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Date :  20081128

Dossier :  T-1496-07

Référence :  2008 CF 1294

Ottawa (Ontario), le 28 novembre 2008

En présence de Monsieur le juge Shore 

 

ENTRE :

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

demandeur

et

 

DENIS ALLARD,

CLAUDE BÉRARD,

DANIEL BOUCHER,

STÉPHANE GERVAIS,

MARIO LAVOIE

et

CHRISTIANE LEVASSEUR

défendeurs

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

I.  Au préalable

  • [1] 55La décision n’est déraisonnable que si aucun mode d’analyse, dans les motifs avancés, ne pouvait raisonnablement amener le tribunal, au vu de la preuve, à conclure comme il l’a fait. Si l’un quelconque des motifs pouvant étayer la décision est capable de résister à un examen assez poussé, alors la décision n’est pas déraisonnable et la cour de révision ne doit pas intervenir (Southam, par. 56). Cela signifie qu’une décision peut satisfaire à la norme du raisonnable si elle est fondée sur une explication défendable, même si elle n’est pas convaincante aux yeux de la cour de révision (voir Southam, par. 79).

 

56  Cela ne signifie pas que chaque élément du raisonnement présenté doive passer individuellement le test du caractère raisonnable. La question est plutôt de savoir si les motifs, considérés dans leur ensemble, sont soutenables comme assise de la décision. Une cour qui applique la norme de la décision raisonnable doit toujours évaluer si la décision motivée a une base adéquate, sans oublier que la question examinée n’exige pas un résultat unique précis. De plus, la cour ne devrait pas s’arrêter à une ou plusieurs erreurs ou composantes de la décision qui n’affectent pas la décision dans son ensemble.

 

(Barreau du Nouveau-Brunswick c. Ryan, 2003 CSC 20, [2003] 1 R.C.S. 247.)

 

  • [2] 50Il est utile tout d’abord de bien différencier le processus de contrôle judiciaire selon la norme de la décision raisonnable et le processus fondamentalement différent du contrôle selon la norme de la décision correcte. Dans le contrôle selon la norme de la décision correcte, la cour peut faire son propre raisonnement pour arriver au résultat qu’elle juge correct. En revanche, lorsqu’elle décide si une mesure administrative est déraisonnable, la cour ne doit à aucun moment se demander ce qu’aurait été la décision correcte. La norme de la décision raisonnable donne effet à l’intention du législateur de confier à un organisme spécialisé la responsabilité principale de trancher la question selon son propre processus et ses propres raisons. La norme de la décision raisonnable n’implique pas que l’instance décisionnelle dispose simplement d’une « marge d’erreur » par rapport à ce que la cour estime être la solution correcte.

 

51  Il y a une autre raison pour laquelle les cours cherchant à déterminer si la décision est déraisonnable doivent éviter de se demander si elle est correcte. À la différence d’un examen selon la norme de la décision correcte, il y a souvent plus d’une seule bonne réponse aux questions examinées selon la norme de la décision raisonnable. Par exemple, lorsqu’une décision doit être prise en fonction d’un ensemble d’objectifs divergents, il se peut qu’aucun compromis ne soit supérieur à tous les autres. Même dans l’hypothèse où il y aurait une réponse meilleure que les autres, le rôle de la cour n’est pas de tenter de la découvrir lorsqu’elle doit décider si la décision est déraisonnable.

 

(Barreau du Nouveau-Brunswick c. Ryan, ci-dessus.)

 

  • [3] Dans Blagdon c. Canada (Commission de la Fonction publique, Comité d'appel), [1976] 1 C.F. 615, [1976] A.C.F. no 162 (QL), le juge Arthur L. Thurlow écrit :

[6]  Il convient de souligner qu'un appel de ce genre ne porte pas sur les conclusions du jury de sélection mais sur la nomination ou la nomination proposée du candidat reçu et qu'en conséquence la question principale soumise au comité d'appel est de savoir si le choix du candidat reçu a été effectué conformément au principe du mérite. Le candidat non reçu qui interjette appel de la nomination ou de la nomination proposée du candidat reçu est fondé à exposer, s'il le peut, les raisons pour lesquelles il estime que le principe du mérite n'a pas été respecté; [...]

 

 

  • [4] Suivant la décision Blagdon, ci-dessus, le juge Marshall Rothstein, s’est prononcé dans Scarizzi c. Marinaki (1994), 87 F.T.R. 66, [1994] A.C.F. no 1881 (QL) :

[6]  Il est évident que l'une des fonctions du Comité d'appel consiste à s'assurer, autant que possible, que les jurys de sélection respectent le principe du mérite dans la sélection de candidats pour des postes au sein de la fonction publique conformément à l'article 10 de la Loi. Il n'est toutefois pas autorisé à substituer son opinion à celle du jury de sélection en ce qui concerne l'évaluation ou l'examen d'un candidat. Ce n'est que lorsqu'un jury de sélection se fait une opinion à laquelle aucune personne raisonnable ne pourrait arriver qu'un comité d'appel peut modifier sa décision.

 

II.  Procédure judiciaire

  • [5] Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire à l'encontre de la décision de Me Line Chandonnet du Comité d'appel de la direction générale des enquêtes de la Commission de la fonction publique (Commission), datée du 6 juillet 2007, accueillant les appels interjetés par les défendeurs, aux termes de l'article 21 de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique, L.R.C. 1985, c. P-33 [abrogée, 2003, ch. 22, art. 284] (LEFP) (La nouvelle LEFP était mise en vigueur le 31 décembre 2005).

 

III.  Faits

  • [6] Le 10 novembre 2004, le Service correctionnel du Canada (SCC) a affiché un avis de concours pour 60 postes de surveillant correctionnel de niveau CX-03, comportant 12 numéros de concours, soit un pour chaque établissement de la région du Québec.

 

  • [7] Sous le titre de « Qualités Requises et Critères de Présélection » et le sous-titre « Expérience », l’avis de concours prévoyait que les candidats devaient posséder l'expérience suivante : « Vaste expérience de l'exécution des fonctions relatives aux opérations correctionnelles, notamment les escortes et la gestion de cas de détenus (es) ».

 

  • [8] À la date limite pour soumettre une candidature, soit le 24 novembre 2004, 191 candidats ont soumis leur candidature en indiquant, sur leur demande d’emploi, le ou les numéros de concours pour lesquels ils désiraient poser leur candidature.

 

  • [9] Ces candidatures ont fait l’objet d’une évaluation dans le cadre d’un processus mené par le Comité de présélection et le Comité de sélection, autrement nommé jury de présélection et jury de sélection, également composé des membres, monsieur Serge Trouillard, madame Manon Bisson et monsieur André Courtemanche, lesquels avaient acquis plusieurs années d’expérience au sein du SCC.

 

  • [10] Le 8 décembre 2004, le Comité de présélection a élaboré les qualités requises par l'avis de concours de la façon suivante :

Il a été entendu que chacun des candidats devra démontrer clairement et précisément qu'il possède l'expérience suivante :

 

Expérience de 5 années dans l'exécution des fonctions relatives aux opérations correctionnelles cumulée au SCC et/ou dans un service correctionnel provincial ou territorial et/ou dans un centre résidentiel communautaire. En outre, mais inclus dans la période de 5 ans, 2 ans d’expérience cumulée dans un poste de CX-02 et/ou IPL et/ou ALC. (Affectations intérimaires, nominations à durée indéterminée et stages sont considérés).

 

  • [11] Suite à cette précision des qualités requises, le Comité de présélection a rejeté 35 candidatures, dont 17 candidatures ont été rejetées suite au fait que les candidats ne remplissaient pas l’exigence quant aux qualités requises dans l’avis de concours et 18 ont été rejetées suite au fait que les candidats n’avaient pas clairement démontré qu’ils les possédaient. Le 23 décembre 2004, les candidats non retenus lors de cette étape ont été avisés du rejet de leur candidature.

 

  • [12] Les 156 candidats présélectionnés ont été invités à subir l’examen des Connaissances. Parmi ceux-ci, 25 devaient réussir le test d’équivalence au Diplôme d’Études secondaires (DES). Il y a eu trois échecs au test d’équivalence et trois désistements à l’examen des Connaissances.

 

  • [13] Le demandeur a fait parvenir une copie de l’Énoncé des qualités, ainsi qu’une liste indiquant aux candidats les documents servant de base à l’établissement de l’examen des Connaissances. Une liste modifiée de ces documents d’étude a été soumise aux candidats, le 10 janvier 2005.

 

  • [14] Le 17 février 2005, les candidats ont reçu une lettre de convocation à l’examen des Connaissances, dont la date avait été fixée au 14 mars 2005. Parmi les 150 candidats convoqués à l’examen des Connaissances, 12 candidats ne se sont pas présentés, 5 se sont désistés du concours et 58 l’ont échoué.

 

  • [15] Le 27 avril 2005, les 74 candidats ayant réussi l’examen des Connaissances ont reçu une lettre de convocation pour l’évaluation des Capacités et des Compétences. Les candidats ont été avisés que quatre des cinq capacités figurant à l’Énoncé de qualités, dont certaines étaient non compensatoires, seraient évaluées à cette étape du processus. Il s’agissait des capacités suivantes : communiquer efficacement par écrit, gérer le personnel d’une manière productive et constructive, gérer diverses situations de nature complexe et gérer différentes activités en tenant compte des ressources financières.

 

  • [16] Le 1 juin 2005, le SCC a informé les 30 candidats qu’ils avaient échoué à cette dernière étape du processus, de laquelle un candidat s’était désisté. Le lendemain, le demandeur a convoqué les derniers 43 candidats aux fins d’évaluation de leur capacité à communiquer verbalement de façon efficace et de leurs trois qualités personnelles suivantes : souci d’obtenir des résultats, esprit d’équipe et sensibilité à la diversité. Quant aux autres qualités personnelles, elles étaient évaluées par la prise de références. Tous les candidats ont réussi l’évaluation de la capacité à communiquer verbalement de façon efficace. Cependant, deux candidats n’ont pas réussi en ce qui a trait aux qualités personnelles. Enfin, 41 candidats se sont donc qualifiés dans le cadre de ce processus.

 

  • [17] Le 15 juillet 2005, le demandeur a informé tous les candidats des résultats du concours en leur soumettant des listes d’admissibilité établies et des résultats qu’ils avaient obtenus aux Capacités et aux Qualités Personnelles.

 

IV.  La décision faisant l’objet de la demande

  • [18] Après avoir été informés des résultats du concours, les défendeurs ont interjeté appel des nominations, effectives ou imminentes, effectuées d’après une des listes d’admissibilité établies suite au concours, au Comité d’appel de la direction générale des enquêtes de la Commission de la fonction publique du Canada.

 

  • [19] Les appelants, soit les défendeurs dans la présente cause, ont soumis 23 allégations. Au début de l’audience des appels, les allégations étaient regroupées en quatre catégories : présélection, avantage indu, évaluation des capacités, évaluation des qualités personnelles. Le 6 juillet 2007, le Comité d’appel a accueilli l’appel des défendeurs en rejetant toutefois trois allégations.

