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Date : 20090116

Dossier : T-446-08

Référence : 2009 CF 40

Ottawa (Ontario), le 16 janvier 2009

En présence de monsieur le juge en chef

 

ENTRE :

DANIEL BRENNAN

demandeur

et

 

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

 

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

 

[1]        Daniel Brennan, le demandeur, a été déclaré coupable d’avoir refusé de fournir un échantillon d’urine au hasard alors qu’il était incarcéré dans un pénitencier fédéral. Sa peine de cinq jours en isolement a été suspendue pour 60 jours.

 

[2]        Le demandeur demande le contrôle judiciaire de sa déclaration de culpabilité. Malgré mes réserves concernant la preuve en l’espèce, voici les motifs qui m’ont amené à conclure que la déclaration de culpabilité n’était pas déraisonnable.

 

[3]        Les parties s’entendent pour l’essentiel en ce qui concerne les faits.

 

[4]        Le demandeur a été déclaré coupable d’une infraction disciplinaire grave parce qu’il a refusé ou omis de fournir un échantillon d’urine, et ce, en contravention du paragraphe 40(l) de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, L.C. 1992, ch. 20  (la Loi

40. Est coupable d’une infraction disciplinaire le détenu qui :

 

l) refuse ou omet de fournir l’échantillon d’urine qui peut être exigé au titre des articles 54 ou 55;

40. An inmate commits a disciplinary offence who

 

 

(l) fails or refuses to provide a urine sample when demanded pursuant to section 54 or 55;

 

Le droit de l’institution d’avoir demandé la fourniture d’un échantillon au hasard n’est pas en litige et il n’est pas nécessaire de renvoyer aux articles 54 et 55.

 

[5]        Le rapport d’observation de l’échantillonneur, le rapport de l’infraction du détenu et la décision du président indépendant (le PI) confirment que le demandeur a été accusé et déclaré coupable d’avoir « refusé » de fournir plutôt que d’avoir « omis de fournir ».

 

[6]        La norme de preuve de hors de tout doute raisonnable est énoncée au paragraphe 43(3) de la Loi :

43.(3) La personne chargée de l’audition ne peut prononcer la culpabilité que si elle est convaincue hors de tout doute raisonnable, sur la foi de la preuve présentée, que le détenu a bien commis l’infraction reprochée

 

 

[Non souligné dans l’original.]

43.(3) The person conducting the hearing shall not find the inmate guilty unless satisfied beyond a reasonable doubt, based on the evidence presented at the hearing, that the inmate committed the disciplinary offence in question.

 

[Emphasis added]

 

[7]        L’« échantillonneur » est défini à l’article 60 du Règlement sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, DORS/92-620, comme étant la personne autorisée à recueillir les échantillons. Dans les présents motifs, l’« échantillonneur » désignera la personne qui était chargée de recueillir l’échantillon d’urine auprès du demandeur. Le mot « échantillon » signifie un « échantillon d’urine à l’état pur en quantité suffisante pour en permettre l’analyse en laboratoire ».

 

[8]        Le paragraphe 66(1) prévoit que l’échantillonneur doit veiller à ce que la personne soit gardée à l’écart de toute autre personne que lui-même pendant le délai de deux heures prévu pour fournir l’échantillon et doit « la surveiller pendant qu’elle s’exécute » :

66. (1) La prise d’échantillon d’urine se fait de la manière suivante :

 

[...]

 

c) il doit remettre à la personne un contenant pour son échantillon d’urine et la surveiller pendant qu’elle s’exécute;

 

d) il doit accorder un délai de deux heures à la personne pour fournir l’échantillon d’urine à compter du moment de sa demande;

 

e) il doit veiller à ce que la personne soit gardée à l’écart de toute autre personne que lui-même et reste sous surveillance pendant le délai de deux heures prévu à l’alinéa d);

66. (1) A sample shall be collected in the following manner:

 

 

(c) the collector shall provide the donor with a container for the sample and shall supervise as the donor provides the sample;

 

(d) the collector shall give the donor up to two hours to provide a sample, from the time of a demand;

 

 

(e) the collector shall ensure that the donor is kept separate from any other person except the collector and is supervised during the two hour period referred to in paragraph (d);

 

[Non souligné dans l’original.]

