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Date :  20090107

Dossier :  IMM-1753-08

Référence :  2009 CF 11

Ottawa (Ontario), le 7 janvier 2009

En présence de monsieur le juge Shore 

 

ENTRE :

MANJIT SINGH

RAVINDER KAUR

MUSKAN SINGH

SAMANINDER SINGH

demanderesse

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

défenderesse

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

I.  Au préalable

[1]               L’une des pierres angulaires de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (LIPR) est l’obligation, pour les personnes qui souhaitent s’établir au Canada, de soumettre avant leur arrivée au Canada une demande hors du Canada, de satisfaire aux critères relatifs au statut de résident et d’obtenir un visa de résidence permanente. L’article 25 de la LIPR donne au ministre la possibilité d’autoriser certaines personnes, dans les cas qui le justifie, à déposer leur demande depuis le Canada. Cette mesure est clairement une mesure d’exception, comme l’indique le libellé de cette disposition (Doumbouya c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 1186, 325 F.T.R. 186 au par. 6)

 

[2]               Pour obtenir cette dispense, les demandeurs devaient prouver que les difficultés auxquelles ils feraient face, s’ils devaient déposer leur demande respective de résidence permanente depuis l’extérieur du pays, seraient inhabituelles et injustifiées ou excessives (Doumbouya, ci-dessus au par. 8; Akinbowale c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 1221 aux par. 14 et 24; Djerroud c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 981, 160 A.C.W.S. (3d) 881 au par. 32).

 

II.  Introduction

[3]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire en vertu de la LIPR, à l’encontre d’une décision, rendue le 19 mars 2008, par laquelle un agent d’immigration a refusé d’accorder aux demandeurs une dispense, fondée sur des motifs d’ordre humanitaire (CH), de l’obligation d’obtenir un visa d’immigrant à l’étranger, exemption qui aurait permis le traitement au Canada de leur demande de résidence permanente.

 

III.  Faits

[4]               Le demandeur principal, monsieur Manjit Singh, son épouse, madame Ravinder Kaur et leur fille, Muskan Singh, âgée de 6 ans, sont citoyens de l’Inde. Leur fils, Samaninder Singh, âgé de 9 ans, est citoyen des États-Unis.

[5]               Les demandeurs sont arrivés au Canada le 18 novembre 2003. Tous, sauf Samaninder Singh, ont revendiqué le statut de réfugié au Canada, en mai 2004.

 

[6]               Cette demande fut rejetée, le 20 avril 2005. Cependant, le 23 novembre 2005, cette Cour cassa cette décision et retourna l’affaire devant un autre décideur.

 

[7]               La revendication du statut de réfugié des mêmes trois demandeurs fut de nouveau refusée, le 24 octobre 2006 et cette décision fut maintenue par cette Cour, le 5 juin 2007.

 

[8]               Le ou vers le 1 novembre 2007, les demandeurs, alors qu’ils étaient au Canada, ont déposé une demande de résidence permanente sur la base de motifs humanitaires, en vertu du paragraphe 25.(1) de la LIPR.

 

[9]               Le 19 mars 2008, cette demande fut refusée.

 

IV.  Point en litige

[10]           Est-ce que l’agent a commis une erreur déraisonnable ?

 

 

 

 

 

V.  Analyse

            Loi applicable

[11]           Il est un principe de base que les personnes qui souhaitent obtenir le statut de résident permanent au Canada doivent en faire la demande depuis l’étranger. Ceci est clairement mentionné au paragraphe 11.(1) de la LIPR :

11.      (1) L’étranger doit, préalablement à son entrée au Canada, demander à l’agent les visa et autres documents requis par règlement. L’agent peut les délivrer sur preuve, à la suite d’un contrôle, que l’étranger n’est pas interdit de territoire et se conforme à la présente loi.

 

11.      (1) A foreign national must, before entering Canada, apply to an officer for a visa or for any other document required by the regulations. The visa or document may be issued if, following an examination, the officer is satisfied that the foreign national is not inadmissible and meets the requirements of this Act.

 

 

[12]           L’article 6 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 (Règlement), réitère cette obligation en ces termes :

6.      L’étranger ne peut entrer au Canada pour s’y établir en permanence que s’il a préalablement obtenu un visa de résident permanent.

