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Date : 20071220

Dossier : IMM-5924-06

Référence : 2007 CF 1343

Ottawa (Ontario), le 20 décembre 2007

En présence de Madame la juge Dawson

 

entre :

 

NGOC UYEN NHI NGO

 

demanderesse

 

et

 

lE ministre de la citoyenneté

et de l’immigration

 

 

défendeur

 

 

motifs du jugement et jugement

 

[1]        Ngoc Uyen Nhi Ngo est une citoyenne du Vietnam qui a présenté une demande de résidence permanente au Canada. Bien que sa demande ait été traitée comme une demande dans la catégorie des travailleurs qualifiés, Mme Ngo a demandé une exemption pour des considérations d’ordre humanitaire parce qu’elle était le dernier membre de sa famille nucléaire à habiter au Vietnam.

 

[2]        La demande a été rejetée parce que Mme Ngo ne répondait pas à tous les critères de la catégorie des travailleurs qualifiés et parce que, selon les termes de l’agente, [traduction] « […] elle ne subi[ssait] pas de difficultés indues au Vietnam. Rien ne l’empêch[ait] de travailler et elle subv[enait] à ses besoins. La séparation du reste de sa famille n’[était] pas inhabituelle et elle a[vait] des parents au Vietnam. »

 

[3]        Le ministre convient que la présente demande de contrôle judiciaire devrait être accueillie parce que l’agente qui a rejeté la demande n’a pas évalué Mme Ngo à titre de membre de la famille de fait tel que l’énoncent les lignes directrices ministérielles contenues à l’article 8.3 du chapitre 4 du Guide de traitement des demandes à l’étranger (le Guide OP 4). De même, le dossier n’indique pas clairement que l’agente a examiné certaines observations écrites présentées pour le compte de Mme Ngo.

 

[4]        Les parties n’ont toutefois pas pu s’entendre sur les modalités selon lesquelles l’affaire doit être renvoyée pour réexamen ou sur la question de savoir si des circonstances spéciales justifient l’adjudication de dépens. Les présents motifs traitent de ces deux questions.

 

[5]        Je commence les présents motifs en constatant que c’est la deuxième fois que la Cour annule une décision défavorable concernant la demande de résidence permanente de Mme Ngo. Ce qui est troublant, et qui suscite de la consternation, est que la première décision défavorable a été annulée parce qu’elle [traduction] « ne répondait pas à l’argument fondé sur la dépendance financière et affective présenté pour le compte de » Mme Ngo. L’agente a commis exactement la même erreur dans la décision qui fait l’objet du présent contrôle.

 

[6]        Compte tenu que le bureau des visas a commis la même erreur fondamentale à deux reprises, je renverrai la présente affaire en donnant quelques instructions destinées à aider le décideur. En termes clairs, la décision doit être prise par un agent des visas qualifié et non par la Cour. Mais, en termes tout aussi clairs, les motifs de la prochaine décision devraient indiquer que l’agent connaît toutes les circonstances pertinentes et qu’il les a examinées. Les motifs devraient également indiquer la manière dont l’agent a appliqué les dispositions législatives et réglementaires pertinentes, de même que les lignes directrices ministérielles, aux circonstances de la présente affaire.

 

[7]        En ce qui a trait aux instructions qui doivent être données au nouveau décideur, elles sont formulées conformément à l’alinéa 18.1(3)b) de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, ch. F‑7. Le paragraphe 18.1(3) de la Loi sur les Cours fédérales est présenté à l’annexe des présents motifs.

 

[8]        Les instructions qui suivent ont été discutées avec les deux avocats à l’audience et ces derniers ont donné leur accord à leur égard.

 

[9]        Premièrement, l’affaire doit être renvoyée pour réexamen à un agent qui n’a aucunement participé aux décisions antérieures.

 

[10]      Deuxièmement, toute entrevue qui devra avoir lieu avec Mme Ngo doit être menée par l’agent qui se prononcera sur la question des raisons d’ordre humanitaire de la demande.

 

[11]      Troisièmement, la décision de l’agent doit être prise en tenant expressément compte de l’alinéa 3(1)d) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 et de l’article 8.3 du Guide OP 4.

