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Date :  20081128

Dossier :  T-641-07

Référence :  2008 CF 1295

Ottawa (Ontario), le 28 novembre 2008

En présence de Monsieur le juge Shore 

 

ENTRE :

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

demandeur

et

 

MICHEL EAST

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

I.  Au préalable

[1]               Il était impossible pour le Comité d’appel de déterminer une période correcte pour que le risque de coulage soit acceptable. Il n’est pas nécessaire d’avoir une preuve objective démontrant que les arrangements recommandés par le Comité d’appel n’auraient pas nui aux autres candidats du concours. Comme la procédure de sélection ne s'est pas déroulée de cette manière, il est impossible de dire avec certitude quel effet le recours à une méthode d'évaluation différente aurait eu sur les autres candidats. Le fait d'obliger le Service correctionnel du Canada (SCC) à produire une telle preuve le mettrait dans une position intenable : « Pour justifier sa décision de ne pas suivre les recommandations d'un spécialiste externe, il suffit à un ministère fédéral de démontrer que des difficultés auraient probablement surgi si les recommandations avaient été suivies » (Tremblay c. Canada (Procureur général), 2003 CFPI 466, 232 F.T.R. 138 (1er inst.) au par. 35). Par conséquent, la détermination que la période du risque de coulage serait moindre après une semaine, mais pire après deux ou trois semaines, semble faire partie de la discrétion et de l’expertise d’un comité de sélection. Le Comité d’appel a erré en substituant son opinion pour ce qui semble une raisonnable précaution dans le but de protéger le principe du mérite à l’égard du processus du concours.

 

[2]               Dans sa décision, le Comité d’appel a appliqué les critères de l’arrêt Girouard c. Canada (Procureur général), 2002 CAF 224, [2002] A.C.F. no 816 (QL). Cependant, le Comité d’appel a réfuté le raisonnement du Comité de sélection en arrivant à la conclusion que le coulage d’information ne justifiait pas le défaut d’accommoder l’appelant de façon plus généreuse. Il est néanmoins l’avis de cette Cour que le Comité d’appel a erré en droit en ignorant que même le mode de l’accommodement est sujet au principe du mérite. Il appartient à un comité d'appel de dire si les arrangements consentis ont permis à un candidat de concourir sur un pied d'égalité avec les autres candidats (Tremblay, ci-dessus au par. 25). Le devoir d’un comité d’appel ne consiste pas à évaluer de nouveau des candidats pour protéger les droits d’un appelant, mais à tenir une enquête afin de déterminer si la sélection a été effectuée conformément au principe du mérite (Charest c. Canada (Procureur général), [1973] C.F. 1217 (C.A.F.), [1973] A.C.F. no 150 (QL) au par. 12; Blagdon c. Canada (Commission de la Fonction publique, Comité d’appel), [1976] 1 C.F. 615, [1975] A.C.F. no 162 (QL) au par. 21; Girouard, ci-dessus au par. 12). Par conséquent, la sélection des candidats reçus devait respecter le principe du mérite, indépendamment des résultats individuels (McGregor c. Canada (Procureur général), 2007 CAF 197, 366 N.R. 206, ci-dessus au par. 48).

 

II.  Procédure judiciaire

[3]               Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire à l'encontre de la décision de Me Line Chandonnet du Comité d'appel de la direction générale des enquêtes de la Commission de la fonction publique (Commission), datée du 5 mars 2007, accueillant l’appel interjeté par le défendeur, monsieur Michel East, aux termes de l'article 21 de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique, L.R.C. 1985, c. P-33 [abrogée, 2003, ch. 22, art. 284] (LEFP) (La nouvelle LEFP était mise en vigueur le 31 décembre 2005).

 

III.  Faits

[4]               Le 10 novembre 2004, le SCC a affiché un avis de concours pour 60 postes de surveillant correctionnel de niveau CX-03, comportant 12 numéros de concours, soit un pour chaque établissement de la région du Québec.

 

[5]               Sous le titre de « Qualités Requises et Critères de Présélection » et le sous-titre « Expérience », l’avis de concours prévoyait que les candidats devaient posséder l'expérience suivante : « Vaste expérience de l'exécution des fonctions relatives aux opérations correctionnelles, notamment les escortes et la gestion de cas de détenus(es) ».

