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Date : 20071206

Dossier : IMM‑4263‑07

Référence : 2007 CF 1280

Ottawa (Ontario), le 6 décembre 2007

En présence de monsieur le juge Shore

 

 

ENTRE :

HERICK GAY

demandeur

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

INTRODUCTION

[1]               L’omission d’une agente des visas de prendre en compte et d’inclure les propriétés chinoises dans son calcul des actifs d’un demandeur constitue une erreur susceptible de contrôle. Il ne s’agit pas d’un manquement à l’équité procédurale, mais plutôt de la mise à l’écart d’éléments de preuve. Si cette erreur a influé sur la décision, celle-ci doit être annulée. (Selon ce qu’indique la juge Carolyn Layden‑Stevenson de la Cour fédérale dans la décision Zheng c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CFPI 1115, [2002] A.C.F. no 1478 (QL), au paragraphe 15.)

 

LA PROCÉDURE JUDICIAIRE

[2]               Le demandeur sollicite un contrôle judiciaire à l’égard de la décision par laquelle une agente d’immigration désignée de l’ambassade du Canada à Port-au-Prince, en Haïti, a refusé la demande de résidence permanente au Canada présentée par le demandeur en application du paragraphe 11(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (LIPR).

 

LES FAITS

[3]               Le demandeur, M. Herick Gay, est un citoyen d’Haïti qui vit actuellement à Port‑au‑Prince. Il est comptable et il a présenté le 10 mai 2005 une demande de résidence permanente dans la catégorie des travailleurs qualifiés (fédéral) à l’ambassade du Canada à Port au-Prince, en Haïti. (Dossier du demandeur, affidavit de Herick Gay, onglet 3, page 8.)

 

[4]               Le 11 juillet 2005, M. Gay a transmis à l’ambassade du Canada en Haïti des éléments de preuve à l’égard de sa situation financière, déclarant avoir comme ressources disponibles la somme de 19 592,10 $US. (Dossier du demandeur, affidavit de Herick Gay.)

 

[5]               L’ambassade du Canada en Haïti a envoyé au demandeur une lettre, datée du 22 mars 2006, dans laquelle on lui demandait de fournir la preuve de la disponibilité de ses ressources financières, devant s’élever à 10 168 $CAN aux fins de son établissement au Canada, pour que son dossier soit complet. (Affidavit d’Edwige Guirand, paragraphes 5 et 6; STIDI (Système de traitement informatisé des dossiers d’immigration) notes du 14 mars 2006.)

 

[6]               Le 10 avril 2006, M. Gay, par un représentant personnel, a transmis à l’ambassade du Canada en Haïti une copie certifiée d’un contrat relatif à une propriété montrant son droit dans un bien-fonds, un relevé de ses actifs nets et des relevés bancaires. La preuve financière fournie à ce moment établissait une valeur totale d’environ 22 000 $CAN. (Affidavit d’Edwige Guirand, paragraphes 6 à 8, pièces « B », « C », « D » et « E »; dossier du demandeur, affidavit d’Herick Gay, paragraphe 6, pièces « C » et « D ».)

 

[7]               Le 5 juin 2006, M. Gay a reçu la décision par laquelle l’agente d’immigration désignée de l’ambassade du Canada à Port-au-Prince, en Haïti, a refusé la demande de résidence permanente au Canada qu’il avait présentée en application de l’alinéa 76(1)b) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 (le Règlement). (Affidavit d’Edwige Guirand, paragraphe 9.)

 

[8]               Le 5 juin 2006, M. Gay, assisté par son représentant, M. Tim Morson, a demandé au Directeur de l’immigration à l’ambassade du Canada à Port-au-Prince, en Haïti, de rouvrir le dossier et de le faire réexaminer par un deuxième agent d’immigration. Il croyait qu’une erreur avait été commise à l’égard des documents qui démontraient clairement qu’il avait les fonds nécessaires pour être considéré comme un travailleur qualifié suivant l’alinéa 76(1)b) du Règlement. (Dossier du demandeur, affidavit de Herick Gay, paragraphe 10, pièce « F ».)

