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Date : 20090106

Dossier : T‑1649‑07

Référence : 2009 CF 9

Ottawa (Ontario), le 6 janvier 2009

En présence de monsieur le juge suppléant Max M. Teitelbaum

 

 

ENTRE :

JOCELYN GREAVES

demanderesse

et

 

AIR TRANSAT INC.

défenderesse

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire visant la décision du 10 août 2007 par laquelle la Commission canadienne des droits de la personne (la Commission) a rejeté la plainte présentée par la demanderesse.

 

[2]               La demanderesse demande que sa plainte soit renvoyée au Tribunal canadien des droits de la personne pour que soit tenue une enquête approfondie. Elle demande subsidiairement que la décision du 10 août 2007 de la Commission soit déclarée invalide et annulée et que l’affaire soit renvoyée à la Commission pour nouvel examen.

 

[3]               La demanderesse soutient que le personnel d’Air Transat n’a pas su répondre à son besoin, en tant que femme âgée handicapée, d’avoir accès à des toilettes.

 

[4]               La demanderesse est une Noire de 62 ans qui se déplace à l’aide d’une cane. Elle est également atteinte d’une tumeur médullaire qui a entraîné une perte du contrôle normal de ses fonctions urinaire et intestinale. Le 11 octobre 2005, la demanderesse était passagère d’un vol d’Air Transat au départ de Toronto (Canada) et à destination de Londres (Angleterre). On lui avait assigné le siège D, rangée 5, une place côté allée dans la cabine de classe économique.

 

[5]               La demanderesse déclare que pendant le vol elle n’a pu, en raison de sa déficience, accéder aux toilettes se trouvant dans sa zone de l’avion, et qu’un agent de bord lui a demandé d’utiliser les toilettes de la cabine de première classe. La demanderesse affirme que le personnel de bord lui a ensuite refusé l’accès à ces dernières toilettes, qu’on s’est adressé à elle d’une manière impolie et discriminatoire qui lui a fait perdre le contrôle des fonctions urinaire et intestinale et qu’on ne lui a fourni aucune aide, malgré sa demande, après l’incident, le tout en raison de son âge, de la couleur de sa peau, de son sexe et de sa déficience. La demanderesse soutient ainsi que le personnel d’Air Transat n’a pas répondu à son besoin, en tant que femme âgée handicapée, d’avoir accès à des toilettes.

 

[6]               Le 13 janvier 2006, la demanderesse a écrit à Air Transat pour lui faire part de l’incident. Air Transat lui a envoyé une lettre d’excuses ainsi qu’un bon‑cadeau à être utilisé pour l’un de ses vols, une réponse qui n’a pas satisfait la demanderesse. La demanderesse a envoyé une autre lettre à Air Transat, demandant à celle‑ci de lui verser 25 000 $, de procéder à une enquête, d’élaborer, dans un délai de trois mois, une politique relative aux passagers handicapés et d’acquitter ses honoraires d’avocat. Air Transat a refusé d’accéder à ces demandes.

 

[7]               La demanderesse a déposé une plainte devant la Commission le 11 septembre 2006. Mme B. Rittersporn a étudié l’affaire au nom de la Commission et elle a rédigé un rapport d’enquête, qu’il a été loisible à toutes les parties de consulter. Chaque partie a transmis à la Commission pour examen une réponse en bonne et due forme. Dans sa réponse, la demanderesse a fourni d’autres éléments de preuve relativement à sa déficience, y compris une lettre de son médecin, le Dr Tucker.

 

[8]               La Commission a par la suite rejeté la plainte portée contre Air Transat pour les motifs suivants :

 

·        la preuve n’étayait pas l’allégation de la demanderesse selon laquelle on l’avait traitée de manière défavorable et différente quant à une prestation de services, ou que le traitement ainsi reçu se fondait, totalement ou partiellement, sur un ou plusieurs motifs de distinction illicite;

 

·        aucune preuve ne démontrait qu’on n’avait pas tenu compte, totalement ou partiellement, des besoins de la plaignante en raison d’une déficience ou d’un autre motif quelconque de distinction illicite.