 

[12]      Quatrièmement, les motifs de la décision doivent explicitement énoncer les raisons pour lesquelles l’agent conclut qu’il existe ou n’existe pas suffisamment de facteurs d’ordre humanitaire pour justifier une exemption des exigences de la catégorie des travailleurs qualifiés.

 

[13]      Cinquièmement, si l’agent estime que l’immigration de la famille de Mme Ngo sans elle au Canada est un fait pertinent, les motifs de la décision doivent indiquer que l’agent a expressément tenu compte de tous les faits entourant le départ de la famille de Mme Ngo.

 

[14]      Finalement, la décision doit être prise dans les 30 jours suivant la date du jugement de la Cour.

 

[15]      Compte tenu des circonstances particulières de l’espèce, un commentaire est justifié à l’égard de la première instruction. Au cours de l’audience, l’avocat de Mme Ngo a exprimé une préoccupation à propos de la question de savoir si le bureau des visas en cause comptait suffisamment d’agents pour trouver une nouveau décideur. J’accepte sans hésiter l’assurance donnée par l’avocate du ministre selon laquelle un agent qualifié et impartial sera trouvé pour prendre la décision. Toutefois, je suis d’avis après réflexion qu’il serait sage de dire expressément à l’agent qu’il ne doit aucunement tenir compte des rejets antérieurs de la demande de Mme Ngo. L’agent doit être informé que la raison pour laquelle ces rejets ne sont pas pertinents est qu’ils étaient fondés sur une omission de tenir dûment compte des dispositions législatives et des lignes directrices ministérielles pertinentes.

 

[16]      J’estime qu’il est sage de formuler une telle instruction en l’espèce en raison d’une note malheureuse dans le Système de traitement informatisé des données d’immigration, note dans laquelle l’agente qui a pris la première décision a exprimé non seulement sa déception à l’égard de l’ordonnance de la Cour qui a annulé sa décision initiale, mais également son insatisfaction à l’égard des motifs de la Cour. On s’attendrait normalement à ce que le nouveau décideur ait accès à cette note, d’où le caractère salutaire, du moins à mon avis, du conseil ci-dessus. En conséquence, la première instruction, telle qu’elle apparaît dans le jugement qui suit, sera révisée pour tenir compte de ma réserve.

 

[17]      Abordant la question des dépens, Mme Ngo sollicite les dépens avocat-client compte tenu de l’omission de l’agente de suivre l’instruction antérieure de la Cour. Le ministre répond qu’il n’existe aucune circonstance spéciale justifiant l’adjudication des dépens, et encore moins l’adjudication de dépens avocat-client. Il souligne également qu’il a présenté une offre opportune pour régler la présente affaire et que l’avocat de Mme Ngo a soumis des arguments que la Cour a déjà refusés à deux occasions. Du point de vue du ministre, les actions de Mme Ngo ont inutilement retardé le nouvel examen du présent dossier.

 

[18]      Trois faits sont pertinents à l’égard de la question des dépens. Premièrement, le deuxième agent a ignoré l’ordonnance de la Cour et a pris une décision sans examiner de façon appropriée les facteurs de besoins affectif et de dépendance décrits à l’article 8.3 du Guide OP 4. Deuxièmement, Mme Ngo était tenue de présenter une demande de contrôle judiciaire de cette décision. Troisièmement, le ministre s’est opposé à l’octroi de l’autorisation dans la demande de Mme Ngo.

 

[19]      À mon avis, ces faits constituent des raisons spéciales qui justifient l’adjudication des dépens.

 

[20]      Cela dit, une fois l’autorisation accordée et le dossier certifié du tribunal délivré, le ministre s’est empressé de tenter de régler la demande. À ce moment-là, je suis convaincue qu’il n’existait pas de raison spéciale qui aurait justifié l’adjudication supplémentaire des dépens.

 

[21]      Verbalement, l’avocate du ministre a indiqué qu’un montant de 750 $ au titre des dépens serait raisonnable. L’avocat de Mme Ngo a soutenu que s’il n’était pas possible d’obtenir les dépens avocat-client, un montant de 3 000 $ serait approprié.

 

[22]      À mon avis, des dépens pour la somme totale de 1 000 $ sont appropriés, compte tenu de toutes les circonstances.

