Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

 

Date : 20090102

Dossier : IMM-1541-08

Référence : 2009 CF 4

Ottawa (Ontario), le 2 janvier 2009

En présence de monsieur le juge Barnes

 

 

ENTRE :

MYRA LAWAS MAURICIO CHICO et

JOHN MISHAEL LAWAS MAURICIO (mineur)

 

demandeurs

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Les demandeurs, Myra Lawas Mauricio Chico et son fils de quatorze ans John Mishael Lawas Mauricio, contestent une décision par laquelle la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission) a refusé leur demande présentée suivant l’article 55 des Règles de la Section de la protection des réfugiés, DORS/2002-228 (les Règles de la SPR), en vue de la réouverture de leurs demandes d’asile.

 

I.                   Le contexte

[2]               Les demandeurs sont entrés au Canada à la fin de 2001, en provenance des Philippines, après avoir transité par les Pays‑Bas. Mme Chico demandait l’asile en invoquant être exposée à de la persécution politique aux Philippines parce qu’elle défendait la cause de l’égalité des femmes dans les forces armées. Elle affirmait que son activisme avait amené les autorités à porter contre elle des accusations criminelles dénuées de fondement et que ces accusations avaient mené à la délivrance d’un mandat visant son arrestation.

 

[3]               Dans une décision datée du 2 août 2007, la Commission a rejeté la demande d’asile de Mme Chico. La Commission a conclu que l’appréhension de Mme Chico d’être exposée à un traitement brutal aux Philippines était « grossièrement embellie ». La Commission a en outre rejeté l’allégation de Mme Chico voulant qu’elle soit exposée, aux Philippines, à une poursuite judiciaire ayant une motivation politique. Il ressort du dossier que la Commission disposait d’éléments de preuve contradictoires à l’égard de l’existence d’un mandat d’arrestation visant Mme Chico. Mme Chico a présenté des éléments pour prouver qu’elle était exposée à des accusations et à une arrestation aux Philippines, mais un rapport d’Interpol disait le contraire. La Commission a tranché la question à cet égard de la façon suivante :

La demandeure d’asile a présenté des documents ayant trait à différentes accusations portées contre elle. Les accusations d’inconduite grave ou de malhonnêteté ont été rejetées. Il y a d’autres accusations apparentes en instance, dont aucune n’indique qu’un mandat d’arrestation a été délivré. Un rapport d’Interpol, daté du 17 octobre 2006, semble confirmer cette information. Les allégations selon lesquelles la demandeure d’asile serait en danger si elle retournait aux Philippines ne sont pas appuyées par des faits.

 

[…]

 

Cependant, la demandeure d’asile n’a pas de casier judiciaire et ne fait l’objet d’aucune accusation. Il n’y a pas de preuve qu’elle serait arrêtée si elle retournait aux Philippines, à moins que les allégations à son endroit soient réelles plutôt qu’inventées, comme elle le prétend.

 

[Non souligné dans l’original.]

 

 

[4]               Finalement, la Commission a conclu qu’il existait aux Philippines une protection de l’État capable de s’occuper des appréhensions de Mme Chico à l’égard de la persécution politique.

 

[5]               Mme Chico a présenté une demande d’autorisation en vue d’obtenir le contrôle judiciaire de la décision de la Commission, mais la Cour a refusé l’autorisation par une ordonnance datée du 15 janvier 2008.

 

[6]               Le 3 octobre 2007, Mme Chico avait présenté à la Commission une requête en réouverture de sa demande d’asile en invoquant avoir reçu subséquemment à la décision une copie certifiée conforme du mandat d’arrestation lancé à son endroit. Son avis de requête énonçait comme suit le fondement de son recours :

 

[traduction]

                                                               i.      L’audience relative à la demande d’asile de Mme Chico a eu lieu le 3 mars 2006, le 7 février 2007, et finalement le 26 avril 2007. Sa demande d’asile a été rejetée par une décision datée du 16 août 2007.

 

5.         La Commission a conclu dans sa décision que la demanderesse n’avait pas fourni d’éléments de preuve à l’égard de l’allégation selon laquelle on avait porté contre elle des accusations criminelles. La Commission a conclu que la demanderesse n’avait pas de casier judiciaire et qu’il n’y avait aucun élément de preuve établissant l’existence de mandats d’arrestation. La Commission a en outre conclu qu’il n’y avait pas de preuve que la demanderesse serait arrêtée si elle retournait aux Philippines, à moins que les allégations à son endroit soient réelles comme elle le prétendait plutôt qu’inventées.

 

[…]

 

7.         Le 29 septembre 2007, la demanderesse a reçu des copies certifiées conformes du mandat d’arrestation lancé à son endroit. Le frère de la demanderesse a tout récemment réussi à obtenir des copies du mandat d’arrestation, bien qu’il ait échoué dans ses diverses autres tentatives à cet égard. Le frère de la demanderesse a pu utiliser une de ses relations pour obtenir du greffe du tribunal de première instance du district de Quizan la délivrance de copies du mandat d’arrestation. La demanderesse a apporté ces copies à mon bureau lundi et nous présenterons la présente requête dès qu’elle sera prête.