 

[9]               Le 7 juin 2006, le Directeur de l’immigration de l’ambassade du Canada a confirmé que le dossier avait été tranché de façon régulière et qu’aucune erreur n’avait été commise. (Dossier du demandeur, affidavit de Herick Gay, paragraphe 11, pièce « G ».)

 

[10]           Le 1juin 2006, le représentant de M. Gay a envoyé au Directeur général de la Direction générale du règlement des cas de Citoyenneté et Immigration Canada une lettre dans laquelle il demandait la réouverture du dossier aux fins de réexamen par un deuxième agent d’immigration, étant donné qu’il croyait qu’une erreur de fait et une erreur de droit avaient été commises. (Dossier du demandeur, affidavit de Herick Gay, paragraphe 19, pièce « H ».)

 

[11]           Le juillet 2006, la Direction générale du règlement des cas de Citoyenneté et Immigration Canada a confirmé que la décision de l’agente était correcte et définitive et a invité M. Gay à présenter une demande de contrôle judiciaire s’il croyait qu’il y avait une erreur de fait et une erreur de droit.

 

[12]           M. Gay soutenait que l’agente a commis une erreur du fait d’avoir omis de prendre en compte tous les éléments de preuve pertinents qu’il a présentés en vue de réfuter la présomption d’inadmissibilité au Canada. M. Gay a précisé que l’agente n’a fait dans sa décision aucune mention de la preuve présentée.

 

[13]           Le défendeur soutenait que M. Gay n’a soulevé aucun argument défendable puisque :

·        l’agente a examiné la documentation en matière financière présentée par le demandeur (notes du STIDI);

·        l’agente a informé le demandeur des préoccupations soulevées à l’égard des fonds nécessaires à son établissement (c’est-à-dire qu’il devrait démontrer que les fonds nécessaires étaient disponibles);

·        l’agente a décidé de façon raisonnable de ne pas tenir compte des biens fonciers du demandeur dans le calcul de ses fonds d’établissement étant donné que le demandeur n’a pas démontré que ces biens équivalaient à des fonds transférables et non grevés de dettes ou d’autres obligations – comme l’exigeait le paragraphe 76(1) du Règlement.

 

LA DÉCISION FAISANT L’OBJET DU CONTRÔLE

 

[14]           L’agente des visas a conclu que M. Gay n’était pas admissible au Canada puisqu’il n’avait pas les fonds transférables et non grevés de dettes requis conformément au paragraphe 76(1) du Règlement.

 

[15]           L’agente a conclu que M. Gay disposait de 7 501,30 $CAN; par conséquent, il n’avait pas le montant de 10 168 $CAN requis pour son établissement au Canada.

 

LA LOI ET LES LIGNES DIRECTRICES

[16]           Le paragraphe 11(1) de la LIPR est rédigé comme suit :

 

Visa et documents

 

 

11. (1) L’étranger doit, préalablement à son entrée au Canada, demander à l’agent les visa et autres documents requis par règlement, lesquels sont délivrés sur preuve, à la suite d’un contrôle, qu’il n’est pas interdit de territoire et se conforme à la présente loi

Application before entering Canada

 

11. (1) A foreign national must, before entering Canada, apply to an officer for a visa or for any other document required by the regulations. The visa or document shall be issued if, following an examination, the officer is satisfied that the foreign national is not inadmissible and meets the requirements of this Act.

 

[17]           Les dispositions pertinentes du Règlement sont rédigées comme suit :

Demandes

 

10. (1) Sous réserve des alinéas 28b) à d), toute demande au titre du présent règlement :

 

[...]

 

c) comporte les renseignements et documents exigés par le présent règlement et est accompagnée des autres pièces justificatives exigées par la Loi;

 

[...]

 

 

Travailleurs qualifiés (fédéral)

 

76. (1) Les critères ci-après indiquent que le travailleur qualifié peut réussir son établissement économique au Canada à titre de membre de la catégorie des travailleurs qualifiés (fédéral) :

 

 

 

[...]