 

[9]               Dans ses motifs, la Commission a assuré avoir pris en considération tant le rapport d’enquête que les observations en réponse de chacune des parties avant de rendre sa décision.

 

[10]           Au cours de son enquête, Mme Rittersporn a étudié un plan à l’échelle de la disposition des sièges dans l’Airbus 310, le type d’avion en cause, ainsi que les déclarations écrites de deux agents de bord, et elle en a interrogé un autre, de même que trois passagers, deux ayant voyagé en première classe, là où on se serait montré impoli à l’endroit de la demanderesse, et une autre assise dans la même rangée que cette dernière. Mme Rittersporn a également interrogé la demanderesse, accompagnée de son avocate.

 

[11]           L’enquêteure a déclaré que, comme la version de la demanderesse et de la défenderesse n’était pas la même, elle avait interrogé les passagers en tant que témoins indépendants. Elle a ensuite conclu que la preuve n’étayait pas les prétentions de la demanderesse.

 

[12]           Il y a plusieurs points de discorde entre la version de la demanderesse, la version de la défenderesse et les conclusions de l’enquêteure.

 

·        L’emplacement du bloc toilettes le plus près – Recourant au modèle à l’échelle de l’avion, l’enquêteure a établi que le bloc toilettes dans la cabine de première classe se trouvait en fait plus loin de la demanderesse que celui dans sa propre cabine, auquel elle pouvait avoir accès malgré sa déficience. Or la demanderesse soutient qu’elle ne pouvait se rendre au bloc toilettes de sa cabine du fait qu’elle ne pouvait se déplacer latéralement.

 

·        Les actions de la demanderesse – La demanderesse déclare ne s’être levée de son siège que pour se rendre à la toilette. Or, selon les dépositions des passagers et des membres du personnel, la demanderesse était allée dans la cabine de première classe pour s’étirer, se lever et demander notamment aux membres du personnel de bord de lui servir des verres.

 

·        L’impolitesse et le manque de respect du personnel de bord – L’enquêteure a conclu que, malgré les dires de la demanderesse, le personnel n’avait pas haussé le ton d’une manière ayant pu perturber cette dernière. Bien au contraire, selon les passagers, le personnel se serait montré courtois à l’endroit de la demanderesse.

 

·        Le fait que la demanderesse se serait « échappée » pendant l’incident – La demanderesse soutient avoir perdu le contrôle de sa vessie pendant l’altercation avec le personnel de bord au sujet de l’utilisation de la toilette dans la cabine de première classe. Elle aurait dû ensuite demeurer dans des vêtements souillés pendant toute la durée du vol puisque personne n’aurait accepté de l’aider à se changer. La demanderesse déclare avoir alors utilisé une couverture pour tenter de masquer l’odeur gênante. La passagère assise dans la même rangée que la demanderesse a toutefois déclaré n’avoir remarqué aucune odeur particulière ni quoi que ce soit d’autre d’exceptionnel.

 

[13]           La norme de contrôle judiciaire applicable aux questions d’équité procédurale est la décision correcte (Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, [2008] A.C.S. n° 9, au paragraphe 151; Sketchley c. Canada (Procureur général), [2005] A.C.F. n° 2056, au paragraphe 53 (C.A.)).

 

[14]           Pour ce qui est de la portée plus précisément requise de l’obligation d’équité procédurale pour une enquête donnée, la Cour fédérale a confirmé qu’il fallait faire montre d’une grande retenue à l’égard de la décision de la Commission de poursuivre ou non une enquête (Slattery c. Canada (Commission des droits de la personne), [1994] A.C.F. n° 181, au paragraphe 56, conf. par [1996] A.C.F. n° 385 (C.A.)). Dans la décision Slattery c. Canada, le juge Nadon a également déclaré qu’il fallait donner à la Commission et à ses enquêteurs une latitude considérable quant au choix d’une procédure et à l’égard de leurs enquêtes de manière générale (au paragraphe 69).

