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Date : 20071212

Dossier : IMM-6429-06

Référence : 2007 CF 1307

Ottawa (Ontario), le 12 décembre 2007

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE ORVILLE FRENETTE

 

 

ENTRE :

ANDROMEDA DIAZ DE LEON

demanderesse

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire présentée conformément au paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la « Loi »), à l’encontre d’une décision, en date du 8 novembre 2006, par laquelle le président de l’audience devant la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la « Commission ») a conclu que la demanderesse n’est pas une réfugiée au sens de la Convention ni une personne à protéger.

 

QUESTIONS EN LITIGE

[2]               La présente demande soulève une seule question : la Commission a‑t‑elle commis une erreur en concluant que la demanderesse n’a pas réussi à réfuter la présomption relative à la protection de l’État?

 

CONTEXTE FACTUEL

[3]               La demanderesse, une citoyenne du Mexique, est née le 12 juin 1977. Elle a demandé l’asile au motif qu’elle a été la cible de membres de cartels de drogue locaux dans l’État mexicain de Chihuahua, où elle travaillait comme animatrice à la radio et journaliste. Elle demande donc la protection du fait de son appartenance à un groupe social et de ses opinions politiques.

 

[4]               La demanderesse a travaillé à titre de reporter pour la station Radio Noticias, 920 AM, entre le mois d’avril 1994 et le mois de septembre 2003. En 1998, elle a obtenu du bureau de l’enseignement public une licence d’animatrice à la radio et, en 2001, elle s’est inscrite au forum des journalistes. En 2001, la demanderesse a entrepris un cours de journalisme à l’Université autonome de Chihuahua au Mexique et, en septembre 2003, elle a commencé à travailler pour une autre station radio.

 

[5]               Entre le mois d’avril 1997 et le mois de mars 1999, un certain Edmundo Fernandez était directeur du service des informations à Radio Noticias. C’est dans le cadre de leur travail à la station radio que la demanderesse et M. Fernandez ont noué une relation de travail et d’amitié.

 

[6]               La demanderesse et M. Fernandez ont rétabli le contact en 2004, lorsque la demanderesse s’est adressée à son ancien collègue pour lui demander son avis et des conseils sur un cours de journalisme d’enquête qui était offert pendant sa troisième année d’études. La demanderesse effectuait un travail pratique en enquêtant sur les activités de drogues au Chihuahua. Elle a commencé à agir comme source pour M. Fernandez puisqu’il était devenu directeur des opérations des forces spéciales pour l’unité de sécurité municipale de l’État de Chihuahua en octobre 2004 et était chargé des enquêtes sur les groupes criminels et sur le trafic de stupéfiants dans la région.

 

[7]               Elle lui fournissait les noms et les adresses de personnes impliquées dans le trafic de stupéfiants ainsi que les endroits où se tenaient les partys raves clandestins, où les ventes de stupéfiants étaient courantes, plus particulièrement les ventes à des mineurs. M. Fernandez a procédé à l’arrestation de plusieurs personnes sur le fondement des renseignements fournis par la demanderesse.

 

[8]               M. Fernandez est devenu la cible des trafiquants de drogue en raison de son travail et a commencé à recevoir des menaces en janvier 2005. Il a averti la demanderesse de ces menaces. Le 13 juin 2005, il a été tué par des hommes armés au moment où il sortait d’un magasin en mi‑journée.

 

[9]               Vers minuit le 15 juin 2005, le jour des funérailles de M. Fernandez, la demanderesse a reçu un appel d’une personne non identifiée qui l’a menacée en lui disant que les prochaines funérailles seraient les siennes parce qu’elle se mêlait des affaires des autres.

