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Date : 20090120

Dossier : T-1780-08

Référence : 2009 CF 43

Ottawa (Ontario), le 20 janvier 2009

En présence de monsieur le juge Shore

 

ENTRE :

CLOTILDE BÉRUBÉ

demanderesse

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE

défenderesse

et

 

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU QUÉBEC

Mis-en-cause

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

I.  Au préalable

[1]               Ceci est un cas triste. Il démontre la fragilité et l’état délicat de la condition humaine, nécessitant la compréhension et le besoin de la Cour de traiter cette cause avec un comportement sensible, néanmoins, réalisant l’état du droit et de la jurisprudence.

[2]               La demanderesse, madame Clotilde Bérubé, qui se représente elle-même, admet qu’elle est une joueuse compulsive qui a commencé à fréquenter le Casino du Lac-Leamy vers les années 1998 suite au suicide de son époux. Par ses propres écrits, la demanderesse dévoile qu’elle se retrouvait dans un état de culpabilité de ce décès.

 

[3]               La demanderesse admet que son monde a complètement été basculé dès lors et n’eusse été d’une promesse faite à son fils de ne jamais l’abandonner, elle se serait sans doute enlevé la vie, ne pouvant supporter la douleur qui l’accablait. La demanderesse a vécu longtemps sous l’influence d’un choc psychique et émotionnel et dans un état de dépression repoussant ainsi toute prise de conscience ainsi que tout sens de la réalité et des responsabilités.

 

[4]               La demanderesse a tout perdu au jeu : ses propriétés immobilières, son emploi, ses amis, son estime de soi et son sens de responsabilité. De plus, elle a réussi à extorquer près de cinq cent mille dollars à certains membres de sa famille et à des prêteurs qui ont même menacé sa vie et celle de ses enfants. Ne pouvant donner à ses enfants l’attention dont ils avaient besoin, la demanderesse a dû se départir de son fils pour quelques années et l’inscrivit au pensionnat.

 

II.  Faits

[5]               Le 18 novembre 2008, la demanderesse déposait une déclaration par laquelle elle demande à cette Cour de prononcer un jugement pour la somme de vingt millions de dollars (20 000 000,00$) à l’encontre de la défenderesse.

 

[6]               La demanderesse fait état, dans sa déclaration, qu’elle souffre d’une dépendance pathologique au jeu et les sommes réclamées à la défenderesse représentent les sommes perdues directement ou indirectement en résultat de cette dépendance de même que des dommages-intérêts, punitifs et exemplaires pour les manquements allégués de la défenderesse. Plus spécifiquement, la demanderesse réclame les dommages suivants :

  • deux millions de dollars (2 000 000,00$) représentant les sommes perdues dans les casinos du Québec, sommes provenant pour l’essentiel de la vente d’immeubles à revenus situés à Ottawa dans la province de l’Ontario;
  • deux millions de dollars (2 000 000,00$) représentant la plus-value ou la valeur marchande des propriétés si elles étaient aliénées en date d’aujourd’hui;
  • quatre millions de dollars (4 000 000,00$) représentant la valeur totale investie après la vente de ces propriétés pour une période de vingt ans;
  • deux millions de dollars (2 000 000,00$) à titre de dommages punitifs, exemplaires et dommages-intérêts alourdis;
  • dix millions de dollars (10 000 000,00$) à titre de dommages-intérêts délictuels.

 

[7]               La demanderesse recherche la responsabilité de la défenderesse en ce qu’elle aurait manquée à certains de ses devoirs et responsabilités.

 

[8]               Plus particulièrement, les manquements allégués par la demanderesse se retrouvent aux paragraphes 75 et suivants de sa déclaration, où celle-ci allègue :

75.       The government of Canada should or ought to be aware that the Criminal code of Canada as it now reads forbids the operation of Casinos in Canada and this even for provincial governments.

