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Date : 20090113

Dossier : IMM-1000-08

Référence : 2009 CF 14

Ottawa (Ontario), le 13 janvier 2009

En présence de monsieur le juge Pinard

ENTRE :

ABDUL HANNAN

demandeur

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

 

[1]               Il s’agit de la demande de contrôle judiciaire présentée en application du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi), contre une décision rendue par la Section d’appel de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la SAI) le 11 février 2008.

 

[2]               Abdul Hannan (le demandeur) est un citoyen du Bangladesh âgé de quarante ans. En janvier 2002, il est entré au Canada comme résident permanent. À ce moment‑là, il s’est déclaré célibataire. Lors de son audience devant le commissaire de la SAI, il a déclaré qu’il est arrivé au Canada comme personne à charge de sa mère, qui était parrainée par sa sœur.

 

[3]               Le 11 février 2002, environ un mois après son arrivée au Canada, sa fille Jenifa Hannan est née d’une prétendue relation cachée que le demandeur aurait eue avec une femme au Bangladesh. Le demandeur allègue que, le 11 octobre 2002, il a épousé la mère de sa fille, Rizma Begum. Il n’a pas déclaré sa fille aux autorités canadiennes de l’immigration jusqu’à ce qu’il parraine la mère le 10 février 2006; la fille accompagnait sa mère comme personne à charge dans la catégorie du « regroupement familial » prévue au paragraphe 13(1) de la Loi. Le demandeur a présenté au Haut‑commissariat du Canada un certificat de mariage et un nikah nama obtenus au Bangladesh afin d’établir leur statut de personnes mariées. Au même moment, Mme Begum a présenté une demande de résidence permanente en application du paragraphe 12(1) de la Loi.

 

[4]               Le 19 septembre 2006, l’agent d’immigration responsable du dossier a envoyé une lettre à Mme Begum dans laquelle il lui donnait l’avertissement suivant :

[traduction]

Notre enquêteur à Dhaka est allé au bureau de kazi de la subdivision administrative no 11 et il en a rencontré l’agent. L’agent a déclaré que le nikah nama n’a été enregistré dans aucun des bureaux de kazi de la société de la ville de Sylhet. Ils ont conclu que votre nikah nama était frauduleux.

 

[5]               En réponse, dans une lettre du 3 octobre 2006, Mme Begum a déclaré ce qui suit :

[traduction]

Comme vous l’avez mentionné dans la lettre, votre enquêteur est allé au bureau de kazi responsable de la subdivision administrative no 11 de la ville de Sylhet. Ici, j’aimerais vous apporter la clarification suivante : le no 11 est l’ancien numéro de la subdivision administrative de la municipalité de Sylhet. La subdivision administrative no 11 est maintenant devenue les subdivisions administratives no 23 et 24 de la société de la ville de Sylhet. Par conséquent, il est évident qu’il n’y aura pas de preuve de l’enregistrement de mon nikah nama au bureau de kazi responsable de la subdivision administrative no 11. Cela est clairement précisé sur le certificat de mariage que je vous ai également soumis, en haut du certificat.

 

Le nikah nama que je vous ai présenté n’est pas frauduleux. Il est véritablement authentique à cent pour cent.

 

Par conséquent, avant de prendre une décision définitive dans mon dossier, je vous demanderais, s’il vous plaît, de vérifier l’authenticité de mon nikah nama auprès du bureau de kazi responsable des subdivisions administratives no 23 et 24 de la société de la ville de Sylhet (anciennement la subdivision administrative no 11 de la municipalité de Sylhet).

 

 

[6]               La lettre fut suivie de deux autres lettres de Mme Begum que la section d’immigration du Haut‑commissariat a reçues les 12 et 20 octobre 2006; ces lettres visaient respectivement à expliquer encore mieux le cœur du différend et à fournir une adresse au Bangladesh du kazi dont Mme Begum avait dit qu’il avait en fait enregistré le mariage.

