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Date : 20081222

Dossier : IMM-2551-08

Référence : 2008 CF 1404

Ottawa (Ontario), le 22 décembre 2008

En présence de monsieur le juge Phelan

 

 

ENTRE :

GERBERTH DANILO AGUILAR REVOLORIO

demandeur

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

I.          INTRODUCTION

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission), qui a rejeté une demande d’asile. La Commission a fondé sa décision principalement sur des motifs liés à la crédibilité du demandeur. En l’espèce, la Cour estime qu’il convient de mettre en doute les conclusions portant sur la crédibilité pour les raisons énoncées ci-après.

 

II.        LE CONTEXTE

[2]               Le demandeur, un homme de 45 ans, est un citoyen du Guatemala. Il était l’un des principaux dirigeants d’une prison guatémaltèque lorsque, à la suite de son congédiement ou de sa démission, il a quitté son emploi à la veille d’une importante émeute qui a fait plusieurs victimes, dont l’ancien sergent José Obdulio Villanueva. Il semble que le demandeur ait tenté d’atténuer les tensions et les conditions difficiles qui existaient à la prison avant que l’émeute n’éclate. D’ailleurs, à un certain moment, la Commission a cherché à savoir si c’était le demandeur qui contrôlait la prison au moment du soulèvement des détenus.

 

[3]               Dans sa demande adressée à la Commission, le demandeur a dit avoir été averti par une source fiable qu’il allait être assassiné par un membre d’un gang qui se livrait à des enlèvements. En effet, selon le demandeur, sa mort aurait été réclamée par Byron Lima Oliva, l’un des trois ex-militaires emprisonnés pour le meurtre d’un évêque connu pour sa lutte en faveur des droits de l’homme et de la récupération de la mémoire historique. Le demandeur a soutenu que l’ancien capitaine Oliva voulait le faire assassiner parce que l’ex-militaire croyait le demandeur responsable des émeutes qu’il aurait eu organisées pour faire tuer le sergent José Odbulio Villanueva, accusé lui aussi du meurtre de l’évêque.

 

[4]               Le demandeur affirme avoir été pris en filature et menacé de mort. On lui aurait aussi intimé l’ordre de quitter le pays dans un délai de 72 heures. En outre, le demandeur soutient qu’il a déposé, auprès de la Cour pénale du Guatemala, une dénonciation dans laquelle il se plaint d’avoir été suivi par des individus qui semblaient liés au gouvernement du Guatemala. Le demandeur a fourni une preuve de cette dénonciation.

 

[5]               En 2003, à partir de la fin mai, le demandeur a passé un peu plus de quatre mois aux États-Unis. À son retour au Guatemala, il a trouvé refuge à la ferme de son père, située près de la capitale. Il y est resté caché pendant près d’un an et demi.

 

[6]               Après quoi, peu à peu, le demandeur a repris sa vie normale au Guatemala. Il était alors en contact avec un juge de la Cour pénale dont il a appris que sa dénonciation était demeurée sans suite. Le demandeur s’est fondé sur l’inaction des autorités dans ce dossier pour étayer son argument voulant qu’aucune protection ne puisse lui venir de l’État guatémaltèque, les policiers ayant choisi de ne pas enquêter sur sa dénonciation bien qu’ils en aient eu le pouvoir.

 

[7]               Le demandeur allègue qu’il a remarqué, en juillet 2005, qu’il était à nouveau surveillé par les hommes qui l’avaient pris en filature deux ans auparavant. Le demandeur dit aussi avoir reçu des menaces par téléphone.

 

[8]               Le 2 août 2005 le demandeur a quitté le Guatemala une fois de plus. Il a séjourné au New-Jersey pendant environ sept mois. Il est ensuite venu au Canada, où il a demandé l’asile.

 

[9]               La Commission a conclu que le demandeur était bel et bien victime d’une vendetta criminelle mais que ces représailles ne correspondaient à aucun des motifs cités par la Convention.

 

[10]           La Commission considère que la crédibilité du demandeur constitue la question déterminante en l’espèce. En effet, selon la Commission, la conduite du demandeur n’indiquait en rien qu’il était en proie à une crainte subjective de persécution telle qu’elle est définie par l’article 96. Pour la Commission, si le demandeur est rentré au Guatemala après son séjour de quatre mois en Californie, c’est essentiellement parce qu’il n’appréciait pas la Californie. La Commission estime également que, comme le demandeur n’a pas demandé l’asile à la première occasion, elle ne peut ajouter foi à l’argument voulant qu’un risque imminent pesât sur lui. Dans sa décision, la Commission mentionne à deux reprises la ville de Bogotá, plutôt que la capitale du Guatemala, lorsqu’elle décrit l’époque où le demandeur a quitté la ferme de son père pour reprendre sa vie normale.

 

III.       ANALYSE

[11]           Le demandeur soulève deux arguments à l’appui de sa demande de contrôle judiciaire. D’abord, il soutient que la Commission a fondé sa décision sur des motifs accessoires. Ainsi la Cour croit comprendre que, selon le demandeur, la Commission ne s’est pas penchée sur le sérieux des menaces découlant du rôle joué par le demandeur à la prison. Le deuxième argument du demandeur consiste en une série d’erreurs factuelles que la Commission aurait faites dans son évaluation de la crédibilité du demandeur.