 

b) le travailleur qualifié :

 

(i) soit dispose de fonds transférables — non grevés de dettes ou d’autres obligations financières — d’un montant égal à la moitié du revenu vital minimum qui lui permettrait de subvenir à ses propres besoins et à ceux des membres de sa famille,

 

 

Applications

 

10. (1) Subject to paragraphs 28(b) to (d), an application under these Regulations shall

 

  

 

(c) include all information and documents required by these Regulations, as well as any other evidence required by the Act;

 

 

 

 

 

Federal Skilled Worker Class

 

76. (1) For the purpose of determining whether a skilled worker, as a member of the federal skilled worker class, will be able to become economically established in Canada, they must be assessed on the basis of the following criteria:

 

 

(b) the skilled worker must

 

(i) have in the form of transferable and available funds, unencumbered by debts or other obligations, an amount equal to half the minimum necessary income applicable in respect of the group of persons consisting of the skilled worker and their family members, or

 

 

[18]           Mme la juge Elizabeth Heneghan de la Cour fédérale a décidé ce qui suit dans l’affaire Hernandez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 1398, [2004] A.C.F. no 1698 (QL) :

[16]      Le paragraphe 8.2 du Guide OP6 est également pertinent car il prévoit que l’exigence prévue à l’alinéa 10(1)c) de soumettre « tous les renseignements et les documents » doit être satisfaite avant qu’un agent ne commence à examiner sérieusement une demande. Advenant le cas où une demande ne satisfait pas à cette exigence, l’agent doit aviser le demandeur que le traitement de sa demande ne sera enclenché que si la documentation requise a été fournie.

 


 

LA QUESTION EN LITIGE

 

[19]           L’agente des visas désignée a‑t‑elle commis une erreur de fait ou de droit en rendant une décision, au vu du dossier, sur le fondement d’inférences qui étaient déraisonnables? (Cette question requiert l’examen des relevés bancaires et des droits de propriétés.)

 

LA NORME DE CONTRÔLE

[20]           À l’égard d’une décision prise par un agent des visas en vertu de son pouvoir discrétionnaire, la norme de contrôle appropriée est la décision raisonnable simpliciter. Dans les cas où le pouvoir discrétionnaire prévu par la loi est exercé de bonne foi et, lorsque nécessaire, conformément aux principes de justice naturelle, et dans les cas où l’agent ne s’est pas fondé sur des considérations inappropriées ou étrangères à l’objet de la loi, les cours ne devraient pas intervenir. (Yin c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2001] A.C.F. no 985 (1re inst.) (QL), et Maple Lodge Farms Ltd. c. Canada, [1982] 2 R.C.S. 2.).

 

L’ANALYSE

[21]           L’agente a commis une erreur en omettant de mentionner toute la preuve présentée par M. Gay à l’égard de sa situation financière. M. Gay a présenté des relevés bancaires et un élément de preuve démontrant qu’il était propriétaire d’une propriété, dont les valeurs combinées équivalaient à environ 22 000 $CAN. M. Gay a en outre informé l’ambassade du Canada, par une lettre datée du 10 avril 2006 et signée par son représentant, de son intention de vendre sa propriété après qu’il y aurait une acceptation de principe quant à sa demande. (Dossier du demandeur, affidavit de Herick Gay, onglet 6, paragraphe 6, pièces « C » et « D »; voir le sommaire de la situation financière du demandeur joint aux présentes à l’annexe « A ».)

 

[22]           Rien n’indique que l’agente ait tenu compte du contrat relatif à la propriété ni de la lettre du 10 avril 2006. Dans la décision Ioda c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] A.C.F. no 605 (QL), M. le juge Jean-Eudes Dubé de la Cour fédérale a déclaré que l’omission de mentionner des éléments de preuve documentaire en rendant une décision constitue une erreur de la part du tribunal :

[16]      Quant à la preuve documentaire, il n’y a tout simplement en l’espèce aucune façon de savoir si le tribunal a dûment tenu compte de cette preuve en rendant sa décision. Les motifs ne montrent pas qu’il a tenu compte de l’un quelconque des éléments de la volumineuse preuve documentaire qui a été présentée au sujet de la situation en Lettonie et de son effet sur les membres du « groupe social » d’Ioda qui ont contracté un mariage mixte.

 

[…]

 

[18]      A fortiori, à mon avis, le tribunal du second palier a également commis une erreur en omettant de tenir compte des éléments de preuve documentaire qui pourraient corroborer plus à fond les allégations des demandeurs crédibles. Dans ces conditions, la Cour ne saurait être convaincue que le tribunal a tenu compte de la preuve qui lui avait été présentée en bonne et due forme.

