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Date :  20090123

Dossier :  IMM-2229-08

Référence :  2009 CF 67

OTTAWA (Ontario), le 23 janvier 2009

En présence de L'honorable Louis S. Tannenbaum 

 

ENTRE :

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

demandeur

et

 

KHALID HAIDAR

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Je suis saisi d’une demande de contrôle judiciaire de la décision de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (Tribunal), en date du 3 avril 2008, par laquelle le Tribunal a conclu que le défendeur avait qualité de « réfugié » au sens de l’article 96 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C., 2001, c. 27 (Loi), et celle de « personne à protéger » au sens de l’article 97 de la Loi, acceptant par conséquent la demande d’asile déposée par celui-ci.

 

[2]               La section 1(F)(a) de la Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés, 28 juillet 1951, 189 R.T.N.U. 137 (Convention) est particulièrement en cause dans cette révision judiciaire. Le Ministre conteste la décision du Tribunal qui aurait conclut que le Ministre n’a pas satisfait au fardeau de démontrer que le demandeur s’est rendu coupable de violation à l’encontre de l’article 1(F)(a) de la Convention et allègue que ce dernier aurait erré en droit en imposant le mauvais fardeau.

 

[3]               L’article 1(F)(a) de la Convention se lit comme suit :

 

F. Les dispositions de cette Convention ne seront pas applicables aux personnes dont on aura des raisons sérieuses de penser :

 a) Qu’elles ont commis un crime contre la paix, un crime de guerre ou un crime contre l’humanité, au sens des instruments internationaux élaborés pour prévoir des dispositions relatives à ces crimes;

 b) Qu’elles ont commis un crime grave de droit commun en dehors du pays d’accueil avant d’y être admises comme réfugiés;

 c) Qu’elles se sont rendues coupables d’agissements contraires aux buts et aux principes des Nations Unies.

F. The provisions of this Convention shall not apply to any person with respect to whom there are serious reasons for considering that :

 (a) he has committed a crime against peace, a war crime, or a crime against humanity, as defined in the international instruments drawn up to make provision in respect of such crimes;

 

 (b) he has committed a serious non-political crime outside the country of refuge prior to his admission to that country as a refugee;

 (c) he has been guilty of acts contrary to the purposes and principles of the United Nations.

 

 

[4]               Le défendeur, Kalid Haidar, est né à Meknes au Maroc le 21 août 1967. Il est arrivé au Canada par l’intermédiaire des États-Unis, à Windsor le 24 août 2004 et a réclamé le statut de réfugié.

 

[5]               Le défendeur allègue qu’en 1978, Mahfoud, son frère ainé, qui était militaire dans l’armée marocaine décida de se joindre au Front Polisario du Sahara occidental, après avoir été témoins des horreurs commises par l’armée et les autorités marocaines contre le peuple saharouis, dont la majorité a fini par s’installer dans les camps de réfugiés à Tindouf en Algérie.

 

[6]               En 1991, une résolution des Nations Unis sur le plan de règlement de conflit du Sahara occidental accordait aux Saharouis, par l’intermédiaire d’un référendum, l’occasion de voter librement pour l’autodétermination de cette région. Toutefois, les autorités marocaines n’ont pas ajoutée le nom du défendeur sur la liste pour le référendum qui allait être géré par la Mission des Nations Unies Pour l’Organisation d’un Référendum au Sahara Occidental. Le défendeur estime que le gouvernement l’aurait omis de cette liste car il ne voulait pas accorder le droit de vote à ceux qui appuient l’autodétermination du Sahara occidental.

 

[7]               En 1998, le défendeur est devenu messager pour la Mauritanie à sa mission des Nations Unis à New York. Il occupa ce poste jusqu’à mai 2004, la fin de son contrat.

 

[8]               Le demandeur est retourné au Maroc pour une quarantaine de jours alors que sa mère était gravement malade en 2004. Dans les cafés, avec des amis, il en a profité pour exprimer son opinion favorable au référendum et à un résultat positif ainsi que son appui pour le plan Baker, qui reconnaît l’indépendance du Sahara occidental.

 

[9]               Le frère aîné du défendeur, Mahfoud, est un des chefs du Front Polisario. Le défendeur et Mahfoud ont conversé au téléphone mais, selon le défendeur, ils ne discutent pas de choses militaires ou politiques.

 

[10]           En raison de son opinion politique, le défendeur croit que s’il retourne au Maroc, il serait détenu et torturé.

 

[11]           Je crois opportun de citer ici les extraits suivants de la décision du Tribunal :

 

« Dans la comparaison entre les méfaits du Maroc et ceux du Front Polisario, le demandeur affirme que le Maroc est largement le plus transgresseur des droits humains. Le demandeur dit n’avoir jamais participé aux activités du Polisario, même si dans sa déclaration, la question 15 des notes de l’agent d’immigration se lit comme suit :

 

« Association à des groupes, sociétés ou organisations? […] La réponse notée est la suivante : « le front du Polisario – membre seulement parce que c’est parti de l’indépendance du Sahara ».