 

  • [20] Premièrement, le Comité d’appel a rappelé l’étendue de ses pouvoirs d’intervention dans une décision prise par un Comité de sélection, c’est-à-dire qu’un Comité d’appel ne pourra intervenir que dans l’éventualité où le Comité de sélection se fait une opinion à laquelle aucune personne raisonnable ne pourrait arriver.

 

Présélection

  • [21] En ce qui concerne la présélection, le Comité d’appel a accueilli les quatre allégations des demandeurs. La première allégation était à l’effet que le Comité de présélection a erré en établissant des critères de présélection qui n’incluaient pas les éléments mentionnés dans l’avis de concours ainsi que dans l’énoncé de qualités, soit la gestion de cas et d’escorte.

 

  • [22] Le Comité d’appel a déterminé qu’au moment où il a procédé à l’élaboration de la définition, soit le 8 décembre 2004, le Comité agissait à titre de Comité de présélection et non comme Comité de sélection. Comme un comité de présélection, selon le demandeur, l’élaboration des qualités requises était une action du SCC, qui a le pouvoir de les définir. Cependant, le Comité d’appel a jugé qu’il avait tout de même juridiction pour examiner la justesse de la modification des termes de l’avis de concours et de l’énoncé de qualités par la définition du 8 décembre 2004. Le Comité d’appel a conclu que le Comité de sélection avait bel et bien changé les qualifications annoncées sur l’avis de concours, ayant pour effet d’augmenter le bassin de candidats potentiels :

[37]  [...] On ne retrouvait plus dans cette définition, les notions de gestion de cas ou d’escorte. On y retrouvait, par ailleurs, les notions de CX-02, IPL et ALC, ce que l’on ne retrouvait aucunement dans l’Avis de concours ou dans l’Énoncé de qualités. Ceci a eu pour effet non seulement d’élargir le bassin de candidats, une fois le concours fermé, mais aussi de changer les données. Si les gens occupant des postes de CX-02, IPL ou ALC avaient su que leur classification, à elle seule, et le nombre d’années qu’ils avaient occupés dans ces postes, étaient suffisant pour la présélection, ceci aurait sûrement eu l’effet d’élargir le bassin de candidats [...]

 

 

  • [23] Le Comité d’appel est également arrivé à la conclusion que l’application des critères temporels était faite de façon quantitative et sans qu’aucune vérification n’ait été faite quant à savoir si les candidats possédaient les qualités requises. Ce sont les fonctions généralement effectuées dans le cadre des postes qui avaient servi de base :

[47]  [...] On peut donc raisonnablement conclure que l’expérience de l’ALC est non seulement acquise avant la période de 2 ans, mais qu’en plus, la façon de procéder du Comité de sélection a permis de rejeter des candidatures qui pouvaient être plus méritoire que celles qui ont été retenus. Il n’était pas raisonnable pour le Comité de sélection de procéder d’une telle façon.

 

 

  • [24] Le Comité d’appel a également disposé de la deuxième et la troisième allégation suivant les mêmes motifs; le Comité de sélection a erré en accordant l’expérience de gestion de cas et des escortes de détenu à certains candidats qui ne l’ont pas mérité.

 

  • [25] À l’égard de la demande de madame Christiane Levasseur, le Comité d’appel a conclu que le Comité de présélection a erré en rejetant sa candidature à cette étape. Madame Levasseur a indiqué dans sa demande d’emploi qu’elle avait travaillé plus de 16 ans aux niveaux CX-01 et CX-02, en omettant toutefois de préciser la durée de son emploi à titre de CX-02. Le Comité d’appel a décidé que le Comité de présélection a erré en adoptant une approche rigide et mécanique dans l’analyse des candidatures à cette étape :

[73]   [...] les membres du Comité de sélection se limitaient à l’évaluation de la durée du temps passé dans un poste selon un groupe et niveau spécifiques, plutôt qu’en termes de profondeur de l’expérience acquise, limitant l’évaluation du critère de ‘vaste expérience ’ à une évaluation quantitative.

 

Avantage indu

  • [26] Il y avait douze allégations ayant trait à l’avantage indu. En somme, les allégations portent sur le fait que certains des candidats retenus avaient joui d’une longue expérience comme surveillants correctionnels intérimaires, soit au poste CX-03. De plus, les surveillants correctionnels intérimaires avaient bénéficié de cours portant sur les mêmes sujets que ceux évalués lors des examens des Connaissances et de l’évaluation des Capacités et des Compétences. En raison de l’expérience accumulée à titre de surveillants correctionnels intérimaire ainsi que des cours qui leur avaient été offerts, ces candidats se sont vus octroyer un avantage indu, empêchant le fait que la sélection se fasse conformément au principe du mérite.

 

  • [27] Le Comité d’appel a accueilli toutes les allégations concernant l’avantage indu puisque les outils de sélection avaient été conçus à l’avantage d’une personne qui occupait déjà un poste de gestionnaire dans une institution carcérale :

[118]  [...] À la lecture du problème, on peut se rendre compte qu’une personne œuvrant déjà dans le poste pouvait plus facilement répondre aux questions qu’une personne qui était tout à fait nouvelle dans le poste, ou qui n’avait aucune expérience de gestion dans un milieu carcéral. Une personne occupant déjà le poste était nettement favorisée.

 

 

 

 

 

Évaluation des capacités

 

  • [28] Le Comité d’appel a accueilli les prétentions à l’effet que le Comité de sélection n’avait pas raisonnablement évalué la capacité des candidats de communiquer verbalement de façon efficace. Le Comité d’appel a même conclu qu’il n’existe aucune preuve démontrant la raison pour laquelle les candidats se trouvaient au même niveau ayant tous obtenu presque la même note :

[156]  La preuve démontre également que tous les candidats ont eu une note de 12, donc n’ont pas augmenté la note de passage, ou encore ont obtenu une note de 16. Il n’y a aucune note qui se situe entre ces deux notes. Mais, le ministère maintient que certains candidats étaient plus forts que d’autres à l’intérieur du même groupe. Pourquoi ces différences ne sont pas notées ? Je n’ai reçu aucune explication raisonnable de la part du Ministère à cet effet. Le Comité de sélection n’a pas su me démontrer qu’il avait raisonnablement évalué chacun des candidats, selon une norme uniforme [...]

 

 

Évaluation des qualités personnelles

 

  • [29] Le Comité d’appel a accueilli les allégations à l’effet que le Comité de sélection n’avait pas raisonnablement évalué la sensibilité à la diversité des candidats vu que la question ayant servi à évaluer ce critère visait uniquement la capacité des candidats à gérer le personnel :

[169]  Il n’y a qu’une infime partie de la réponse qui touche à la différence (Indique à ses employés qu’il est essentiel d’être tolérant envers des gens qui ont des idées ou des approches différentes. Indique qu’on peut apprendre de chacun), et encore là, on ne parle pas d’avoir des approches différentes pour des motifs culturels ou religieux, mais plutôt parce que le nouvel employé provient du Quartier Général et qu’il n’a pas d’expérience au niveau des opérations et se borne à appliquer ce que les autres croient être des idées corporatives, théoriques et déconnectées. Il ne m’a aucunement été démontré comment une personne qui est en mesure d’intégrer un nouvel employé provenant du Quartier Général dans son unité, est sensible à la diversité telle qu’elle a été définie par le Comité de sélection.

 

V.  Les dispositions pertinentes

  • [30] Le principe qui soutient toutes les nominations dans la fonction publique est celui du mérite, conformément au paragraphe 10(1) de la LEFP :

  (1) Les nominations internes ou externes à des postes de la fonction publique se font sur la base d'une sélection fondée sur le mérite, selon ce que détermine la Commission, et à la demande de l'administrateur général intéressé, soit par concours, soit par tout autre mode de sélection du personnel fondé sur le mérite des candidats que la Commission estime le mieux adapté aux intérêts de la fonction publique.

   (1) Appointments to or from within the Public Service shall be based on selection according to merit, as determined by the Commission, and shall be made by the Commission, at the request of the deputy head concerned, by competition or by such other process of personnel selection designed to establish the merit of candidates as the Commission considers is in the best interests of the Public Service.

 

 

  • [31] L’article 12 de la LEFP habilite la Commission à fixer des normes de sélection d’après lesquelles les candidats seront évalués par rapport aux exigences établies par le Ministère, en l’espèce, le SCC :

12.  (1) Pour déterminer, conformément à l'article 10, les principes de la sélection au mérite, la Commission peut fixer des normes de sélection et d'évaluation touchant à l'instruction, aux connaissances, à l'expérience, à la langue, au lieu de résidence ou tout autre titre ou qualité nécessaire ou souhaitable à son avis du fait de la nature des fonctions à exécuter et des besoins, actuels et futurs, de la fonction publique.

12.  (1) For the purpose of determining the basis for selection according to merit under section 10, the Commission may establish standards for selection and assessment as to education, knowledge, experience, language, residence or any other matters that, in the opinion of the Commission, are necessary or desirable having regard to the nature of the duties to be performed and the present and future needs of the Public Service. 

 

  • [32] Le Commission peut revoir les qualités requises des candidats par le Ministère en vertu de l’article 12.1 de la LEFP :

12.1  La Commission peut réviser les qualifications établies par un administrateur général pour les nominations à tel poste ou telle catégorie de postes afin de faire en sorte que ces qualifications satisfassent au principe de la sélection au mérite.

12.1  The Commission may review any qualifications established by a deputy head for appointment to any position or class of positions to ensure that the qualifications afford a basis for selection according to merit.

 

  • [33] L’article 21 de la LEFP prévoit un mécanisme permettant aux candidats non reçus d’interjeter appel d’une nomination auprès d’un comité d’appel constitué par la Commission :

  (1) Dans le cas d'une nomination, effective ou imminente, consécutive à un concours interne, tout candidat non reçu peut, dans le délai fixé par règlement de la Commission, en appeler de la nomination devant un comité chargé par elle de faire une enquête, au cours de laquelle l'appelant et l'administrateur général en cause, ou leurs représentants, ont l'occasion de se faire entendre.

  (1) Where a person is appointed or is about to be appointed under this Act and the selection of the person for appointment was made by closed competition, every unsuccessful candidate may, within the period provided for by the regulations of the Commission, appeal against the appointment to a board established by the Commission to conduct an inquiry at which the person appealing and the deputy head concerned, or their representatives, shall be given an opportunity to be heard.

 

VI.  Questions en litige

  • [34] Au préalable, pour répondre aux six dernières questions comme base, il faut comprendre le contexte préliminaire à l’intérieur duquel les premières deux se retrouvent :

  1. Quelles sont les normes de contrôle applicables à la décision du Comité d’appel ?

  2. Quel est le pouvoir d’intervention du Comité d’appel saisi d’un appel aux termes de l’article 21 de la LEFP ?

(1)  Le Comité d’appel, a-t-il renversé le fardeau de preuve dans le cadre d’un appel interjeté aux termes de l’article 21 de la LEFP ?

(2) Le Comité d’appel, a-t-il erré en décidant que la présélection des candidats n’était pas faite sur le principe du mérite ?