 

[23]           Dans son affidavit, l’agente déclare ce qui suit au paragraphe 3 : [traduction] « une copie imprimée des notes que j’ai prises lorsque j’ai évalué le dossier du demandeur est jointe au présent affidavit comme annexe « A ». Ces notes du STIDI et ma lettre de décision constituent les motifs de ma décision dans la présente affaire ». Toutefois, M. Gay affirme qu’il n’a pas reçu une copie des notes du STIDI qui, avec la lettre de décision, constituent les motifs de la décision de l’agente et par conséquent M. Gay n’a manifestement pas reçu l’ensemble ou l’intégralité des motifs de la décision.

 

[24]           Le défendeur affirme, aux paragraphes 14 et 15 de son exposé des arguments, qu’on a envoyé à M. Gay une « lettre requise par l’équité  », datée du 22 mars 2006, dans laquelle on l’a informé que les renseignements qu’il avait fournis à l’égard des fonds disponibles pour son établissement étaient « insuffisants ». Le mot « insuffisants » ne se trouve nulle part dans la lettre du 22 mars 2006. La lettre énonce simplement que pour que le traitement de la demande puisse se poursuivre, il est nécessaire que de la documentation additionnelle soit fournie; la lettre énumère ensuite les documents requis, notamment une preuve de la capacité financière pour s’établir au Canada. (Dossier du demandeur, affidavit de Herick Gay, lettre du 22 mars 2006, pièce « B »; exposé des arguments en réponse du demandeur, paragraphe 8.)

 

[25]           Le défendeur affirme au paragraphe 17 de son exposé des arguments qu’il [traduction] « a examiné tous les documents de nature financière présentés par le demandeur, mais a décidé de façon raisonnable de ne pas tenir compte de la valeur estimée par le demandeur pour son terrain dans ce calcul, parce qu’il n’avait pas établi que cet actif était transférable et non grevé de dettes ou d’autres obligations […] ».

 

[26]           Nulle part dans les notes du STIDI, avant le 22 mars 2006, l’agente n’a exprimé quelque préoccupation à l’égard de la capacité de M. Gay de satisfaire au critère financier. Ces préoccupations sont apparues pour la première fois le 13 avril 2006 lorsque l’agente mentionne ce qui suit : « requérant ne rencontre pas les exigences financières pour son immigration au Canada », et mentionne ensuite : « nous ne pouvons pas comptabiliser les 2 terrains dont requérant est propriétaire ». En déclarant que la valeur des deux terrains ne pouvait pas être comptabilisée, l’agente n’a pas donné à M. Gay la possibilité de fournir des renseignements plus complets afin de répondre aux préoccupations.

 

[27]           Malgré la lettre de M. Gay datée du 11 juillet 2005, laquelle fournissait un sommaire de sa situation financière dans laquelle il évaluait un terrain qu’il possédait à 14 000 $US, l’agente n’a soulevé le fait qu’elle ne pouvait inclure la valeur des deux terrains pour la première fois que le 13 avril 2006. (Une mention en est faite à l’annexe « A » de la présente décision.)

 

[28]           Étant donné que l’agente n’a formulé ses préoccupations à l’égard de l’aptitude de M. Gay de satisfaire au critère relatif à la capacité financière que le jour où elle a refusé la demande, il est clair et non équivoque qu’elle n’a jamais fait part à M. Gay de ses préoccupations à cet égard; par conséquent, M. Gay n’a jamais eu la possibilité de répondre à ces préoccupations.

 

[29]           Même si l’agente avait refusé d’accepter tous les documents à l’appui de la situation financière de M. Gay, elle aurait au moins dû mentionner l’existence du contrat relatif à la propriété, des relevés bancaires et de la lettre du 10 avril 2006 et énoncer ses motifs quant au refus de prendre en compte ces documents dans leur intégralité. (Shaker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 185, [2006] A.C.F. no 201 (QL).)

