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Date : 20081222

Dossier : IMM-1790-08

Référence : 2008 CF 1384

Ottawa (Ontario), ce 22e jour de décembre 2008

En présence de l’honorable juge Pinard

ENTRE :

Cesar Horacio TOVAR VALERA

 

Demandeur

 

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

Défendeur

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]          Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. (2001), ch. 27, d’une décision de la Section de la protection des réfugiés (la « SPR ») de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié rendue le 27 mars 2008.

 

[2]          Cesar Horacio Tovar Valera (« le demandeur ») est citoyen du Pérou et est membre du groupe de musique folklorique « Chopkjas ».

[3]          La SPR a rejeté la demande d’asile pour deux motifs : le demandeur, (1) ne s’est pas déchargé de son fardeau de preuve concernant l’incapacité de l’État de le protéger et (2), a trop tardé avant de revendiquer le statut de réfugié.

 

[4]          Sur la question de la protection de l’État, la norme de contrôle judiciaire applicable est celle de la raisonnabilité (voir, entre autres, Gorria c. ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2007 CF 284, 310 F.T.R. 150, au paragraphe 14 et Chaves c. ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2005 CF 193, aux paragraphes 9 à 12).

 

[5]          Pour prouver l’incapacité de l’État de protéger ses ressortissants et le caractère raisonnable de son refus de solliciter réellement cette protection, un demandeur doit « confirmer d'une façon claire et convaincante l'incapacité de l'État d'assurer la protection » (Canada (Procureur général) c. Ward, [1993] 2 R.C.S. 689, à la page 724). En l'absence d'une telle preuve, la revendication doit échouer face à la présomption que les nations sont capables de protéger leurs citoyens.

 

[6]          D’une part, le demandeur soumet avoir bien établi l’incapacité du Pérou d’assurer sa protection du fait que l’agent de sa persécution est l’État. Il précise craindre l’APRA (Allianza Populár Revolucionaria Americana), qui est le parti au pouvoir. Il conclut qu’il ne saurait obtenir la protection de l’État contre ses propres dirigeants.

 

[7]          Pour sa part, le défendeur soutient que la preuve documentaire citée par le tribunal indique que le Pérou est une république pluripartite ou multipartite et que même si l’APRA a remporté les élections, on ne saurait prétendre que de simples membres de ce parti peuvent être considérés comme étant l’État péruvien. Je suis d’accord. Il est évident, dans les circonstances particulières du Pérou, que les membres de l’APRA ne constituent pas eux-mêmes l’État péruvien. La preuve documentaire permettait au tribunal de raisonnablement conclure comme il l’a fait à cet égard.

 

[8]          Par ailleurs, il est évident de l’arrêt Ward, ci-dessus, que « la persécution au sens de la Convention comprend les cas où l’État n’est pas strictement complice de la persécution, mais est simplement incapable de protéger ses citoyens ». Il n’est donc pas nécessaire que le demandeur prouve que les membres de l’APRA constituent l’État péruvien; il suffit qu’il démontre que l’État – la police, par exemple – est incapable de le protéger de la persécution privée.

 

[9]          En l’espèce, il ne s’agit pas d’un cas où le demandeur n’a pas porté plainte à la police. Cependant, le tribunal a douté de la suffisance des efforts du demandeur à solliciter l’assistance de l’État. Dans l’affaire Kadenko et al. c. Canada (Solliciteur général) (1996), 206 N.R. 272, la Cour d’appel fédérale énonce le principe qui s’applique en l’espèce :

[3]     . . . Dès lors, en effet, qu’il est tenu pour acquis que l’État (en l’espèce Israël) possède des institutions politiques et judiciaires capables de protéger ses citoyens, il est certain que le refus de certains policiers d’intervenir ne saurait en lui-même rendre l’État incapable de le faire. La réponse eût peut-être été différente si la question avait porté, par exemple, sur le refus de l’institution policière en tant que telle ou sur un refus plus ou moins généralisé du corps policier d’assurer la protection accordée par les institutions politiques et judiciaires du pays.

 

[. . .]

 

[5]     Lorsque l’État en cause est un état démocratique comme en l’espèce, le revendicateur doit aller plus loin que de simplement démontrer qu’il s’est adressé à certain s membres du corps policier et que ses démarches ont été infructueuses. . . .

 

 

[10]      Il est important de noter que la première « plainte » du demandeur à la police le 30 juin 2006 n’était, en fait, qu’une « consultation ». D’ailleurs, ce n’est que deux jours après la seconde plainte, faite le 29 juillet 2006, que le demandeur a quitté le Pérou pour le Canada. L’État n’a donc pas eu beaucoup de temps pour prouver sa capacité de le protéger.

 

[11]      Par conséquent, je suis d’avis qu’il n’était pas déraisonnable pour le tribunal de conclure que le demandeur n’a pas réussi à présenter la preuve « claire et convaincante » requise pour repousser la présomption qu’un pays comme le Pérou est capable de protéger ses citoyens.

 

[12]      Sur la question de la lenteur du demandeur à revendiquer le statut de réfugié, le tribunal a exprimé ce qui suit :

     De plus, le demandeur non seulement n’a pas demandé la protection dans son pays mais en plus il n’a pas demandé non [sic] la protection lorsqu’il est arrivé au Canada. En effet, il est arrivé le 1er août 2006 et n’a fait sa demande d’asile que le 1er novembre 2006 soit trois mois après son arrivée.

 

     Le tribunal l’a confronté avec ce défaut d’avoir demandé l’asile en arrivant au Canada.

 

     Le demandeur expliquera qu’il avait reçu des instructions de son employeur au Canada de ne pas demander l’asile. C’est pourquoi il a attendu la fin de son engagement pour demander l’asile.

 

     Cette explication n’est pas satisfaisante, compte tenu du fait que le demandeur a terminé son engagement le 30 septembre 2006 et qu’il n’a fait sa demande que le 1er novembre 2006.

 

     La Cour fédérale s’est déjà prononcée à cet effet dans Huerta c. Canada ((M.E.I.) 1993, 157 NR 225 CAF, p. 227) :

 

« Le retard à formuler une revendication du statut de réfugié ou à quitter le pays de persécution n’est pas un facteur déterminant en soi. Il demeure cependant un élément pertinent dont le tribunal peut tenir compte pour apprécier les dires ainsi que les faits et gestes d’un revendicateur ».

 

 

 

[13]      Compte tenu de la preuve, je suis d’avis que le tribunal pouvait raisonnablement conclure que le comportement du demandeur est incompatible avec une quelconque crainte et qu’il a entaché sa crédibilité (voir Conte c. ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2005 CF 963).

 

[14]      Pour toutes ces raisons, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

JUGEMENT

 

            La demande de contrôle judiciaire de la décision rendue par la Section de la protection des réfugiés le 27 mars 2008 est rejetée.

 

 

« Yvon Pinard »

Juge

 

 

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-1790-08

 

INTITULÉ :                                       Cesar Horacio TOVAR VALERA c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE  L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 19 novembre 2008

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              Le juge Pinard

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 22 décembre 2008

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Me Stéphanie Valois                            POUR LE DEMANDEUR

 

Me Mario Blanchard                            POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Stéphanie Valois                                                           POUR LE DEMANDEUR

Montréal (Québec)

 

John H. Sims, c.r.                                                         POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

 

 

 

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