 

[7]               La demande de parrainage fut refusée. Dans sa lettre de refus du 12 octobre 2006, l’agent d’immigration a avisé Mme Begum que, selon lui, le nikah nama présenté en appui à sa demande était frauduleux; par conséquent, elle ne répondait pas à la définition de membre de la catégorie du regroupement familial, donnée à l’alinéa 117(1)a) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002‑227. Dans une deuxième lettre, également datée du 12 octobre, le gestionnaire du programme d’immigration a expliqué que la demande de Mme Begum ne pouvait pas être approuvée, parce qu’elle était interdite de territoire en application de l’alinéa 40(1)a) de la Loi, pour fausses déclarations; il a réitéré les conclusions des enquêteurs et il a ajouté que [traduction] « la subdivision no 11 n’existait pas en 2002, lorsque le nikah nama aurait été délivré ». Par conséquent, l’allégation faite par Mme Begum dans sa lettre, selon laquelle la subdivision administrative no 11 dans l’ancien système avait été renumérotée et était devenue les subdivisions administratives no 23 et 24 était considérée [traduction] « ne pas être digne de foi ».

 

[8]               Un appel a été interjeté contre le refus en application du paragraphe 63(1) de la Loi. Une audience s’est tenue devant la SAI, le 8 novembre 2007. Le 11 février 2008, la SAI a rendu sa décision de rejet de l’appel.

 

[9]               Le demandeur a exposé de façon claire le nœud de l’affaire au paragraphe 3 de son mémoire :

[traduction]

[…] l’ensemble de la question en l’espèce est de savoir si le certificat de mariage et le nikah nama sont valides et s’ils ont été enregistrés au bon endroit.

 

 

[10]           Il s’agit d’une question de fait et la SAI a donc droit à un haut degré de retenue, voir Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, [2008] 1 R.C.S 190, au paragraphe 51; Bielecki c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2008] A.C.F. no 524, 2008 CF 442, au paragraphe 12; Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Bryan, [2006] A.C.F. no 190, 2006 CF 146, au paragraphe 43. En fait, le défendeur fait ressortir quatre raisons pour lesquelles la SAI peut conclure de façon juste que les documents en cause n’étaient pas authentiques. Pour l’essentiel, il résume les réserves émises dans la décision :

  1. La section 1 du nikah nama ne fait pas mention du numéro de la subdivision administrative et le demandeur n’a donné aucune explication pour cette absence.
  2. Le fait que le vakil qui représentait la mariée avait aussi célébré le mariage n’était pas normal et le demandeur n’avait pas été en mesure de fournir d’explication à ce sujet.
  3. Il y avait beaucoup d’incohérences entre le certificat de mariage et le document du registre qui portait le numéro 2/2002.
  4. La subdivision administrative no 11 n’existait pas à Sylhet Pourashova en 2002, l’année du mariage prétendu.

 

[11]           Selon moi, aucune de ces raisons ne peut résister à un examen assez poussé. Premièrement, dans sa lettre reçue le 12 octobre 2006 à la section de l’immigration du Haut‑commissariat du Canada à Singapour, Mme Begum a justement souligné que, malgré qu’il n’apparaît pas dans le nikah nama, le numéro de la subdivision administrative est parfaitement visible sur le certificat de mariage. Quoi qu’il en soit, personne n’a allégué qu’une telle incohérence en soi fournit un motif suffisant pour une conclusion d’invalidité.

 

[12]           Deuxièmement, aucune des parties n’a présenté de preuve démontrant le rôle d’un vakil lors de la cérémonie d’un mariage musulman; par conséquent, je n’ai pas de base pour évaluer l’allégation selon laquelle une telle dualité de rôle est suspecte, et je n’ai aucune raison de conclure ainsi.