 

[15]           Comme la Cour suprême l’a déclaré dans l’arrêt Komo Construction Inc. c. Québec (Commission des Relations de Travail), [1968] R.C.S. 172 (tel qu’on l’a cité dans la décision Miller c. Canada (Commission canadienne des droits de la personne), [1996] A.C.F. n° 735, au paragraphe 12 (1re inst.)), le gouverneur en conseil n’a pas fourni à la commission un règlement pouvant l’orienter non plus qu’une procédure standard pour ses enquêtes, et la Cour doit donc se garder d’imposer un code de procédure à un organisme que la loi a voulu rendre maître de sa procédure.

 

[16]           Les cours doivent établir un équilibre entre les intérêts en jeu, concernant d’un côté l’équité procédurale et, de l’autre, la préservation d’un système qui fonctionne sur le plan administratif (Slattery c. Canada, précitée).

 

[17]           L’obligation d’équité procédurale rend nécessaire pour la Commission de donner au plaignant le rapport de l’enquêteur, de lui fournir l’occasion de répondre et d’examiner cette réponse avant de prendre une décision; Murray c. Canada (Commission canadienne des droits de la personne), [2002] A.C.F. n° 1002, au paragraphe 24 :

 

24     Les principes de justice naturelle et l’obligation d’équité procédurale, en ce qui a trait à une enquête et à une décision subséquente de la Commission, consistant à donner au plaignant le rapport de l’enquêteur, à lui fournir pleinement l’occasion de répondre et à examiner cette réponse avant que la Commission ne prenne une décision. L’enquêteur n’a pas l’obligation d’interroger tous et chacun des témoins, comme l’aurait souhaité le demandeur, ni l’obligation d’aborder tous et chacun des prétendus incidents de discrimination, comme l’aurait souhaité le demandeur. En l’espèce, la demanderesse a eu l’occasion de répondre au rapport de l’enquêteur et d’aborder toute lacune laissée par l’enquêteur ou de porter à l’attention de l’enquêteur tout témoin important manquant. Cependant, l’enquêteur et la Commission doivent contrôler l’enquête et notre Cour n’annulera, suite à une demande de contrôle judiciaire, une enquête et une décision que lorsque l’enquête et la décision sont manifestement déficients. Voir la décision du juge Nadon (tel était alors son titre) dans Slattery, précitée, et celle du juge Hugessen (tel était alors son titre) au nom de la Cour d’appel.

 

 

[18]           En l’espèce, la Commission a donné copie du rapport de l’enquêteure à la demanderesse, et celle‑ci a présenté une réponse exhaustive, comportant notamment des renseignements supplémentaires qu’elle jugeait pertinents. La Commission a déclaré dans ses motifs avoir examiné la réponse de la demanderesse.

 

[19]           Pour satisfaire à l’obligation d’équité procédurale, l’enquête de la Commission doit être neutre et rigoureuse, et lui permettre de disposer d’un fondement adéquat et juste pour rendre une décision (Slattery c. Canada, précitée). Le degré requis quant à la rigueur est élevé et, dans la décision Slattery, précitée, on a statué que le contrôle judiciaire d’une enquête prétendument déficiente ne devrait être justifié que lorsque l’enquête est manifestement déficiente (Slattery c. Canada, précitée, au paragraphe 69; Aziz c. Télésat Canada, [1995] A.C.F. n° 1475, au paragraphe 60 (1re inst.)).

 

[20]           Dans l’arrêt Skechley, précité, au paragraphe 120, le juge Linden a fait état de deux situations où les observations supplémentaires du plaignant ne sauraient compenser les omissions de l’enquêteur, soit (1) le cas où l’omission est de nature si fondamentale que le seul fait d’attirer l’attention du décideur sur l’omission ne suffit pas à y remédier, ou (2) le cas où le décideur n’a pas accès à la preuve de fond en raison de la nature protégée de l’information ou encore du rejet explicite qu’il en fait.