 

[6]               À la date limite pour soumettre une candidature, soit le 24 novembre 2004, 191 candidats ont soumis leur candidature en indiquant, sur leur demande d’emploi, le ou les numéros de concours pour lesquels ils désiraient poser leur candidature.

 

[7]               Ces candidatures ont fait l’objet d’une évaluation dans le cadre d’un processus mené par le Comité de présélection et le Comité de sélection, autrement nommé jury de présélection et jury de sélection, également composé des membres, monsieur Serge Trouillard, madame Manon Bisson et monsieur André Courtemanche, lesquels avaient acquis plusieurs années d’expérience au sein du SCC.

 

[8]               Le 8 décembre 2004, le jury de présélection a élaboré les qualités requises par l'avis de concours de la façon suivante :

Il a été entendu que chacun des candidats devra démontrer clairement et précisément qu'il possède l'expérience suivante :

 

Expérience de 5 années dans l'exécution des fonctions relatives aux opérations correctionnelles cumulées au SCC et/ou dans un service correctionnel provincial ou territorial et/ou dans un centre résidentiel communautaire. En outre, mais inclus dans la période de 5 ans, 2 ans d’expérience cumulée dans un poste de CX-02 et/ou IPL et/ou ALC. (Affectations intérimaires, nominations à durée indéterminée et stages sont considérés).

 

[9]               Suite à cette précision des qualités requises, le Comité de présélection a rejeté 35 candidatures, dont 17 candidatures ont été rejetées suite au fait que les candidats ne remplissaient pas l’exigence quant aux qualités requises dans l’avis de concours et 18 ont été rejetées suite au fait que les candidats n’avaient pas clairement démontré qu’ils les possédaient. Le 23 décembre 2004, les candidats non retenus lors de cette étape ont été avisés du rejet de leur candidature. Le demandeur a fait parvenir une copie de l’énoncé des qualités, ainsi qu’une liste indiquant les documents servant de base à l’établissement de l’examen des Connaissances aux candidats ayant été reçus suite à la présélection. Une liste modifiée de ces documents d’étude a été soumise aux candidats le 10 janvier 2005.

 

[10]           Le 17 février 2005, les candidats ont reçu une lettre de convocation à l’examen des Connaissances, lequel devait se tenir le matin du 14 mars 2005 pour une durée de 90 minutes. La lettre indiquait aux candidats que s’ils n’étaient pas en mesure de se présenter à l’examen de contacter Mme Bernadette Gariépy, Conseillère en ressources humaines pour le SCC, par téléphone. Dans la même lettre, on y énonçait la procédure de désistement au concours : « Si vous décidez de ne pas vous présenter, veuillez nous informer par écrit de votre désistement. »

 

[11]           Par lettre en date du 10 mars 2005, monsieur East a constaté qu’il faisait face à plusieurs situations :

Madame, la présente a pour but d’émettre un protêt sur les concours de CX-03 […] En effet, puisque présentement je suis en attente pour être entendu en arbitrage suite à une mesure disciplinaire injustifiée. J’ai également été assujetti à une enquête criminelle qui s’est conclue par “aucune poursuite ne sera engagée contre vous”. Puis finalement, J’ai été mis en cause et ce depuis le 4 octobre 2004 dans une plainte de harcèlement frivole et de mauvaise foi et ou j’ai des preuves sans équivoques mais encore une fois le laxisme des gestionnaires du SCC fait en sorte qu’une épée de Damoclès me pende au dessus de la tête.

 

[12]           Par conséquent, il a demandé une première fois de reporter le concours :

[...] je suis contraint de demander que les concours précités, Soient mit en suspends d’ici a ce que je sois exonoré et/ou reconnu coupable des actions que l’on me reproches sans fondement. De plus avec toutes ses actions concertées de la part de certains gestionnaires, je n’ai pas vraiment la tête à étudier pour un tel concours. Cet acharnement, m’apporte beaucoup de soucis tant aux niveaux personnel que professionnel a cause de cette conspiration [sic].

Noter bien que je ne me désiste nullement des concours précités […] C’est pourquoi je demande a ce que l’on attende que les procédures prisent par le SCC a mon encontre sois réglées et que je puisse me concentrer pleinement sur les concours de CX03 tout comme les autres candidats, sans les soucis que me causent les actions de certains gestionnaires de l’établissement Leclerc [sic].

 

Cette lettre, mise à la poste le 11 mars 2005, telle que l’indiquait l’oblitération postale, a été reçue par le SCC le 14 mars 2005, une fois l’examen des Connaissances fut terminé.