 

[12]           La décision de la Commission reposait sur sa conclusion au sujet de la crédibilité du demandeur, la question qu’elle a considérée comme étant déterminante en l’espèce. Depuis l’arrêt Dunsmuir (Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9), toute décision portant sur la crédibilité exige l’application de la norme de raisonnabilité. De plus, la Cour doit faire preuve de retenue judiciaire compte tenu de l’expertise de la Commission et du fait que celle-ci a pu observer le témoin (Khokhar c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 449).

 

[13]           S’agissant du premier argument, la Cour d’appel a statué, dans l’arrêt Canada (Ministère de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Sellan, 2008 CAF 381, qu’une conclusion générale selon laquelle le demandeur n’est pas crédible suffit pour trancher une demande d’asile à moins qu’il n’existe « une preuve documentaire indépendante et crédible permettant d’étayer une décision favorable au demandeur » (Sellan, précité, au paragraphe 3.)

 

[14]           En l’espèce, de telles preuves existaient. En effet la Commission l’a confirmé dans sa décision portant sur l’article 96 selon laquelle une vendetta avait bel et bien été lancée contre le demandeur, mais que cette vendetta ne relevait toutefois pas des motifs énoncés à l’article 96. La Commission aurait très bien pu décider que la vendetta correspondait aux motifs énoncés à l’article 97, mais elle s’est à peine penchée sur ces preuves objectives.

 

[15]           La Cour conclut que la décision de la Commission comporte des erreurs suffisantes et significatives, de même que des erreurs moins graves, qui la rendent insoutenable. La Cour hésite toujours à infirmer des conclusions sur la crédibilité des témoins, à moins qu’il n’y ait eu des erreurs des plus manifestes, comme c’est le cas ici.

 

[16]           La décision de la Commission est motivée par l’absence de crainte subjective. Il est évident qu’aux yeux de la Commission, la conduite du demandeur, qui s’est réclamé à nouveau de la protection du Guatemala et qui n’a pas demandé l’asile à la première occasion, n’est pas celle d’une personne qui craint réellement de subir des mauvais traitements.

 

[17]           La Commission a commis une erreur dans son appréciation de la crédibilité car elle a dénaturé ou mal compris les raisons pour lesquelles le demandeur s’était réclamé à nouveau de la protection du Guatemala. Pour bénéficier de la retenue judiciaire de la Cour à l’égard des ses décisions relatives à la crédibilité, la Commission doit avoir bien compris la preuve qui lui a été présentée.

 

[18]           Contrairement à la conclusion de la Commission, ce n’est pas parce que le demandeur ne se plaisait pas en Californie qu’il est rentré au Guatemala, mais bien parce qu’il croyait que la situation s’était améliorée dans son pays d’origine. En outre, le demandeur a dit qu’il s’était installé à la ferme de son père, plutôt qu’à son domicile de la capitale, à la demande de sa famille et pour des raisons financières. La crédibilité du demandeur est intimement liée aux raisons qui l’ont poussé à se réclamer à nouveau de la protection du Guatemala. Aussi, une erreur sur cette question suffit à saper les fondements de la décision rendue par la Commission.

 

[19]           Ensuite la Commission semble avoir pris à la légère les menaces faites au demandeur compte tenu du fait que personne n’avait attenté à sa vie. Or il n’est pas nécessaire qu’un demandeur d’asile prouve qu’il a subi les mauvais traitements dont on l’a menacé pour que les menaces proférées contre lui soient considérées comme étant sérieuses (Muckette c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 1388).

 

[20]           En dernier lieu, la Commission a fait une erreur lorsqu’elle a mentionné la ville de Bogotá. Il est clair que la Commission voulait parler plutôt de la capitale du Guatemala. Il peut s’agir d’un lapsus. À part ces deux mentions de la ville de Bogotá, rien n’indique que le pays auquel la Commission fait référence est la Colombie. Toutefois, compte tenu des autres erreurs commises en l’espèce, la Cour ne peut être assurée qu’il s’agit d’un simple lapsus ou d’une petite erreur d’inattention.

 

IV        CONCLUSION

[21]           Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire sera accueillie, la décision de la Commission sera annulée et l’affaire sera renvoyée à un tribunal autrement constitué afin qu’il procède à un nouvel examen.

 

 

 

JUGEMENT

LA COUR ORDONNE ET STATUE que la demande de contrôle judiciaire est accueillie, la décision de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié est annulée et l’affaire est renvoyée à un tribunal autrement constitué pour qu’il procède à un nouvel examen.

 

 

« Michael L. Phelan »

Juge

Traduction certifiée conforme

Emmanuelle Dubois


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-2551-08

 

INTITULÉ :                                       GERBERTH DANILO AGUILAR REVOLORIO

 

                                                            c.

 

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                            ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 15 décembre, 2008

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              Le juge Phelan

 

DATE :                                               Le 22 décembre 2008

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Waikwa Wanyoike

 

pour le demandeur

Asha Gafar

 

pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

WAIKWA WANYOIKE

Avocate

Toronto (Ontario)

 

pour le demandeur

JOHN H. SIMS, c.r.

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

pour le défendeur

 

 

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