[Emphasis added]

 

[9]        Soit dit en passant, le paragraphe 66(2) du Règlement soulève une question qui n’a pas été examinée à fond au cours de la présente instance :

Le défaut de fournir un échantillon d’urine conformément au paragraphe (1) est réputé être un refus de le fournir.

Where a person fails to provide a sample in accordance with subsection (1), the person shall be considered to have refused to provide the sample.

 

À première vue, cette disposition peut donner à penser qu’il y a un déplacement, de la partie plaignante à l’accusé, du fardeau de preuve prévu au paragraphe 43(3) de la Loi, lorsque les procédures prévues au paragraphe 66(1) ne sont pas suivies. Les fonctionnaires compétents peuvent vouloir examiner l’objet visé par le paragraphe 66(2) à la lumière du paragraphe 43(3) de la Loi.

 

[10]      Le 29 octobre 2007, on a demandé au demandeur de fournir un échantillon d’urine au hasard. Au départ, le demandeur a été incapable de s’exécuter. L’échantillonneur a proposé au demandeur de sortir pour aller fumer une cigarette et lui a offert de l’eau. L’échantillonneur a quitté la zone d’administration de tests pour vaquer à d’autres occupations jusqu’à ce que le demandeur soit prêt à fournir un échantillon.

 

[11]      L’échantillonneur est revenu après avoir reçu un appel téléphonique de la part d’un autre membre du personnel qui était demeuré avec le demandeur. Le demandeur a alors remis à l’échantillonneur le flacon à urine, lequel contenait un liquide.

 

[12]      Le flacon à urine comprenait une bandelette thermométrique intégrée échelonnée de 80 à 100 degrés Fahrenheit. L’échantillonneur s’attend à lire une température minimum de 90 à 100 degrés Fahrenheit pour un échantillon d’urine normal.

 

[13]      Comme le liquide qui se trouvait dans le flacon n’a produit aucun effet sur la bandelette thermométrique, l’échantillonneur n’a pas été satisfait de l’échantillon.

 

[14]      Ni l’échantillonneur ni le membre du personnel n’a vu le demandeur fournir l’échantillon.

 

[15]      L’échantillonneur a ensuite demandé au demandeur de fournir un autre échantillon sous sa surveillance directe. Le demandeur a vidé le contenu du flacon comme l’échantillonneur le lui a ordonné. Après avoir tenté pendant environ 15 minutes de fournir l’échantillon, le demandeur s’est fâché et il s’est en allé sans fournir un autre échantillon. Le demandeur a été prévenu qu’il serait accusé d’avoir refusé de fournir un échantillon mais celui‑ci a continué de s’éloigner en marchant.

 

[16]      L’audience disciplinaire fut de courte durée. La transcription de la preuve et des observations comprend moins de 10 pages. Le décideur ou le président indépendant a rendu sa décision sur‑le‑champ. Le PI a accordé plus de poids au témoignage de l’échantillonneur qu’à celui du demandeur. Il a affirmé ce qui suit : [traduction] « Lorsque [le demandeur] affirme qu’il a fourni un échantillon, je ne crois pas […] qu’il a fourni un échantillon d’urine. Je crois que c’est […] c’est tout simplement [inaudible] ça. Donc, dans toutes […] dans toutes les circonstances, j’ai écouté l’ensemble de la preuve et je conclus, hors de tout doute raisonnable, que [le demandeur] a refusé de fournir un échantillon d’urine […] »

 

L’analyse

[17]      A‑t‑on prouvé hors de tout doute raisonnable au PI qu’il pouvait déclarer le demandeur coupable d’avoir refusé de fournir un échantillon d’urine?

 

[18]      Le demandeur ne conteste pas la conclusion défavorable tirée par le PI quant à la crédibilité de son témoignage. Toutefois, selon le demandeur, le PI ne s’est pas demandé, après avoir rejeté son témoignage, si l’autre témoignage établissait hors de tout doute raisonnable que le liquide fourni comme premier échantillon n’était pas de l’urine.