 

Dans son avis d’intervention, le Ministre de la sécurité publique et de la protection civile affirme que :

 

1.      Le Demandeur a indiqué qu’il a appuyé le Front Polisario;

2.      La preuve documentaire existante démontre que le Front Polisario aurait commis des violations aux droits humains ou internationaux;

3.      Dans ce contexte, le Demandeur pourrait avoir participé ou s’être rendu complice, à la perpétration de crimes contre l’humanité ou à des agissements contraires aux buts et principes des Nations Unies.

 

DÉCISION

 

Je conclus que le demandeur s’est déchargé de son fardeau de preuve d’établir qu’il existe une possibilité sérieuse qu’advenant son retour au Maroc, il soit torturé.

 

Quant à la demande d’exclusion, je ne crois pas que le Ministre se soit acquitté de son fardeau de démontrer selon la prépondérance des probabilités que le demandeur était responsable de violations aux droits humains ou internationaux ou que le demandeur pourrait avoir participé ou s’être rendu complice, à la perpétration de crimes contre l’humanité ou à des agissements contraires aux buts et principes des Nations Unies.

L’exclusion

 

La section F de la Convention est en cause, étant donné l’intervention du Ministre. Je commence par dire que le Ministre n’a pas fait la démonstration, par prépondérance de probabilité, que le Front Polisario est une organisation qui vise principalement des fins limitées et brutales, ce qui entraînerait la présomption que tout membre de cette organisation connaissent les activités illicites de l’organisation et est présumé les appuyer. »

 

 

[12]           Le demandeur affirme que le Tribunal a commis une erreur de droit en lui imposant un fardeau trop lourd, à savoir celui d'établir que selon la prépondérance des probabilités que M. Haidar s’est rendu complice à des crimes contre l’humanité de par son association avec le Front Polisario. Il est bien établi que le fardeau de preuve applicable est celui d’établir qu’il y a des « raisons sérieuses de penser » que le demandeur a commis des actes énoncés à l’article 1(F) de la Convention.

 

[13]           Le défendeur aurait indiqué sur un formulaire, lors de son arrivée au Canada, qu’il était associé avec « le parti qui represente (sic) le peuple du Sahara pour l’indépendance » ayant apporté son soutien au Front du Polisario. Il aurait également expliqué lors d’un entrevue avec un agent d’immigration qu’il était « membre seulement parce que c’est parti de l’indépendance du Sahara ».

 

[14]           Le défendeur prétend que la décision aurait été la même si le Tribunal avait imposé au Ministre le fardeau de preuve moins lourd. Je ne suis pas d’accord. Le Ministre comme toute autre partie a le droit d’être jugé selon les principes et les fardeaux établis par la loi et la jurisprudence. Dans le cas qui nous occupe, le Tribunal n’a pas suivi la loi en imposant le fardeau qu’il a imposé. Pour ce motif, il y a lieu ici de casser la décision.

 

[15]           Aucune question d’importance générale n’a été soumise pour certification.


 

JUGEMENT

 

Pour les motifs précités, la décision rendue le 3 avril 2008 est annulée à toutes fins de droit et j’ordonne le renvoi du dossier pour être jugé par un Tribunal nouvellement constitué.

 

 

 

 

 

« Louis S. Tannenbaum »

Juge suppléant


AUTORITÉS CONSIDÉRÉES PAR LA COUR

 

1.                  Bains v. Minister of Employment and Immigration (1990), 109 N.R. 239 (F.C.A.)

2.                  Dunsmuir v. New Brunswick, 2008 SCC 9

3.                  Harb v. Minister of Citizenship and Immigration, 2003 FCA 39

4.                  Moreno v. Canada (Minister of Employment and Immigration), [1994] 1 F.C. 298 (C.A.)

5.                  Petrov v. Canada (Citizenship and Immigration), 207 FC 465

6.                  Ramirez v. Canada (Minister of Employment and Immigration) [1992] 2 F.C. 306 (C.A.)

7.                  Sivakumar v. Canada (Minister of Employment and Immigration), [1994] 1 F.C. 433 (C.A.)

8.                  Torres Rubianes v. Canada (Minister of Citizenship and Immigration), 2006 FC 1140

9.                  Valère v. Minister of Citizenship and Immigration, 2005 FC 524

10.              Cardenas v. Canada (Minister of Employment and Immigration), [1994] F.C.J. No. 139 (QL)

11.              Ruiz v. Canada (Minister of Citizenship and Immigration), 2003 FC 1177

12.              Balta v. Canada (Minister of Citizenship and Immigration, [1995] F.C.J. No. 146 (QL)

13.              Murugamoorthy v. Canada (Minister of Citizenship and Immigration), 2008 FC 985

14.              Saftarov v. Canada (Minister of Citizenship and Immigration), 2004 FC 1009

15.              Thomas v. Canada (Minister of Citizenship and Immigration), 2007 FC 1114

16.              Bedoya v. Canada (Minister of Citizenship and Immigration), 2005 FC 1092


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-2229-08

 

INTITULÉ :                                       Le Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration c. Khalid Haidar

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Ottawa, Ontario

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 11 décembre 2009

 

MOTIFS DU JUGEMENT :            TANNENBAUM J.S.

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 23 janvier 2009

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Talitha A. Nabbali

 

POUR LE DEMANDEUR

Michael Bossin

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LE DEMANDEUR

Michael Bossin

Clinique juridique communautaire

Ottawa, Ontario

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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