu’a accordé la Commission à la présente question ou sa position sur la question, mais la Commission semble y avoir répondu par la négative. Cependant, l’élément de temps n’est aucunement pertinent en l’espèce étant donné que la Cour n’impose aucune limite de temps et que la mise au jour d’une fraude repose sur plusieurs facteurs impondérables indépendants de la volonté des demandeurs.

 

[34]           Les demandeurs allèguent que cela pourrait donner à penser qu’il y a eu partialité en faveur des défendeurs, ou apparence de partialité.

 

[35]           C’était, à tout le moins, une allégation inutile et non pertinente.

 


Conclusion

[36]           Pour terminer, je conclus que la Commission a commis au moins deux erreurs susceptibles de contrôle qui justifient que j’accueille la présente demande.


JUGEMENT

 

LA COUR ORDONNE :

1.                  la demande de contrôle judiciaire est accueillie;

2.                  la décision rendue le 30 juin 2008 par la Commission de l’immigration et du statut de réfugié est annulée;

3.                  l’affaire est renvoyée à la Commission de l’immigration et du statut de réfugié pour être entendue par un nouveau commissaire qui statuera à nouveau sur elle;

4.                  aucune question grave n’est certifiée.

 

 

« Orville Frenette »

Juge suppléant

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Jean-François Martin, LL.B., M.A.Trad.jur.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                    IMM-3352-08

 

INTITULÉ :                                                   LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE ET LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION c. Fakera Tanveer WARAICH, Sahrash Tanveer WARAICH, Adeel Tanveer WARAICH, Anza Tanveer WARAICH

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             MONTRÉAL (QUÉBEC)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           LE 21 JANVIER 2009

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                          LE JUGE SUPPLÉANT ORVILLE FRENETTE

 

DATE DES MOTIFS :                                  LE 12 FÉVRIER 2009

 

 

COMPARUTIONS :

 

Suzanne Trudel                                     POUR LES DEMANDEURS

 

Stéphanie Valois                                               POUR LES DÉFENDEURS

 

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

John H. Sims, c.r.                                             POUR LES DEMANDEURS

Sous-procureur général du Canada

 

Stéphanie Valois                                               POUR LES DÉFENDEURS

Montréal (Québec)

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