 

[13]           Le 14 mars 2005, le président du Comité de sélection, M. Trouillard, a communiqué par téléphone avec monsieur East pour l’informer de l’impossibilité de donner suite à sa demande de surseoir au concours. Il l’a néanmoins invité à passer l’examen des Connaissances à la deuxième date qui avait été prévue, soit le 21 mars 2005.

 

[14]           En l’absence de Mme Gariépy, Diane DeSève, Conseillère principale du Centre d’expertise en recrutement et sélection, a confirmé la conversation avec M. Trouillard par lettre, datée le 16 mars 2005 :

Je ne peux que constater que vous rencontrez présentement des difficultés qui, selon vos dires, ne vous permettent pas de vous préparer adéquatement.

 

[…]

 

C’est dans le respect de ce même principe que je ne peux pas donner suite à votre demande considérant l’ensemble des candidats qui ont investi temps et énergie à la préparation de ce concours dont l’examen des connaissances qui a été administré le 14 mars dernier.

 

Nous pouvons vous offrir, tel que discuté avec vous le 16 mars dernier par le président du jury M. Trouillard, de participer à une nouvelle session de l’examen des connaissances prévue le 21 mars 2005 à 8H30 à l’Administration régionale [...]

 

[…]

 

Cette opportunité constituera la dernière occasion de passer l’examen de (sic) connaissances et de participer à ce processus de sélection.

 

[15]           Dans une lettre, datée du 18 mars 2005, monsieur East a réitéré sa demande de surseoir au concours en formulant une deuxième demande au Comité de sélection :

[...] je ne vois pas en quoi, le fait de surseoir au concours et/ou de reporter ma participation à ce concours à une date ultérieur, soit au moment ou je serais en mesure de me préparer adéquatement pour ce même examen, va a l’encontre du principe du mérite. Bien au contraire, aucun candidat a ma connaissance ne fait l’objet de mesure malveillante de la part de gestionnaires du SCC.

 

[...]

 

Si toutefois vous etes d’avis de ne pas surseoir au processus et/ou de me donner l’opportunité de participer au processus de sélection au moment opportun. Il reviendra alors à un arbitre d’apprécier nos allégations respectives et de se prononcer sur ce dilemme [sic].

 

Cette lettre, postée par monsieur East, le 21 mars 2005, tel qu’en fait foi l’oblitération postale, a été reçue par le SCC le 23 mars 2005, soit deux jours après que le deuxième examen des Connaissances ait eu lieu.

 

[16]           L’appelant ne s’est donc pas présenté au deuxième examen des Connaissances le 21 mars 2005. Le 30 mars 2005, le Comité de sélection a écrit à monsieur East à l’effet que ses demandes ne pouvaient être retenues. Le Comité de sélection ne pouvait ni surseoir, ni retarder indéfiniment la participation de monsieur East au concours sans qu’il y ait des répercussions sur le concours même et sur le principe du mérite.

 

[17]           Parmi les 150 candidats convoqués à l’examen des Connaissances, 12 candidats ne se sont pas présentés, 5 se sont désistés et 59 l’ont échoué. Le 27 avril 2005, les 74 candidats ayant réussi l’examen des Connaissances ont reçu une lettre de convocation pour l’évaluation des capacités et des compétences.

 

[18]           Le 15 juillet 2005, le demandeur a informé tous les candidats des résultats du concours en leur soumettant des listes d’admissibilité établies et des résultats.

 

IV.  La décision faisant l’objet de la demande

[19]           Après avoir été informé des résultats du concours, monsieur East a interjeté appel au Comité d’appel, le 1 août 2005, sur la base que le principe du mérite n’avait pas été respecté lorsque le Comité de sélection l’avait exclu des concours auxquels il avait participé.   

 

[20]           Le Comité d’appel a conclu que compte tenu du fait que l’appelant faisait face à plusieurs situations, « l’appelant devait concentrer ses efforts à se défendre contre des accusations d’une gravité importante plutôt que de pouvoir se concentrer à se préparer pour le concours de CX-03 » (Décision au par. 44). Le Comité de sélection n’avait pas tenu compte de la gravité ou de la lourdeur des circonstances entourant la situation de monsieur East (Décision au par. 54) :

[63]      À mon avis, compte tenu des circonstances de l’affaire, il n’était pas raisonnable pour le Comité de sélection d’accommoder l’appelant sans tenir compte des besoins de ce dernier. Le Comité a répondu à ses propres besoins, plutôt qu’à ceux de l’appelan,t [sic] en remettant l’examen à une date déjà prévue, soit le 21 mars 2005, plutôt qu’en essayant de répondre aux besoins de l’appelant.