 

[30]           M. le juge Michel Beaudry de la Cour fédérale déclare dans la décision Shaker, précitée, que lorsque l’issue d’une décision est fondée sur un élément de preuve particulier, l’agent devrait expliquer pourquoi une conclusion particulière a été tirée :

[38]      Je suis d’accord avec le demandeur sur ce point. Dans son appréciation faite en vertu des critères de la Loi et du Règlement, l’agente n’explique pas pourquoi le demandeur n’a obtenu aucun point sous « Expérience » et « Emploi réservé ».

 

[39]      Puisque le fait qu’il n’a obtenu aucun point pour ces facteurs a joué un rôle considérable, sinon déterminant, dans le rejet de la demande de visa du demandeur, il aurait été opportun de lui donner, d’une façon ou d’une autre, une explication de cette conclusion.

 

[40]      En outre, il aurait peut-être été préférable que le demandeur présente les résultats d’un test pour établir son niveau de compétence en anglais mais les six pages écrites à la main qu’il avait soumises auraient dû permettre à l’agente de mesurer ses compétences en tenant compte des normes établies dans les Standards linguistiques canadiens.

 

[31]           Par conséquent, parce qu’elle a omis de prendre en compte la preuve documentaire déposée par M. Gay, l’agente a commis une erreur du fait d’avoir omis de prendre en compte l’ensemble de la preuve dont elle disposait. (Ioda, précitée; Shaker, précitée; dossier du demandeur, affidavit de Herick Gay, onglet 3, paragraphe 6.)

 

[32]           Mme la juge Dolores Hansen de la Cour fédérale a précisé dans la décision Alimard c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] A.C.F. no 1223 (QL), que si un agent n’est pas convaincu par la preuve présentée et qu’il est établi que cette preuve est incomplète, alors il faut donner au demandeur la possibilité de fournir d’autres éléments de preuve :

[15]      Dans de telles situations, la jurisprudence prévoit clairement que dans les cas où l’agent des visas a l’impression que la preuve produite fait défaut, l’équité exige que l’agent des visas donne au demandeur l’occasion de le détromper (Muliadi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1986] 2 A.C.F. 205).

 

[16]      Comme la conclusion de l’agente des visas que le demandeur ne disposait pas de fonds suffisants constituait un facteur clé de son appréciation de la capacité de ce dernier d’établir avec succès une entreprise au Canada, elle aurait dû lui donner l’occasion de traiter de ses réserves. Il aurait peut-être été en mesure de lui fournir de la preuve établissant le bien-fondé de l’évaluation ou encore de produire une nouvelle évaluation.

 

[17]      Le défendeur a soutenu que c’est l’omission du demandeur de produire des évaluations concernant l’ensemble de ses propriétés qui a empêché l’agente des visas d’apprécier convenablement ses aptitudes financières. Comme il a été expliqué dans la décision Muliadi, précitée, cela « ne décharge pas l’agent des visas de son obligation d’agir de manière équitable ».

 

 

[33]           Dans la décision Negriy c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] A.C.F. no 710 (QL), Mme la juge Eleanor R. Dawson de la Cour fédérale a exprimé l’avis selon lequel l’obligation de l’agent des visas consiste à obtenir des éclaircissements si un doute est soulevé à l’égard de l’authenticité de la preuve fournie :

[23]      Une fois que l’agente des visas eût reçu les renseignements selon lesquels les études de la demanderesse étaient conformes à celles qu’elle avait initialement indiquées, une fois que ces renseignements eurent été acceptés et pris en considération dans l’appréciation du dossier, et après réception d’une lettre portant apparemment le sceau du Sanatorium Arcadia censée confirmer l’emploi de la demanderesse, j’estime qu’il n’était pas raisonnable que l’agente des visas rejette la demande présentée par la demanderesse.

 

[24]      […] qu’on aurait au moins dû procéder à d’autres enquêtes afin d’établir l’authenticité de la lettre portant le sceau du Sanatorium Arcadia avant de la rejeter.

 

 

[34]           Mme la juge Layden‑Stevenson de la Cour fédérale a conclu dans la décision Zheng, précitée, au paragraphe 15, que le fait que l’agente « [n’ait pas pris en compte et inclus les] biens chinois dans son calcul de l’avoir du requérant [constitue] une erreur sujette à révision. Il ne s’agit pas d’un manquement à l’équité procédurale, mais plutôt de la mise à l’écart d’éléments de preuve. Si cette erreur a influé sur la décision, celle-ci doit être annulée ».

