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Date : 20090212

Dossier : IMM-2654-08

Référence : 2009 CF 145

Ottawa (Ontario), le 12 février 2009

En présence de madame la juge Mactavish

 

 

ENTRE :

VLADIMIR YVES DOMERSON

demandeur

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Vladimir Yves Domerson est un citoyen d’Haïti dont la demande d’asile a été rejetée par la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié. La Commission a conclu que le risque auquel serait exposé M. Domerson à Haïti était le risque posé par criminalité généralisée. À ce titre, il n’était ni un réfugié au sens de la Convention ni une personne à protéger.

 

[2]               Selon moi, les motifs exposés par la Commission dans sa décision étaient inadéquats car ils ne traitaient pas adéquatement de la question de la situation personnelle de M. Domerson, plus précisément de sa vulnérabilité à titre de personne souffrant d’une grave maladie mentale. Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire sera accueillie.

 

L’historique

 

[3]               M. Domerson est un célibataire âgé de 29 ans. Ses parents sont morts et aucun de ses frères et sœurs ne vivent encore en Haïti. Il souffre d’une maladie mentale.  La preuve psychiatrique dont la Commission est saisie indique qu’il souffre de dépression psychotique et qu’il est incohérent.

 

[4]               Le dernier membre de la fratrie de M. Domerson a quitté Haïti en février 2004. M. Domerson est demeuré là‑bas où il a vécu grâce à l’aide financière qu’il a reçue de la part de membres de sa famille. Quelques semaines plus tard, M. Domerson a été agressé et sauvagement battu, dans sa maison, par des voleurs. Même s’il est difficile de savoir, à la lumière du dossier, si M. Domerson souffrait de problèmes psychologiques avant cette agression, il est évident que sa santé mentale s’est gravement détériorée après l’agression.

 

[5]               En mars 2006, M. Domerson est arrivé au Canada muni d’un visa de visiteur qui lui avait été accordé afin de lui permettre d’obtenir des traitements médicaux au Canada. Il a par la suite présenté une demande d’asile en affirmant, notamment, que, en Haïti, il courrait le risque d’être victime de violence verbale et physique parce qu’il serait perçu comme étant fou.

 

[6]               En raison des problèmes de maladie mentale de M. Domerson, la sœur de ce dernier a été nommée son représentant désigné par la Commission. Même si M. Domerson a tenté de témoigner à son audition, un examen de la transcription indique qu’il a été incapable de témoigner de façon cohérente.

 

L’analyse

 

[7]               Même si M. Domerson a soulevé un certain nombre de questions dans sa demande de contrôle judiciaire, il n’est nécessaire que d’examiner la question du caractère suffisant des motifs de la Commission. Comme la présente question comporte une question d’équité procédurale, il n’est pas nécessaire d’effectuer une analyse visant à établir la norme de contrôle applicable. La Cour doit plutôt déterminer si, tout compte fait, les motifs de la Commission étaient suffisants.

 

[8]               La question au cœur de la demande de M. Domerson était sa vulnérabilité à titre de personne souffrant de maladie mentale. Même si la demande d’asile de M. Domerson a initialement été déposée en vertu de l’article 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (la LIPR), au fur et à mesure de la présentation de l’affaire devant la Commission, il est devenu évident que l’article 96 était également invoqué relativement à la demande. Donc, la question consistait à savoir si, à titre d’Haïtien souffrant d’une maladie mentale, M. Domerson était membre d’un groupe social. En effet, le président de l’audience a expressément reconnu dans ses brefs motifs qu’il était obligé d’examiner la demande eu égard à l’article 96 et à l’article 97 de la LIPR si la preuve soumise à la Commission l’exigeait.

 

[9]               La Commission a ensuite déclaré que M. Domerson n’avait pas établi qu’il était exposé à une possibilité sérieuse d’être persécuté pour l’un des motifs prévus dans la Convention. Aucune explication n’a été fournie quant à cette conclusion et on a aucunement examiné la question de savoir si, à titre de personne souffrant d’une grave maladie mentale, M. Domerson pouvait être considéré comme étant membre d’un groupe social.

 

[10]           Le défendeur prétend que, en l’espèce, aucune autre analyse n’était exigée car la Commission n’était saisie d’aucune preuve que les personnes souffrant de maladie mentale étaient marginalisées ou exposées à des mauvais traitements en Haïti. Même s’il est vrai qu’aucune preuve documentaire indépendante n’a été soumise à la Commission sur ce point, il est expressément mentionné dans le formulaire de renseignements personnels de M. Domerson que les personnes perçues comme souffrant d’une maladie mentale sont victimes de mauvais traitements en Haïti, notamment de la part de la police.

 

[11]           Dans la mesure où il était question d’une demande présentée en vertu de l’article 97, la Commission a conclu que c’est à la criminalité généralisée que M. Domerson serait exposé en Haïti. Les motifs de la Commission ne font état d’aucune discussion quant à savoir si, en raison de sa maladie mentale, M. Domerson serait exposé à un risque personnel en Haïti, un risque auquel la population en général n’est pas exposée.

 

[12]           Les motifs invoqués à l’égard d’une décision visent plusieurs fins utiles. Ils garantissent notamment aux parties que leurs observations ont été prises en considération : voir VIA Rail Canada Inc. c. Office nationale des transports, [2001] 2 C.F. 25 (C.A.).

 

[13]           Dans Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817, la Cour suprême du Canada a souligné qu’il est particulièrement important de motiver clairement une décision, en particulier lorsque, comme en l'espèce, la décision a des conséquences importantes pour la personne concernée. Selon la Cour, « [i]l serait injuste à l'égard d'une personne visée par une telle décision, si essentielle pour son avenir, de ne pas lui expliquer pourquoi elle a été prise » (paragraphe 43).

 

[14]           Les motifs exposés par la Commission en l’espèce sont manifestement inadéquats car celle‑ci n’a pas analysé le cœur de la demande d’asile présentée par M. Domerson. Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire est accueillie.

 

 

Certification

 

[15]           M. Domerson propose que la question suivante soit certifiée :

Est-ce que les « fous » en Haïti subissent le risque généralisé comme toutes catégories sociales?

 

 

[16]           Compte tenu que l’insuffisance des motifs de la Commission était la question déterminante dans la présente demande de contrôle judiciaire, il n’a pas été nécessaire d’examiner la question proposée à la certification par M. Domerson. Par conséquent, je refuse de certifier la question.


 

JUGEMENT

 

            LA COUR ORDONNE :

 

            1.         La présente demande de contrôle judiciaire est accueillie et l’affaire est renvoyée à un tribunal différemment constitué pour nouvel examen;

 

            2.         Aucune question grave de portée générale n’est certifiée.

 

 

 

« Anne Mactavish »

Juge


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-2654-08

 

 

INTITULÉ :                                       VLADIMIR YVES DOMERSON c.

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                            ET DE L’IMMIGRATION                                         

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Ottawa (Ontario)

 

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 9 février 2009

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LA JUGE MACTAVISH

 

 

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT :                       Le 12 février 2009

 

 

COMPARUTIONS :

 

Jean Auberto Juste

 

POUR LE DEMANDEUR

Talitha A. Nabbali

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Jean Auberto Juste, LL.B.

Avocat

Ottawa (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

John H. Sims, c.r.

Sous‑procureur général du Canada

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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