(3)  Le Comité d’appel, a-t-il erré en décidant que certains candidats ont bénéficié d’un avantage indu ?

(4) Le Comité d’appel, a-t-il erré en décidant que le Comité de sélection n’avait pas évalué les candidats de façon raisonnable quant à leur capacité de communiquer verbalement d’une façon efficace ?

(5) Le Comité d’appel, a-t-il erré en décidant que le Comité de sélection n’a pas évalué la sensibilité à la diversité ?

(6) La mauvaise qualité de l’enregistrement des audiences devant le Comité d’appel, constitue-t-elle un manquement aux principes de justice naturelle ?

 

VII.  Analyse

A. Quelles sont les normes de contrôle applicables à la décision du Comité d’appel ?

  • [35] L’arrêt Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 SCC 9, [2008] 1 R.C.S. 190, a énoncé que le processus de contrôle judiciaire se déroule en deux étapes. Lors de la première étape, la Cour de révision vérifie selon la jurisprudence le degré de déférence face à une catégorie de questions particulières.

 

  • [36] En l’espèce, la jurisprudence a établi la norme de contrôle à l’égard de la catégorie des questions correspondant au processus de sélection dans la fonction publique. Procédant à l’analyse, la Cour d’appel fédérale a conclu dans Davies c. Canada (Procureur général), 2005 CAF 41, 330 N.R. 283 au paragraphe 23, que la norme de contrôle qui s’applique à une décision d’un comité d’appel sur des questions reliées au processus de sélection est la norme de la décision raisonnable. Cette norme de contrôle a été précisée dans quelques arrêts récents où la Cour d’appel fédérale a appliqué la norme de la décision raisonnable aux questions mixtes de fait et de droit, comme celle de savoir si les conclusions d’un comité d’appel reposaient sur la preuve (McGregor c. Canada (Procureur général), 2007 CAF 197, 366 N.R. 206 au par. 14; Canada (Procureur général) c. Clegg, 2008 CAF 189, 168 A.C.W.S. (3d) 109 au par. 18).

 

  • [37] Les questions de droit sont les suivantes : savoir sur qui repose la charge de la preuve dans le cadre d’une instance, la compétence d’un comité d’appel, les questions d’équité procédurale et de justice naturelle, ainsi que le choix et l’application de la norme appropriée par le tribunal administratif. La Cour d’appel fédérale a conclu que les questions exclusivement de droit doivent être examinées en fonction de la norme de la décision correcte (Clegg, McGregor et Davies, ci-dessus).

 

B. Quel est le pouvoir d’intervention du Comité d’appel saisi d’un appel aux termes de l’article 21 de la LEFP ?

 

  • [38] Un comité d’appel remplit une fonction différente que celle d’un comité de sélection. Son devoir n’est pas d’évaluer de nouveau des candidats, mais à tenir une enquête afin de déterminer si la sélection a été effectuée conformément au principe du mérite :

[3]  [...] Le rôle du Comité d'appel est de faire enquête afin de déterminer si la sélection faite par le jury a été faite de façon telle qu'on puisse dire qu'elle est, comme l'exige la Loi une "sélection établie au mérite". Si le comité arrive à la conclusion que la sélection faite par le jury satisfait à cette exigence, il doit rejeter l'appel même s'il est d'opinion que s'il avait été lui-même chargé de la tâche confiée au jury de sélection, le résultat aurait pu être différent. Dans le cas où un jury de sélection a accompli son travail en se conformant à la Loi et aux règlements et en cherchant honnêtement par les moyens qu'il juge appropriés à choisir le candidat le plus méritant, un Comité d'appel outrepasse ses droits s'il accueille l'appel de la décision du jury pour le motif que le jury n'a pas, dans l'accomplissement de sa tâche, utilisé les moyens que le Comité d'appel juge les plus appropriés.

 

(Ratelle c. Canada (Commission de la Fonction publique, Direction des appels), [1975] A.C.F. no 910 (QL), 12 N.R. 85 (C.A.F.).)

 

  • [39] Dans Blagdon, ci-dessus, le juge Thurlow a écrit :

[6]  Il convient de souligner qu'un appel de ce genre ne porte pas sur les conclusions du jury de sélection mais sur la nomination ou la nomination proposée du candidat reçu et qu'en conséquence la question principale soumise au comité d'appel est de savoir si le choix du candidat reçu a été effectué conformément au principe du mérite. Le candidat non reçu qui interjette appel de la nomination ou de la nomination proposée du candidat reçu est fondé à exposer, s'il le peut, les raisons pour lesquelles il estime que le principe du mérite n'a pas été respecté [...]

 

 

  • [40] Suivant la décision Blagdon, ci-dessus, le juge Rothstein, s’est prononcé dans Scarizzi c. Marinaki, ci-dessus :

[6]  Il est évident que l'une des fonctions du Comité d'appel consiste à s'assurer, autant que possible, que les jurys de sélection respectent le principe du mérite dans la sélection de candidats pour des postes au sein de la fonction publique conformément à l'article 10 de la Loi. Il n'est toutefois pas autorisé à substituer son opinion à celle du jury de sélection en ce qui concerne l'évaluation ou l'examen d'un candidat. Ce n'est que lorsqu'un jury de sélection se fait une opinion à laquelle aucune personne raisonnable ne pourrait arriver qu'un comité d'appel peut modifier sa décision.

 

Un comité d’appel n’a pas le droit de substituer son raisonnement au raisonnement du comité de sélection si ce raisonnement n’est pas dénué de fondement. Le juge Rothstein a appliqué ce principe aux faits devant lui : « À mon humble avis, le Comité d’appel a, en l’espèce, substitué son opinion sur la validité de la réponse à celle du jury de sélection et a ainsi commis une erreur de droit ». (Scarizzi, ci-dessus au par. 8).

  • [41] En déterminant que la norme de contrôle à l’égard d’une décision d’un comité d’appel sur des questions relatives au processus de sélection serait la norme de la décision raisonnable et non pas la norme de la décision correcte; un comité d’appel qui substituerait son opinion à celle d’un comité de sélection en appliquant la norme de la décision correcte commettrait une erreur de droit.

 

  • [42] Un comité d'appel devrait s'intéresser uniquement aux actes de la Commission face au choix des candidats au mérite compte tenu des qualités exigées par le Ministère-employeur (Canada (Procureur général) c. Perera (2000), 189 D.L.R. (4th) 519, 256 N.R. 57 au par. 20, autorisation de pourvoi devant la C.S.C. refusée, [2000] C.S.C.R. no 434). Lorsqu’un comité d’appel tranche sur les qualités requises des candidats, celui-ci déborde sa juridiction commettant ainsi une erreur de droit, révisable par cette Cour sous la norme de la décision correcte.

 

(1) Le Comité d’appel, a-t-il renversé le fardeau de preuve dans le cadre d’un appel interjeté aux termes de l’article 21 de la LEFP ?

 

  • [43] Les deux parties sont d’accord que devant le Comité d’appel, le fardeau de preuve repose sur les défendeurs, appelants. C’est à eux de démontrer le bien-fondé de leurs allégations à l’effet que le principe du mérite a été entaché par le processus de sélection (Blagdon, ci-dessus au par. 6; McGregor, ci-dessus, au par. 17; Girouard c. Canada (Procureur général), 2002 CAF 224, [2002] A.C.F. no 816 (QL) au par. 12). Pour s’acquitter de ce fardeau, les appelants devraient démontrer qu’il existe une possibilité réelle ou une vraisemblance que les personnes les mieux qualifiées n’ont pas été nommées :

[15]  Afin de parvenir, en vertu de l'article 21, à établir qu'il y avait violation du principe du mérite, les requérants devaient convaincre le comité d'appel que le mode de sélection choisi était « tel[-] qu'on puisse douter qu'il permette de juger du mérite des candidats », c'est-à-dire qu'il permette de juger si l'on avait trouvé « les personnes les mieux qualifiées ». La fonction principale d'un comité d'appel étant de s'assurer que les personnes les mieux qualifiées ont été nommées, il va sans dire que l'appelant, avant même de tenter de contester le mode de sélection choisi, devrait au moins alléguer (et finalement prouver) qu'il existe la possibilité réelle ou la vraisemblance que les personnes les mieux qualifiées n'ont pas été nommées.

 

(Leckie c. Canada, [1993] 2 C.F. 473, [1993] A.C.F. no 320 (QL); également McGregor, ci-dessus au par. 20.)

 

  • [44] Toutefois, le demandeur prétend que le Comité d’appel a transféré « le fardeau sur les épaules » du Comité de sélection (Mémoire du demandeur au par. 56). De ce fait, l’allégation du renversement du fardeau de preuve, constituant une erreur de droit, s’applique aux déterminations des questions de la présélection, de l’avantage indu et de l’évaluation des capacités.

 

  • [45] La question de savoir à qui incombe le fardeau de preuve dans le cadre d’un appel interjeté en vertu de l’article 21 de la LEFP étant une question de droit sera révisable par cette Cour d’après la norme de la décision correcte.

 

  • [46] À plusieurs reprises, le Comité d’appel a exprimé dans sa décision qu’il a été convaincu par la preuve : « la preuve présentée, par le représentant des appelants, démontre que… » (Décision au par. 51), « La preuve a démontré que… » (Décision aux par. 38, 68) ou « La preuve démontre … » (Décision aux paras. 56, 81, 86, 106, 119, 156). Le Comité d’appel a résumé de façon détaillée les faits allégués par les appelants ainsi que les réponses du Ministère et a examiné les méthodes d’évaluation appliquées par le Comité de sélection en motivant sa décision sur chacune des allégations. Même si ce n’était pas explicite, les appelants ont convaincu le Comité d’appel que l’évaluation des candidats par le Comité de sélection avait violé le principe du mérite.

 

  • [47] Comme spécifié dans l’arrêt McGregor, ci-dessus, le juge J. Edgar Sexton a écrit :

[27]  Pour que l’appel fondé sur l’article 21 soit utile, il faut que l’appelant axe sa preuve sur les éléments précis du processus de sélection qui démontrent, selon lui, que le principe du mérite n’ait pas été respecté. Plus la cause de l’appelant est solide, plus le ministère d’embauche élaborera ce qu’on pourrait appeler un « fardeau tactique » en vue de présenter des éléments de preuve pour réfuter ceux sur lesquels l’appelant se fonde, de crainte d’une décision défavorable. Toutefois, ce fardeau tactique ne repose pas sur la loi mais sur le simple bon sens. En tout temps, c’est sur l’appelant que repose le fardeau ultime et la charge de persuader le comité d’appel que le jury de sélection n’a pas respecté le principe du mérite.

 

 

  • [48] Le Comité d’appel n’a pas renversé le fardeau de preuve et les appelants se sont déchargés de leur fardeau en prouvant « qu’il existe la possibilité réelle ou la vraisemblance que les personnes les mieux qualifiées n’ont pas été nommées » (Leckie, ci-dessus au par. 15).

 

(2) Le Comité d’appel, a-t-il erré en décidant que la présélection des candidats n’était pas faite sur le principe du mérite ?