 

[35]           Dans une lettre datée du 25 mai 2006, qui communiquait la décision par laquelle a été refusée la demande de résidence permanente au Canada présentée par M. Gay, l’agente ne dit rien à l’égard des éléments de preuve présentés au soutien de la demande du demandeur (c’est-à-dire : la copie certifiée du contrat relatif à la propriété, démontrant le droit du demandeur dans le bien-fonds, un relevé des actifs nets du demandeur et de nouveaux relevés bancaires reçus par l’ambassade du Canada le 22 mars 2006). Ce n’est pas clair si l’agente a même pris en compte les éléments de preuve présentés à l’appui de la demande. M. le juge John Maxwell Evans de la Cour fédérale a déclaré ce qui suit dans Cepeda-Gutierrez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] A.C.F. no 1425 (QL) :

[15]      La Cour peut inférer que l’organisme administratif en cause a tiré la conclusion de fait erronée « sans tenir compte des éléments dont il [disposait] » du fait qu’il n’a pas mentionné dans ses motifs certains éléments de preuve dont il était saisi et qui étaient pertinents à la conclusion, et en arriver à une conclusion différente de celle de l’organisme. Tout comme un tribunal doit faire preuve de retenue à l’égard de l’interprétation qu’un organisme donne de sa loi constitutive, s’il donne des motifs justifiant les conclusions auxquelles il arrive, de même un tribunal hésitera à confirmer les conclusions de fait d’un organisme en l’absence de conclusions expresses et d’une analyse de la preuve qui indique comment l’organisme est parvenu à ce résultat.

 

[16]      Par ailleurs, les motifs donnés par les organismes administratifs ne doivent pas être examinés à la loupe par le tribunal (Medina c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1990), 12 Imm. L.R. (2d) 33 (C.A.F.)), et il ne faut pas non plus les obliger à faire référence à chaque élément de preuve dont ils sont saisis et qui sont contraires à leurs conclusions de fait, et à expliquer comment ils ont traité ces éléments de preuve (voir, par exemple, Hassan c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1992), 147 N.R. 317 (C.A.F.)). Imposer une telle obligation aux décideurs administratifs, qui sont peut-être déjà aux prises avec une charge de travail imposante et des ressources inadéquates, constituerait un fardeau beaucoup trop lourd. Une simple déclaration par l’organisme dans ses motifs que, pour en venir à ses conclusions, il a examiné l’ensemble de la preuve dont il était saisi suffit souvent pour assurer aux parties, et au tribunal chargé du contrôle, que l’organisme a analysé l’ensemble de la preuve avant de tirer ses conclusions de fait.

 

[17]      Toutefois, plus la preuve qui n’a pas été mentionnée expressément ni analysée dans les motifs de l’organisme est importante, et plus une cour de justice sera disposée à inférer de ce silence que l’organisme a tiré une conclusion de fait erronée « sans tenir compte des éléments dont il [disposait] » : Bains c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1993), 63 F.T.R. 312 (C.F. 1re inst.). Autrement dit, l’obligation de fournir une explication augmente en fonction de la pertinence de la preuve en question au regard des faits contestés. Ainsi, une déclaration générale affirmant que l’organisme a examiné l’ensemble de la preuve ne suffit pas lorsque les éléments de preuve dont elle n’a pas discuté dans ses motifs semblent carrément contredire sa conclusion. Qui plus est, quand l’organisme fait référence de façon assez détaillée à des éléments de preuve appuyant sa conclusion, mais qu’il passe sous silence des éléments de preuve qui tendent à prouver le contraire, il peut être plus facile d’inférer que l’organisme n’a pas examiné la preuve contradictoire pour en arriver à sa conclusion de fait.