 

[23]      Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire est accueillie, tel que l’expose plus en détail le jugement qui suit. Puisque les parties se sont entendues sur toutes les questions à l’exception de celle concernant le montant des dépens, il n’y a aucune question à certifier.


JUGEMENT

 

La cour statuE que :

 

1.         La demande de contrôle judiciaire est accueillie et la décision du gestionnaire du programme d’immigration datée du 2 octobre 2006 est annulée.

 

2.         L’affaire est renvoyée pour réexamen selon les modalités suivantes :

 

a.                   La demande doit être tranchée par un agent qui n’a pas déjà participé aux décisions antérieures. L’agent doit être expressément informé qu’il ne doit aucunement tenir compte des rejets antérieurs de la demande de Mme Ngo, car ceux-ci étaient fondés sur l’omission d’examiner de façon appropriée les dispositions législatives et les lignes directrices ministérielles pertinentes.

 

b.         Toute entrevue qui devra avoir lieu avec Mme Ngo doit être menée par l’agent qui tranchera la question des motifs d’ordre humanitaire de la demande.

 

c.         L’agent doit rendre sa décision en tenant expressément compte de l’alinéa 3(1)d) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés et de l’article 8.3 du Guide OP 4.

 

d.         Les motifs de la décision doivent explicitement énoncer les raisons pour lesquelles l’agent conclut qu’il existe ou n’existe pas suffisamment de facteurs d’ordre humanitaire pour justifier une exemption des exigences de la catégorie des travailleurs qualifiés.

 

e.         Si l’agent estime que l’immigration de la famille de Mme Ngo sans elle au Canada est un fait pertinent, les motifs de la décision doivent indiquer que l’agent a expressément tenu compte de tous les facteurs entourant le départ de la famille de Mme Ngo.

 

            f.          La décision doit être prise dans les 30 jours suivant la date du présent jugement.

 

3.         Le ministre paie à Mme Ngo des dépens, dont la somme totale est fixée à 1 000 $.

 

 

 

« Eleanor R. Dawson »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

 

Caroline Tardif, LL.B., trad

 

 

 

 

annexe

 

Le paragraphe 18.1(3) de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, ch. F‑7, est rédigé comme suit :

18.1(3) Sur présentation d'une demande de contrôle judiciaire, la Cour fédérale peut :

 

a) ordonner à l’office fédéral en cause d’accomplir tout acte qu’il a illégalement omis ou refusé d’accomplir ou dont il a retardé l’exécution de manière déraisonnable;

b) déclarer nul ou illégal, ou annuler, ou infirmer et renvoyer pour jugement conformément aux instructions qu’elle estime appropriées, ou prohiber ou encore restreindre toute décision, ordonnance, procédure ou tout autre acte de l’office fédéral.

18.1(3) On an application for judicial review, the Federal Court may

 

(a) order a federal board, commission or other tribunal to do any act or thing it has unlawfully failed or refused to do or has unreasonably delayed in doing; or

(b) declare invalid or unlawful, or quash, set aside or set aside and refer back for determination in accordance with such directions as it considers to be appropriate, prohibit or restrain, a decision, order, act or proceeding of a federal board, commission or other tribunal.

 

 


Cour fédérale

 

Avocats inscrits au dossier

 

 

 

dossier :                                                                            IMM-5924-06

 

intitulé :                                                                           NGOC UYEN NHI NGO

                                                                                                c.

                                                            lE ministre de la citoyenneté

                                                                                                et de l’immigration

 

Lieu de l’audience :                                                     TORONTO (ONTARIO)

 

DATE de l’audience :                                                   le 12 décembre 2007

 

Motifs du jugement

Et jugement :                                                                  la juge DAWSON

 

Date des motifs :                                                          le 20 décembre 2007

 

 

Comparutions :

 

Cecil Rotenberg, c.r.                                                                 pour la demanderesse

 

Matina Karvellas                                                                      pour lE DÉFENDEUR

 

 

Avocats inscrits au dossier :

 

Avocats                                                                                    pour la demanderesse

Toronto (Ontario)

 

John H. Sims, c.r.                                                                     pour lE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

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