 

[10]           La demanderesse a immédiatement appelé la police pour demander qu’on la protège, puis elle s’est rendue au bureau du ministère public accompagnée de sa mère pour signaler les menaces qu’elle avait reçues. Elle s’est fait demander si elle connaissait l’identité de l’auteur de l’appel et si elle était en mesure de fournir à la police le numéro de provenance de l’appel. Lorsqu’elle a répondu qu’elle ne pouvait fournir les renseignements demandés, le policier lui a dit qu’il ne pouvait rien faire, mais il lui a demandé de conserver le numéro de la police à portée de la main au cas où un autre incident se produirait. Le policier n’a pas rédigé de rapport.

 

[11]           À la suite de la menace, la demanderesse, craignant pour sa sécurité, a mis un terme à son travail d’enquête, a rompu son association avec le groupe journalistique à Chihuahua et a démissionné.

 

[12]           D’autres meurtres ont été commis à peu près à la même époque dans la ville où la demanderesse était domiciliée. La demanderesse insiste particulièrement sur un incident qui s’est produit le 26 juin 2005 au cours duquel le commandant en chef de la police du Chihuahua, R.G. Levario, et son partenaire, l’agent Frias, ont été assassinés. On leur avait amputé l’index et on le leur avait mis dans la bouche, ce qui signifie que les victimes avaient été identifiées en tant qu’informateurs.

 

[13]           Le 15 septembre 2005, la demanderesse s’est enfuie à Mexico, qui se trouve approximativement à 27 heures en autobus de son domicile, où elle a vécu avec une tante. C’est là que, le 24 septembre 2005, vers 22 h, elle a reçu un deuxième appel de menaces. L’auteur de l’appel, non identifié, lui a dit qu’elle avait été stupide de ne pas avoir tenu compte du premier avertissement. Craignant pour sa vie et n’ayant aucun espoir que la police fasse quoi que ce soit si elle portait plainte, elle est retournée immédiatement au Chihuahua pour rassembler ses affaires et prendre des dispositions pour se rendre au Canada, où elle est arrivée le 4 octobre 2005.

 

DÉCISION VISÉE PAR LE CONTRÔLE

[14]           La Commission a conclu que la demanderesse n’était ni une réfugiée au sens de la Convention ni une personne à protéger parce que sa crainte n’avait aucun fondement objectif.

 

[15]           Lorsqu’elle a entrepris son analyse, la Commission a affirmé que l’identité de la demanderesse était établie et que sa crédibilité n’était pas en cause. La Commission a fourni pour seul motif à l’appui de sa décision de rejeter la demande que la demanderesse n’avait pas réfuté la présomption selon laquelle elle peut se prévaloir de la protection de l’État au Mexique et qu’il était objectivement raisonnable de s’attendre à ce qu’elle fasse des efforts supplémentaires pour demander la protection du Mexique. Les motifs suivants ont été énoncés à l’appui de cette conclusion :

a.       Il était objectivement raisonnable de s’attendre à ce que la demanderesse fasse des efforts supplémentaires pour obtenir la protection de l’État au Mexique. Elle n’a fait aucun effort en ce sens. Elle a simplement fait un unique rapport au ministère public. En outre, elle n’a communiqué ni avec la police ni avec les autorités judiciaires à la suite du deuxième appel de menaces.

b.      La Commission a conclu que la demanderesse bénéficierait de la protection de l’État puisque ses difficultés découlaient de sa participation à des activités associées au gouvernement.

c.       La Commission s’est fondée sur la preuve documentaire selon laquelle l’une des priorités du gouvernement mexicain était la lutte au trafic des stupéfiants. En dépit du fait qu’il y a corruption et collusion avec les trafiquants au sein de la force policière, le gouvernement s’efforce de combattre le trafic et de protéger les citoyens mexicains.

d.      De l’avis de la Commission, il était évident que la situation relative au trafic de stupéfiants dans l’État du Chihuahua était très grave. La Commission a reconnu également que, d’après la preuve documentaire, des journalistes et des reporters ont été attaqués. Toutefois, il n’existe aucune preuve convaincante selon laquelle l’État du Mexique n’est pas disposé ou n’est en mesure d’offrir une protection à la demanderesse.