 

6.      A foreign national may not enter Canada to remain on a permanent basis without first obtaining a permanent resident visa.

 

 

[13]           Le paragraphe 25.(1) de la LIPR prévoit toutefois que le ministre a le pouvoir discrétionnaire d’exempter un étranger de tout critère ou obligation prévue par la LIPR et de lui octroyer le statut de résident permanent, s’il estime que des circonstances d’ordre humanitaire relatives à l’étranger le justifient :

25.      (1) Le ministre doit, sur demande d’un étranger se trouvant au Canada qui est interdit de territoire ou qui ne se conforme pas à la présente loi, et peut, de sa propre initiative ou sur demande d’un étranger se trouvant hors du Canada, étudier le cas de cet étranger et peut lui octroyer le statut de résident permanent ou lever tout ou partie des critères et obligations applicables, s’il estime que des circonstances d’ordre humanitaire relatives à l’étranger — compte tenu de l’intérêt supérieur de l’enfant directement touché — ou l’intérêt public le justifient.

 

25.      (1) The Minister shall, upon request of a foreign national in Canada who is inadmissible or who does not meet the requirements of this Act, and may, on the Minister’s own initiative or on request of a foreign national outside Canada, examine the circumstances concerning the foreign national and may grant the foreign national permanent resident status or an exemption from any applicable criteria or obligation of this Act if the Minister is of the opinion that it is justified by humanitarian and compassionate considerations relating to them, taking into account the best interests of a child directly affected, or by public policy considerations.

 

[14]           L’une des pierres angulaires de la LIPR est l’obligation, pour les personnes qui souhaitent s’établir au Canada, de soumettre avant leur arrivée au Canada une demande hors du Canada, de satisfaire aux critères relatifs au statut de résident et d’obtenir un visa de résidence permanente. L’article 25 de la LIPR donne au ministre la possibilité d’autoriser certaines personnes, dans les cas qui le justifie, à déposer leur demande depuis le Canada. Cette mesure est clairement une mesure d’exception, comme l’indique le libellé de cette disposition (Doumbouya, ci-dessus).

 

[15]           Une demande de résidence permanente présentée en territoire canadien entraîne un processus décisionnel qui comporte deux étapes. Premièrement, l’agent doit déterminer s’il y a lieu de dispenser le demandeur de son obligation statutaire de demander un visa d’immigration avant de venir au Canada conformément au paragraphe 11.(1) de la LIPR. La deuxième étape consiste alors à vérifier si le demandeur respecte les exigences établies par la LIPR, notamment, les considérations sécuritaires (Mutanda c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1101, 148 A.C.W.S. (3d) 977; Egbejule c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 851, 140 A.C.W.S. (3d) 363).

 

[16]           La validité de ce processus en deux étapes a été confirmée récemment par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Espino c. Canada, 2008 CAF 77, 164 A.C.W.S. (3d) 680.

 

[17]           Par ailleurs, le processus de décision pour les demandes CH est tout à fait discrétionnaire et sert à déterminer si l’octroi d’une exemption est justifié (Doumbouya, ci-dessus au par. 7; Quiroa c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 495, 312 F.T.R. 262 au par. 19.).

 

[18]           Pour obtenir cette dispense, les demandeurs devaient prouver que les difficultés auxquelles ils feraient face, s’ils devaient déposer leur demande respective de résidence permanente depuis l’extérieur du pays, seraient inhabituelles et injustifiées ou excessives (Doumbouya, ci-dessus au par. 8; Akinbowale, ci-dessus; Djerroud, ci-dessus).

 

[19]           Quant au sens des mots « inhabituelles et injustifiées ou excessives » dans ce contexte, la décision Doumbouya, ci-dessus, cite avec approbation (au par. 9) les propos suivants du juge Yves de Montigny concernant l’affaire Serda c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 356, 146 A.C.W.S. (3d) 1057 :

[20]      [...]

 

Pour examiner les demandes d'établissement déposées au Canada pour des raisons d'ordre humanitaire en vertu de l'article 25, l'agent d'immigration s'appuie sur des lignes directrices ministérielles. Le chapitre IP5 du Guide de l'immigration -- Demande présentée par des immigrants au Canada pour des motifs d'ordre humanitaire, un guide préparé par le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration, contient des lignes directrices sur le sens qu'il convient de donner aux motifs d'ordre humanitaire...