 

[21]           Je suis convaincu qu’en l’espèce l’enquête a été rigoureuse et exhaustive. L’enquêteure s’est donnée beaucoup de mal et elle a contacté et interrogé trois témoins indépendants, dont deux se trouvaient dans la zone où serait survenu l’incident, et un était assis tout juste de l’autre côté de l’allée dans la même rangée que la demanderesse. L’enquêteure a également interrogé la demanderesse en présence de son avocate ainsi qu’un agent de bord, elle a obtenu les déclarations de deux autres agents de bord et elle a étudié un plan à l’échelle de la cabine d’avion.

 

[22]           La demanderesse conteste le rapport d’enquête pour deux motifs particuliers, soit le fait que l’enquêteure se soit appuyée sur les déclarations écrites de deux agents de bord, et la nature de l’enquête menée relativement à sa déficience.

 

[23]           L’enquêteure a interrogé un agent de bord et a accepté des déclarations écrites de deux autres, les agents Richard et DeSousa. Ce sont ces deux derniers membres du personnel de bord, selon la demanderesse, qui auraient principalement pris part aux actes discriminatoires.

 

[24]           La demanderesse invoque la décision Grover c. Canada (Conseil national de recherches), 2001 CFPI 687, pour faire valoir que l’enquêteure aurait dû rencontrer personnellement les agents Richard et DeSousa. Dans la décision Grover, on avait déduit de l’omission de l’enquêteur d’interroger un témoin clé, M. Vanier, patron de M. Grover, qu’il avait préjugé du résultat, et on avait conclu que cela constituait un manquement à l’équité procédurale.

 

[25]           Comme l’a toutefois fait remarquer la défenderesse, les faits en cause dans l’affaire Grover diffèrent des faits de l’espèce.

 

·        Le contexte dans l’affaire Grover était un contexte d’emploi et concernait des actes discriminatoires commis sur une période de plusieurs années.

·        Le principal auteur de tels actes, M. Vanier, n’avait pas été interrogé, alors qu’en l’espèce, les agents Richard et DeSousa ont présenté des déclarations écrites.

·        En tant qu’employeur et décideur, M. Vanier se trouvait dans une situation unique sur le plan de la preuve. Dans la présente affaire, toutefois, l’incident est survenu devant plusieurs éventuels témoins indépendants, dont trois ont été interrogés.

 

[26]           La défenderesse soutient que les faits d’espèce correspondent davantage aux faits en cause dans les affaires Lindo c. Banque royale du Canada, [2000] A.C.F. n° 1101 (1re inst.), et Coward c. Canada (Procureur général), [1997] A.C.F. n° 1101 (1re inst.), où la Cour a confirmé des décisions par laquelle la Commission avait rejeté des plaintes malgré le fait que l’enquêteur n’avait pas interrogé des témoins considérés être de « première importance » par les plaignants. Dans ces deux affaires, la Cour fédérale a déclaré que la Commission avait bien été saisie des griefs des demandeurs par le biais de leurs réponses fournies lors des enquêtes, et qu’elle les avait donc pris en considération.

 

[27]           Le juge Gibson a déclaré ce qui suit dans la décision Lindo, précitée, au paragraphe 17 :

 

17     Il ressort des faits de la cause, tels qu’ils se dégagent du dossier de la Commission qui consiste principalement en le rapport d’enquête, et des conclusions écrites soumises par la suite par la demanderesse et la défenderesse, que la Commission a rempli son obligation d’équité. La demanderesse se plaint que l’enquête en question n’ait pas compris l’audition d’un témoin de première importance à son avis, mais la Commission a tenu compte de ce grief lors de l’examen du rapport d’enquête, et je dois conclure qu’elle l’a pris en considération et l’a rejeté. Il lui était raisonnablement loisible de le faire, étant donné le large pouvoir discrétionnaire dont elle est investie pour parvenir à la décision entreprise.