 

ANALYSE

La preuve documentaire

[16]           La Commission a examiné la preuve documentaire et reconnu que, d’après cette preuve, il y avait corruption au sein des services de police et de sécurité au Mexique, dont certains membres s’étaient associés aux trafiquants de stupéfiants, et que le système judiciaire était à la fois inefficace et corrompu.

 

[17]           Toutefois, la Commission a été impressionnée par les efforts considérables déployés par le procureur général et l’agence d’enquête fédérale en vue de combattre la criminalité et le trafic de stupéfiants tout en protégeant les citoyens mexicains.

 

[18]           Elle a mentionné également les attaques visant les journalistes et les reporters. Une simple lecture de cette documentation permet de constater qu’un rapport annuel de 2000 sur le Mexique indique qu’[traduction] « en dépit des bonnes nouvelles, le Mexique demeure un lieu de travail assez dangereux pour les journalistes. L’enquête sur le trafic de stupéfiants mène à des menaces de mort – trois des cinq journalistes assassinés en 1997 et 1998 faisaient enquête sur la question … ». Le même document fait état de menaces, d’attaques, d’arrestations et d’enlèvement de journalistes. Le document de l’agence Reuters pour 2006 est intitulé [traduction] « Le Mexique est frappé par une nouvelle vague de meurtres liés au trafic de stupéfiants ».

 

[19]           Certes, le président Vincento Fox a promis de redoubler d’efforts pour combattre les crimes, mais, dans une lettre du Canada datée du 7 octobre 2005, l’association s’est plainte de violations des droits de la personne au Mexique et des meurtres de journalistes.

 

[20]           La Commission aurait dû examiner la totalité de la preuve, plus particulièrement la preuve documentaire, ce qui lui aurait permis de constater que, malgré les promesses et les efforts du président Fox, les journalistes d’enquête mexicains font toujours l’objet de menaces, notamment de menaces de mort. Cette preuve ainsi que les faits et les événements relatés par la demanderesse appuient plus particulièrement la crainte objective et subjective que cette dernière éprouve pour sa vie au Mexique.

 

Norme de contrôle

[21]           La norme de contrôle qui s’applique à la décision de la Commission sur la question de savoir si la demanderesse a adéquatement démontré l’incapacité de l’État de la protéger est la norme de la décision raisonnable simpliciter. La juge Tremblay‑Lamer est parvenue à cette conclusion après avoir effectué une analyse pragmatique et fonctionnelle dans la décision Chaves c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 193, [2005] A.C.F. no 232, qui a depuis invariablement été suivie par la Cour. Voir p. ex. Martinez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 982, [2007] A.C.F. no 1276. Je suis d’avis moi aussi que la norme qu’il convient d’appliquer est celle de la décision raisonnable.

 

Réfuter la présomption relative à la protection de l’État

 

[22]           Pour décider si la Commission a commis une erreur, il est d’abord utile de passer en revue les principes qui sous‑tendent la présomption relative à la protection de l’État et la manière dont la demanderesse peut réfuter cette présomption.

 

[23]           La Cour suprême du Canada a énoncé le critère relatif à la protection de l’État dans l’arrêt Canada (Procureur général) c. Ward, [1993] 2 R.C.S. 689, [1993] A.C.S. no 74 :

Comme Hathaway, je préfère formuler cet aspect du critère de crainte de persécution comme suit:  l’omission du demandeur de s’adresser à l’État pour obtenir sa protection fera échouer sa revendication seulement dans le cas où la protection de l’État [traduction] « aurait pu raisonnablement être assurée ».  En d’autres termes, le demandeur ne sera pas visé par la définition de l’expression « réfugié au sens de la Convention » s’il est objectivement déraisonnable qu’il n’ait pas sollicité la protection de son pays d’origine; autrement, le demandeur n’a pas vraiment à s’adresser à l’État.