 

[...]

 

Le Manuel contient également une définition de « difficulté inhabituelle et injustifiée » et de « difficultés démesurées », aux paragraphes 6.7 et 6.8 :

 

6.7 Difficulté inhabituelle et injustifiée

 

On appelle difficulté inhabituelle et injustifiée :

 

- la difficulté (de devoir demander un visa de résident permanent hors du Canada) à laquelle le demandeur s'exposerait serait, dans la plupart des cas, inhabituelle ou, en d'autres termes, une difficulté non prévue à la Loi ou à son Règlement; et

 

- la difficulté (de devoir demander un visa de résident hors du Canada) à laquelle le demandeur s'exposerait serait, dans la plupart des cas, le résultat de circonstances échappant au contrôle de cette personne.

 

6.7[sic] Difficultés démesurées

 

 

Des motifs d'ordre humanitaire peuvent exister dans des cas n'étant pas considérés comme "inusités ou injustifiés", mais dont la difficulté (de présenter une demande de visa de résident permanent à l'extérieur de Canada) aurait des répercussions disproportionnées pour le demandeur, compte tenu des circonstances qui lui sont propres.

6.7 Unusual and undeserved hardship

 

Unusual and undeserved hardship is:

 

- the hardship (of having to apply for a permanent resident visa from outside of Canada) that the applicant would have to face should be, in most cases, unusual, in other words, a hardship not anticipated by the Act or Regulations; and

 

- the hardship (of having to apply for a permanent resident visa from outside of Canada) that the applicant would face should be, in most cases, the result of circumstances beyond the person's control

 

6.8 Disproportionate hardship

 

Humanitarian and compassionate grounds may exist in cases that would not meet the "unusual and undeserved" criteria but where the hardship (of having to apply for a permanent resident visa from outside of Canada) would have a disproportionate impact on the applicant due to their personal circumstances.

 

 

[20]           Les difficultés inhérentes au fait de devoir quitter le Canada ne sont pas suffisantes (Doumbouya, ci-dessus au par. 10).

 

            La norme de contrôle applicable

[21]           La norme de contrôle d’une décision rendue en vertu du paragraphe 25.(1) de la LIPR, sur la base de motifs soi-disant humanitaires, est celle de la décision raisonnable (Barzegaran c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 681, [2008] A.C.F. no 867 (QL) au par. 15-20; Zambrano c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 481, [2008] A.C.F. no 601 (QL) au par. 31).

 

Considération de la citoyenneté du fils

[22]           Les demandeurs reprochent à l’agent d’immigration de ne pas avoir tenu compte du fait que le fils du demandeur principal, âgé de 9 ans, est citoyen des États-Unis et non de l’Inde.

[23]           Il est vrai que les motifs du décideur ne mentionnent pas ce fait, mais cela ne vicie pas sa décision pour autant.

 

[24]           Ce qui était en cause devant le décideur CH était de savoir si les difficultés auxquelles les demandeurs feraient face, s’ils devaient déposer leur demande de résidence permanente depuis l’extérieur du pays, seraient inhabituelles et injustifiées ou excessives.

 

[25]           Les demandeurs pourraient chacun déposer leur demande de résidence permanente respective aux États-Unis, pays de citoyenneté de l’un d’eux.

 

[26]           Mais, étant donné que le demandeur, Samaninder Singh, est un enfant en bas âge, il faut s’attendre qu’il fasse sa demande à partir de l’Inde avec ses parents, lesquels n’ont pas un droit strict d’entrer sur le territoire américain.

 

[27]           À cet égard, la Cour note que les demandeurs adultes n’ont pas établi ni même soulevé devant le décideur, a) que leur fils ne pourrait les accompagner en Inde; b) qu’il ne pourrait obtenir la citoyenneté indienne et c) qu’il ne pourrait jouir en Inde du droit à l’éducation.

 

[28]           Comme toutes ces questions n’ont pas été soulevées devant l’agent décideur, cette Cour, en contrôle judiciaire, ne peut lui reprocher de ne pas en avoir tenu compte.

