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Date : 20021015

 

Dossier : IMM-5364-01

 

Référence neutre : 2002 CFPI 1074

 

 

ENTRE :

 

                                                              ISMAIL OZTURK

 

                                                                                                                                          demandeur

 

 

                                                                          - et -

 

 

                     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

                                                                                                                                           défendeur

 

 

 

                                                  MOTIFS DE L’ORDONNANCE

 

LE JUGE LAYDEN-STEVENSON

 

[1]               Le demandeur prétend que la Section du statut de réfugié de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la SSR) a commis une erreur en concluant dans sa décision datée du 22 octobre 2001 qu’il n’était pas un réfugié au sens de la Convention. Dans la présente demande de contrôle judiciaire, le demandeur sollicite l’annulation de la décision et le renvoi de l’affaire à un tribunal différemment constitué de ce qu’on appelle maintenant la Section de la protection des réfugiés pour qu’il procède à une nouvelle audition.


[2]               Le demandeur est un citoyen de la Turquie. Il est un Alevi et un partisan d’un parti politique de gauche. Il prétend craindre avec raison d’être persécuté du fait de sa religion, de ses opinions politiques et d’une objection de conscience.

 

[3]               Le demandeur, originaire du village de Toklu dans la province de Trébizonde, est allé à l’université à Istanbul. Durant ses études universitaires, il a participé à des manifestations de protestation. À deux reprises, il a été arrêté, détenu pendant deux jours, interrogé au sujet d’organisations de gauche illégales et libéré. Il a été arrêté une troisième fois en 1999 à l’occasion de la Fête du 1er mai. Il aurait été arrêté, accusé d’être un élément subversif et un communiste et battu. Il aurait également subi le falaka (une technique de torture consistant à frapper la plante des pieds de la victime) et l’eau froide sous pression. Il a été libéré au bout de trois jours et on lui a donné la possibilité de quitter Istanbul ou de se présenter au poste de police local. Le demandeur est retourné en Trébizonde

 


[4]               Le demandeur a suivi une formation dans le domaine de la vente et a décroché un emploi en Trébizonde. Pendant une pause déjeuner en février 2000, le demandeur a été abordé par deux collègues; ils lui ont pris son exemplaire du journal de gauche, Evrensel, qu’il était en train de lire et l’ont jeté à la poubelle. Plus tard pendant la journée, un groupe de personnes ont attaqué le demandeur à l’arrêt d’autobus. Ses agresseurs l’ont traité de communiste et lui ont dit de ne plus lire ce journal. Le demandeur a porté plainte à la police au sujet de ses collègues de travail. La police les a interrogés, puis les a laissés aller. Par la suite, le demandeur a commencé à recevoir des appels anonymes et des menaces de mort.

 

[5]               Le demandeur a pris un congé et a commencé à prendre des dispositions pour quitter la Turquie. En mars 2000, les deux collègues de travail à propos desquels il s’était plaint à la police ont eux-mêmes porté plainte à la police contre lui, prétendant qu’il avait des liens avec le groupe terroriste Dev-Sol et distribuait sa propagande. La police s’est rendue à la maison du demandeur, mais celui‑ci était à Istanbul. Les parents du demandeur ont communiqué avec lui, l’ont informé de la visite de la police, lui ont fait état de ce qui lui était reproché et lui ont dit qu’il devait se présenter au poste de police.

 

[6]               Le demandeur a quitté la Turquie le 30 avril 2000 muni d’un visa canadien de visiteur et d’un document d’inscription à un cours d’anglais langue seconde. Il a revendiqué le statut de réfugié le 15 juin 2000, alléguant que s’il retournait en Turquie, il serait détenu et torturé parce qu’on le soupçonnait d’être partisan de Dev-Sol. À l’audience, le demandeur a témoigné qu’il était partisan du parti politique Emet. Il a également témoigné que deux semaines avant l’audience, ses parents l’avaient informé qu’ils avaient reçu un document lui ordonnant de se présenter au bureau de conscription local. Le demandeur a prétendu qu’il ne voulait pas servir dans l’armée parce que cette dernière persécutait les civils et vidait les villages de leurs habitants. Il a dit que s’il retournait en Turquie, il serait forcé de servir dans l’armée.

