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Date : 20090121

Dossier : IMM-254-09

Référence : 2009 CF 52

Ottawa (Ontario), le 21 janvier 2009

En présence de monsieur le juge Shore

 

 

ENTRE :

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET

DE LA PROTECTION CIVILE et LE MINISTRE

DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

demandeurs

et

 

SUWALEE IAMKHONG

défenderesse

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

I. Aperçu

[1]               [24]      […] [L]es décisions antérieures ordonnant la détention d’une personne doivent être prises en compte lors de contrôles subséquents et la Section de l’immigration doit énoncer des motifs clairs et convaincants pour pouvoir aller à l’encontre des décisions antérieures. [Non souligné dans l’original.]

 

(La Cour d’appel fédérale a tiré cette conclusion dans l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Thanabalasingham, 2004 CAF 4, [2004] 3 R.C.F. 572 (C.A.), rédigé par le juge Marshall Rothstein.)

 

II. Introduction

[2]               Les ministres demandent une ordonnance suspendant l’ordonnance de la Section de l’immigration visant la mise en liberté de la défenderesse.

 

[3]               Les ministres sont d’avis que la défenderesse constitue un danger pour la sécurité publique et qu’elle se soustraira vraisemblablement à son renvoi du Canada.

 

III. Faits

[4]               La défenderesse, Mme Suwalee Iamkhong, est une citoyenne thaïlandaise.

 

[5]               En 1994, elle s’est rendue à Hong Kong afin d’y travailler comme danseuse exotique. À Hong Kong, elle a fait analyser son sang et on lui a dit qu’elle était séropositive pour le VIH.

 

[6]               Deux semaines après l’analyse sanguine, elle a reçu un visa de travail afin d’entrer au Canada pour travailler comme danseuse exotique, ce qu’elle a fait dès son arrivée au Canada en 1995.

 

[7]               Quatre mois après son arrivée, dans le cadre du processus de renouvellement de son visa, la défenderesse a passé un examen médical qui comprenait une analyse sanguine. Les résultats de l’analyse étaient satisfaisants et le visa a été renouvelé. Le visa a continué d’être renouvelé périodiquement pendant une longue période. La défenderesse affirme qu’elle a cru à tort que l’analyse sanguine qu’elle avait passée pour le renouvellement de son visa comprenait un test de dépistage du VIH. Puisque son visa a été renouvelé, elle affirme qu’elle a cru, à tort également, que le résultat de séropositivité pour le VIH obtenu à Hong Kong était erroné.

 

[8]               La défenderesse a épousé un citoyen canadien et a eu des rapports sexuels non protégés avec lui. En février 2004, la défenderesse est tombée malade. Selon le diagnostic établi, elle était séropositive pour le VIH. En 2004, des accusations au criminel ont été portées contre elle et elle a été déclarée coupable, en vertu des articles 221 et 268 du Code criminel, L.R.C. 1985, ch. C-46, de négligence criminelle causant des lésions corporelles et de voies de fait graves.

 

[9]               Le 16 janvier 2007, la défenderesse a été déclarée coupable de ces infractions et, le 16 août 2007, elle a été condamnée à trois ans d’emprisonnement, moins un an pour le temps passé en détention préventive, pour chaque chef, peines à purger concurremment.

 

[10]           En raison de ces déclarations de culpabilité, un rapport d’interdiction de territoire a été déposé contre elle conformément à l’article 44 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR), et l’affaire a été déférée pour enquête. La défenderesse a contesté le rapport, mais sa demande de contrôle judiciaire a été rejetée dans la décision Iamkhong c. Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2008 CF 1349.

 

[11]           La défenderesse a purgé la totalité de sa peine et elle a été remise aux autorités de l’immigration conformément à l’article 59 de la LIPR.

 

[12]           Elle a été détenue au titre de la LIPR et sa détention fait l’objet de trois contrôles.

 

[13]           Le premier contrôle s’est tenu le 16 décembre 2008. Le deuxième contrôle s’est tenu le 23 décembre 2008. Le troisième et dernier contrôle a eu lieu le 19 janvier 2009.