 

 

[36]           De plus, M. Gay soutient que l’agente a omis de se conformer aux recommandations énoncées [quant aux fonds] à la section Section 8.2 du Guide OP6, qui prévoient que l’agent « doit […] aviser le demandeur de son doute à ce sujet et lui donner la possibilité de résoudre le problème ». Si le demandeur est incapable de démontrer qu’il a suffisamment de fonds disponibles pour satisfaire aux exigences, « l’agent doit […] refuser la demande » (dossier du demandeur, onglet 7, section 8.2 du Guide OP6); cependant, la Cour fédérale et la Cour d’appel fédérale ont clairement établi que les lignes directrices et les déclarations de politique comme le Guide OP6 n’ont pas force de loi et ne sont pas exécutoires par les membres du public. (Ramoutar c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] A.C.F. no 547 (QL); Vidal c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1991] A.C.F. no 63 (QL).)

 

[37]           À l’égard de l’importance accordée à l’utilisation des lignes directrices et des déclarations de politique pour établir si l’agent a commis une erreur susceptible de contrôle, M. le juge Barry L. Strayer de la Cour fédérale mentionne ce qui suit dans la décision Vidal, précitée :

Je ferai remarquer en passant qu’il s’ensuit comme corollaire du raisonnement tenu par le juge en chef adjoint Jerome dans l’arrêt Yhap, qu’un requérant ne peut pas se plaindre si un agent d’immigration omet ou refuse de se conformer aux lignes directrices du ministre. Il ne peut pas non plus se plaindre si un agent d’immigration applique un autre facteur à la place de ceux qui sont prévus dans les lignes directrices dans la mesure où il agit de bonne foi, et à condition que le facteur ne soit pas totalement dénué de lien avec une idée acceptable de ce qui constitue des raisons d’ordre humanitaire. Qui plus est, c’est à l’agent qu’il appartient de décider s’il est convaincu de la véracité des dires du requérant, à moins peut-être qu’il ne formule des conclusions de faits clairement dénués de lien avec tout le dossier dont il est saisi. Il n’appartient pas à la Cour de siéger en appel pour trancher sur les conclusions de faits de l’agent ou la manière dont il a pondéré les différents facteurs.

 

[…]

 

Je suis convaincu que ces lignes directrices exposent de façon adéquate aux agents d’immigration qu’en particulier, en ce qui concerne les raisons d’ordre humanitaire, elles ne peuvent pas être considérées comme exhaustives et définitives. Elles répètent, maintes et maintes fois, que les agents doivent utiliser leur jugement. J’estime qu’elle constitue un « principe général » ou des « règles empiriques grossières », ce que le juge en chef adjoint Jerome a reconnu comme valable dans la décision Yhap. J’irais même plus loin que le juge en chef adjoint Jerome en disant que ces lignes directrices ne sont pas seulement admissibles, mais qu’elles sont aussi hautement souhaitables dans les circonstances.

 

[38]           Toutefois, le défendeur soutenait que, dans la présente affaire, l’agente a agi d’une façon équitable et compatible avec le Guide OP6 – parce qu’elle a envoyé au demandeur une « lettre requise par l’équité » datée du 22 mars 2006 qui informait le demandeur qu’il devrait fournir une preuve de la disponibilité de ses fonds d’établissement avant que son dossier puisse être complet; par conséquent, on a informé le demandeur que les renseignements qu’il avait fournis dans sa demande à l’égard de ses fonds d’établissement étaient insuffisants. (Dossier du demandeur, page 13, onglet 3, pièce B; affidavit de Herick Gay, paragraphes 4 à 6.)

 

[39]           Toutefois, l’agente aurait dû informer M. Gay de ses préoccupations à l’égard des documents fournis au soutien de sa capacité financière de s’établir sur le plan économique au Canada. Ainsi, l’agente aurait dû lui donner la possibilité de répondre à ses préoccupations se rapportant à un aspect important de sa demande.

 

[40]           L’agente n’a pas exposé ses conclusions de fait à l’égard de la preuve sur laquelle ces conclusions sont fondées. Étant donné qu’elle ne l’a pas fait, on ne retrouve pas dans ses motifs les principaux facteurs pertinents à l’égard de la demande de résidence permanente présentée par M. Gay. (VIA Rail Canada Inc. c. Lemonde, [2000] A.C.F. no 1685 (QL).)