 

[29]           Il est en effet bien établi qu’on ne peut attaquer une décision dans le cadre d’une demande de contrôle judiciaire en se fondant sur une question qui n’a pas été soulevée devant l’instance décisionnelle, à moins qu’il s’agisse d’une question de compétence, ce qui n’est pas le cas ici (Tozzi c. Canada (Procureur général), 2007 CF 825, [2007] A.C.F. no 1085 (QL) au par. 22; Sabadao c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 623, 158 A.C.W.S. (3d) 457 aux par. 16-19; Comstock c. Alliance de la fonction publique du Canada, 2007 CF 335, 310 F.T.R. 277 au par. 56; 334156 Alberta Ltd. c. Canada (Ministre du Revenue national – M.R.N.), 2006 CF 1133, 300 F.T.R. 74 au par 16; Hussain c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 719, 149 A.C.W.S. (3d) 303 au par. 17; Ahmad c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 1268, 140 A.C.W.S. (3d) 540 aux par. 16-17).

 

[30]           Dans les circonstances, le décideur était en droit d’examiner si le fait pour Samaninder de devoir aller en Inde avec ses parents constituait pour eux et pour lui une difficulté inhabituelle et injustifiée ou excessive.

 

Le pouvoir discrétionnaire du décideur

 

[31]           À cet égard, les demandeurs font valoir, dans leur mémoire en réplique (par. 1-19), que l’article 25 de la LIPR ne limite pas le pouvoir discrétionnaire du ministre qui peut, en vertu de cette disposition, accorder la dispense « s’il estime que des circonstances d’ordre humanitaire relatives à l’étranger compte tenu de l’intérêt supérieur de l’enfant directement touché – ou l’intérêt public le justifient. »

 

[32]           Les demandeurs soulignent en outre que le chapitre IP 5 des Directives du Ministère de la Citoyenneté et de l’Immigration (CIC) traitent des « difficultés excessives, inhabituelles ou injustifiées si la demande était présentée à l’extérieur du Canada » et que c’est strictement de ce point de vue que l’agent d’immigration a pris sa décision.

 

[33]           Selon les demandeurs, les directives susmentionnées entravent le pouvoir discrétionnaire des agents d’immigration appelés à se prononcer au nom du ministre, en vertu du paragraphe 25.(1) de la LIPR.

 

[34]           Or, dans l’arrêt Ha c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CAF 49, [2004] R.C.F. 195, la Cour d’appel fédérale a rappelé :

[71]      Bien que les décideurs administratifs puissent valablement adopter des lignes directrices pour les aider dans l'exercice de leurs pouvoirs discrétionnaires, ils n'ont pas la liberté d'adopter des politiques obligatoires ne laissant aucune place à cet exercice. Dans chaque cas, l'agent des visas doit examiner les faits particuliers.

 

(Également, Thamotharem c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CAF 198, 158 A.C.W.S. (3d) 972 au par. 78).

 

[35]           En l’espèce, il ne fait aucun doute, à la lecture des motifs du décideur, que celui-ci a examiné les faits particuliers des demandeurs.

 

[36]           Dans l’affaire Duplessis c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1190, [2006] A.C.F. no 1974 (QL), le juge Luc Martineau a rejeté un argument similaire à celui plaidé par les demandeurs en l’espèce. Il écrit :

[18]      A mon avis, l'agente d'immigration n'a commis aucune erreur révisable en se fondant sur les directives du ministre. Celles-ci constituent un guide utile dans l’ exercice de la discrétion ministérielle; une discrétion qui est déléguée ici a l'agente d'immigration (Irimie c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de ('Immigration) (2000), 10 Imm. L.R. (3d) 206; Pashulya c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de ('Immigration) (2004), 257 F.T.R. 143, 2004 CF 1275).

 

[19]      Dans le cas présent, la demanderesse n'est pas en mesure d'indiquer quels’ autres critères, s'il en est, l'agente d'immigration aurait do considérer en sus ou en lieu et place des critères que l'on retrouve aux Directives. La demanderesse ne m'a pas convaincu ici qu'il était déraisonnable pour l'agente d'immigration de se demander si les difficultés sont inhabituelles, excessives ou injustifiées >> dans le cadre d'une demande de dispense de visa fondée sur des considérations humanitaires. Par conséquent, le reproche formule ici par la demanderesse m'apparait donc plus théorique que pratique, puisque la véritable question se posant en l'espèce est de déterminer si la décision en cause est raisonnable dans les circonstances, ce qui m'amène donc a traité du deuxième argument de la demanderesse.