 

  • [49] Le demandeur prétend que le Comité d’appel a erré en intervenant dans l’élaboration des qualités requises faite par le Comité de présélection, lequel, à titre d’instrument créé par le Ministère, a le seul pouvoir de définir les qualités requises pour un poste de la fonction publique (Mémoire du demandeur aux par. 19-20, 26). De plus, les qualités requises additionnelles par l’élaboration du Comité de présélection étaient raisonnables et liées au principe du mérite. Selon le demandeur, le Comité d’appel a erré en droit en substituant son opinion à celle du Comité de présélection au lieu d’appliquer la norme de contrôle de la décision raisonnable.

 

  • [50] Bien que le Comité d’appel a décidé que le Comité agissait à titre de Comité de présélection et non à titre de Comité de sélection lors de l’élaboration de la définition des qualités requises, le Comité d’appel s’est ensuite prononcé à l’effet que les qualités requises ajoutées n’étaient pas raisonnables et étaient contraires au principe du mérite.

 

  • [51] Les comités de présélection et de sélection sont des organes « purement bureaucratiques » (Krawitz c. Canada (Procureur général) (1994), 86 F.T.R. 47, 51 A.C.W.S. (3d) 2 au par. 19). La LEFP ne mentionne pas la création de ces deux types de comités, tandis que le Règlement sur l'emploi dans la Fonction publique (2000), DORS/2000-80(Règlement) mentionne seulement les « jurys de sélection ». Les comités de présélection ne sont mentionnés ni dans la LEFP ni dans le Règlement. Les comités de présélection sont des instruments créés par le Ministère aux fins de préparer le Comité de sélection à entreprendre ses délibérations. Les comités de présélection appliquent les qualités requises du Ministère et peuvent rejeter les candidats qui ne les remplissent pas.

 

  • [52] Par contre, les comités de sélection sont des instruments utilisés par la Commission pour s'assurer que le principe du mérite est respecté compte tenu des qualités requises établies par le Ministère :

[33]  Ainsi que le faisait observer le juge en chef Jackett dans l'arrêt Bauer c. Canada (Comité d'appel de la Commission de la fonction publique), [1973] C.F. 626 (C.A.), chacun des ministères du gouvernement canadien existe par l'effet d'une loi constitutive. La loi constitutive définit les fonctions qui seront exercées par le ministère et place à sa tête un ministre de la Couronne. C'est au ministre qu'il revient de gérer et de diriger le ministère. En l'absence d'une limite prévue par un texte législatif, le ministre a le pouvoir de fixer le nombre et les genres d'employés qui travailleront dans le ministère, ainsi que le pouvoir de choisir les employés en question.

 

[...]

 

[37]  L'article 12 habilite la Commission à fixer les normes de sélection d'après lesquelles les candidats seront évalués au regard des conditions de candidature établies par le ministère pour un poste donné […]

 

(Davies, ci-dessus).

 

Le Ministère, à titre d’employeur, est le mieux placé pour évaluer ses besoins; donc, la définition d’un poste et la détermination des qualités requises afférentes relèvent exclusivement du Ministère (Canada (Procureur général) c. Mercer, 2004 CAF 301, 244 D.L.R. (4th) 382 au par. 16). En conséquence, un comité d’appel ne peut se prononcer que sur les qualités requises que le Ministère juge nécessaires ou souhaitables, puisqu’il s’agit d’une fonction relevant du pouvoir de gestion du ministre attribué par la loi habilitante à son égard (Perera, ci-dessus au par. 20). Un comité d'appel s'intéresse uniquement aux actes de la Commission découlant de son choix « au mérite » parmi les candidats possédant les qualités requises par le Ministère.

 

  • [53] En l’espèce, les membres du Comité de présélection et du Comité de sélection sont les mêmes. Le Comité d’appel a reconnu une distinction entre les deux comités malgré leurs compositions analogues :

[31]  [...] En effet, pour des raisons purement techniques, le Comité n’ayant pas encore commencé à procéder à l’évaluation des candidatures, au moment où la définition a été élaborée, le Comité agissait donc à titre de Comité de présélection et non à titre de Comité de sélection.

 

 

  • [54] Le demandeur prétend que les pouvoirs inhérents d’un comité de présélection l’habilitaient à redéfinir les exigences établies par le Ministère dans l’énoncé de qualités (Mémoire du demandeur au par. 27).

 

  • [55] La jurisprudence plus subtile permet à un comité de présélection d’élaborer les qualités requises du Ministère de façon raisonnable pourvu que l’addition ne contrevienne pas au principe du mérite. Dans Bambrough c. Canada (Comité d'appel établi par la Commission de la Fonction publique), [1976] 2 C.F. 109, 12 N.R. 553 (C.A.F.), le juge Gerald Le Dain, a expliqué que dans certaines situations, un comité de présélection peut préciser davantage les qualités requises :

[12]  [...] Toutefois, même s'il faut attribuer la formulation de ces qualités additionnelles à la Commission, je ne pense pas qu'en participant de la sorte à la définition des exigences d'un poste, la Commission excède ses pouvoirs implicites particulièrement lorsque, comme en l'espèce, elle le fait non seulement avec l'approbation, mais avec la participation active d'un agent du ministère concerné. En l'espèce, la Commission n'a pas tenté d'usurper ou d'empiéter sur le pouvoir du ministère de définir les qualités requises pour un poste.

 

[13]  Le devoir statutaire de la Commission de nommer à des postes de la Fonction publique des personnes possédant les qualités requises, conformément au principe du mérite, doit au moins comporter le pouvoir implicite de participer, avec le ministère ou la direction concerné, à la formulation des qualités requises pour un poste. La Commission doit avoir le pouvoir de s'assurer que les qualités spécifiées correspondent à celles exigées par le poste et que l'énoncé de ces qualités donne une assise solide à un processus de sélection selon le mérite...

 

  • [56] Dans Canada (Procureur général) c. Blashford, [1991] 2 C.F. 44, 120 N.R. 223 (C.A.F.), le juge Louis Marceau a conclu que ni la Commission ni le Comité de présélection n’est habilité à intervenir, par ajout ou modification partielle, dans l’établissement des exigences fondamentales telles que définies par le Ministère concerné. Le juge Marceau a expliqué l’arrêt Bambrough et énoncé trois points :

[6]  Il est vrai que par l'arrêt Bambrough c. La Commission de la Fonction publique, [1976] 2 C.F. 109 (C.A.), et encore tout récemment, par l'arrêt Re Boychuck et Le Comité d'appel établi par la Commission de la Fonction publique et autres (1982), 135 D.L.R. (3d) 385 (C.A.F.), la Cour a refusé d'intervenir dans des causes où l'élaboration ou la modification des exigences fondamentales (qui deviendraient alors de nouvelles exigences) eut lieu au cours du processus de sélection. Cependant il a été jugé dans ces deux causes: en premier lieu, que les exigences supplémentaires avaient été établies avec la participation active du ministère concerné (dans l'un et l'autre cas par un soi-disant « jury de présélection » manifestement constitué pour préparer le jury de sélection à ses délibérations); en deuxième lieu, comme l'a conclu le juge Le Dain dans Bambrough (page 117 du recueil), que « l'énoncé de ces qualités [avait donné] une assise solide à un processus de sélection selon le mérite »; et, en troisième lieu, que l'adjonction des nouvelles exigences n'avait pas eu, dans les faits, pour effet de causer un préjudice indu aux plaignants [...]

 

Quant au cas devant lui, le juge Marceau a conclu que le Comité de présélection, de son propre chef et sans la participation du Ministère, avait décidé de préciser les qualités requises du Ministère. Sans la participation du Ministère, le Comité de présélection s’est ainsi trouvé à excéder son pouvoir.

 

  • [57] La concurrence du juge Robert Décary dans Blashford a élaboré sur ces points :

[25]  Il a été jugé par l'arrêt Bambrough, à mon avis, a) que les qualités requises pour un poste, normalement définies par le ministère intéressé avant l'ouverture du processus de sélection, peuvent être validement modifiées par celui-ci au cours de ce processus de sélection, pourvu que la modification ne soit pas une manoeuvre visant à favoriser indûment un candidat et ne soit que le développement raisonnable d'une exigence qui se déduit de l'énoncé primitif des qualifications; et b) que la Commission peut participer à la formulation de cette modification à condition que l'autorité décisionnelle continue d'être le ministère en question [...]

 

[26]  [...] Il serait erroné de déduire de l'arrêt Bambrough qu'il suffit qu'un représentant du ministère concerné soit présent au sein du jury de présélection ou de sélection pour que ce jury soit en mesure d'ajouter des conditions à celles qui sont déjà définies par ce ministère.

 

[...]

 

[29]  [...] Il n'y a aucune preuve établissant que les représentants du Ministère qui participaient au jury de sélection agissaient vraiment au nom du ministère lorsqu'ils définissaient ces critères, et, à mon avis, il faudrait des preuves très concluantes pour réfuter la présomption que les membres du jury de sélection constitué par la Commission agissaient au nom de la Commission, et non de leur propre ministère, quand ils établissaient des critères équivalant à des exigences supplémentaires [...]

 

 

  • [58] En appliquant ces principes au cas présent, il n’y a pas de preuve que le Ministère a participé activement aux modifications des qualités requises que le Comité de présélection a entreprises. Le demandeur prétend que les membres du Comité de présélection possédaient plusieurs années d’expérience au sein du SCC (Mémoire du demandeur au par. 3) et connaissaient les fonctions inhérentes au poste à doter et à ceux occupés par les candidats (Mémoire du demandeur au par. 37). Cependant, le fait que les trois membres du Comité de présélection étaient fonctionnaires au sein du SCC depuis plusieurs années n’était pas suffisant pour établir qu’ils ont été mandatés par le SCC pour élaborer les qualités requises pour les postes à doter; donc, il n’existe pas de preuve « très concluante(s) » pour réfuter la présomption que les membres du Comité de présélection agissaient au nom de la Commission, et non au nom de leur propre Ministère, lors de l’élaboration des qualités requises.

 

  • [59] Se référant à la décision du juge Marceau dans Blashford, ci-dessus, cette Cour est d’avis qu’en l’espèce, la Commission et le Comité de présélection n’étaient pas habilités à modifier les qualités requises définies par le SCC. Il est à noter toutefois que la conclusion du Comité d’appel ne se reposait pas sur l’habilité du Comité de présélection à modifier les qualités requises du Ministère.

 

  • [60] Dans Bambrough, ci-dessus, la Cour d’appel fédérale a jugé que le Comité de présélection détient un pouvoir implicite inhérent, soit d’agir au nom de la Commission ou du Ministère pour ajouter des qualités requises additionnelles afin de s’assurer qu’elles sont conformes au principe du mérite. Cependant, les qualités requises additionnelles d’un comité de présélection doivent être raisonnables, compte tenu du poste à doter, et ne peuvent être entachées par l’arbitraire (Blashford, ci-dessus au par. 6).