 

 

[21]           Le principe du mérite n’a pas été respecté étant donné que le Comité de sélection n’avait pas fourni un accommodement raisonnable :

[64]      [...] Rien dans la preuve soumise n’a démontré qu’en reportant la participation de l’appelant à l’examen pour une période de plus d’une semaine, que cela compromettrait le processus de concours. Rien dans la preuve soumise n’indiquait qu’il y ait eu des discussions entre le Comité de sélection et l’appelant, afin de déterminer quelle serait une période raisonnable pour reporter l’examen. […]

 

[65]      Si on examine la preuve présentée, entre le 21 mars 2005 (deuxième séance de l’examen des Connaissances) et le 27 avril 2005 (date du début de la prochaine étape du processus d’évaluation), il ne s’est rien passé dans le processus. On parle donc d’une période d’un mois où on aurait pu permettre à l’appelant de passer son examen écrit, sans que cela n’entrave le processus de quelque façon que ce soit. Le Comité de sélection aurait pu possiblement expliquer à l’appelant qu’il était déraisonnable d’attendre la fin des procédures auxquelles il était soumis pour lui permettre de passer son examen des Connaissances, étant donné qu’on ne pouvait pas savoir quand ces procédures prendraient fin, et lui donné un délai supérieur à une semaine pour lui permettre de passer son examen.  

 

[22]           Quant à l’argument qu’un délai plus considérable qu’une semaine aurait pu augmenter le risque de « coulage » du contenu de l’examen et compromettre le principe du mérite, le Comité d’appel a conclu que le coulage d’information ne justifie pas le défaut d’accommoder l’appelant :

[69]      [...] Tous se préparaient à l’examen depuis qu’ils avaient été averti de leur présélection, je vois mal comment un délai additionnel de deux ou trois semaines pour l’appelant aurait pu changer quoi que ce soit aux résultats. Les raisons soulevés par le Ministère, tel le coulage d’information ou l’avantage indû aux candidats en poste de façon intérimaire, ne justifie en rien le défaut d’accommoder l’appelant. Il y avait autant de risques de faire couler de l’information sur l’examen des Connaissances à l’intérieur du délai d’une semaine. Le Ministère ne m’a pas convaincu que le risque était plus grand plus le temps avançait. […] Donc, le risque d’avantage indû ne venait pas de la prolongation de ce statut d’intérimaire pour deux ou trois semaines.

 

[23]           Finalement, le Comité d’appel a conclu que monsieur East n’a pas manqué de diligence en avisant le SCC qu’il ne pouvait se présenter à la première séance d’examen.

V.  Les dispositions pertinentes

[24]           Le principe qui soutient toutes les nominations dans la fonction publique est celui du mérite, conformément au paragraphe 10(1) de la LEFP :

10.      (1) Les nominations internes ou externes à des postes de la fonction publique se font sur la base d'une sélection fondée sur le mérite, selon ce que détermine la Commission, et à la demande de l'administrateur général intéressé, soit par concours, soit par tout autre mode de sélection du personnel fondé sur le mérite des candidats que la Commission estime le mieux adapté aux intérêts de la fonction publique.

10.      (1) Appointments to or from within the Public Service shall be based on selection according to merit, as determined by the Commission, and shall be made by the Commission, at the request of the deputy head concerned, by competition or by such other process of personnel selection designed to establish the merit of candidates as the Commission considers is in the best interests of the Public Service.

 

[25]           L’article 21 de la LEFP prévoit un mécanisme permettant aux candidats non reçus d’interjeter appel d’une nomination auprès d’un comité d’appel constitué par la Commission :

21.      (1) Dans le cas d'une nomination, effective ou imminente, consécutive à un concours interne, tout candidat non reçu peut, dans le délai fixé par règlement de la Commission, en appeler de la nomination devant un comité chargé par elle de faire une enquête, au cours de laquelle l'appelant et l'administrateur général en cause, ou leurs représentants, ont l'occasion de se faire entendre.