 

[37]           En somme, la question à se poser en contrôle judiciaire est de savoir si la décision attaquée constitue une application raisonnable des termes plus généraux du paragraphe 25.(1) de la LIPR (Tshidind c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 561, 291 F.T.R. 156 au par. 9 et 12).

 

[38]           De plus, le critère des « difficultés inhabituelles et injustifiées ou excessives » ou « unusual, undeserved, or disproportionate hardship » a maintenant été adopté par la jurisprudence de cette Cour concernant l’application du paragraphe 25.(1), de sorte que ces termes sont plus que de simples directives (Liniewska c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 591, 152 A.C.W.S. (3d) 500 au par 16; Ruiz c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 465, 147 A.C.W.S. (3d) 1050  au par. 35; Kawtharani c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 162, 146 A.C.W.S. (3d) 338 au par. 16; Pashulya c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 1275, 257 F.T.R. 143 au par. 43; Legault c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2002] 4 C.F. 358, 2002 CAF 125 aux par. 23 et 28; Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817 au par. 17).

 

L’obligation du décideur « de considérer l’éducation des enfants au Canada comme élément à considérer quant aux liens avec le Canada »

 

[39]           Concernant le fils de 9 ans, Samaninder Singh, les demandeurs s’en prennent en outre au passage suivant des motifs de l’agent :

... The applicants have not indicated whether the children have any ability to speak their parents’ native language, however, language acquisition and cultural adjustment should be relatively easy because of their young ages, and in light of the support of their parents and extended family members who still reside in India.

 

(Decision à la p. 4).

 

 

[40]           Ce passage fait partie du paragraphe suivant des motifs de l’agent :

I now turn to the best interests of the children, namely Muskan who is 6 years old, and Samaninder who is 9 years old. The best interests of children directly affected are a key factor in an H&C decision. The children have been in Canada with their parents for 4 years. The applicants state that the children have spent more time outside of India than in India and are accustomed to North America. Both children are currently in school. I note that the applicants have several family members in India, including Majit’s parents, two brothers, and Ravinder’s mother. The applicants have not indicated whether the children have any ability to speak their parents’ native language, however, language acquisition and cultural adjustment should be relatively easy because of their young ages, and in light of the support of their parents and extended family members who still reside in India. Returning to India would allow the children to establish relationships with their grandparents and other extended family members. Based on the evidence submitted, I am not satisfied that the best interest of these children would be negatively affected should they be required to return to India. (La Cour souligne.)

 

 

[41]           Le passage contesté n’a rien de déraisonnable. Il est au contraire tout à fait rationnel.

 

[42]           De plus, un décideur peut se fonder sur des présomptions factuelles découlant de faits établis. Les conclusions fondées sur ces présomptions n’ont pas à se trouver textuellement dans la preuve soumise par les parties.

 

[43]           Comme spécifié par les auteurs Sopinka, Lederman et Bryant dans leur ouvrage « The Law of Evidence in Canada », Toronto/Vancouver, Butterworths, 2e édition, 1999. p. 97 :

4.4 A presumption of fact is a deduction of fact that may logically and reasonably be drawn from a fact or group of facts found or otherwise established. Put differently, it is a common sense logical inference that is drawn from proven facts. Thus, on proof of fact A, the trier of fact may infer the existence or non-existence of fact B. When established facts raise a presumption of fact, they give rise to a permissive inference which the trier of fact may, but need not, draw. (La Cour souligne.)

 

 

[44]           Le décideur n’avait donc pas à poser des questions aux demandeurs quant au contenu du paragraphe précité de ses motifs, portant sur « l’intérêt supérieur » des enfants.

 

« Équité procédurale »

[45]           Les demandeurs partent d’une fausse prémisse, selon laquelle le Guide de l’immigration lie les agents d’immigration, prétention qui va à l’encontre de la jurisprudence, selon laquelle les lignes directrices de Citoyenneté et Immigration Canada (CIC) contenue dans ce Guide ne lient pas le ministre ou ses agents, puisqu’elles ne sont pas des règlements et n’ont pas force de loi (Legault, ci-dessus; Association canadienne des importateurs réglementés c. Canada (Procureur général), [1994] 2 C.F. 247, 164 N.R. 342 (C.A.)).