 

[13]           Troisièmement, les incohérences alléguées (c’est‑à‑dire entre le nikah nama trouvé par les enquêteurs dans ce qui est maintenant la subdivision administrative no 11 et le nikah nama présenté par le demandeur) ont en fait été bien expliquées, puisque le demandeur et Mme Begum ont affirmé de façon répétée que les enquêtes ont été menées dans la mauvaise subdivision administrative. Il ne me semble pas invraisemblable que de telles incohérences aient pu résulter d’une recherche faite dans le mauvais registre, le cas échéant. En effet, cet aspect résume la prise de position de base du demandeur selon laquelle les enquêteurs, sur les conclusions desquels l’agent d’immigration et la SAI ont basé leurs décisions, ont mené leurs enquêtes au mauvais endroit parce qu’ils sont allés à l’actuelle subdivision administrative no 11 (anciennement subdivision administrative no 2) plutôt que d’aller à ce qui était la subdivision administrative no 11 en 2002 (et qui a depuis été renommée subdivisions administratives no 23 et 24). Une telle erreur manifeste avait été soulignée par Mme Begum dans ses lettres d’octobre 2006.

 

[14]           Enfin, quatrièmement, la lettre de l’avocat bengali et ses annexes fournies à la SAI avant l’audience sont des preuves non contestées que la subdivision administrative no 11 existait en fait à l’époque du mariage allégué — ce qui réfute une des principales bases du rejet de la demande de Mme Begum et de la conclusion selon laquelle ses allégations n’étaient pas dignes de foi. En ce qui a trait à la déclaration de l’agent de kazi (dans ce qui est maintenant la subdivision administrative no 11) faite aux enquêteurs, relative au nombre de subdivisions administratives à Sylhet Pourashova, qui a été remise en question, je pense qu’il devrait aussi en être de même de son affirmation générale selon laquelle le mariage n’était enregistré [traduction] « dans aucune subdivision administrative » [non souligné dans l’original] de la société de la ville de Sylhet.

 

[15]           Au paragraphe 22 de sa décision, la SAI a écrit ce qui suit :

[…] l’existence de la subdivision administrative 11 ne suffit pas à réfuter les conclusions des enquêteurs, car l’appelant n’a pas expliqué les écarts concernant le numéro sur le certificat et la page du registre. L’appelant n’a pas présenté les pièces A-1 à A-6 à l’ambassade aux fins de vérification.

 

 

[16]           Pour les motifs exposés ci-dessus, je ne puis souscrire à cette évaluation.

 

[17]           Quant à la conclusion d'interdiction de territoire pour fausses déclarations, elle dépend clairement d’une conclusion antérieure sur l'invalidité des documents présentés à l’appui des allégations. Je suis d'avis que la décision de la SAI concernant la validité du certificat de mariage et du nikah nama est déraisonnable; je n'ai donc pas à examiner la question des fausses déclarations.

 

[18]           Pour tous les motifs exposés ci-dessus, la demande de contrôle sera accueillie et l'affaire sera renvoyée à la SAI afin qu'un tribunal différemment constitué statue à nouveau sur l'affaire.

 


 

JUGEMENT

 

 

            La demande de contrôle judiciaire de la décision rendue le 11 février 2008 par la Section d’appel de l’immigration (la SAI) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié est accueillie. L’affaire est renvoyée, par le présent jugement, à un tribunal de la SAI différemment constitué pour nouvel examen.

 

 

 

Yvon Pinard

Juge

 

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Laurence Endale, LL.M., M.A.Trad.jur.

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                              IMM-1000-08

 

INTITULÉ :                                             ABDUL HANNAN c. LE MINISTRE DE LA

                                                                  CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L'AUDIENCE :                       Montréal (Québec)

 

DATE DE L'AUDIENCE :                     Le 9 décembre 2008

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                    Le juge Pinard

 

DATE DES MOTIFS :                            Le 13 janvier 2009

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Harry Blank, c.r.                                         POUR LE DEMANDEUR

 

Thi My Dung Tran                                      POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Harry Blank, c.r.                                         POUR LE DEMANDEUR

Montréal (Québec)

 

John H. Sims, c.r.                                       POUR LE DÉFENDEUR

Sous‑procureur général du Canada

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