 


[7]               Le demandeur soutient que la SSR aurait dû conclure à l’application de l’objection de conscience. Il prétend également que la SSR a commis une erreur en n’examinant pas l’ensemble de la preuve. Plus particulièrement, le demandeur maintient que la SSR, en parvenant à sa décision, n’a tenu aucun compte de ses arrestations antérieures, n’a pas pris en considération les éléments de preuve documentaire relatifs aux journaux de gauche en Turquie et n’a pas dûment pris en compte les menaces de mort.

 

[8]               Il n’y a aucune mention du motif de l’objection de conscience dans le Formulaire de renseignements personnels (le FRP). La SSR a conclu que la crédibilité du demandeur sur ce point était gravement compromise. Elle a déclaré que le demandeur savait avant de quitter la Turquie que son exemption du service militaire prenait fin en novembre 2000. Sachant cela, le demandeur aurait dû exposer un motif aussi important dans son FRP. En outre, rien ne prouvait que le demandeur s’était opposé au service militaire. La SSR a conclu que le demandeur n’avait pas établi qu’il était un objecteur de conscience et que le motif de l’objection de conscience avait été « invoqué par la suite pour justifier une revendication reposant sur des arguments peu solides ».

 


[9]               Les conclusions de la SSR quant à la crédibilité font l’objet d’une grande retenue. L’omission d’un fait important dans le FRP du revendicateur peut fonder une conclusion défavorable quant à la crédibilité : Akhigbe c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) 2002 CFPI 249, [2002] A.C.F. no 332. Je ne suis pas convaincue que la SSR a commis une erreur en concluant que l’objection de conscience ne s’appliquait pas en l’espèce.

[10]           Pour ce qui est de la question de l’examen de l’ensemble de la preuve, le demandeur soutient que la SSR a fondé sa décision sur la question de la plainte relative au journal et n’a tenu aucun compte de ses arrestations antérieures.  Il s’appuie sur l’extrait suivant de la décision :

Le revendicateur croit qu’il y a une possibilité sérieuse qu’il fasse l’objet de persécution, de détention et de torture « parce qu’on a porté plainte contre moi ». Sa crainte d’être persécuté est liée au fait d’avoir été identifié, fort probablement par les deux travailleurs contre lesquels lui-même avait porté plainte, comme étant membre de Dev Sol. Le revendicateur a affirmé de façon claire que sa prétendue crainte d’un possibilité sérieuse d’être persécuté en Turquie ne découlait pas de ses démêlés antérieurs avec la police turque.

 

 

 


[11]           La SSR s’est référée aux arrestations antérieures lorsqu’elle a résumé les faits. Elle a également dit qu’elle avait examiné des éléments de preuve dont elle était saisie. La transcription appuie la conclusion selon laquelle la crainte du demandeur ne découlait pas de ses  démêlés antérieurs avec la police turque. Le demandeur a été interrogé à trois reprises au sujet de la raison pour laquelle il craignait d’être persécuté s’il retournait en Turquie. À chaque fois, le demandeur a fait référence à la plainte portée contre après l’incident du journal et l’agression de février 2000 (transcription, aux pages 32, 33, 34 et 47). Le tribunal est présumé avoir apprécié et examiné l’ensemble de la preuve qui lui a été soumise, et ce, jusqu’à preuve du contraire : Hassan c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1992), 147 N.R. 317 (C.A.F.); Florea c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] A.C.F. no 598 (C.A.). En l’espèce, la transcription appuie la conclusion de la SSR selon laquelle la crainte du demandeur ne découlait pas de ses arrestations antérieures. Il n’y a aucune erreur susceptible de contrôle à cet égard.

 

[12]           Le demandeur prétend également que la SSR n’a tenu aucun compte des éléments de preuve documentaire relatifs au journal Evrensel. La difficulté que pose cet argument est que les éléments de preuve auxquels fait référence le demandeur ne lui sont d’aucune utilité. Ceux‑ci portent sur le meurtre d’un journaliste du Evrensel en 1996 et sur l’attitude de la police envers les distributeurs de journaux pro-kurdes. Plus particulièrement, les distributeurs prétendent que la police les harcèle et confisque leurs journaux. Le demandeur affirme qu’il est seulement un lecteur. De plus, la police était au courant que le demandeur était un lecteur du Evrensel parce que c’est ce qui avait constitué le fondement de sa plainte contre ses collègues de travail en février 2000. La police n’a pas fait subir au demandeur de traitement préjudiciable en raison de ce qu’elle savait. On ne peut pas dire, dans ces circonstances, que la SSR était tenue de se reporter expressément à la preuve documentaire en question. Il ne s’agit pas là d’une preuve contraire cruciale. Sa valeur probante est tellement faible qu’il n’est pas étonnant que la SSR ne s’y soit pas reportée.