 

  • [61] Une des qualités requises au paragraphe 10 dans l’arrêt Blashford a été énoncée dans l’avis de concours : « Expérience considérable de surveillance au deuxième niveau ». Pour remplir cette exigence, le Comité de sélection prévoyait que les candidats devaient posséder deux années d’expérience au deuxième niveau au cours des cinq dernières années, dont une année d’expérience continuelle.

 

  • [62] La Cour, dans Blashford, ci-dessus, a rejeté ces critères temporels, vu leur caractère déraisonnable. Elle a jugé que les qualités requises annoncées par le Ministère ont été exprimées en termes susceptibles d’appréciation pratique et relative. Au contraire, le Comité de sélection les a circonscrites par l’introduction des critères temporels qui « ne pouvait certainement pas assurer une base plus logique pour la sélection selon le mérite, car elle avait pour seul effet de rendre le processus de sélection plus mécanique et plus restrictif » (Blashford, ci-dessus au par. 6). Le juge Décary était d’accord avec le rejet des critères rigides et temporels : « En introduisant un critère temporel rigide qui dépassait le simple développement des exigences du Ministère, il a usurpé ou outrepassé le pouvoir de ce dernier de définir les qualités requises pour un poste » (Blashford, ci-dessus au par. 30).

 

  • [63] En l’espèce, dans la définition du Comité de présélection, on ne retrouvait plus les notions de gestion de cas et d’escorte puisqu’on y retrouvait désormais les notions de CX-02, intervenant de première ligne (IPL) et d’agent de libération conditionnelle (ALC), lesquelles ne se trouvaient pas dans l’avis de concours. Le demandeur prétend que le Comité de présélection s’est fondé non seulement sur les descriptions des tâches, mais également sur leur connaissance des fonctions aux postes d’ALC, IPL et d’AC-02 (Décision au par. 25). Cette connaissance permettait au Comité de présélection de conclure que la notion de gestion de cas, figurant dans les qualités initiales requises, était implicite au travail du CX-02, IPL et ALC (Décision au par. 39).

  • [64] Cependant, le Comité d’appel a jugé que les prétentions du demandeur n’étaient pas appuyées par la preuve. La décision du Comité d’appel a analysé d’une façon détaillée plusieurs cas où un candidat ayant deux années d’expérience comme ceux au niveau de CX-02, IPL, ou ALC, avait l’expérience nécessaire en gestion de cas et d’escorte comme requise (Décision aux par. 39-60).

 

  • [65] En rappelant que la Cour dans Blashford a rejeté les critères temporels non conformes au principe du mérite vu l’élimination automatique des candidats d’expérience, cette Cour souscrit au raisonnement du Comité d’appel, qui avait conclu que l’exigence de deux ans d’expérience dans un des postes mentionnée ci-dessus ne permet pas de déduire que les candidats ont tous la même expérience en gestion de cas. Ce faisant, « [l]e Comité de sélection a donc substitué l’Expérience de gestion de cas requise par un critère temporel, plutôt que de vérifier si le candidat possédait effectivement cette expérience » (Décision au par. 42). Cette Cour souscrit également à la conclusion du Comité d’appel en ce qui a trait à la non-conformité du critère de cinq ans d’expérience au sein du SCC au principe du mérite.

 

  • [66] Par le fait que les qualités requises étaient qualifiées avec des critères temporels, le Comité de présélection les a changées d’une façon qualitativement différente. En l’espèce, le Comité d’appel a choisi et appliqué la norme de contrôle appropriée en décidant que les qualités requises ajoutées par le Comité de présélection n’étaient pas raisonnables.

 

  • [67] La décision Bambrough a aussi mentionné que si l’élaboration des qualités requises augmente le nombre de candidats éventuels à un poste, le processus serait répété afin de permettre l’identification d’autres candidats (au par. 16). Le juge Marceau dans Blashford a exprimé que certains candidats subissaient un préjudice du fait de l’utilisation des critères temporels :

[6]  [...] ils étaient automatiquement éliminés du concours du fait que leur expérience ne pouvait être considérée comme suffisamment ‘considérable’ pour leur permettre d’y participer, alors qu’elle aurait pu être plus utile et plus méritoire que celle de candidats admis à concourir.

 

Par conséquent, les appelants auraient dû démontrer que certains individus auraient pu postuler aux concours, mais ne l’avaient pas fait en raison du fait qu’ils croyaient ne pas avoir les qualités requises.

 

  • [68] À première vue, le raisonnement du Comité d’appel semble raisonnable :

[37]  [...] Si les gens occupant des postes de CX-02, IPL ou ALC avaient su que leur classification, à elle seule, et le nombre d’années qu’ils avaient occupé dans ces postes, étaient suffisant pour la présélection, ceci aurait sûrement eu l’effet d’élargir le bassin de candidats [...]

 

  • [69] En l’espèce, la conclusion du Comité d’appel à l’effet que les qualités additionnelles requises ont augmenté le bassin de candidats n’était pas appuyée par la preuve. Aucune preuve soumise ne démontre qu’au moins un candidat potentiel avait été défavorisé par les qualités additionnelles requises.

 

  • [70] Cependant, ce n’est pas nécessaire pour la Cour de statuer que la conclusion du Comité d’appel n’était pas raisonnablement appuyée par des faits. L’augmentation du bassin de candidats potentiel par l’élaboration des qualités requises ne semble être qu’un moyen de démontrer que les qualités additionnelles requises n’étaient pas faites selon le principe du mérite. L’omission de démontrer un tel préjudice n’est pas déterminante s’il existe d’autres preuves que les qualités requises n’étaient pas raisonnables, comme en l’espèce.

  • [71] En conclusion, le Comité de présélection a agi comme représentant de la Commission, et non du Ministère; donc, il ne lui était pas permis d’ajouter aux qualités requises du Ministère. De plus, le Comité d’appel a appliqué la norme de contrôle appropriée en décidant que les qualités requises ajoutées par le Comité de présélection n’étaient pas raisonnables. Le fait que les défendeurs n’ont pas démontré que le bassin des candidats a augmenté n’est pas déterminant en soi.

 

  • [72] Quant au rejet de la candidature de madame Levasseur à l’étape de la présélection, le demandeur prétend que le Comité d’appel a erré en examinant les candidatures retenues par le Comité de présélection au lieu de déterminer si celle-ci remplissait les qualités requises.

 

  • [73] Il existe deux façons d’établir qu’un concours ne s’est pas déroulé conformément au principe du mérite :

[47]  [...]

 

Il pourrait, par exemple, démontrer que le candidat choisi n’est certainement pas le mieux qualifié des candidats ou qu’il n’a pas satisfait aux conditions de sélection sur le plan des qualités personnelles ou sur le plan de l’admissibilité au concours. Ou encore, il pourrait contester la façon dont la sélection a été faite en vue de démontrer que la méthode de sélection elle-même était illégale, ou que, quoique légale en tant que méthode, elle n’a pas été suivie de manière à identifier le candidat le plus méritant.

 

(McGregor, ci-dessus citant Le procureur général du Canada c. Haig Bozoian, [1983] 1 C.F. 63 au par. 6.)

 

  • [74] Le Comité d’appel a opté pour la deuxième en prétendant que la sélection n’avait pas été entreprise de manière à identifier le candidat le plus méritant. L’appel fondé sur l’article 21 de la LEFP constitue un recours en appel qu’exerce un candidat non reçu à l’encontre d’une nomination. Par conséquent, le devoir d’un Comité d’appel ne consiste pas à évaluer de nouveau les candidats pour protéger les droits de l’appelant, mais à tenir une enquête afin de déterminer si la sélection a été effectuée conformément au principe du mérite (Charest c. Canada (Procureur général), [1973] C.F. 1217 (C.A.F.) au par. 12; Blagdon, ci-dessus au par. 2; Girouard, ci-dessus au par. 12); donc, la sélection des candidats reçus devait respecter le principe du mérite, indépendamment des résultats individuels obtenus par madame Levasseur (McGregor, ci-dessus au par. 48).

 

  • [75] En l’espèce, le Comité d’appel a analysé quelques exemples ou les candidats reçus n’avaient pas les qualités requises d’expérience vaste en gestion de cas et d’escorte de détenus même s’ils avaient rempli les qualités requises ajoutées par le Comité de présélection. Il n’y a pas d’erreur de droit puisqu’il a été loisible d’agir ainsi; donc, la conclusion que la sélection des candidats n’avait pas respecté le principe du mérite était raisonnablement appuyée par la preuve.

 

  • [76] Finalement, le rejet de la candidature de madame Levasseur en raison d’un détail s’est fait à l’encontre du principe du mérite. Elle a été rejetée du concours à cette étape pour la seule raison qu’elle avait indiqué sur sa demande d’emploi qu’elle travaillait comme CX-01 et CX-02 depuis plus de 16 ans. Elle n’a cependant pas clairement indiqué combien de temps elle avait œuvré à titre de CX-02, tel que demandé par les qualités requises ajoutées par le Comité de présélection.

 

  • [77] L'application d'une méthode rigide et formaliste pour des fins de présélection relativement à l'expérience d'un candidat peut conduire à l'exclusion de candidats qualifiés au concours (Hassall c. Canada (Procureur général) (1999), 162 F.T.R. 295, 86 A.C.W.S. (3d) 112 (C.F. 1ère inst.) au par. 20); donc, la juge Danièle Tremblay-Lamer a conclu dans Brookman c. Canada (Procureur général), (2000) 184 F.T.R. 47, 97 a.C.W.S. (3d) 926 (C.F. 1ère inst.), que l'imposition par le Comité de présélection d'une « formalité » lors du processus de présélection ne devrait pas avoir l'effet indésirable d'écarter de la présélection des candidats qui pourraient éventuellement être retenus :

[17]  [...] Manifestement, la commodité administrative que constitue pour le jury de sélection le fait d'exiger des candidats éventuels qu'ils soulignent ce qui, dans leurs antécédents de travail, a trait au critère de l'expérience pour le poste ne le dégage pas de son obligation statutaire de s'assurer que son évaluation portant sur les qualifications d'un candidat éventuel ait été conforme au principe du mérite [...]

 

  • [78] La preuve a démontré qu’en fait, elle a travaillé comme CX-02 depuis longtemps et donc, même si les critères temporels ajoutés par le Comité de présélection étaient valides, madame Levasseur se serait qualifiée dans le cadre de la présélection si elle n’avait pas fait de fautes dans ses documents de candidature.

 

  • [79] Sans doute, la plupart des candidats rejetés à la présélection furent causés par l’omission d’avoir avisé les candidats de l’importance de spécifier leurs postes antérieurs d’unefaçondétaillée. Les qualitésinitiales requises dans l'avis de concoursexigeaient que les candidats démontrent une « vaste expérience » dans la gestion de cas et d'escorte. Il n'y a pas eu mention des postes spécifiques, ce que le Comité de présélection a imposé une fois les candidatures reçues.

 

  • [80] Toutefois, le Comité de présélection aurait pu protéger le principe du méritemêmeaprèssonélaboration des qualités requises. Lorsque se posait la question de savoir si les candidats rencontraient les qualités requises, le Comité de présélection avait omis de demander aux candidats de fournir plus de renseignements.