[46]           Les demandeurs plaident ensuite que l’agent « ne pouvait spéculer sur l’habileté des enfants à parler ou à apprendre la langue du pays de leurs parents ni ne pouvait spéculer sur l’ajustement culturel qui devrait se faire quant aux enfants dont un était américain ».

 

[47]           Or, tel que susdit à cet égard, le décideur, à partir de la preuve au dossier, était en droit d’inférer les conclusions factuelles auxquelles il est arrivé, lesquelles sont tout à fait raisonnables.

 

[48]           Le décideur n’a donc pas, à ce sujet, manqué à son devoir d’agir équitablement, ni violé le droit des demandeurs d’être entendus.

 

Le facteur du degré d’établissement des demandeurs au Canada

[49]           Le décideur a écrit ce qui suit à ce sujet :

The applicants have been in Canada for four years. I note that in 2003, the applicants were receiving social assistance, however, there is no indication that this continues. The applicant obtained a license to be a long-haul truck driver and is now self employed working for a brother. His spouse is not currently working as a result of a work accident injuring her arm, but she is expected to return to the work force soon. The applicants have demonstrated that they have savings and have purchased vehicles and furniture. The applicants state that all family members are fluent in both English and French. The applicant has provided submissions to indicate that Manjit’s field of work is experiencing a shortage of workers and therefore it is beneficial that he remain working in Canada.

 

Although it is commendable that the applicants have been self supporting for the majority of their stay in Canada, there is a degree of establishment that is expected for this duration. The applicants were granted the opportunity to work in Canada by means of work permits issued to them while they were awaiting decisions on their claims to be Convention refugees. These claims have now been heard and the family were found not to be Convention refugees. I am sensitive to the factor that the applicant has upgraded his skills and obtained a license for an occupation that is in demand in Canada, however, the legislation accounts for other assessment avenues available for applicants to be considered based on their occupation and experience. The applicant has indicated that prior to entering Canada he was self employed for 5 ½ years as a hotel owner. The applicant has not provided any evidence to indicate that he could not resume a similar occupation, or use his new skills acquired in Canada in order to support his family. Based on all of the evidence submitted, I am not satisfied that the applicants are established to a degree that would constitute undeserved or disproportionate hardship if they were required to leave Canada. (La Cour souligne.)

 

(Décision aux pp. 3 et 4).

 

 

[50]           Cette conclusion n’est pas déraisonnable.

 

[51]           Relativement aux allégations des demandeurs concernant leur degré d’établissement, il est bien établi que ce facteur ainsi que les liens qu’un demandeur allègue avoir développés au Canada ne sont pas suffisant en soi pour justifier l’exemption d’avoir un visa d’immigrant à partir de l’extérieur du Canada.

 

[52]           À cet effet, les extraits des décisions suivent :

[22]      Il appartient au demandeur de prouver que la règle l'obligeant à demander un visa depuis l'extérieur du Canada entraînerait pour lui des difficultés inhabituelles, injustes ou indues. Le demandeur a pris le risque de s'établir au Canada alors que son statut d'immigrant était incertain, et en sachant qu'il pourrait avoir l'obligation de partir. Maintenant qu'il peut être tenu de partir et de demander le droit d'établissement depuis l'extérieur du Canada, le demandeur ne peut aujourd'hui, puisqu'il a pris ce risque, et compte tenu des faits, prétendre que les difficultés sont inhabituelles, injustes ou indues. Les propos de M. le juge Pelletier, dans l'affaire Irmie c. M.C.I. (2000), 10 Imm. L.R. (3d) 206 (C.F. 1re inst.), sont applicables à la présente affaire :

 

Je reviens à l'observation que j'ai faite, à savoir que la preuve donne à entendre que les demandeurs s'intégreraient avec succès dans la collectivité canadienne. Malheureusement, tel n'est pas le critère. Si l'on appliquait ce critère, la procédure d'examen des demandes fondées sur des raisons d'ordre humanitaire deviendrait un mécanisme d'examen ex post facto l'emportant sur la procédure d'examen préalable prévue par la Loi sur l'immigration et par son règlement d'application. Cela encouragerait les gens à tenter leur chance et à revendiquer le statut de réfugié en croyant que s'ils peuvent rester au Canada suffisamment longtemps pour démontrer qu'ils sont le genre de gens que le Canada recherche, ils seront autorisés à rester. La procédure applicable aux demandes fondées sur des raisons d'ordre humanitaire n'est pas destinée à éliminer les difficultés; elle est destinée à accorder une réparation en cas de difficultés inhabituelles, injustifiées ou excessives. Le refus de la demande fondée sur des raisons d'ordre humanitaire causera sans doute des difficultés aux demandeurs, mais eu égard aux circonstances de leur présence au Canada et à l'état du dossier, il ne s'agit pas d'une difficulté inhabituelle, injustifiée ou excessive. (La Cour souligne).