 


[13]           Enfin, le demandeur soutient que la SSR n’a pas dûment tenu compte des menaces de morts qu’il a reçues. Il est facile de constater que la SSR a conclu que les menaces de mort équivalaient à une vendetta personnelle des collègues de travail du demandeur. En conséquence, on ne peut pas dire que la SSR n’a pas expliqué pourquoi elle a conclu que les menaces de mort n’étayaient pas la revendication du demandeur. Aux pages 9 et 10 de sa décision, la SSR a déclaré :

On a demandé au revendicateur à plus d’une reprise pourquoi il estimait que la police ne comprendrait pas qu’il s’agissait en l’occurrence d’accusations mutuelles entre le revendicateur et ses ex‑collègues de travail. [...] De fait, dans son propre FRP, au point 19, le revendicateur lui-même précise que les travailleurs qui ont porté des accusations contre lui prenaient tout simplement leur revanche. De l’avis du tribunal, les appels menaçants que le revendicateur prétend avoir reçus ou la prétendue plainte portée auprès de la police contre lui en Trébizonde ne peuvent être considérés comme le fondement objectif d’une revendication du statut de réfugié basée sur la possibilité sérieuse que le revendicateur soit persécuté en raison de ses opinions politiques. Autrement dit, le seul éventuel lien entre le revendicateur et Dev Sol serait les affirmations en ce sens faites par les collègues de travail du revendicateur qui lui en veulent.

 

 

 

Le FRP et la déposition orale du demandeur viennent renforcer cette conclusion. Je ne suis pas convaincue que la SSR a commis une erreur comme il est allégué.

 

[14]           Il convient de noter que la SSR a dit que le demandeur avait pris des dispositions pour quitter la Turquie et avait obtenu son passeport avant que la police n’aille chez lui pour l’informer de la plainte portée contre lui. La seule activité politique du demandeur, après son départ de l’université, consistait à lire le journal de gauche Evrensel. La SSR a également déclaré que le fait que le demandeur ait attendu six semaines avant de présenter sa revendication était pertinent quant à la question de sa crainte subjective. Le demandeur a prétendu avoir fait des recherches avant de quitter la Turquie. Cependant, il a également soutenu qu’il ne savait rien du processus de reconnaissance du statut de réfugié. Lorsqu’il est examiné avec le reste de la preuve, ce facteur confirme le portrait du demandeur « comme quelqu’un ayant des tendances politiques modérées, qui a rencontré des problèmes au travail et a quitté ensuite le pays ».


 

[15]           La SSR a fourni des motifs détaillés, complets et convaincants à l’appui de sa décision. La preuve appuie ses conclusions. En réalité, le demandeur demande à la Cour de substituer son appréciation de la preuve à celle de la SSR. Il ne s’agit pas là du rôle de la Cour. Pour les motifs exposés, mon intervention n’est pas justifiée. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 

[16]           Les avocats n’ont pas soulevé de question à certifier. La présente affaire ne soulève aucune question grave de portée générale. Aucune question n’est certifiée.

 

 

« Carolyn A. Layden-Stevenson »

Juge

 

 

Ottawa (Ontario)

Le 15 octobre 2002

 

Traduction certifiée conforme

 

 

 

Julie Boulanger, LL.M.


                         COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                                Avocats inscrits au dossier

 

 

DOSSIER :                                                    IMM-5364-01

 

INTITULÉ :                                                   ISMAIL OZTURK

demandeur

 

- et -

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE

                                                                        L’IMMIGRATION

défendeur

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           LE JEUDI 10 OCTOBRE 2002  

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE :              LE JUGE LAYDEN-STEVENSON

 

DATE DES MOTIFS :                                  Le 15 octobre 2002

 

COMPARUTIONS :                                     Krassina Kostadinov

 

pour le demandeur

 

Robert Bafaro

 

pour le défendeur

                                                                                                           

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :      Krassina Kostadinov

Avocate

Waldman and Associates

281, avenue Eglinton Est

Toronto (Ontario)

M4P 1L3

 

pour le demandeur                   

 

Morris Rosenberg

Sous-procureur général du Canada

 

pour le défendeur


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