 

[19]      La partie qui demande une déclaration de culpabilité ne s’acquitte pas de son fardeau de la preuve tout simplement parce que le juge des faits ne croit pas le témoignage de l’accusé. Ce fardeau de prouver hors de tout doute raisonnable chacun des éléments de l’infraction n’est jamais déplacé. Même lorsqu’il ne croit pas le témoignage de la personne accusée, le décideur doit être convaincu que l’autre témoignage satisfait à la norme de preuve applicable :  David M. Paciocco & Lee Stuesser, The Law of Evidence, 5e éd. (Toronto : Irwin Law, 2008), à la page 529. Voir également R. c. W. (D.), [1991] A.C.S. no 26, au paragraphe 28; R. c. J.H.S., 2008 CSC 30; McLarty c. Canada, [1997] A.C.F. no 808, au paragraphe 15 (QL).

 

[20]      Comme je l’ai déjà mentionné, le paragraphe 43(3) de la Loi mentionne que le détenu ne peut être déclaré coupable que si, « sur la foi de la preuve présentée », le PI est convaincu hors de tout doute raisonnable.

 

[21]      L’échange suivant qui a eu lieu entre le PI et l’échantillonneur est pertinent :

[traduction]

 

[Le PI] : Les échantillons d’urine sont‑ils généralement colorés ou sont‑ils parfois sans couleur?

 

[L’échantillonneur] : Ils varient. Leur couleur varie.

 

[Le PI] : D’accord. Et, en l’espèce, selon vous, s’agissait‑il d’urine ou d’une quelque […] quelque autre substance?

 

[L’échantillonneur] : Comme je l’ai déjà dit, c’était plutôt clair, et je n’étais pas certain.

 

[Non souligné dans l’original.]

 

 

[22]      Cette déclaration comportant deux volets formulée par l’échantillonneur pose problème. L’échantillonneur a d’abord souligné que la substance était « plutôt claire », laissant vraisemblablement entendre qu’il ne s’agissait pas d’urine. Il semble qu’il ait ensuite immédiatement ajouté qu’il « n’était pas certain ».

 

[23]      Si on lit la transcription, on peut conclure que l’échantillonneur ne savait pas vraiment si le liquide était de l’urine ou s’il s’agissait d’une autre substance. L’avocate du défendeur prétend que l’échantillonneur n’était incertain que de la couleur. Dans les deux cas, l’échantillonneur était incertain quant à un élément important de la preuve.

 

[24]      Le témoignage de l’échantillonneur selon lequel la température du liquide ne se situait pas dans la fourchette de température dans laquelle la température d’un échantillon d’urine normal se situe est moins équivoque.

 

[25]      Au cours de l’audience, l’échantillonneur a déclaré que [traduction] « la bandelette thermométrique n’enregistrait aucune température, ce qui me donnait à penser qu’il s’agissait d’eau et non pas d’une substance corporelle ». On a également interrogé l’échantillonneur quant à son expérience en matière de fourchettes de température généralement observées pour les échantillons d’urine. L’échantillonneur a affirmé dans son témoignage que les échantillons doivent satisfaire au critère de la température minimum exigée avant d’être acceptés.

 

[26]      Le témoignage de l’échantillonneur quant à la bandelette thermométrique et quant à son rôle dans les prises et analyses d’échantillons d’urine n’a pas fait l’objet d’un examen particulièrement rigoureux de la part du PI. Par exemple, le PI ne s’est pas demandé s’il y avait raison de croire que la bandelette était défectueuse ou si la taille de l’échantillon avait pu avoir une incidence sur la température. Toutefois, le PI semble s’être fié à l’expérience professionnelle de l’échantillonneur en matière d’échantillonnage au hasard en concluant que l’échantillon fourni par le demandeur n’était pas de l’urine.

 

[27]      Le seul témoignage qui justifie la déclaration de culpabilité est celui de l’échantillonneur. En ce qui concerne la couleur de l’échantillon, le témoignage de l’échantillonneur était équivoque et peu convaincant. Toutefois, en ce qui concerne la température, le témoignage était convaincant et il a été accepté par le PI.

 

[28]      Les deux parties reconnaissent que les principes du contrôle applicable en appel ne s’appliquent pas à la présente demande de contrôle judiciaire. Il ne semble y avoir aucune autre loi ou aucun autre règlement fédéral où une déclaration de culpabilité fondée sur la norme de la preuve « hors de tout doute raisonnable » ne peut pas faire l’objet d’une révision en appel. Comme le législateur n’a prévu aucun appel à l’égard des décisions disciplinaires des PI, les principes du droit administratif et du contrôle judiciaire s’appliquent à la situation en l’espèce.