 

76.       The government of Canada should or ought to be aware that the operation of Casinos in Canada by provincial governments is a threat to life, liberty and security of the person and the right not to be deprived thereof

 

77.       The government of Canada should or ought to be aware that the Criminal code of Canada as it now reads forbids the operation of Casinos in Canada by aboriginal nations and by municipalities as it is done actually in Ontario and British Columbia.

 

78.       The government of Canada should or ought to be aware that the Criminal code of Canada as it now reads forbids the association of provinces to private enterprise in the conduct and operations of lotteries.

 

79.       Although the Defendants should or ought to be aware of their responsibilities towards the respect of the provision of the Criminal code of Canada, it has done nothing to oppose the creation and expansion of illegal gambling in Canada by fear of Constitutional consequences and retaliations from the provinces.

 

80.       The Defendants at all material times, owed a fiduciary duty, a duty of care and a duty of good faith to the Plaintiff in particular and the population of Canada in overseeing that the provinces are acting in conformity with the laws of this country and more particularly with the Constitution of this country.

 

81.       The Defendant at all material times, owed a statutory duty and a duty of good faith to the Plaintiff in particular and to the population of Canada in overseeing that the Constitution of this country is respected at all times by the provinces and that no law passed by those provinces contravenes Section 91 of The Constitutional Act of 1867 and of Section 52 of The Constitutional Act of 1982.

 

82.       The Defendants and more particularly the Department of Justice and the Attorney General of Canada should be aware that its employees owe a duty of loyalty and a duty of good faith to the Plaintiff in particular and to the population of Canada in overseeing that no law should be illegally enacted and that no deal should be made between the provinces and the federal government which his not in conformity with the Constitution of this country.

 

83.       All of the above constitute a breach of duty due to the negligence and irresponsible behaviour of the Defendants which resulted in damages to the Plaintiff.

 

84.       The Plaintiff has suffered and endured numerous damages due to the faults, the negligence and the inaction of the Defendants which has resulted in enormous suffering, in mental anguish, in mental torture, in loss of her health and wealth, in having lived a veritable hell, in having suffered a heart attack, in living in permanent physical and mental partial incapacity, in having a pacemaker within her body, in living below the poverty line… etc… in wanting to die… etc…

 

 

[9]               Il ressort de ces extraits de la déclaration de la demanderesse que l’action de cette dernière est fondée pour l’essentiel sur deux (2) prétentions :

a)      Le Code criminel, L.R.C. 1985, c. C-46 et la Charte canadienne des droits et libertés, partie I, Annexe Be de la Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U) (Charte), comme rédigés, interdissent l’opération de casinos par les provinces, municipalités et nations autochtones ainsi que l’association de provinces à des entreprises privées pour la conduite et l’opération de loteries;

b)      La défenderesse a manqué à ses devoirs et responsabilités en omettant d’opposer la création et l’opération de casinos par les provinces.

 

[10]           Il ne s’agit pas d’une première tentative pour la demanderesse d’obtenir un dédommagement pour les pertes subies en raison de sa dépendance.

 

[11]           En effet, dans une demande en justice, portant le numéro de Cour 500-17-039983-070, la demanderesse réclame des dommages au montant de dix millions de dollars (10 000 000,00$) à l’encontre de Loto-Québec et la Société des loteries du Québec, du Procureur général du Québec et Alain Cousineau (Affidavit de Me Benoît de Champlain aux par. 10-11 et Pièce 7 au soutien de cet affidavit).

 

[12]           Dans le cadre de cette poursuite en dommage, la demanderesse allègue à la fois l’incompétence de l’autorité provinciale pour règlementer les casinos et les machines à sous et le caractère fautif de l’implantation et l’opération des casinos.