 

(3) Le Comité d’appel, a-t-il erré en décidant que certains candidats ont bénéficié d’un avantage indu ?

 

  • [81] Le Comité d'appel a tiré des conclusions de faits pertinents. Les AC-I et AC-II, des catégories se trouvant respectivement sous CX-01 et CX-02, ne font aucune gestion. Par contre, le travail d'un AC-III, sous la catégorie de CX-03, consiste à gérer une équipe de CX-01 et de CX-02 (Décision au par. 112). Le Comité de sélection a basé l’examen des Connaissances sur des situations pouvant survenir dans le cadre des fonctions du CX-03 (Décision au par. 113). La majorité des échecs a eu lieu lors des examens des Connaissances et Capacités (Décision au par. 111). Seulement 12 candidats sur 41 ont pu se glisser sur la liste d'admissibilité sans avoir la formation, ni l’expérience au poste de CX-03 de façon intérimaire (Décision au par. 126); donc, la majorité des candidats, soit 29 sur 41, se retrouvant sur la liste d'admissibilité ont acquis une expérience de travail spécifique pour le poste, en agissant à titre intérimaire dans le poste depuis bon nombre d'années (Décision au par. 126). Plusieurs des candidats qui ont travaillé au poste de CX-03 avaient été formés dans des cours s'adressant aux personnes nommées au poste CX-03 (Décision au par. 126).

 

  • [82] Le Comité d'appel a aussi décrit la jurisprudence sur la question de l’avantage indu. Il a cité premièrement l'arrêt Canada (Procureur général) c. Pearce, [1989] 3 C.F. 272, [1989] A.C.F. no 316 (C.A.F.) (QL)en ce qui a trait à la violation du principe de la sélection au mérite d’une affectation jointe à un processus de sélection qui procure un avantage injuste à un candidat :

[15]  [...]

 

[...] Il me semble que d'autres circonstances, jointes à une affectation, peuvent également violer le principe de la sélection au mérite. Ce principe exige que le candidat le plus apte à occuper un emploi obtienne celui-ci, et cette personne n'est pas nécessairement celle qui est la mieux renseignée sur l'emploi en question.

 

[16]  Le Comité d'appel n'a pas commis d'erreur de droit quand il a conclu qu'une affectation, jointe à un processus de sélection qui a donné un avantage injuste au bénéficiaire de l'affectation, pouvait nuire à l'application du principe de la sélection au mérite. La conclusion que l'affectation en cause, combinée avec les questions préétablies posées par le jury de sélection, a eu cette conséquence en l'espèce est une conclusion de fait qui ne peut être considérée erronée au sens accordé à ce mot par l'article 28 de la Loi sur la Cour fédérale.

 

 

  • [83] Le Comité d'appel a cité McAuliffe c. Canada (Procureur général) (1997), 128 F.T.R. 39, [1997] A.C.F. no 161 (C.F.)(QL) pour la question de « [l]a connaissance de première main des attributions du poste pourrait assurer aux candidats déjà en place un avantage indu, et de ce fait, le processus risque de ne pas se traduire par une sélection au mérite. » (McAuliffe au par. 17).

 

  • [84] Finalement, le Comité d'appel a appliqué la loi aux faits. Le Comité d'appel a jugé que le Comité de sélection avait basé l'examen des Connaissances sur des situations pouvant survenir dans le cadre des fonctions du CX-03, avec le but de réfléchir aux tâches que les agents au CX-03 devaient exécuter (Décision aux par. 113-120); donc, selon le Comité d’appel, les outils de sélection développés par le Comité de sélection ont été conçus à l'avantage d'une personne qui occupait déjà un poste de gestionnaire dans une institution carcérale (Décision au par. 118). En plus, les candidats qui travaillaient à titre de CX-03 intérimaire ont bénéficié d’accès exclusif à la formation pour le développement des habiletés au niveau CX-03, soit le poste à doter. La personne responsable des examens a fait une validation de l’examen en l'administrant à des étudiants de 1ière et 2e année d'université qui n'avaient aucune connaissance du travail de surveillant en question. Cependant, le fait que ces derniers ont quand même pu obtenir une note de passage ne réfute pas le fait que les candidats étant déjà aux postes n'aient pas plus de facilité à compléter l'examen (Décision au par. 122).

 

  • [85] Le Comité d'appel a conclu qu'une personne ayant occupé un poste de CX-03 de façon intérimaire, pendant une certaine période de temps, a pu bénéficier d'un avantage indu parce que cette personne pouvait bénéficier d'une connaissance de première main des attributions du poste. Cette connaissance de première main les a aidés dans l'examen des Connaissances : « [i]l m'apparait donc raisonnable de déduire qu'une personne occupant un poste de CX-03 de façon intérimaire au moment du concours, bénéficiait d'un avantage indu sur les autres candidats n'ayant pas eu l'opportunité d'occuper un tel poste » (Décision au par. 121).

 

  • [86] La Cour est d’avis, cependant, que le seul fait qu’il y avait des candidats avec expérience à titre de CX-03 intérimaire n'est pas suffisant pour conclure à un avantage indu, violant ainsi le principe du mérite. Le Comité d’appel a erré en droit en n’appliquant pas les principes établis par l’arrêt Levac c. Canada (Procureure générale) (1994), 170 N.R. 230, [1994] A.C.F. no 622 (C.A.F.) (QL). L’arrêt Levac a souligné que par le seul fait que les connaissances d’un candidat avaient été acquises lors de la période où le candidat occupait de façon intérimaire les fonctions du poste à doter, n’enfreint pas nécessairement le principe du mérite dans le processus de la sélection :

[10]  [...] A compter du moment où « les connaissances (de la réglementation aérienne et des ordonnances sur la navigation aérienne ainsi que les normes et procédures relatives aux licences du personnel) sont des qualités requises dans l'énoncé des qualités du poste à pourvoir », il est certain que le jury se devait de les évaluer et il importe peu, aux fins de cette évaluation, que les connaissances d'une candidate donnée aient été acquises pendant que celle-ci occupait, de façon intérimaire, les fonctions du poste à combler. Soutenir le contraire ferait en sorte que les titulaires à titre intérimaire d'un poste à combler verraient systématiquement leur connaissance du poste évaluée à la baisse aux fins de les ramener au même niveau de connaissance (ou d'ignorance) que les autres candidats. Le principe de la sélection au mérite serait sérieusement compromis, et la médiocrité assurée au sein de la fonction publique, s'il fallait réviser à la baisse la note de connaissance des meilleurs candidats au seul motif qu'ils ont eu la chance d'acquérir des connaissances de manière empirique alors que d'autres candidats étaient contraints d'acquérir ces connaissances de manière théorique.

 

  • [87] Même l’arrêt Pearce, ci-dessus, a énoncé qu’une affectation en elle-même n’est pas suffisante pour violer le principe de la sélection au mérite. Il faut aussi avoir « d’autres circonstances », comme un processus de sélection qui aurait procuré un avantage injuste à un candidat. Selon le Comité d’appel, les questions de l’examen des Connaissances étaient fondées sur des situations qui auraient pu se baser dans le cadre de l’exercice des fonctions de surveillant correctionnel au niveau de CX-03 et également sur la description des tâches relevant du poste à doter.

 

  • [88] En l’instance, chacun des candidats a reçu la liste des références plus de deux mois avant la tenue de l’examen, de sorte qu’ils étaient alors en mesure, avec diligence raisonnable, d’acquérir de façon théorique des connaissances exigées par l’énoncé de qualités requises. Le fait que 12 candidats sur 41 qui n’occupaient pas le poste CX-03 avaient néanmoins réussi l’examen des connaissances est important à retenir. Cependant, cela constitue une bonne indication de la possibilité de réussir sans avoir « la chance d'acquérir des connaissances de manière empirique » (Levac, ci-dessus au par. 10).

 

  • [89] De plus, le Comité d'appel semble avoir reconnu le paradoxe d’évaluer l’habilité des candidats pour un poste, sans toutefois l’évaluer directement :

[121]  Bien qu'il soit normal qu'on veuille évaluer les tâches du CX-03 et que pour se faire on utilise la description de tâches de ce poste, il m'apparait injuste de favoriser les candidats occupant déjà un poste depuis bon nombre d'années pour certains, en les replongeant dans une terminologie, un environnement et un contexte dans lequel ils ont déjà œuvré à titre de Surveillant correctionnel.

 

  • [90] Le Comité d’appel a sanctionné le Comité de sélection pour avoir violé le principe du mérite : « le Comité de Sélection [...] aurait dû faire preuve de plus de rigueur face à ses outils de sélection, afin que le processus de sélection ne procure pas un avantage à ces candidats » (Décision au par. 131). Le Comité d’appel a constaté que « le candidat le plus apte à occuper un emploi obtienne celui-ci, et cette personne n'est pas nécessairement celle qui est la mieux renseignée sur l'emploi en question » (Pearce, ci-dessus au par. 15).

 

  • [91] D’après la Cour, il semble qu’une évaluation des tâches à combler à l’intérieur du poste à doter est le but recherché pour mieux respecter le principe du mérite. L’arrêt Laberge c. Canada (Procureur général), [1988] 2 C.F. 137, [1987] A.C.F. No 1043 (C.A.F.) a exprimé qu’il fallait considérer les tâches au poste à doter lors de l’élaboration du mode d’évaluation :

[13]  [...] Lorsqu'un concours est tenu pour combler un poste, le concours doit être organisé de telle façon qu'il permette de jauger l'aptitude des candidats à remplir ce poste-là. Or, cela ne peut se faire sans avoir égard aux fonctions que doit accomplir le titulaire du poste.

 

[...]

 

[15]  [...] Le principe de la sélection au mérite exige que l'on choisisse celui qui, au moment du concours, est le plus apte à remplir toutes les fonctions prévues à l'avis de concours. Cela n'exclut pas que le candidat puisse bénéficier de la période normale d'entraînement pour se familiariser avec ses nouvelles fonctions, laquelle en l'espèce comprenait également un cours de formation offert aux autres fonctionnaires de la même catégorie déjà en poste.

 

 

  • [92] Le défendeur a soulevé le fait que dans Levac, ci-dessus, la Cour d’appel fédérale a conclu que c’était à l’encontre du principe du mérite pour un candidat en question de se qualifié à partir du seul fait qu’il occupait le poste à doter d’une façon intérimaire :

[12]  [...] Ce n'est pas, en effet, à partir de l'examen écrit des connaissances acquises alors qu'elle occupait le poste à titre intérimaire que madame Forget s'est qualifiée, mais à partir du seul fait qu'elle occupait ce poste.

 

Mais, dans les faits de la décision Levac, le candidat en question n’a pas obtenu les points requis dans son examen des Connaissances, mais, plutôt, a réussit dans le processus par l’addition des points émanant d’une évaluation complémentaire selon le travail accompli lorsqu’il occupait l’emploi de façon intérimaire. Cette dernière situation est différente du cas qui nous intéresse puisque le Comité de sélection n’a pas donné des points additionnels pour le seul fait qu’un candidat travaillait dans le poste CX-03 de façon intérimaire.