 

8.                  Les copies du mandat d’arrestation n’ont pas été soumises avant le dépôt de la présente requête. Le principal point du rejet de la demande d’asile de la demanderesse est qu’elle ne pouvait pas fournir des copies du mandat d’arrestation lancé à son endroit. Le frère de la demanderesse et d’autres membres de la famille avaient tenté d’obtenir des copies du mandat d’arrestation, mais on leur avait dit qu’elles ne seraient délivrées que si la demanderesse en faisait la demande en personne. Finalement, le frère de la demanderesse a pu utiliser une relation pour les obtenir.

 

[…]

 

19.       Le régime de la Loi et des Règles de la Section de la protection des réfugiés prévoit que la Commission a le pouvoir et la compétence de réexaminer ses décisions dans les cas où il y a eu un manquement à la justice naturelle : Gill, Plawinder Kaur et MEI, C.A.F., no A‑476‑86, le 22 janvier 1987. Il y aura un manquement à la justice naturelle si Mme Chico n’est pas autorisée à présenter les nouveaux éléments de preuve et à rendre un témoignage sur cette question.

 

20.       Nous soutenons dans la présente affaire que même si Mme Chico savait que des mandats d’arrestation avaient été lancés à son endroit, elle ne pouvait pas les obtenir. Ces mandats prouvent hors de tout doute raisonnable que Mme Chico a une crainte subjective et une crainte objective de retourner aux Philippines. Ces mandats prouvent également que l’État ne peut la protéger puisqu’elle a peur de l’État lui‑même.

 

 

[7]               La Commission a refusé de rouvrir l’audience relative à la demande d’asile de la demanderesse et s’est contentée de faire l’annotation manuscrite suivante :

[traduction]

« La Cour fédérale a rejeté la demande présentée par la demandeure d’asile. Après examen de la demande de réouverture présentée par la demandeure d’asile, je conclus que le commissaire n’a commis aucun manquement à la justice naturelle. La demande de réouverture est rejetée. » – Le 4 mars 2008, R. Dawson.

 

 

II.        Les questions en litige

[8]               a)         La Commission est‑elle tenue d’énoncer des motifs lorsqu’elle refuse de rouvrir une audience relative à une demande d’asile et, dans l’affirmative, les motifs de la Commission dans la présente affaire étaient‑ils adéquats?

b)         La Commission a‑t‑elle eu tort de ne pas rouvrir l’audience relative à la demande d’asile de la demanderesse?

 

III.       Analyse

[9]               Je n’ai pas à me pencher sur la norme de contrôle se rapportant aux motifs de la Commission, parce que je ne peux trouver aucune erreur dans ces motifs. Mon examen du caractère adéquat de la décision rendue par la Commission quant au fond comporte une question mixte de fait et de droit qui sera examinée suivant la norme de raisonnabilité.

 

[10]           Il n’est pas nécessaire que je tranche la question de savoir si la Commission a une obligation légale d’énoncer des motifs lorsqu’elle refuse de rouvrir une demande d’asile, parce que dans la présente affaire la Commission a effectivement énoncé des motifs, bien qu’ils soient sous forme d’une annotation plutôt hermétique. L’article 55 des Règles de la SPR autorise la Commission à rouvrir une demande d’asile seulement lorsqu’il y a eu un manquement à la justice naturelle : voir Ali c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2004] A.C.F. no 1394, 2004 CF 1153, aux paragraphes 24 et 25; Nazifpour c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CAF 35, [2007] A.C.F. no 179, au paragraphe 82; Raza c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CAF 385, [2007] A.C.F. no 1632, au paragraphe 7. Dans l’affaire de Mme Chico, la Commission a clairement conclu qu’aucun manquement à la justice naturelle n’avait été démontré. Je suis convaincu que les motifs énoncés appuient suffisamment la décision de la Commission, bien que leur concision expose la décision à un examen plus poussé lors d’un contrôle judiciaire.

 

[11]           Après le rejet de sa demande d’asile, Mme Chico a obtenu une copie d’un mandat d’arrestation qu’elle prétendait être encore valide. Elle voulait que la Commission prenne en compte cet élément de preuve et, sur ce fondement, elle a présenté une requête en réouverture de la demande d’asile. Rien dans le dossier dont je dispose ne donne à penser que Mme Chico doutait à ce moment de l’équité accordée au traitement de sa demande d’asile ou, en particulier, qu’elle ait demandé plus de temps pour obtenir des éléments de preuve additionnels afin de corroborer sa demande. Toutefois, elle soutient maintenant que la Commission a agi de manière inéquitable à son endroit du fait d’avoir omis de l’informer de ses doutes quant à l’existence d’un mandat d’arrestation et de la nécessité de fournir des éléments de preuve afin de corroborer sa demande.