 

[13]           Les dommages réclamés par la demanderesse dans cette action sont les suivants :

a)le remboursement des montants qu’elle a perdus dans les casinos et les machines à sous que l’on retrouvent[sic] sur le territoire québécois, montant qui provenait de la vente d’immeubles à revenus, soit deux millions de dollars (2,000,000.00$);

 

b)      le montant représentant la plus-value ou la valeur marchande actuelle des immeubles vendus par la demanderesse, soit deux millions de dollars (2,000,000.00$);

 

c)le montant représentant les revenus à long terme des dits immeubles ou une rente viagère provenant de l’investissement du produit la vente des dits immeubles de deux millions de dollars (2,000,000.00$);

 

d)      des dommages-intérêts moraux de deux millions de dollars (2,000,000.00$);

e)des dommages-intérêts exemplaires, punitifs et aggravants en vertu de l’article 1621 C.c.Q. de un million de dollars (1,000,000.00$);

 

f)        des dommages-intérêts généraux et/ou des dommages punitifs exemplaires en vertu de l’article 49(1) de La Chartre[sic] des Droits et Libertés du Québec de cinq cent mille dollars (500,000.00$);

 

g)des dommages-intérêts généraux et/ou des dommages punitifs et exemplaires en vertu de l’article 24(1) de La Chartre[sic] canadienne des Droits et Libertés de cinq cent mille dollars (500,000.00$)

 

(Affidavit de Me Benoît de Champlain, Pièce 7, Requête introductive d’instance au par. 1).

 

[14]           Le dossier est présentement toujours actif devant la Cour supérieure, les requêtes en rejet des défenderesses étant fixées pour être entendues le 28 avril 2009 (Affidavit de Me Benoît de Champlain au par. 12 et Pièce 8 au soutien de cet affidavit).

 

[15]           De surcroît, dans le cadre du dossier 550-17-0011741-055, la demanderesse demandait à la Cour supérieure du Québec un jugement déclaratoire à l’effet que les articles 196 à 207 du Code criminel ne permettaient pas à la province d’opérer des casinos.

 

[16]           Cette demande de jugement déclaratoire a été rejetée par la Cour supérieure du Québec sur requête pour rejet pour absence de fondement juridique et cette décision maintenue par la Cour d’appel du Québec et la Cour suprême du Canada (sur demande d’autorisation d’appel).

 

[17]           Dans le cadre d’une instance distincte, la demanderesse s’est adressée à la Cour supérieure du Québec dans le dossier portant le numéro 500-17-035480-071 par lequel elle cherchait à obtenir un jugement déclaratoire ainsi qu’une injonction permanente et une injonction interlocutoire à l’encontre du Procureur général du Québec, du Groupe Attractions Hippiques et du Sénateur Paul J. Massicotte, de l’honorable Jean Charest et de l’honorable Lise Thibeault.

 

[18]           Les conclusions recherchées par la demanderesse par ce recours sont de trois types :

  • Conclusions de type déclaratoire : déclarer illégale et inconstitutionnelle l’exploitation de machines à sous et appareil de loterie vidéo, de même qu’une déclaration selon laquelle l’entente intervenue entre le gouvernement du Québec et le groupe Attraction Hippiques est illégale, immorale et inconstitutionnelle;
  • Conclusions de type mandatoire : ordonner au ministre des Finances et à Loto-Québec de cesser l’exploitation, la mise sur marché, la promotion et la location de machines à sous et visant à interdire aux ministre des Finances et Lieutenant-gouverneur d’émettre des permis ou licences d’exploitation de « maisons de jeux » au groupe Attractions Hippiques ou au sénateur Massicotte, de même que demande d’une enquête par le vérificateur général du Québec au sujet des méthodes comptables de Loto-Québec et par la Sûreté du Québec sur la manière dont opèrent les machines à sous qui sont sous le contrôle de Loto-Québec;
  • Conclusions en dommage : Réclamation de la somme de 99 000,00$ à titre de remboursement du montant investi dans lesdites machines et à titre de dommages et intérêts.