 

21.      (1) Where a person is appointed or is about to be appointed under this Act and the selection of the person for appointment was made by closed competition, every unsuccessful candidate may, within the period provided for by the regulations of the Commission, appeal against the appointment to a board established by the Commission to conduct an inquiry at which the person appealing and the deputy head concerned, or their representatives, shall be given an opportunity to be heard.

VI.  Questions en litige

[26]           Les deux questions soulevées sont les suivantes :

(1)   Quelle est la norme de contrôle applicable à la décision du Comité d’appel ?

(2)   Est-ce que le Comité d’appel a erré en concluant que le Comité de sélection ne s’est pas conformé au principe du mérite vu son manquement à l’obligation d’accommodement raisonnable à l’égard de monsieur East?

 

VII.  Analyse

(1)  Quelle est la norme de contrôle applicable à la décision du Comité d’appel ?

[27]           L’arrêt Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 SCC 9, [2008] 1 R.C.S. 190, a énoncé que le processus de contrôle judiciaire se déroule en deux étapes. Lors de la première étape, la Cour de révision vérifie selon la jurisprudence le degré de déférence face à une catégorie de questions particulières.

 

[28]           En l’espèce, la jurisprudence a établi la norme de contrôle à l’égard des questions correspondant au processus de sélection dans la fonction publique. Procédant à l’analyse, la Cour d’appel fédérale a conclu dans Davies c. Canada (Procureur général), 2005 CAF 41, 330 N.R. 283 au paragraphe 23, que la norme de contrôle qui s’applique à une décision d’un comité d’appel sur des questions reliées au processus de sélection est la norme de la décision raisonnable. Cette norme de contrôle a été précisée dans quelques arrêts récents où la Cour d’appel fédérale a appliqué la norme de la décision raisonnable aux questions mixtes de fait et de droit, comme celle de savoir si les conclusions d’un comité d’appel reposaient sur la preuve (McGregor, ci-dessus, au par. 14; Canada (Procureur général) c. Clegg, 2008 CAF 189, 168 A.C.W.S. (3d) 109 au par. 18).

[29]           La Cour d’appel fédérale a conclu que les questions exclusivement de droit doivent être examinées en fonction de la norme de la décision correcte. La question de savoir sur qui repose le fardeau de la preuve dans le cadre d’une instance, la compétence d’un comité d’appel, les questions d’équité procédurale et de justice naturelle, ainsi que le choix et l’application de la norme appropriée par le tribunal administratif sont des questions de droit (Clegg, McGregor et Davies, ci-dessus).

 

                           i.                                           Est-ce que le Comité d’appel a erré en concluant que le Comité de sélection ne s’est pas conformé au principe du mérite vu son manquement à l’obligation d’accommodement raisonnable à l’égard de monsieur East?

 

[30]           Le demandeur a prétendu que les allégations de monsieur East relèvent des relations de travail, qui est un élément extérieur et qui ne demande pas d’accommodement. Selon le demandeur, l’obligation d’accommodement raisonnable s’applique aux situations liées au motif de discrimination prévu à l’article 3 de la Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R., 1985, ch. H-6, ce qui n’est pas le cas en l’espèce.

 

[31]           Contrairement à la prétention du demandeur, l’obligation d’accommodement raisonnable ne s’applique pas exclusivement aux situations liées au motif de discrimination prévu à l’article 3 de la Loi canadienne sur les droits de la personne. Un candidat peut demander à un comité de sélection de tenir compte de son handicap, maladie ou tout autre facteur qui serait de nature à nuire à sa performance lors de la tenue d’une épreuve du concours (Cyr c. Canada (Procureur général) (2000), 201 F.T.R. 191, 160 A.C.W.S. (3d) 93 (C.F. 1er inst.) au par. 18. Mais, l'objet d'un appel selon l'article 21 de la LEFP n'est pas de déceler des normes discriminatoires et de dire si elles peuvent être justifiées. Ainsi, il ne s'agit pas de savoir s'il est impossible de satisfaire les besoins d'un candidat ayant un handicap, mais plutôt de savoir quelle méthode d'évaluation est nécessaire pour garantir une sélection fondée sur le mérite (Tremblay, ci-dessus, aux par. 25 et 33).