 

 

[28]           Dans la décision Coward, le juge MacKay a écrit ce qui suit aux paragraphes 45 et 46 :

 

45     À mon avis, compte tenu de la jurisprudence, il n’y a eu aucun manquement à l’équité procédurale dans les présentes circonstances. Le requérant était au courant de la teneur du dossier compte tenu de la preuve fournie par les deux parties à la Commission. Il a reçu un résumé de l’enquête interne des FAC, ainsi qu’une copie du rapport d’enquête de la CCDP contenant les conclusions de l’enquêteur, de sorte qu’il était parfaitement informé de la substance de la preuve qui était devant la CCDP. Il a eu la possibilité de répondre à ces deux documents et il l’a fait au moyen d’observations écrites détaillées, lesquelles font partie des documents dont la Commission disposait au moment de rendre sa décision.

 

46     Je ne peux retenir les arguments présentés par le requérant selon lesquels la CCDP a manqué à son devoir d’équité procédurale (i) en ne lui fournissant pas un résumé complet de la preuve dont elle disposait, (ii) en ne portant pas toute son attention sur l’incidence qu’ont eu sa race, sa couleur et son incapacité sur les incidents en cause, et (iii) en ne se fondant que sur la preuve qui avait été produite par les FAC. Bien que certains motifs d’insatisfaction du requérant se soient produits au cours de l’enquête menée par le personnel de la Commission, en fin de compte, dans son enquête, Mme Choquette a passé en revue la totalité de la preuve produite par les deux parties. À mon avis, il n’y a aucune preuve qui donne à entendre que l’enquête menée par le personnel de la Commission sur la plainte du requérant n’a pas été faite de façon équitable et avec rigueur.

 

 

[29]           Dans la décision Slattery, précitée, le juge Nadon s’est exprimé comme suit au paragraphe 69 :

 

69     Le fait que l’enquêteuse n’ait pas interrogé chacun des témoins recommandés par la requérante et le fait que la conclusion tirée par l’enquêteuse ne mentionne pas chacun des prétendus incidents de discrimination n’ont pas non plus de conséquence absolue. Cela est encore plus vrai lorsque la requérante a l’occasion de combler les lacunes laissées par l’enquêteuse en présentant subséquemment ses propres observations.

 

 

[30]           La demanderesse soutient qu’en prêtant foi aux dépositions des agents de bord, l’enquêteure a tiré des conclusions quant à la crédibilité. L’enquêteure a ainsi déclaré dans son rapport que, la déposition de la demanderesse et celles des agents de bord étant contradictoires, elle s’était fondée sur la preuve émanant de témoins indépendants.

 

[31]           Les déclarations écrites des agents Richard et DeSousa suffisaient à mon avis et il n’en est pas résulté que le rapport ait été manifestement déficient. Les témoins clés, selon l’estimation de l’enquêteure, étaient les passagers indépendants.

 

[32]           La demanderesse soutient que l’enquêteure a procédé à une évaluation de « non‑handicapée » de sa capacité d’accès à une autre toilette, et déclare avoir tenté de lui expliquer pendant l’entretien qu’elle ne pouvait se déplacer latéralement. La demanderesse estime, sur le fondement de l’arrêt Sketchley, précité, que l’omission de l’enquêteure de se pencher de manière approfondie sur sa déficience dans son enquête a constitué une lacune patente, et qu’il en est résulté un manquement aux principes d’équité procédurale, la preuve en cause étant si décisive que ses observations en réponse n’auraient pu compenser son absence. La demanderesse soutient également que l’enquête n’a pas été rigoureuse, l’enquêteure n’ayant pas examiné l’ampleur de sa déficience physique.

 

[33]           La défenderesse soutient pour sa part qu’on a donné l’occasion à la demanderesse de fournir toute l’information pertinente dans sa plainte initiale ou pendant son entretien – en présence de son avocate – avec l’enquêteure. Si donc on a manqué de renseignements sur la déficience de la demanderesse, ce que réfute toutefois la défenderesse, ce fait lui serait entièrement imputable. La Commission était en outre saisie du rapport du Dr Tucker décrivant la déficience de la demanderesse, ce qui suffisait pour combler toute lacune éventuelle du rapport d’enquête.