 

[19]           Ce recours a également été rejeté sur la base de requêtes en irrecevabilités présentées par le Procureur général du Québec et le Sénateur Paul J. Massicotte, ce jugement a par ailleurs été confirmé par la Cour d’appel du Québec (dossier 500-09-018013-078) et la Cour suprême du Canada (sur demande d’autorisation d’appel dans le dossier 32475).

 

[20]           Mis à part les nombreuses poursuites civiles intentées par la demanderesse, cette dernière s’est également déjà adressée à la Cour du Québec en vertu de l’article 507.1 du Code criminel (Madame C.B. c. K.T., 2006 QCCQ 1985).

 

[21]           Par cette demande, la demanderesse accusait K.T., directeur d’un casino de l’État, d’avoir opéré une maison de jeu contrairement aux dispositions de l’article 201(1) et/ou 201(2)b) du Code criminel.

 

[22]           Le juge Pierre Chevalier de la Cour du Québec a rejeté cette demande, relativement à la portée de l’article 207 du Code criminel, il écrit :

[9]        [...] Il n’est pas invraisemblable de croire que le législateur a  a voulu limiter le renvoi  aux alinéas 206(1)a) à g)  aux  seuls « moyens, systèmes, dispositifs ou opérations » et non au « jeux ». La conséquence de cette dernière interprétation est qu’elle aurait pour effet d’inclure dans les exceptions la définition de « jeu » que l’on retrouve à l’art. 197.(1) , soit   celle de : «  jeu de hasard ou jeu où se mêlent le hasard et l'adresse » sans la limitation qu’apporteraitent[sic] les alinéas 206(1)(a) to (g) . Or puisque les activités reprochées au directeur du casino relève du « jeu » au sens de cette dernière définition, il ne pourrait être poursuivi pour s’y être livré...

 

(Madame C.B. c. K.T., 2006 QCCQ 1985).

 

III.  Analyse

La déclaration de la demanderesse ne relève aucune cause d’action valable

[23]           Selon la jurisprudence spécifiée, la déclaration de la demanderesse et l’action intentée par celle-ci devraient être radiée au motif qu’elle ne fait état d’aucune cause d’action valable (Hunt c. Carey Canada Inc, [1990] 2 R.C.S. 959; Operation Dismantle Inc. c. Canada, [1985] 1 R.C.S. 441, 31 A.C.W.S. (2d) 45; Inuit Tapirisat of Canada c. Canada (Procureur général), [1980] 2 R.C.S. 735, 5 A.C.W.S. (2d) 255).

 

[24]           Pour qu’une déclaration comprenne une cause d’action, elle doit : (1) alléguer des faits susceptibles de donner lieu à une cause d’action; (2) indiquer la nature de l’action qui doit se fonder sur ces faits, et (3) préciser le redressement sollicité qui doit pouvoir découler de l’action et que la Cour doit être compétente pour accorder (Kiely c. Canada (1987), 10 F.T.R. 10, 4 A.C.W.S. (3d) 94).

 

[25]           Par sa déclaration, la demanderesse cherche à déclarer que les casinos, de même que l’association des provinces avec des entreprises privées pour la conduite de loteries, sont contraires aux dispositions du Code criminel et de la Charte.

 

[26]           En premier lieu, il est manifeste que les violations alléguées au Code criminel et à la Charte ne sont pas le résultat de gestes posés par l’État fédéral ou par des mandataires de l’État fédéral, mais bien par les provinces ou société d’État provincial responsables de l’administration des casinos.

 

[27]           Par ailleurs, la déclaration de la demanderesse constitue une tentative déguisée de contester la validité et/ou constitutionnalité des lois et règlements provinciaux qui régissent les casinos ou autres loteries.

 

[28]           Il s’en suit que la défenderesse n’est certes pas le défendeur approprié pour cette contestation et la Cour fédérale n’est pas le forum approprié.