 

Il s’agit donc de savoir comment, en pratique, un demandeur arrive à prouver l’incapacité de l’État de protéger ses ressortissants et le caractère raisonnable de son refus de solliciter réellement cette protection.  D’après les faits de l’espèce, il n’était pas nécessaire de prouver ce point car les représentants des autorités de l’État ont reconnu leur incapacité de protéger Ward.  Toutefois, en l’absence de pareil aveu, il faut confirmer d’une façon claire et convaincante l’incapacité de l’État d’assurer la protection.  Par exemple, un demandeur pourrait présenter le témoignage de personnes qui sont dans une situation semblable à la sienne et que les dispositions prises par l’État pour les protéger n’ont pas aidées, ou son propre témoignage au sujet d’incidents personnels antérieurs au cours desquels la protection de l’État ne s’est pas concrétisée.  En l’absence d’une preuve quelconque, la revendication devrait échouer, car il y a lieu de présumer que les nations sont capables de protéger leurs citoyens.  La sécurité des ressortissants constitue, après tout, l’essence de la souveraineté.  En l’absence d’un effondrement complet de l’appareil étatique, comme celui qui a été reconnu au Liban dans l’arrêt Zalzali, il y a lieu de présumer que l’État est capable de protéger le demandeur.

 

[Non souligné dans l’original.]

 

 

[24]           Dans l’arrêt Kadenko c. Canada (Solliciteur général), 143 D.L.R. (4th) 532, la Cour d’appel fédérale a confirmé qu’un demandeur d’asile doit aller plus loin que de simplement démontrer qu’il s’est adressé à certains membres du corps policier et que ses démarches ont été infructueuses. Cette interprétation du droit a été récemment suivie par le juge Martineau dans la décision Ramirez et al. c. MCI, 2007 CF 1191.

 

[25]           La demanderesse dans la présente affaire fait valoir que la Commission a commis une erreur en ne tenant pas compte des meurtres de M. Fernandez, des deux policiers qui étaient étiquetés comme étant des informateurs et des nombreux journalistes qui, selon la preuve documentaire, avaient été ciblés. La demanderesse soutient que la situation de ces personnes était semblable à la sienne et que les dispositions prises par l’État pour les protéger n’ont pas aidé. La demanderesse soutient également que M. Fernandez et les policiers devaient jouir d’un meilleur accès à une protection puisqu’ils étaient des officiers supérieurs. En dépit de cet accès à une protection, ils ont été ciblés puis tués, et les auteurs du meurtre de M. Fernandez n’ont pas encore été appréhendés. Pour cette raison, la demanderesse fait valoir qu’il est objectivement déraisonnable de l’obliger à continuer à chercher à obtenir une protection de l’État.

 

[26]           Le défendeur soutient en réponse que la demanderesse était une journaliste en formation, qu’elle était peu connue, contrairement à M. Fernandez et aux policiers, et qu’elle ne serait par conséquent pas une cible. La Commission a conclu également que, parce qu’elle avait aidé un fonctionnaire, elle aurait plus facilement accès à cette protection.

 

La présomption relative à la protection de l’État

[27]           Dans l’arrêt Ward, précité, la Cour suprême du Canada a statué qu’il existe, en matière de droit des réfugiés, une présomption relative à la protection de l’État et qu’il faut pour réfuter cette présomption « confirmer d’une façon claire et convaincante l’incapacité de l’État d’assurer la protection … ». Dans les arrêts Hinzman c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) et Hughey c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2007] CAF 171, [2007] A.C.F. no 584, la Cour d’appel fédérale a cité une décision qu’elle a elle‑même rendue, Kadenko c. Canada (Procureur général) (1996), 143 D.L.R. (4th) 532, page 532, où elle affirmait que plus un pays est démocratique, plus le demandeur doit s’adresser à son État d’origine pour obtenir une protection. Toutefois, cette affirmation doit satisfaire au critère de la question de savoir si la protection de l’État [traduction] « aurait pu raisonnablement être assurée » (Hinzman, par. 54).