 

[32]           Dans Girouard, ci-dessus, aux paragraphes 10-11 et 14, le juge Barry L. Strayer a statué qu’il n’est pas nécessaire de prouver un handicap au sens de la Loi canadienne sur les droits de la personne pour invoquer l’obligation d’accommodement raisonnable. La Cour d’appel fédérale a énoncé qu’un appelant doit seulement prouver une impossibilité réelle de pouvoir participer à l’examen pour bénéficier d’une mesure d’accommodement :

[13]      Dans les faits, le ministère intimé pourrait devoir démontrer que, s'il avait effectivement pris des mesures pour composer avec un ou plusieurs candidats, cet accommodement était non seulement raisonnable compte tenu de la nature des besoins de ces candidats, mais qu'il n'était pas non plus inéquitable à l'endroit des autres candidats. Tout débat sur la question de l'accommodement s'inscrit entièrement dans la décision de savoir si le principe du mérite a été compromis. Je conviens avec le juge des demandes que ces questions auraient dû avoir été examinées en l'espèce :

 

(1)  Le délai supplémentaire qui a été accordé était-il approprié compte tenu de la nature du poste?

 

(2)  Le délai supplémentaire était-il équitable à l'égard des autres candidats?

 

(3)  Le handicap de Mme Girouard supposait-il que celle-ci avait besoin de plus de temps?

 

(4)  Un délai supplémentaire était-il approprié compte tenu de la nature de l'examen?

 

Le comité d'appel aurait dû s'attarder sur des questions de ce type.

 

 

[33]           Dans sa décision, le Comité d’appel a appliqué les critères de l’arrêt Girouard. Cependant, le Comité d’appel a réfuté le raisonnement du Comité de sélection en arrivant à la conclusion que le coulage d’information ne justifiait pas le défaut d’accommoder l’appelant de façon plus généreuse. Il est néanmoins l’avis de cette Cour que le Comité d’appel a erré en droit en ignorant que même le mode de l’accommodement est sujet au principe du mérite. Il appartient à un comité d'appel de dire si les arrangements consentis envers un candidat lui ont permis de concourir sur un pied d'égalité avec les autres candidats (Tremblay, ci-dessus au par. 25). Le devoir d’un comité d’appel ne consiste pas à évaluer de nouveau les candidats pour protéger les droits de l’appelant, mais à tenir une enquête afin de déterminer si la sélection a été effectuée conformément au principe du mérite (Charest, Blagdon et Girouard, ci-dessus). Par conséquent, la sélection des candidats reçus devait respecter le principe du mérite, indépendamment des résultats individuels (McGregor, ci-dessus).

 

[34]           Dans l’arrêt Charest, la Cour d’appel fédérale a conclu que le coulage de renseignements concernant les questions posées dans une entrevue pouvait nuire au principe du mérite. En l’espèce, la déclaration du Comité de sélection relative à l’existence d’un risque réel de coulage d’information pouvant nuire au principe du mérite aurait dû être prise au sérieux. Monsieur East avait demandé un délai théorique, soit jusqu'à la cessation de ses troubles. Le Comité d’appel a suggéré qu’entre le 21 mars 2005 et le 27 avril 2005, soit la date du deuxième examen des Connaissances et le début de la prochaine étape du processus d’évaluation, il existait une période de presque un mois où « on aurait pu permettre à l’appelant de passer son examen écrit ». Le Comité d’appel a conclu que « le risque d’avantage indû ne venait pas de la prolongation de ce statut d’intérimaire pour deux ou trois semaines » (Décision aux par. 65 et 69).

 

[35]           Il était impossible pour le Comité d’appel de déterminer une période correcte pour que le risque de coulage soit acceptable. Il n’est pas nécessaire d’avoir une preuve objective démontrant que les aménagements recommandés par le Comité d’appel n’auraient pas nui aux autres candidats du concours. Comme la procédure de sélection ne s'est pas déroulée de cette manière, il est impossible de dire avec certitude quel effet le recours à une méthode d'évaluation différente aurait eu sur les autres candidats. Le fait d'obliger le SCC à produire une telle preuve le mettrait dans une position intenable : « Pour justifier sa décision de ne pas suivre les recommandations d'un spécialiste externe, il suffit à un ministère fédéral de démontrer que des difficultés auraient probablement surgi si les recommandations avaient été suivies » (Tremblay, ci-dessus au par. 35). En conséquence, la détermination que la période du risque de coulage serait moindre après une semaine, mais pire après deux ou trois semaines, semble faire partie de la discrétion et de l’expertise d’un comité de sélection. Le Comité d’appel a erré en substituant son opinion pour ce qui semble une raisonnable précaution dans le but de protéger le principe du mérite à l’égard du processus du concours.