 

[29]           Ainsi, le défaut pour la demanderesse d’intenter son action à l’encontre du défendeur approprié a pour effet que l’action intentée ne relève aucune cause d’action valable puisque la Cour ne pourra accorder le redressement sollicité.

 

[30]           En ce qui concerne les arguments quant à l’obligation de la défenderesse d’opposer les casinos, ceux-ci sont tout aussi mal fondés.

 

[31]           Tel que le soulève la demanderesse, le gouvernement fédéral est chargé, selon le paragraphe 91(27) de la Loi constitutionnelle de 1867, de légiférer en matière criminelle.

 

[32]           La responsabilité recherchée par la demanderesse pour l’omission d’avoir légiféré sur une question quelconque est mal fondée en droit parce que, d’une part, l’intervention d’une Cour de justice constituerait un empiètement du pouvoir judiciaire sur le pouvoir législatif et d’autre part, cette intervention serait contraire à l’immunité dont bénéficie le législateur.

 

[33]           Compte tenu de la séparation des pouvoirs à l’intérieur d’une démocratie, il est de l’essence du système parlementaire canadien dont les choix politiques sont faits par les membres élus et non les juges (P. Hogg, Constitutional Law of Canada, 4e éd., Toronto, Carswell, 1997 à la p. 312).

 

 

[34]           Pour cette raison, la demande à l’effet que la défenderesse devrait être tenue responsable des dommages pour défaut d’avoir légiféré sur une question particulière qui relève de sa propre compétence constituerait un empiètement par l’appareil judiciaire sur le pouvoir législatif.

 

[35]           D'ailleurs, la Cour d’appel du Québec s’est déjà prononcée dans ce sens au sujet de l’article 207 du Code criminel lorsqu’elle écrit :

[73]      Je suis d'avis que le Parlement pouvait, comme il l'a fait par l'art. 207, soustraire une loterie mise sur pied et exploitée par le gouvernement d'une province, de l'application des autres dispositions de la Partie Vil du Code criminel.

 

[74]      En effet, le Parlement en légiférant sur le droit criminel qui est de sa compétence, peut déterminer non seulement ce qui est criminel, mais aussi ce qui ne l'est pas. C'est ce qu'il a fait en permettant au gouvernement provincial d'organiser et d'exploiter une loterie. Ce pouvoir d'organiser une loterie à l'aide d'appareils de loterie vidéo comprend le pouvoir de délivrer des licences (art. 92 de la Loi constitutionnelle de 1867), pour un objet provincial (la propriété et les droits civils, art. 92 (13)). (La Cour souligne).

 

(R. c. 3044190 Canada Inc., [1997] R.J.Q. 766, 35 W.C.B. (2d) 370).

 

[36]           Il n’est pas possible de poursuivre la Couronne pour obtenir une compensation monétaire suite au vote d’une loi – ce principe doit nécessairement s’appliquer à la décision politique du législateur de ne pas légiférer sur une question particulière.

 

[37]           La Cour suprême du Canada se prononce par ailleurs dans ce sens lorsqu’elle reprend un passage de l’ouvrage de Dussault et Borgeat et écrit :

[14]      [...]

 

Dans notre régime parlementaire, il est impensable que le Parlement puisse être déclaré responsable civilement en raison de l'exercice de son pouvoir législatif. La loi est la source des devoirs, tant des citoyens que de l'Administration, et son inobservation, si elle est fautive et préjudiciable, peut pour quiconque faire naître une responsabilité. Il est difficilement imaginable cependant que le législateur en tant que tel soit tenu responsable du préjudice causé à quelqu'un par suite de l'adoption d'une loi. [Notes infrapaginales omises.]

 

(Guimond c. Québec (Procureur général), [1996] 3 R.C.S. 347, 65 A.C.W.s. (3d) 718).

 

[38]           Pour ces raisons, l’action intentée par la demanderesse ne fait état d’aucune cause d’action valable et celle-ci doit être rejetée en ce qu’elle ne représente aucune chance de succès.