 

[28]           Dans le cas du pays qui est considéré comme étant une véritable démocratie, comme les États‑Unis d’Amérique, comme il a été décidé dans l’arrêt Hinzman, précité, il est difficile de réfuter la présomption relative à la protection de l’État, mais dans un pays comme le Mexique, considéré davantage comme une démocratie en voie de développement, où la corruption et le trafic de stupéfiants sont courants et impliquent certains fonctionnaires, policiers et membres des forces de la sécurité, il peut être plus facile de réfuter la présomption. Voir : Carrillo c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 320, [2007] A.C.F. no 439.

 

[29]           Évidemment, chaque cas doit être décidé en fonction des faits qui lui sont propres. Il s’ensuit que chaque demande d’asile présentée par un citoyen du Mexique ne satisfera pas aux critères requis; ainsi, les demandes de contrôle judiciaire ont été rejetées dans les décisions suivantes concernant des citoyens du Mexique :

K.T.S.G. c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1669, [2005] A.C.F. no 2070;

Monroy c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 834, [2006] A.C.F. no 1180;

Canseco c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 73, [2007] A.C.F. no 115;

Ramirez, précitée.

 

[30]           Compte tenu de la preuve dans la présente affaire, j’estime que la décision de la Commission était déraisonnable. Son omission de tenir compte du fait que les personnes mêmes à qui la demanderesse doit s’adresser pour obtenir une protection ne pouvaient jouir d’une telle protection constitue une erreur susceptible de révision. Comme ce fut le cas dans l’affaire Irhuegbae c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2003] A.C.F. no 671, 2003 CFPI 522, la preuve de ces meurtres a été mentionnée dans la décision de la Commission, mais elle n’a pas été examinée dans le contexte de l’incapacité de l’État de protéger la demanderesse :

[27] Le demandeur a présenté des éléments de preuve concernant des personnes dans une situation semblable à la sienne et que les dispositions prises par l’État pour les protéger n’ont pas aidées. Il a fait mention dans son témoignage d’un autre conférencier qu’on avait assassiné le deuxième soir suivant la conférence qu’il avait donnée. Ce conférencier était un autre activiste de la lutte contre les sectes (page 19 du dossier du tribunal). Dans son Formulaire de renseignements personnels (FRP), le demandeur a déclaré qu’un registraire de la Delta State University, l’université où il avait étudié, lui avait dit en mai 1999 qu’on lui avait offert la protection de la police contre les membres des sectes. Or, quelques semaines plus tard, ce registraire était assassiné. La Commission n’a pas déclaré cet élément de preuve non crédible. La Commission a conclu, de même, que le demandeur n’avait pas soumis une preuve claire et convaincante du fait qu’il ne peut se réclamer de la protection de son État. À mon avis, toutefois, le demandeur a bel et bien présenté une preuve concernant des personnes dans une situation semblable à la sienne et que les dispositions prises par l’État pour les protéger n’ont pas aidées (c.-à-d. le registraire de la Delta State University assassiné). La Commission a mentionné cette preuve dans sa décision, mais pas en regard de l’incapacité de l’État de protéger le demandeur. Tel qu’il est déclaré dans Ward, l’une des façons de démontrer l’incapacité de l’État d’assurer la protection d’une personne consiste à démontrer son incapacité à protéger des personnes dans une situation semblable à la sienne. Il s’agit là, par conséquent, d’une erreur susceptible de révision de la Commission.

 

[Non souligné dans l’original.]