 

  • [93] Le défendeur, citant la décision Doré c. Canada, [1987] 2 R.C.S. 503, soutient qu’en raison de la durée des affectations, les candidats retenus qui occupaient le poste de CX-03 de façon intérimaire bénéficiaient potentiellement d’un avantage indu. Il convient de préciser que cette allégation était basée sur un obiter de la Cour suprême du Canada. Enfin, les faits de cet arrêt sont nettement différents. La seule question en litige dans l’arrêt Doré découle de l’affectation d’une personne qui occupe un poste avec des fonctions différentes, en attendant qu’un nouveau poste soit classifié relativement à ces fonctions, constituant une nomination à un poste qui est susceptible d’un droit d’appel au sens de l’article 21 de la LEFP. En l’espèce, il n’est pas question d’un appel relativement à l’embauchage d’employés au poste de CX-03 intérimaire.

 

  • [94] On peut aussi distinguer l’arrêt McAuliffe, ci-dessus, sur ses faits. Les candidats en question ont réussi dans deux processus tenus par deux comités d’enquête différents. Pendant le processus des enquêtes, les candidats reçus ont été embauchés. Ceux-ci avaient acquis une certaine expérience du fait qu’ils avaient occupé les postes à doter pendant une période de deux ans. Suite aux conclusions des comités d’enquêtes quant à la défectuosité manifeste des deux processus d’évaluation, la Commission a décidé de retenir les candidats qui avaient réussi les deux processus défectueux vu leur compétence et leurs résultats élevés.

 

  • [95] La Cour a spéculé dans l’arrêt McAuliffe que les connaissances de première main par des attributions au poste auraient pu assurer aux candidats déjà en place un avantage indu :

[15]  En d'autres termes, il ne suffit que le candidat ait la compétence voulue pour être nommé. Il faut qu'il soit le mieux qualifié pour le poste en question. En l'espèce, les candidats retenus à l'issue des deux concours défectueux ont indubitablement acquis une certaine expérience du fait qu'ils ont occupé ces postes ces deux dernières années. Cette expérience pourra leur servir dans un nouveau concours, mais il est manifestement inique de la part de la Commission à l'égard des autres candidats, de donner la préférence aux candidats ayant acquis une certaine expérience, cette iniquité tenant à ce que ceux-ci ont déjà profité d'un système de sélection défectueux, aux dépens d'autres candidats qui pourraient être mieux qualifiés.

 

 

  • [96] La Cour a conclu que la seule solution était pour la Commission de procéder à une nouvelle évaluation :

[19]  La seule issue concevable est que la Commission procède à une nouvelle évaluation qui prendra en compte et comparera les qualités de tous les candidats disponibles (y compris ceux qui occupent actuellement les postes en question), et s'assure que les défauts relevés par le comité d'enquête ne se reproduisent pas.

 

  • [97] Ainsi, c’est l’omission de réévaluer les candidats qui engendre la possibilité d’un avantage indu en raison de l’expérience des candidats ayant déjà occupé les postes à doter. En l’espèce, comme mentionnée, une évaluation des qualités requises de tous les candidats, même ceux qui n’avaient pas travaillé de façon intérimaire, avait été effectuée. Enfin, la Cour n’est pas liée par l’arrêt McAuliffe, compte tenu des circonstances très particulières où la Cour d’appel fédérale, elle-même, a conclu qu’elle ne pouvait pas conclure sur une base substantielle suite à l’exécution du jugement qui a rendu les faits irréversibles (McAuliffe c. Canada (Procureur général) (1999), 250 N.R. 234, 91 A.C.W.S. (3d) 897).

 

  • [98] Finalement, il n’y a aucune preuve que les candidats ayant travaillé comme CX-03 de façon intérimaire avaient obtenu leur emploi par préférence et en violation du principe du mérite.

 

  • [99] En conclusion, bien qu’il y ait des avantages à occuper un poste de façon intérimaire, en l’espèce, tous les candidats ayant accès aux mêmes outils pour réussir les examens d’évaluation, il ne peut être statué qu’il y a un avantage indu.

 

(4) Le Comité d’appel, a-t-il erré en décidant que le Comité de sélection n’avait pas évalué les candidats de façon raisonnable quant à leur capacité de communiquer verbalement d’une façon efficace ?

 

  • [100] Le Comite de sélection a octroyé systématiquement une des deux notes, soit 12 ou 16, aux candidats. Il est l’avis du Comité d’appel que les commentaires n’étaient pas conséquent avec les différences entre les candidats qui ont obtenu des notes différentes. Le Comite d'appel a donc conclu que le Comite de sélection n'avait pas évalué d’une façon efficace les capacités de chacun des candidats dans leurs communications orales respectives au sein de leurs fonctions : « Il a donc décidé sur une base aléatoire, que tous communiquaient au même niveau, sans en avoir la preuve ou la connaissance » (Décision au par. 155). Les défendeurs, citant l’arrêt Canada (Procureur général) c. Jeethan, 2006 CF 135, 289 F.T.R. 28, au paragraphe 18, ont aussi soulevé le fait qu’un comité de sélection « doit être en mesure d’expliquer à un comité d’appel les motifs de son évaluation à partir des réponses fournies par l’appelant ».

 

  • [101] La preuve a démontré que le Comite de sélection a fait des entrevues et a émis des commentaires sur chacun des candidats qui avaient réussi cette étape. Ce ne fut pas le cas en absence d’entrevue ou de commentaire. Contrairement à la situation dans Jeethan où il n’y avait pas d’éléments de preuve pertinents, en l’espèce, le Comité de sélection a présenté ses raisons selon une grille de correction. Comme reproduit dans la Décision, chacun des candidats se voyait attribuer une note selon trois critères d'évaluation :

[143]   [...]

  1. Le comportement non verbal (attitude et la position du corps, les gestes, la physionomie, le contact visuel, etc.)

 

  1. L'expression verbale est limpide, logique et concise.

 

  1. Le débit de parole et le choix des mots conviennent à la situation et permettent de bien communiquer le message. 

 

 

  • [102] Comme le Comite d'appel a écrit :

[144]  Aucun des ces trois critères d'évaluation ne comporte une note à être octroyé. Rien dans la preuve n’a démontré qu’un de ces éléments était plus important, ou avait une valeur accrue par rapport aux autres. Rien dans la preuve ne démontre comment les candidats pouvaient se démarquer les uns par rapport aux autres.

 

 

  • [103] Même s'il semble qu'il y avait certaines irrégularités dans les commentaires et les notes, l’appréciation du mérite des différentes personnes ne peut être réduite à une fonction mathématique (Blagdon et McGregor, ci-dessus aux paras. 50-52). Le rôle de la Cour est d'évaluer le caractère raisonnable de la conclusion du Comite d'appel compte tenu de la preuve devant elle. En l’espèce, l'analyse du Comite d'appel était trop sévère, semblant ainsi avoir appliqué la norme de la décision correcte. Lorsque le Comité d'appel a comparé les commentaires sur une grille, il a jugé que les termes utilisés n’étaient pas uniformes face aux notes reçues. D’autre part, il ne serait pas raisonnable d’obliger un comité de sélection d'utiliser des termes identiques face aux notes octroyées. Chaque commentaire semble différent, bien que cette différence puisse parfois paraître subtile. Le fait que les notes se regroupent autour de soit 12, ou soit 16, et rien entre les deux, n'était pas déterminant compte tenu du fait que les notes étaient au début entre 0 et 5, qui ont été ensuite converties par un multiple de quatre pour répondre à l’exigence d’une note à formuler; donc, un 3 était converti en 12 et un 4, en 16. Dans ce contexte, il semble raisonnable pour le Comite de sélection de conclure que les 43 candidats ont obtenu une note de 3 ou 4 sur 5.

 

(5) Le Comité d’appel, a-t-il erré en décidant que le Comité de sélection n’a pas évalué la sensibilité à la diversité ?

 

  • [104] Dans le cadre d’une entrevue avec chacun des candidats, le Comité de sélection a évalué la sensibilité à la diversité. La question ayant servi à évaluer la sensibilité à la diversité se lisait comme suit :

Vous intégrez un nouvel employé au sein de votre équipe. Il provient du Quartier général et n’a pas d’expérience pratique en milieu carcéral. Cependant, il connaît bien les valeurs et la mission du service correctionnel et n’hésite pas à donner ses opinions, même si elles ne sont pas partagées par l’ensemble du personnel. Dans l’ensemble, plusieurs de ses collègues considèrent que ses opinions sont « corporatives », « théoriques » et « déconnectées ».

 

Très rapidement, les membres du personnel le mettent à part, font des blagues à son sujet et laissent le « petit nouveau » se débrouiller par lui-même et faire face à la « vraie réalité » des institutions. Vous en discutez avec certains membres du personnel qui croient que la situation ne mérite pas qu’on intervienne et que le nouvel employé doit faire ses preuves. Par ailleurs, aucune plainte n’a été directement formulée par le nouvel employé qui n’arrive toutefois pas à s’intégrer aux autres.

 

(Dossier du demandeur à la p. 640.)

 

 

  • [105] Le Comité de sélection a demandé aux candidats de répondre à la question : « Étant donné la situation, croyez-vous qu’il soit nécessaire d’intervenir ? Si oui, expliquez pourquoi. Si non, expliquez pourquoi. » (Dossier du demandeur à la p. 637).

  • [106] Cette grille énumère les éléments de réponses que le Comité de sélection s’attendait à retrouver :

  • (a) Examine le problème en tenant compte des besoins de l’équipe

 

  • (b) Examine le problème en tenant compte des besoins des individus impliqués

 

  • (c) Reviens aux grands principes énoncés dans la mission de l’organisation

 

  • (d) Apporte des éléments de solution concrets au problème

  • (e) Indique que ce type de comportement peut avoir des répercussions négatives importantes sur la sécurité du personnel et du nouvel employé en particulier

 

  • (f) Indique à ses employés qu’il est essentiel d’être tolérant envers des gens qui ont des idées ou des approches différentes. Indique qu’on peut apprendre de chacun.

 

  • (g) Propose des actions visant à faciliter l’intégration du nouvel employé (ex : coaching, pairage avec un ou plusieurs employés montrant plus d’ouverture que les autres, etc.)

 

  • (h) Autres réponses pertinentes

 

(Dossier du demandeur à la p. 640.)

 

 

  • [107] Finalement, comme reproduit dans la Décision, le Comité de sélection a défini la diversité :

[164]  [...]

 

Comprendre le caractère unique de chaque personne et reconnaître les différences (couleur, les déficiences mentales ou physiques, race, origine ethnique, sexe, orientation sexuelle, statut socio-économique, âge, croyances religieuses et politiques ainsi que différences géographiques et régionales). Acceptation et respect. Explorer les différences dans un milieu sécuritaire, propice et stimulant. Se comprendre les uns les autres et aller au-delà de la simple tolérance en acceptant et en célébrant les richesses de la diversité enfouies dans chacun.