 

La déclaration de la demanderesse

 

[39]           La multiplication de procédures par la demanderesse sur la même cause d’action de même que les jugements antérieurs de la Cour suprême du Canada sur la constitutionnalité de l’article 207 du Code criminel fait en sorte que la déclaration de la demanderesse est nécessairement frivole, vexatoire au sens de l’alinéa 221(1)c) des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106 et constitue un abus de procédure au sens de l’alinéa 221(1)f) de ces règles.

 

[40]           En premier lieu, la question de l’interdiction des casinos en vertu des articles 196 à 207 du Code criminel a déjà été soulevée par la demanderesse à plus d’une reprise devant une Cour de justice.

 

[41]           Notamment, par une demande déposée devant la Cour supérieure, dans le dossier portant le numéro 550-17-0011741-055, par laquelle la demanderesse alléguait que les casinos étaient contraires aux dispositions du Code criminel et que les lois et règlements provinciaux permettant l’opération de casinos, étaient inconstitutionnels.

[42]           Dans son jugement sur l’irrecevabilité du recours de la demanderesse, la juge Johanne Trudel de la Cour supérieure écrit :

[15]      Enfin, est irrecevable la requête pour jugement déclaratoire si la question soumise a déjà fait l'objet d'un débat juridique puisqu'il n'y a plus de difficulté à trancher. Ceci revêt une importance particulière en matière de pourvoi constitutionnel puisqu'il y va de la stabilité même des lois et de la saine administration de la justice.

 

[16]      Bien que l'affaire Siemens présente une trame factuelle différente, on y retrouve les principes généraux régissant le dossier sous étude en matière de compétence constitutionnelle. Un premier principe est à l'effet que :

 

"Le caractère imparfait d'un texte législatif ne constitue pas en soi un motif d'inconstitutionnalité. Le libellé d'une loi n'est pertinent, pour les besoins de l'analyse, que dans la mesure où il permet de déterminer le caractère véritable de cette loi. Pourvu que, de par son caractère véritable, [la disposition attaquée] relève de la compétence législative de la province, il n'importe pas de savoir s'il aurait pu être rédigé plus clairement".

 

[17]      Un second principe retrouvé à l'affaire Furtney est à l'effet que :

 

"La réglementation des activités de jeu a un aspect provincial manifeste en vertu de l'article 92 de la Loi constitutionnelle de 1867, sous réserve de la compétence prépondérante du Parlement en cas de conflit entre la loi fédérale et la loi provinciale. [...] Outre les aspects des jeux susceptibles d'interdiction en matière criminelle, les loteries sont soumises au pouvoir législatif de la province en vertu de divers chefs de compétence énoncés à l'art. 92, y compris, selon moi, la propriété et les droits civils (13), la délivrance de licences (9), l'entretien des institutions de charité (7) (précisément reconnues par les dispositions du Code). La délivrance de licences et la réglementation des activités de jeu par la province ne constituent pas en soi de la législation en matière de droit criminel."

 

[18]      Notre Cour d'appel a appliqué ce principe dans l'arrêt 3044190 Canada inc. c. Procureur général du Québec. On y lit :

 

"Si une province légifère dans un domaine où elle est autorisée à le faire, elle le fait non pas à titre de délégataire, mais dans l'exercice des pouvoirs que lui confère l'article 92 de la Loi constitutionnelle de 1867.

[...]

 

[24]      S'il est vrai que les allégués de la requête introductive, lus sous l'angle de l'article 165(4) C.p.c., doivent être pris pour avérés, on ne peut tout de même ignorer l'état actuel du droit et les arrêts récents du plus haut tribunal du pays en matière de jeu.

 

[25]      À compter du moment où le juge a en main tous les éléments du dossier et une situation de droit claire permettant de conclure au bien-fondé du moyen de non recevabilité, il est dans l'intérêt des parties et d'une saine administration de la justice de mettre un terme à une procédure menant à un procès inutile.