 

[14]           Les ministres contestent l’ordonnance de la Section de l’immigration par laquelle la défenderesse a été libérée. Les ministres ont déposé une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire contre cette décision, et cette procédure est la demande principale en l’espèce.

 

IV. Question en litige

[15]           Les questions soulevées visent à déterminer si les ministres ont démontré qu’ils ont soulevé une question sérieuse à trancher, qu’ils subiront un préjudice irréparable si la défenderesse est libérée et que la prépondérance des inconvénients les favorise (Toth c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration (1988), 86 N.R. 302 (C.A.F.)).

 

V. Analyse

            A. Question sérieuse

[16]           La définition de « question sérieuse » provient des arrêts de la Cour suprême du Canada Manitoba (Procureur général) c. Metropolitan Stores (MTS) Ltd., [1987] 1 R.C.S. 110, et RJR‑MacDonald Inc. c. Canada (Procureur général), [1994] 1 R.C.S. 311. Dans ces deux arrêts, la Cour suprême a établi que l’existence d’une « question sérieuse » signifie que la demande n’est ni futile ni vexatoire; les exigences minimales sont donc peu élevées et consistent en une étude préliminaire du fond de l’affaire. Il n’est ni nécessaire ni souhaitable de faire un examen prolongé du fond de l’affaire (RJR-MacDonald Inc. c. Canada (Procureur général), précité, aux pages 335, 337 et 338). Comme la demande n’est ni vexatoire ni futile, la Cour conclut qu’une question sérieuse a été soulevée et examinera donc ci-dessous les deuxième et troisième volets du critère.

 

[17]           Les exigences minimales de la « question sérieuse à trancher » sont nettement moins élevées que celles d’une preuve prima facie (North American Gateway Inc. c. Canada (Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes), [1997] A.C.F. 628, 214 N.R. 146, aux pages 148 et 149 (C.A.); North of Smokey Fishermen's Assn. c. Canada (Procureur général), 2003 CFPI 33, 229 F.T.R. 1, au paragraphe 18).

 

(i) Risque de fuite

[18]           Au contrôle de la détention de 30 jours, le commissaire a ordonné la mise en liberté de la défenderesse en acceptant un cautionnement de 6 000 $ en argent comptant ainsi qu’un cautionnement de bonne exécution de 17 000 $ qui provenait de plusieurs personnes sans d’abord vérifier leur fiabilité en tant que cautions, plus précisément en ce qui concerne l’influence qu’elles exerçaient sur la défenderesse.

 

[19]           Toutefois, au contrôle de la détention de 7 jours, un autre arbitre avait refusé la mise en liberté, concluant que le beau-frère et un ami de la défenderesse n’exerçaient pas une influence suffisante sur elle pour garantir le respect de ses obligations.

 

[20]           Au contrôle de la détention de 30 jours, le commissaire devait motiver sa décision d’aller à l’encontre de la précédente décision de son collègue sans examiner les cautions. Le commissaire ne disposait d’aucune preuve quant à savoir si ces cautions exerçaient un contrôle suffisant sur la défenderesse. La Cour d’appel fédérale, dans l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Thanabalasingham, 2004 CAF 4, [2004] 3 R.C.F. 572 (C.A.), a déclaré :

[24]      […] [L]es décisions antérieures ordonnant la détention d’une personne doivent être prises en compte lors de contrôles subséquents et la Section de l’immigration doit énoncer des motifs clairs et convaincants pour pouvoir aller à l’encontre des décisions antérieures. [Non souligné dans l’original.]

 

 

[21]           En l’espèce, le commissaire n’a aucunement justifié pourquoi, selon lui, les cautions étaient acceptables alors que son collègue avait conclu que le beau-frère et un ami de la défenderesse n’étaient pas des cautions acceptables.