 

[12]           Au cours de l’audience initiale de la demande d’asile, la Commission a dit très clairement à Mme Chico que sa crédibilité était mise en doute quant à ce qui se rapportait à son allégation de persécution. La Commission disposait d’éléments de preuve contradictoires sur le statut d’une prétendue poursuite judiciaire contre Mme Chico, et Mme Chico savait que cette question pouvait être importante quant à l’issue de sa demande d’asile. Je ne suis pas d’avis que la Commission avait une obligation quelconque d’informer la demanderesse que l’omission de produire une copie du mandat d’arrestation pourrait peser lourd dans son appréciation de la preuve contradictoire. Mme Chico était représentée par un avocat et il faut supposer qu’elle était en mesure d’apprécier l’importance de produire tous les éléments de preuve corroborants disponibles et qu’il n’était pas nécessaire qu’on le lui dise.

 

[13]           La demande d’asile de Mme Chico n’a finalement été tranchée que plus de deux ans après avoir été mise en état et après de nombreux reports. Rien ne donne à penser qu’elle ait demandé qu’on lui accorde plus de temps pour obtenir des éléments de preuve afin de corroborer sa demande et, en fait, il semble qu’elle était satisfaite de la preuve présentée pour son compte. Lorsque la demande d’autorisation visant un contrôle judiciaire a été présentée à la Cour, Mme Chico n’a invoqué aucun manquement à quelque obligation d’équité quant au processus suivi par la Commission. Et lorsque Mme Chico a présenté à la Commission la requête en réouverture de l’audience de sa demande d’asile, elle a seulement invoqué le fait que les nouveaux éléments de preuve avaient été difficiles à obtenir et que le refus de les admettre en preuve constituerait un manquement à la justice naturelle. Puisque la demanderesse n’a jamais invoqué, ni lors de la requête en réouverture ni lors de la demande d’autorisation de contrôle judiciaire, que la Commission a manqué à une obligation d’équité, rien ne permet d’affirmer maintenant, pour la première fois, que la Commission a d’une façon ou d’une autre agi de manière inéquitable lorsqu’elle a rejeté la demande d’asile de Mme Chico sur le fond.

 

[14]           Une requête présentée suivant l’article 55 des Règles de la SPR en vue de la réouverture d’une demande d’asile ne peut être accueillie que s’il est établi que la Commission a commis un manquement à un principe de justice naturelle : voir Ali, précitée. Ce recours ne vise pas à permettre à l’intéressé d’ajouter des éléments à la preuve initialement versée au dossier pour l’étayer. S’il en était autrement, une décision rendue quant à une demande d’asile n’aurait jamais un caractère définitif puisqu’il pourrait toujours y avoir une réouverture de la demande à la suite de la réception de nouveaux éléments de preuve. Sur ce point, je souscris à la position exposée par M. le juge Michael Kelen dans la décision Chen c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2002] A.C.F. no 1731, 2002 CFPI 1267, aux paragraphes 4 et 6 :

4          La seule question de la présente demande est de savoir si la Commission a commis une erreur en concluant qu’elle n’avait pas la compétence de rouvrir l’audience parce qu’aucune règle de justice naturelle n’a été violée.

 

[…]

 

6          Le reste des arguments de la demanderesse porte sur le fond de sa revendication. Dans sa décision initiale, la Commission a conclu que la demanderesse n’était pas crédible en dépit de la lettre de l’évêque confirmant que la demanderesse est membre d’une église catholique romaine clandestine. Que je sois d’accord ou non avec cette conclusion quant à la crédibilité, elle ne soulève aucune violation d’une règle de justice naturelle. La violation d’une règle de justice naturelle est liée au fait de ne pas avoir eu une audience équitable. La demanderesse n’allègue pas que la Commission qui a entendu sa revendication du statut de réfugié était partiale ou qu’elle ne lui a pas accordé une audience équitable à d’autres égards. La Commission n’a pas compétence pour rouvrir une audience uniquement pour examiner une revendication quant au fond. En conséquence, la Commission n’a commis aucune erreur en refusant de rouvrir l’audience.

 

 

IV.       Conclusion

[15]           La présente demande est dénuée de fondement et le refus opposé par la Commission quant à la réouverture est inattaquable. La demande sera par conséquent rejetée. Ni l’une ni l’autre des parties n’ont proposé une question aux fins de la certification et le présent dossier ne soulève aucune question de portée générale.

 


 

JUGEMENT

 

            LA COUR REJETTE la présente demande.

 

 

« R. L. Barnes »

Juge

 

Traduction certifiée conforme

 

Danièle Laberge, LL.L.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM‑1541‑08

 

INTITULÉ :                                       Chico et al.

                                                            c.

                                                            MCI

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 18 décembre 2008

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              Le juge Barnes

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 2 janvier 2009

 

 

COMPARUTIONS :

 

Richard Odeleye

416‑603‑9191

 

POUR LES DEMANDEURS

Alexis Singer

416‑952‑3223

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Richard Odeleye

Avocat

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDEURS

John H. Sims, c.r.

Sous‑procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.