 

(Uddin c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CFPI 937, 116 A.C.W.S. (3d) 930).

[11]      Un examen de la décision confirme que l'agente a effectivement tenu compte du temps que le demandeur a passé au Canada, de son entreprise, de son investissement, de ses compétences, de ses aptitudes et de son initiative ainsi que de ses autres liens avec le Canada. Toutefois, le degré d'établissement n'est pas déterminant pour une demande CH. Je ne trouve aucune erreur susceptible de contrôle sur cette question. (La Cour souligne).

 

(Klais c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 785, 131 A.C.W.S. (3d) 731).

[9]        À mon avis, l'agent n'a pas commis d'erreur lorsqu'il a indiqué que le temps passé au Canada par les demandeurs et leur établissement dans la communauté étaient des facteurs importants, mais non déterminants. Si la durée du séjour au Canada devait devenir le principal facteur dont il faut tenir compte dans le cadre de l'examen d'une demande fondée sur des motifs d'ordre humanitaire, cela encouragerait les gens à tenter leur chance et à revendiquer le statut de réfugié en croyant que, s'ils peuvent rester au Canada suffisamment longtemps pour démontrer qu'ils sont le genre de gens que le Canada recherche, ils seront autorisés à rester (Irimie c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2000] A.C.F. no 1906). (La Cour souligne).

 

(Lee c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 413, 138 A.C.W.S. (3d) 350).

[53]           Par ailleurs, les demandeurs prétendent que le degré d’établissement au Canada a été considéré incorrectement puisque leur séjour prolongé au Canada n’était pas dû à leur faute ou négligence.

 

[54]           À cet égard, il faut noter que la directive suivante se trouve dans les Guides des politiques et des programmes de la CIC :

5.21. Séjour prolongé au Canada aboutissant à l’établissement

 

Une étude favorable pourrait être justifiée si le demandeur est au Canada depuis assez longtemps en raison de circonstances échappant à son contrôle.

           

[...]

 

IP 05 Demande présentée par des immigrants au Canada pour des motifs d’ordre humanitaire

 

5.21 Prolonged stay in Canada has led to establishment

 

Positive consideration may be warranted when the applicant has been in Canada for a significant period of time due to circumstances beyond the applicant’s control.

 

 

IP 5 Immigrant Applications in Canada made on Humanitarian or Compassionate

Grounds

 

[55]           Cette Cour a confirmé que la poursuite des recours envisagés par la LIPR ne sont pas des « circonstances échappant » au contrôle des demandeurs (Serda c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 356, 146 A.C.W.S. (3d) 1057 au par. 23).

 

[56]           Dans le cas où une personne, comme les demandeurs, n’a pas le droit de rester au Canada, et qu’elle le fait sans qu’il existe de circonstances indépendantes de sa volonté, elle ne devrait pas être récompensée pour avoir accumulé du temps au Canada (Quiroa, ci-dessus au par. 22)

 

[57]           Aux paragraphes 32-37 de leur mémoire, les demandeurs contestent le passage suivant des motifs du décideur :

Based on all of the evidence submitted, I am not satisfied that the applicants are established to a degree that would constitute undeserved or disproportionate hardship if they were required to leave Canada. (Décision à la p. 4.)

 

 

[58]           Les demandeurs contestant la légalité du lien que le décideur a ainsi établi entre leur degré d’établissement au Canada et le critère des difficultés auxquelles ils feraient face, s’ils devaient déposer leur demande respective de résidence permanente depuis l’extérieur du pays, lesquels difficultés doivent être inhabituelles et injustifiées ou excessives.