 

[29]      Compte tenu de l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, je suis convaincu que la norme de contrôle applicable doit être celle de la décision raisonnable. Si le PI s’est trompé, c’est parce qu’il a appliqué des faits à des principes de droit. Je ne souscris pas aux arguments du demandeur selon lesquels son erreur peut être qualifiée de pure question de droit et qu’elle appelle la norme de la décision correcte.

 

[30]      Les procédures de discipline pénitentiaires prévues dans la Loi sont des procédures qui n’ont aucun caractère judiciaire ou quasi judiciaire : Forrest c. Canada (Procureur général), 2002 CFPI 539, au paragraphe 16. Les PI ne sont pas liés par les règles de présentation de la preuve et sont libres de tenir des procédures de nature inquisitoire plutôt que des procédures de nature contradictoire : Hendrickson c. Établissement Kent, (1990), 32 F.T.R. 296, aux pages 298 et 299. C’est le PI qui décide de la manière selon laquelle la preuve est recueillie dans le cadre d’une procédure disciplinaire, sous réserve des principes de la justice naturelle et de l’équité procédurale.

 

[31]      Même si les PI sont libres d’examiner tous les éléments de preuve, qui, selon eux, sont fiables et crédibles, la loi exige que les éléments de preuve établissent hors de tout doute raisonnable que le détenu a commis une infraction disciplinaire. Cette norme de preuve, très étrangère au droit administratif, exige que l’on tire des conclusions raisonnables de ces éléments de preuve : McLarty, au paragraphe 13. Le simple fait qu’un PI n’est pas lié par les règles de preuve ne diminue pas l’obligation des PI d’examiner et de soupeser comme il se doit la preuve admise. Autrement, la norme de preuve prescrite par le législateur serait gravement compromise.

 

[32]      Comme il a été souligné dans Hendrickson, à la page 299 :

L’audience ne doit pas être menée comme une procédure accusatoire mais comme une procédure d’enquête et la personne dirigeant l’audience n’a pas le devoir d’étudier chaque défense concevable, bien qu’elle ait le devoir de mener une enquête complète et équitable ou, en d’autres termes, d’étudier les deux côtés de la question.

 

[Non souligné dans l’original.]

 

Le PI, en l’espèce, aurait pu être plus « inquisitif » en ce qui concerne le témoignage de l’échantillonneur. 

 

[33]      Même si les PI n’ont pas à examiner chaque aspect d’une affaire, ils doivent s’assurer de la suffisance de la preuve et s’assurer que la preuve a été examinée comme il se doit avant de tirer une conclusion quant à la culpabilité.

 

[34]      Y avait-il des éléments de preuve justifiant une déclaration de culpabilité, outre le simple rejet du témoignage du demandeur? Non sans certaines hésitations et en appliquant les principes énoncés dans l’arrêt Dunsmuir, je dois répondre par l’affirmative. Le témoignage de l’échantillonneur concernant la bandelette thermométrique et le fait que la température de l’échantillon n’a pas apparu sur la bandelette thermométrique permettent de conclure que l’échantillon fourni par le demandeur n’était pas de l’urine. Par conséquent, on ne peut pas affirmer que la conclusion tirée par le PI était déraisonnable.

 

[35]      La présente demande de contrôle judiciaire sera rejetée. Compte tenu de la nouveauté de la question, à tout le moins selon la Cour, aucuns dépens ne seront adjugés.


ORDONNANCE

 

LA COUR ORDONNE :

1.                  La présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.

2.                  Aucuns dépens ne sont adjugés.

 

« Allan Lutfy »

Juge en chef

 

 

Traduction certifiée conforme

Claude Leclerc, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        T-446-08

 

INTITULÉ :                                       DANIEL BRENNAN c. LE PROCUREUR

                                                            GÉNÉRAL DU CANADA

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Vancouver (Colombie‑Britannique) et

                                                            Ottawa (Ontario) par appel conférence

 

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 12 novembre 2008 et

                                                            le 5 janvier 2009 par appel conférence

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE
ET ORDONNANCE :
                       LE JUGE EN CHEF LUTFY

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 16 janvier 2009

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Anna King

 

POUR LE DEMANDEUR

Lisa Laird

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Turko & Company

Vancouver (Colombie‑Britannique)

 

POUR LE DEMANDEUR

John H. Sims, c.r.

Sous‑procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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