 

[31]           Les récits que la demanderesse a invoqués pour témoigner de l’incapacité de l’État de la protéger touchaient des personnes qui occupaient des postes supérieurs et publics. Le fait qu’elles aient été incapables d’obtenir une protection suffisante est donc plus convaincant qu’il ne le serait s’il s’agissait de citoyens ordinaires travaillant comme informateurs. En outre, cela confirme clairement et de manière convaincante l’incapacité de l’État de protéger la demanderesse dans cette situation en particulier. L’argument du défendeur selon lequel l’occupation plus discrète de la demanderesse la mettrait à l’abri d’une persécution est contredit par le fait qu’elle a reçu des menaces de mort. Le fait qu’elle était une cible n’a à aucun moment été remis en question par la Commission, ni d’ailleurs la crédibilité de la demanderesse de manière générale.

 

[32]           La Cour a conclu que, lorsqu’un État est l’auteur présumé de la persécution, le demandeur n’est pas tenu d’épuiser tous les recours disponibles pour réfuter la présomption relative à la protection de l’État. Ainsi, dans la décision Chaves, précitée, la juge Tremblay‑Lamer s’est exprimée dans les termes suivants :

Cependant, à mon avis, les arrêts Ward et Kadenko ne sauraient signifier qu’une personne doit épuiser tous les recours disponibles avant de pouvoir réfuter la présomption de protection de l’État (voir Sanchez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] A.C.F. n ° 536 (1re inst.) (QL), et Peralta c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1996), 123 F.T.R. 153 (C.F. 1re inst.)). La situation est plutôt la suivante. Lorsque les représentants de l’État sont eux-mêmes à l’origine de la persécution en cause et que la crédibilité du demandeur n’est pas entachée, celui-ci peut réfuter la présomption de protection de l’État sans devoir épuiser tout recours possible au pays. Le fait même que les représentants de l’État soient les auteurs présumés de la persécution affaiblit la nature démocratique apparente des institutions de l’État, ce qui diminue d’autant le fardeau de la preuve. Comme je l’ai expliqué dans Molnar c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2003] 2 C.F. 339 (1re inst.), le jugement Kadenko n’est guère pertinent lorsque « [...] les policiers n’ont pas seulement refusé de protéger les demandeurs, ce sont eux qui se sont livrés aux actes de violence » ; décision Molnar, précitée, au paragraphe 19.

 

[Non souligné dans l’original.]

 

 

[33]           De façon similaire, je suis d’avis que, lorsque des représentants de l’État dont la tâche est de protéger un demandeur n’ont pu eux‑mêmes obtenir la protection dont ils avaient besoin, le demandeur dont la crédibilité n’est pas contestée peut invoquer ce fait pour réfuter la présomption relative à la protection de l’État. Il convient de distinguer la présente affaire de l’affaire Kadenko, précitée, sur le fondement de ces faits en particulier. En l’espèce, il n’était pas objectivement raisonnable d’obliger la demanderesse à demander une protection supplémentaire alors que les représentants qui avaient pour tâche de protéger le public ne peuvent eux‑mêmes obtenir une protection suffisante.

 

[34]           Pour les motifs qui précèdent, je suis d’avis que la Commission a commis une erreur susceptible de révision.

 

[35]           Aucune question n’est certifiée et aucune question n’est soulevée à cette fin.

 


JUGEMENT

 

LA COUR ORDONNE :

La demande de contrôle judiciaire est accueillie et l’affaire est renvoyée à la Commission pour qu’un tribunal différemment constitué procède à un nouvel examen.

 

 

« Orville Frenette »

Juge suppléant

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Sandra de Azevedo, LL.B.


 

 

 

COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-6429-06

 

INTITULÉ :                                       Andromeda Diaz De Leon

                                                            c.

                                                            le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               le 28 novembre 2007

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET

JUGEMENT :                                    le juge suppléant FRENETTE

 

DATE DES MOTIFS :                      le 12 décembre 2007

 

 

 

COMPARUTIONS

 

M. Daniel M. Fine

 

POUR LA DEMANDERESSE

Mme Jennifer Dagsvik

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

Daniel M. Fine

Avocat

4950, rue Yonge, bureau 510

Toronto (Ontario) M2N 6K1

 

POUR LA DEMANDERESSE

John H. Sims

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

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