 

[59]           Or, ce lien est tout à fait conforme à la jurisprudence de cette Cour. Comme l’écrivait le juge de Montigny concernant l’affaire Buio, ci-dessus :

[36]      Globalement, il importe de se souvenir que l’évaluation de l’établissement a pour objet de déterminer si le demandeur est établi à un degré tel que le renvoi constituerait un préjudice hors de proportion. La Cour a répété à maintes reprises que le préjudice qui déclencherait l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire favorable quant à une décision fondée sur des motifs d’ordre humanitaire devrait être autre que celui qui est inhérent lorsqu’une personne se fait demander de quitter après avoir été au Canada pendant une certaine période (voir Irimie c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] A.C.F. no 1906 (C.F. 1re inst.) (QL), aux paragraphes 12 et 17 [Irimie]; Mayburov cCanada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] A.C.F. no 953 (C.F. 1re inst.) (QL); Lee cCanada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CFPI 7, au paragraphe 14). (La Cour souligne.)

 

[60]           Dans le même sens, le juge Denis Pelletier, écrivait concernant l’affaire Irimie c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (2000), 101 A.C.W.S. (3d) 995, [2000] A.C.F. no 1906 (C.F. 1re inst.) (QL), au paragraphe 20, que « [l]e degré d'attachement se rapporte à la question de savoir si la difficulté découlant du fait qu'une personne doit quitter le Canada est inhabituelle ou excessive ».

 

[61]           Les demandeurs plaident, au paragraphe 38 de leur mémoire, en outre que l’agent « n’a pas non plus considéré la situation générale de quasi-soulèvement et guerre civile larvée qui prévalant [sic] au Jammu & Kashmir [sic] et les dangers qu’auraient à affronter les demandeurs le cas échéant ».

 

[62]           Or, il n’y a aucune preuve au dossier des demandeurs établissant qu’ils auraient soulevé devant le décideur un ou des soi-disant risque(s) de leur retour dans la partie de l’Inde connue sous le nom de Jammu et Cashemire (DD aux pp. 32-103).

 

[63]           Les demandeurs soutiennent en outre que le demandeur principal aurait de la difficulté à retourner en Inde du fait que son passeport indien est expiré depuis 2006. Encore là, le dossier des demandeurs ne révèle pas qu’ils ont soulevé ce point devant le décideur, comme étant un obstacle à leur retour en Inde.

 

[64]           Dans leur mémoire, les demandeurs invoquent en outre ce qui suit :

41.  Comte tenu de la document [sic] générale, l’agent ne pouvait croire que le demandeur pourrait retourner en Inde sans être appréhendé à son entrée en territoire indien, ni ne pouvait décider, sans appui documentaire, de l’importance des conséquences pour le demandeur et sa famille d’une telle situation.

 

[65]           Or, dans les documents que les demandeurs ont soumis au décideur, il n’est nullement question d’un risque que le demandeur principal serait « appréhendé à son entrée en territoire indien ».

 

[66]           Comme toutes ces questions n’ont pas été soulevées devant l’agent décideur, cette Cour, en contrôle judiciaire, ne peut lui reprocher de ne pas en avoir tenu compte.

 

[67]           Comme le défendeur l’a plaidé plus haut concernant une autre question, il est en effet bien établi qu’on ne peut attaquer une décision dans le cadre d’une demande de contrôle judiciaire en se fondant sur une question qui n’a pas été soulevée devant l’instance décisionnelle, à moins qu’il s’agisse d’une question de compétence, ce qui n’est pas le cas ici.

 

VI.  Conclusion

[68]           Puisque la décision contestée en l’espèce n’est entachée d’aucune erreur, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.


 

JUGEMENT

LA COUR ORDONNE que

1.         La demande de contrôle judiciaire soit rejetée;

2.         Aucune question grave de portée générale ne soit certifiée.

 

 

« Michel M.J. Shore »

Juge


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-1753-08

 

INTITULÉ :                                       MANJIT SINGH

                                                            RAVINDER KAUR

                                                            MUSKAN SINGH

                                                            SAMANINDER SINGH

                                                            c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                            ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               le 16 décembre 2008

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT:                               LE JUGE SHORE

 

DATE DES MOTIFS :                      le 7 janvier 2009

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Me Michel Le Brun

 

POUR LA DEMANDERESSE

Me Michel Pépin

 

POUR LA DÉFENDERESSE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

MICHEL LE BRUN, avocat

Montréal (Québec)

 

POUR LA DEMANDERESSE

JOHN H. SIMS, c.r.

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LA DÉFENDERESSE

 

 

 

 

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