 

[26]      La requête introductive, telle que rédigée, convainc le tribunal qu'une cour de justice n'est pas le forum approprié pour la bataille que la demanderesse veut livrer afin d'assouvir sa soif de vengeance ou de calmer son désarroi suite aux effets malheureux du jeu sur sa vie personnelle.

 

[27]      Le tribunal est convaincu que la demanderesse n'est pas de mauvaise foi, mais les conclusions qu'elle recherche ont déjà fait l'objet de décisions judiciaires, entre autres dans les affaires Siemens et Furtney, déjà citées.

 

[28]      La question des difficultés d'interprétation législative qu'elle allègue est aussi discutée dans Siemens et il a été décidé que le caractère imparfait d'un texte législatif ne constitue pas en soi un motif d'inconstitutionnalité.

 

[29]      La finalité des lois québécoises et des dispositions législatives que la demanderesse attaque est claire. Il ne fait aucun doute qu'elles entrent dans les attributs de la province qui les a édictées dans l'exercice des pouvoirs que lui confère l'article 92 de la Loi constitutionnelle de 1867.

 

(Bérubé c. Loto Québec (Société des loteries du Québec inc., [2005] J.Q. no 2879).

 

 

[43]           Ce jugement a par ailleurs été confirmé jusque devant la Cour suprême du Canada (sur demande d’autorisation d’appel) (Bérubé c. Loto Québec (Société des loteries du Québec inc.), [2005] C.S.C.R. no 442).

 

[44]           Cette même question de violation des dispositions du Code criminel a également déjà été soulevée par la demanderesse devant la Cour du Québec en vertu d’une demande sous l’article 507.1 du Code criminel (Madame C.B. c. K.T., 2006 QCCQ 1985).

 

[45]           Le juge Pierre Chevalier de la Cour du Québec a rejeté la demande notamment au motif que, selon lui, l’opération de casino par l’État n’était pas contraire aux dispositions de l’article 201(1) et/ou 201(2)b) du Code criminel, puisque visé par l’exclusion de l’article 207 du Code criminel.

 

[46]           Dans le cadre d’une autre instance, la demanderesse s’est également adressée à la Cour supérieure du Québec, dans le dossier portant le numéro 500-17-035480-071, dans le but d’obtenir une injonction permanente et une injonction interlocutoire à l’encontre du Procureur général du Québec, du Groupe Attractions Hippiques et du sénateur Paul J. Massicotte, de l’honorable Jean Charest et de l’honorable Lise Thibeault.

 

[47]           Ce recours a également été rejeté sur la base de requêtes en irrecevabilités présentées par le Procureur général du Québec et le sénateur Paul J. Massicotte (Bérubé c. Québec (Procureur général), 2007 QCCS 3748, [2007] J.Q. 8140 (QL)). Le jugement du juge Louise Lemelin a par ailleurs été confirmé par la Cour d’appel du Québec (dossier no 500-09-018013-078 (500-17-035480-071) du 3 décembre 2007) et la Cour suprême du Canada (sur demande d’autorisation d’appel dans le dossier no 32475 du 10 avril 2008).

 

[48]           De surcroît, une autre demande en justice a été intentée par la demanderesse devant la Cour supérieure où celle-ci réclame des dommages au montant de 10 000 000,00$ à titre de dédommagement à l’encontre de Loto-Québec, du Procureur général du Québec et de M. Alain Cousineau (Affidavit de Me Benoît de Champlain au par. 10 et Pièce 7 au soutien de cet affidavit).

 

[49]           Dans le cadre de cette poursuite en dommage, la demanderesse allègue à la fois l’incompétence de l’autorité provinciale pour règlementer les casinos et les machines à sous et le caractère fautif de l’implantation et l’opération des casinos.