 

[36]           De plus, le délai supplémentaire qui a été accordé était approprié compte tenu du manque de diligence de monsieur East. Le Comité d’appel a tiré des conclusions de fait manifestement déraisonnables et non supportées par la preuve lorsqu’il a conclu que le retard de la notification au Comité de sélection était raisonnable.

 

[37]           Le Comité de sélection a reçu la première lettre de monsieur East le jour de l’examen, soit le 14 mars 2005. La Cour est d’avis qu’il était déjà trop tard pour monsieur East de demander un accommodement. Monsieur East était au courant de la date de l’examen depuis le 17 février 2005, soit presque un mois à l’avance. En février, il a été notifié que la poursuite criminelle contre lui serait abandonnée. Il savait aussi que ses troubles, soit les mesures disciplinaires et griefs, demeuraient toujours, mais il ressort de la preuve que sa situation n’a pas changée entre la date de la lettre de convocation et la date de sa première lettre. En somme, il n’existe aucune preuve expliquant les motifs pour lesquels monsieur East n’a pas demandé de mesures d’accommodement au Comité de sélection avant la date de l’examen.

 

[38]           Le Comité d’appel a conclu que le retard était plausible étant donné l’entremise du weekend. Il est cependant manifestement déraisonnable de reconnaître que l’entremise du weekend peut justifier le retard de la notification surtout en l’espèce, où la lettre de convocation indiquait clairement qu’en cas de problèmes, il incombait au candidat de téléphoner le SCC. La conclusion que monsieur East « préférait faire une demande écrite plutôt que verbale afin d’avoir une preuve tangible de sa demande » n’explique guère pour quelles raisons il avait omis de téléphoner le Comité de sélection le même jour qu’il a écrit sa lettre.

 

[39]           Après la réception de la première lettre, soit le 14 mars 2005, le Comité de sélection a informé monsieur East par conversation téléphonique qu’il pouvait assister à un deuxième examen qui aurait lieu une semaine plus tard. La deuxième tentative de reporter l’examen était entachée de mêmes problèmes; la deuxième lettre était reçue deux jours après la deuxième séance de l’examen des Connaissances. En l’instance, monsieur East a envoyé la deuxième lettre le jour de l’examen, soit le 21 mars 2005, trop tard pour que le Comité de sélection puisse tenir compte de ses besoins. Finalement, contrairement aux prétentions du Comité d’appel, le demandeur n’a pas été obligé de prouver la mauvaise foi de l’appelant.

 

VIII.  Conclusion

[40]           Le Comité d’appel a erré en décidant que le Comité de sélection ne s’est pas conformé au principe du mérite vu son manquement à l’obligation d’accommodement raisonnable à l’égard de monsieur East. Il était loisible au Comité de sélection de conclure que reporter l’examen pour monsieur East plus d’une semaine pouvait constituer un risque de coulage de renseignements concernant les questions posées et donc, pouvait nuire au principe de mérite. Les conclusions du Comité d’appel n’étaient pas appuyées raisonnablement par la preuve.

 

[41]           De plus, le Comité d’appel a tiré des conclusions de fait manifestement déraisonnable en arrivant à la conclusion que le retard de la notification de monsieur East était justifié. Même si monsieur East aurait pu avoir de bonnes raisons pour sa demande d’accommodement, il n’a pas démontré qu’il avait de bonnes raisons pour le retard de sa notification. Sans raison convaincante, le Comité de sélection n’a pas l’obligation d’accommodement lorsque cette demande lui est faite tardivement.


 

JUGEMENT

LA COUR ORDONNE que

1.                  La demande de contrôle judiciaire soit accueillie;

2.                  L’affaire soit renvoyée devant un Comité d’appel différemment constitué pour un réexamen fondé sur ce qui était devant le jury de sélection;

3.                  Le tout avec dépens.

 

« Michel M.J. Shore »

Juge


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        T-641-07

 

INTITULÉ :                                       PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

                                                            c. MICHEL EAST

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               le 4 novembre 2008

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE SHORE

 

DATE DES MOTIFS :                      le 28 novembre 2008

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Me Pascale O’Bomsawin

 

POUR LE DEMANDEUR

Me Paul Deschênes

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

JOHN H. SIMS, c.r.

Sous-procureur général du Canada

POUR LE DEMANDEUR

 

PÉPIN ET ROY, avocat-e-s

Montréal (Québec)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

 

 

 

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