 

[22]           Le commissaire n’a pas suffisamment examiné le caractère des cautions ou le lien qu’elles avaient avec la défenderesse, ce qui constitue aussi une erreur :

[22]      Selon moi, l’effet qu’aura le cautionnement doit être abordé dans le cadre de l’examen de la question de savoir si une personne sous garde se présentera au renvoi. Ceci exige qu’on examine le caractère de la personne qui dépose le cautionnement, puisqu’il est possible que le dépôt d’un cautionnement par certaines personnes rendra moins probable le fait que la personne sous garde se présente au renvoi. Par conséquent, l’arbitre a agi de façon déraisonnable en ordonnant que le cautionnement en l’instance puisse être déposé par n’importe qui. S’il croyait qu’un cautionnement était nécessaire pour assurer que les défendeurs se présenteraient au renvoi, il devait examiner la situation de la personne qui déposait le cautionnement ainsi que son lien avec le défendeur.

 

(Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Zhang, 2001 CFPI 522, 205 F.T.R. 91).

 

             (ii) Danger pour la sécurité publique

[23]           La seconde question soulevée par les ministres est l’erreur de la Commission quant au danger que la défenderesse représente pour le public. Le commissaire disposait d’éléments de preuve selon lesquels la défenderesse avait été déclarée coupable de deux infractions graves. Le commissaire disposait aussi d’une preuve que la défenderesse avait intentionnellement transmis sa maladie à son mari (la mens rea était requise pour qu’une déclaration de culpabilité soit prononcée quant aux deux chefs d’accusation). Au contrôle de la détention de 7 jours, l’arbitre avait précisément noté que la défenderesse n’était pas crédible lorsqu’elle affirmait qu’elle ne savait pas qu’elle était séropositive pour le VIH.

 

[24]           Au contrôle de la détention de 30 jours, le commissaire n’avait aucune preuve additionnelle confirmant de façon fiable que la défenderesse était réadaptée ou qu’elle ne récidiverait pas.

 

[25]           Vu les conséquences des infractions, le commissaire devait, avant de conclure que la défenderesse ne constituerait pas un danger pour la sécurité publique, avoir une preuve claire et convaincante selon laquelle la défenderesse n’aurait pas de rapports sexuels non protégés.

 

[26]           À la lumière de ce qui précède, les ministres ont satisfait aux exigences minimales de la « question sérieuse à trancher », qui, comme il a été précisé, sont bien moins élevées que celles de la preuve prima facie.

 

B. Préjudice irréparable

[27]           Un préjudice irréparable serait causé si la défenderesse était libérée puisqu’elle ne se présenterait pas ou ne serait pas disponible pour son renvoi du Canada. Cela empêcherait le ministre de s’acquitter de ses obligations légales.

 

[28]           De plus, eu égard au contexte en l’espèce (niveau de compréhension peu élevé de la défenderesse, qui n’a pas terminé ses études primaires, déclaration de culpabilité antérieure pour voies de fait, malgré le service bénévole), si la défenderesse récidivait en ayant des rapports sexuels non protégés, cela causerait un préjudice irréparable pour la victime.

 

C. Prépondérance des inconvénients

[29]           Les inconvénients dont a souffert la défenderesse sont limités à une détention d’un maximum de 30 jours jusqu’au prochain contrôle de sa détention. Inversement, si la défenderesse est libérée et qu’elle ne se présente pas pour son renvoi, les ministres et les citoyens canadiens subiront des inconvénients plus importants.

 

[30]           La prépondérance des inconvénients favorise les ministres.

 

VI. Conclusion

[31]           À la lumière de ce qui précède, la requête en sursis est accueillie jusqu’à ce qu’une décision définitive soit rendue sur la demande principale.


 

JUGEMENT

LA COUR ORDONNE que la requête en sursis soit accueillie jusqu’à ce qu’une décision définitive soit rendue sur la demande principale.

 

 

« Michel M.J. Shore »

Juge

 

Traduction certifiée conforme

Julie Boulanger, LL.M.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-254-09

 

INTITULÉ :                                       LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET

DE LA PROTECTION CIVILE et LE MINISTRE

DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

                                                            c. SUWALEE IAMKHONG

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 21 janvier 2009 (par téléconférence)

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              Le juge Shore

 

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT :                       Le 21 janvier 2009

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Alexandre Tavadian

 

POUR LES DEMANDEURS

Aadil Mangalji

 

POUR LA DÉFENDERESSE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LES DEMANDEURS

Aadil Mangalji

Avocate

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DÉFENDERESSE

 

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