 

[50]           Les dommages réclamés à cette action sont similaires en de nombreux points aux dommages réclamés à la défenderesse devant cette Cour, notamment :

  • deux millions de dollars (2 000 000,00$) représentant les sommes perdues dans les casinos du Québec, sommes provenant pour l’essentiel de la vente d’immeubles à revenus;
  • deux millions de dollars (2 000 000,00$) représentant la plus-value ou la valeur marchande des propriétés si elles étaient aliénées en date d’aujourd’hui;
  • le montant représentant les revenus à long terme des dits immeubles ou une rente viagère provenant de l’investissement du produit de la vente des dits immeubles de deux millions de dollars (2 000 000,00$);
  • des dommages-intérêts moraux de deux millions de dollars (2 000 000,00$);
  • des dommages-intérêts exemplaires, punitifs et aggravants d’un million de dollars (1 000 000,00$)

(Affidavit de Me Benoît de Champlain, Pièce 7, Requête introductive d’instance au par. 1).

[51]           Le dossier est présentement toujours actif devant la Cour supérieure, les requêtes en rejet des défenderesses étant fixées pour être entendues le 28 avril 2009 (Affidavit de Me Benoît de Champlain au par. 12 et Pièce 8 au soutien de cet affidavit).

 

[52]           Il est apparent, à la lecture de ces procédures et jugements nombreux y associer, que la demanderesse tente, en poursuivant Sa Majesté, de remettre en cause des questions faisant déjà l’objet de jugements défavorables à la demanderesse et/ou des instances déjà pendantes devant les tribunaux provinciaux qui mettent en cause les véritables défenderesses.

 

[53]           Or, les tentatives répétées par la demanderesse de soulever les mêmes questions en désignant de nouvelles défenderesses constituent une procédure abusive (Black c. NsC Diesel Power Inc. (syndic) 2000, 183 F.T.R. 301, 97 A.C.W.S. (3d) 859).

 

[54]           Par ailleurs, tel qu’il appert du jugement du juge Trudel, la question de la constitutionnalité de l’article 207 du Code criminel a déjà fait l’objet d’un arrêt de la Cour suprême dans l’affaire R. c. Furtney, [1991] 3 R.C.S. 89, 129 N.R. 241, les questions soulevés par la demanderesse quant à cet article ont déjà été examinées.

 

IV.  Conclusion

[55]           Pour ces raisons, les allégations formulées par la demanderesse ne font pas état d’une cause d’action valable et l’action est rejetée, mais sans dépens due à l’état fragile de la demanderesse.


 

ORDONNANCE

 

LA COUR ORDONNE que l’action de la demanderesse soit rejetée sans dépens.

 

 

Obiter

Comme démontré par la demanderesse en dernier lieu avant de quitter la salle de Cour, elle a exprimé son désir de reprendre sa vie. Ceci nécessite une compréhension d’un appui approprié par l’entremise de la propre volonté de la demanderesse, elle-même, et le désir aigu de se réintégrer à la vie avec un projet personnel qui l’anime.

 

« Michel M.J. Shore »

Juge


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        T-1780-08

 

INTITULÉ :                                       CLOTILDE BÉRUBÉ c.

                                                            SA MAJESTÉ LA REINE et

                                                            LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU QUÉBEC

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Ottawa, Ontario

 

DATE DE L’AUDIENCE :               le 13 janvier 2009

 

MOTIFS DE L’ORODONANNCE

ET ORDONNANCE :                       LE JUGE SHORE

 

DATE DES MOTIFS :                      le 20 janvier 2009

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Madame Clotilde Bérubé

 

POUR LA DEMANDERESSE

Me Stéphanie Dion

Me Vincent Veilleux

 

Me Lucie Jobin

POUR LA DÉFENDEERESSE

 

 

MIS-EN-CAUSE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

MADAME CLOTILDE BÉRUBÉ

 

POUR LA DEMANDERESSE

JOHN H. SIMS, c.r.

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LA DÉFENDEERESSE

 

 

 

 

 

 

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