 

[34]           J’estime à ce sujet que s’il y a eu la moindre omission de la part de l’enquêteure, ce dont je doute, quant à la déficience de la demanderesse, le fait que la Commission ait été saisie de la lettre de son médecin donnant des précisions sur cette déficience y obvie.

 

[35]           Lorsque la Commission ne donne pas de motifs écrits détaillés, on doit considérer les rapports d’enquête comme constituant les motifs de la Commission. Pour que la Commission dispose d’un fondement juste pour évaluer s’il y a lieu de constituer un tribunal, l’enquête menée au préalable doit satisfaire aux conditions de la neutralité et de la rigueur (Sketchley, précité, 12).

 

[36]           La demanderesse soutient que l’adoption par la Commission du rapport lacunaire de l’enquêteure a constitué une erreur susceptible de contrôle et un manquement aux principes d’équité procédurale.

 

[37]           La Cour d’appel fédérale a établi le critère de « l’esprit fermé » en vue de discerner le parti pris d’un enquêteur, de la Commission, ou des deux à la fois, dans l’arrêt Territoires du Nord‑Ouest c. Alliance de la Fonction publique du Canada, [1997] A.C.F. n° 143 (C.A.F.). Ce critère a été énoncé comme suit dans la décision Société Radio‑Canada c. Canada (Commission canadienne des droits de la personne), [1993] A.C.F. n° 1334, au paragraphe 47 (1re inst.) :

 

Le critère ne repose donc pas sur le point de savoir si l’on peut raisonnablement discerner un parti pris, mais plutôt si l’on s’est tellement écarté de la norme de l’ouverture d’esprit qu’on pourrait avec raison affirmer qu’il y a eu préjugement de la question portée devant l’organisme d’enquête.

 

 

[38]           Le respect du critère doit être démontré de manière objective, raisonnable et sensée. Un simple soupçon de parti pris ne suffit pas; un fondement factuel doit étayer l’allégation (Territoires du Nord‑Ouest c. Alliance de la Fonction publique du Canada, précité).

 

[39]           Je suis convaincu que l’ampleur de l’enquête menée démontre l’absence de parti pris de la part de l’enquêteure. Celle‑ci s’est donnée bien du mal pour interroger des témoins indépendants, en raison des contradictions existant entre les dépositions de la demanderesse et des agents de bord. Pour ce qui est de la preuve relative à la déficience de la demanderesse, la Commission en a été saisie, et il était loisible à la demanderesse de la soumettre lors de son entretien avec l’enquêteure. Si cette dernière n’en a pas fait état dans son rapport cela ne dénote donc pas un « esprit fermé » de sa part et, quoi qu’il en soit, le fait que la Commission ait été saisie de cette preuve a remédié à toute lacune éventuelle.

 

[40]           Comme je l’ai déclaré, l’enquête était objective à tous égards. L’enquêteure a interrogé toute personne susceptible de communiquer des renseignements pertinents ou elle en a obtenu des déclarations écrites.

 


JUGEMENT

 

LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit rejetée avec dépens.

 

 

 

« Max M. Teitelbaum »

Juge suppléant

 

 

Traduction certifiée conforme

Julie Boulanger, LL.M.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        T‑1649‑07

 

INTITULÉ :                                       JOCELYN GREAVES c. AIR TRANSAT INC.

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               LE 16 DÉCEMBRE 2008

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE SUPPLÉANT TEITELBAUM

 

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT :                       LE 6 JANVIER 2009

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Alice Cranker

 

POUR LA DEMANDERESSE

Matthew A. Biderman

 

POUR LA DÉFENDERESSE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Barbra Schlifer Commemorative

Clinic

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

Paterson, MacDougall LLP

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DÉFENDERESSE

 

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