 

 

  • [108] Le Comité d’appel a conclu que le Comité de sélection n’a pas évalué la sensibilité à la diversité des candidats, mais plutôt la capacité des candidats à gérer le personnel. Le Comité d’appel a opté pour la gestion du personnel comme but de la question plutôt que le moyen et le contexte. Le Comité de sélection a demandé aux candidats de démontrer comment ils auraient géré le personnel. L’évaluation des candidats aurait dû porter sur les fonctions qui devraient être accomplies par le titulaire du poste (Laberge, ci-dessus). Le poste CX-03 est un poste de surveillant correctionnel dont une des fonctions est de gérer le personnel. Il aurait fallu évaluer les candidats selon la façon qu’ils auraient résolu les différences entre employées en promouvant l’harmonie dans une équipe, l’objectif même de la sensibilité à la diversité.

 

  • [109] Parmi les sujets d’atelier de formation en novembre 2003, intitulé « Dialogue sur la diversité », une partie portait sur le « Milieu réceptif et positif » (Dossier du demandeur à la p. 626). Dans cette dernière partie, les suggestions offertes ressemblent étroitement à la question demandée lors de l’évaluation :

L’intégration de certains employés peut nécessiter une intervention spéciale. Il peut être indiqué d’élaborer un plan d’action, par exemple, pour introduire un nouvel employé dans un milieu de travail où il n’y a pas de membres du même groupe ou encore, avant qu’une personne ayant une incapacité grave ne commence à travailler, pour informer ses superviseurs et ses collègues de la nature de cette incapacité, des aménagements qui seront nécessaires et de leurs répercussions sur le travail. À l’arrivée de la personne souffrant d’une incapacité grave, demandez-lui si elle souhaite avoir une rencontre avec ses collègues pour déterminer de quelle manière ils peuvent l’aider.

 

Rencontrez fréquemment les nouveaux employés au cours des premières semaines, en particulier ceux qui sont nouvellement engagés dans la fonction publique, ceux qui viennent d’autres organisations, ceux qui font partie des groupes désignés et ceux qui ont des besoins spéciaux, pour vous assurer qu’on leur montre comment faire leur travail correctement et qu’ils s’adaptent bien à leur milieu de travail

 

(Dossier du demandeur à la p. 626.)

 

 

  • [110] De plus, les cours ont également suggéré des réponses recherchées :

Envisagez d’établir un système de tutorat. Certains spécialistes croient qu’il est préférable pour l’employé d’avoir deux guides : une personne d’expérience, pour ce qui est de l’aspect stratégique, et une autre personne ayant une ou deux années d’ancienneté de plus que l’employé, qui peut lui donner des conseils pratiques d’après son expérience récente.

 

[…]

 

Si certains employés ont de la difficulté à s’entendre avec d’autres qu’ils perçoivent comme « différents », examinez la question avec eux pour résoudre le problème.

 

[…]

 

Assurez-vous qu’on accorde à tous les problèmes soulevés par les employés une attention égale et qu’on propose une solution appropriée

 

(Dossier du demandeur, aux pp. 628-29.)

 

  • [111] Aucune approche n’a été discernée pour relever les attitudes face aux éléments culturels ou religieux; plutôt, l’attention a été accordée par le Comité de sélection aux styles de gestion, émanant d’une différence des points de vue. En plus, d’une façon très subtile, des moyens ont été suggérés face aux variables culturelles et religieuses basées sur les origines des candidats.

 

  • [112] Même les extraits portant sur des sujets consacrés aux groupes nommés expriment des considérations universelles. En ce qui concerne les femmes, elles sont susceptibles de discrimination psychologique systémique : « le fait de ne pas tenir compte de leur opinion parce qu’elles ont une perspective différente » et « un manque de confiance à leur égard » (Dossier du demandeur, à la p. 619).

 

  • [113] Le défendeur spécifie que « [l]a sensibilité à la diversité ne peut s’inférer » (Mémoire des défendeurs au par. 72). Mais, le Comité d’appel a stipulé que « [l]es questions peuvent être raisonnables et compatibles avec les exigences du poste, sans pour autant évaluer un domaine particulier de connaissances » (Décision au par. 165, citant Madracki c. Canada (1986), 72 N.R. 257, 2 A.C.W.S. (3d) 78 (C.A.F); donc, il n’est pas nécessaire d’évaluer directement chacune des connaissances des candidats pour examiner leurs capacités à remplir toutes les fonctions du poste :

[15]  [...] [Un Comité d’appel] doit se demander si, dans les circonstances, le défaut d'évaluer les candidats relativement à toutes les fonctions du poste à combler peut se concilier avec les exigences du principe de la sélection au mérite. Il peut en effet arriver que l'irrégularité alléguée ne soit qu'apparente : dans bien des cas l'aptitude d'un candidat à remplir une fonction peut s'inférer de son aptitude à remplir une autre fonction. Il peut aussi arriver que les connaissances qu'exige l'accomplissement de certaines fonctions puissent être facilement acquises par celui qui a l'aptitude à remplir les autres fonctions du poste. Par exemple, si un candidat a réussi à maîtriser une loi aussi complexe que la Loi de l'impôt sur le revenu, il est permis de croire qu'il pourra facilement se familiariser avec une autre loi plus simple. Le principe de la sélection au mérite exige que l'on choisisse celui qui, au moment du concours, est le plus apte à remplir toutes les fonctions prévues à l'avis de concours [...]

 

(Laberge, ci-dessus.)

 

  • [114] La sensibilité à la diversité est souvent quelque chose de très subtil. Dans une grille, pour les fins d’une évaluation, n’importe quel comportement peut être sujet de question à cet égard : « Indique à ses employés qu’il est essentiel d’être tolérant envers des gens qui ont des idées ou des approches différentes. Indique qu’on peut apprendre de chacun ». Par contre, les autres comportements décrits pourraient être considérés comme éléments importants afin de sensibiliser une équipe. Le fait que le Comité de sélection a écrit une définition face à la diversité qui énumère plusieurs fondements découlant de la discrimination n’oblige pas nécessairement une référence spécifique pour les fins d’identifier chacune des catégories de discrimination.

 

(6)  La mauvaise qualité de l’enregistrement des audiences devant le Comité d’appel, constitue-t-elle un manquement aux principes de justice naturelle ?

 

  • [115] Le demandeur soutient que si la Cour arrive à la conclusion que l’absence de transcription des témoignages, due à la mauvaise qualité de l’enregistrement mécanique, l’empêche de démontrer le bien-fondé de sa demande de contrôle judiciaire, il s’agit d’un manquement aux principes de justice naturelle (Mémoire du demandeur au par. 130).

 

  • [116] En l’espèce, la Cour ne trouve pas la preuve incomplète au fait de la mauvaise qualité d’enregistrement. Les deux parties ont fourni des éléments de preuve nécessaire pour démontrer le bien-fondé de leurs points respectifs face aux cas. Il n’y a donc pas lieu de conclure à un manquement aux principes de justice naturelle.

 

  • [117] D’autant plus, même si certains enregistrements sont incomplets, les parties ont établi le contenu de l’audience par d’autres moyens, comme des affidavits et des documents (Pugh c. Canada (Ministre de Travaux publics et des Services gouvernementaux), 2006 CF 806, 295 F.T.R. 184 au par. 30). En l’espèce, il y avait plusieurs affidavits et documents détaillés pour établir une histoire assez complète du dossier.

 

VIII.  Conclusion

  • [118] Suite aux contextes et raisons discutés ci-dessus, les six questions en litige sont conclues de la façon suivante :

(1)  Contrairement aux prétentions du demandeur, le Comité d’appel n’a pas renversé le fardeau de preuve et a été convaincu par la preuve soumise des défendeurs.

(2)  La présélection des candidats n’était pas faite sur le principe du mérite parce que le Comité de présélection, comme instrument de la Commission, n’avait pas le pouvoir de modifier les qualités requises annoncées par le Ministère dans l’avis de concours. De plus, même si le Comité de présélection avait un tel pouvoir, les modifications n’étaient pas raisonnables parce que le Comité de présélection a utilisé des critères temporels à l’encontre du principe du mérite. L’absence de preuve d’une augmentation du bassin des candidats en raison des qualités additionnelles requises ne change aucunement le résultat.

(3)  Le Comité d’appel a erré en décidant que certains candidats ont bénéficié d’un avantage indu. Même s’il y avait un avantage, cela ne revient pas nécessairement à déterminer que tout avantage est indu. En l’espèce, le seul fait qu’il y avait des candidats, qui avaient travaillé comme surveillant intérimaire au niveau CX-03 pendant des années, et qui étaient retenus, ne constitue pas un avantage indu. Les questions demandées aux candidats étaient raisonnables et il n’y a aucune preuve à l’effet que les candidats, ayant travaillé comme CX-03 de façon intérimaire, avaient obtenu leur emploi initialement par préférence et en violation du principe du mérite.  

(4)  Le Comité de sélection avait évalué les candidats de façon raisonnable quant à leur capacité de communiquer verbalement d’une façon efficace. L’évaluation des candidatures ne doit pas être faite de façon mathématique. La preuve a démontré que le Comité de sélection a fait des évaluations et a fourni des raisonnements adéquats. Même si le Comité d’appel n’était pas d’accord avec le résultat, les décisions du Comité de sélection étaient raisonnables et basées sur les faits.

(5)  Le Comité d’appel a aussi erré en décidant que le Comité de sélection n’a pas évalué la sensibilité à la diversité. Les questions demandées aux candidats ont évalué leur capacité à gérer le personnel dans des situations où des différences existaient entre les employés. Certaines habilités peuvent être inférées par des questions. Les cours de formation ont aussi confirmé que le concept de sensibilité à la diversité est assez large pour comprendre les habilités à traiter les différences entre employés par leurs moyens d’agir et de se comporter.

(6)  La mauvaise qualité de l’enregistrement des audiences devant le Comité d’appel ne constitue pas un manquement aux principes de justice naturelle.


 

JUGEMENT

LA COUR ORDONNE que

(1)  la demande de contrôle judiciaire soit accueillie en partie;

(2)  l’affaire soit renvoyée à un autre Comité d’appel autrement constitué pour qu’il décide à nouveau conformément aux motifs rendus par cette Cour;

(3)  le tout sans dépens compte tenu du résultat partagé.

 

 

« Michel M.J. Shore »

Juge


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :  T-1496-07

 

INTITULÉ :  DENIS ALLARD,

  CLAUDE BÉRARD,

  DANIEL BOUCHER,

  STÉPHANE GERVAIS

  MARIO LAVOIE

  et

  CHRISTIANE LEVASSEUR

 

LIEU DE L’AUDIENCE :  Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :  le 3 et 4 novembre 2008

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT:  LE JUGE SHORE

 

DATE DES MOTIFS :  le 28 novembre 2008

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Me Paul Deschênes

Me Pascale O’Bomsawin

 

POUR LE DEMANDEUR

Me Marie Pépin

 

POUR LES DÉFENDEURS

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

JOHN H. SIMS, c.r.

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LE DEMANDEUR

PÉPIN ET ROY, Avocat-e-s

Montréal (Québec)

 

POUR LES DÉFENDEURS

 

 

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