 

[41]           Mme la juge Claire L’Heureux‑Dubé de la Cour suprême du Canada, dans l’arrêt Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817, a traité comme suit de l’importance d’énoncer des motifs :

[39]      On a soutenu que la rédaction de motifs favorise une meilleure prise de décision en ce qu’elle exige une bonne formulation des questions et du raisonnement et, en conséquence, une analyse plus rigoureuse. Le processus de rédaction des motifs d’une décision peut en lui‑même garantir une meilleure décision. Les motifs permettent aussi aux parties de voir que les considérations applicables ont été soigneusement étudiées, et ils sont de valeur inestimable si la décision est portée en appel, contestée ou soumise au contrôle judiciaire : R. A. Macdonald et D. Lametti, « Reasons for Decision in Administrative Law» (1990), 3 C.J.A.L.P. 123, à la p. 146; Williams c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1997] 2 C.F. 646 (C.A.), au par. 38. Il est plus probable que les personnes touchées ont l’impression d’être traitées avec équité et de façon appropriée si des motifs sont fournis : de Smith, Woolf & Jowell, Judicial Review of Administrative Action (5éd. 1995), aux pp. 459 et 460. Je suis d’accord qu’il s’agit là d’avantages importants de la rédaction de motifs écrits.

 

[42]           M. le juge J. Edgar Sexton de la Cour d’appel fédérale a mentionné ce qui suit dans l’arrêt VIA Rail, précité :

[22]      On ne s’acquitte pas de l’obligation de donner des motifs suffisants en énonçant simplement les observations et les éléments de preuve présentés par les parties, puis en formulant une conclusion. Le décideur doit plutôt exposer ses conclusions de fait et les principaux éléments de preuve sur lesquels reposent ses conclusions. Les motifs doivent traiter des principaux points en litige. Il faut y retrouver le raisonnement suivi par le décideur et l’examen des facteurs pertinents.

 

 

[43]           Dans sa lettre datée du 22 mars 2006, l’agente ne dit rien à l’égard des éléments de preuve qui appuyaient la demande de M. Gay. M. Gay disposait effectivement du montant requis de 10 168 $CAN à titre de ressources financières pour son établissement au Canada. L’omission de l’agente de mentionner d’importants éléments de preuve l’a amenée à tirer une conclusion de fait erronée « sans tenir compte des éléments de preuve » dont elle disposait (c’est-à-dire la copie certifiée d’un contrat relatif à la propriété démontrant le droit du demandeur dans un bien-fonds, un relevé des actifs nets du demandeur et de nouveaux relevés bancaires).

 

[44]           Compte tenu de ce qui précède, la demande de contrôle judiciaire est accueillie et le dossier du demandeur est renvoyé à un autre agent afin qu’il rende une nouvelle décision.


 

JUGEMENT

LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit accueillie et que le dossier du demandeur soit renvoyé à un autre agent afin qu’il rende une nouvelle décision.

 

 

 

« Michel M.J. Shore »

Juge

 

Traduction certifiée conforme

 

Danièle Laberge, LL.L.


Annexe A

 

Sommaire de la situation financière du demandeur

Type de compte

devise

En fonds US

Relevé

 

Compte d’épargne en $US

 

 

2 688,61

 

Unibank – 4 juillet 2005

 

Compte d’épargne en HTG

 

47 227,57 / 33,65 HTG

 

47 227,57 / 36,14 HTG

(20-11-07)

 

 

1 403,49

 

1 306,55

 

Banque Nationale de Crédit

29 juin 2005

 

Compte d’épargne

 

 

1 196,27

 

Unibank – 28 mars 2006

 

Comptes d’épargne

 

233 153,91 / 33,65 HTG

 

233 153,91 / 36,14 HTG

(20-11-07)

 

6 928,79

 

6 451,41

 

Banque Nationale de Crédit

31 mars 2006

 

Toyota Corolla

 

 

1 500,00

 

Selon la lettre datée du 11 juillet 2005

 

Contrat relatif à la propriété

 

 

14 000,00

selon la lettre du 11 juillet 2005

 

Contrat relatif à la propriété

noF-3 096975

 

Contrat relatif à la propriété

 

 

Valeur non disponible

 

 

Contrat relatif à la propriété

noH1 073435

TOTAL EN $US

 

27 717,16

 

 

Si les chiffres étaient examinés à la loupe, même suivant la plus modeste des estimations par suite d’un calcul des valeurs apparentes, ils s’élèveraient toujours à plus de 10 000 $US; ainsi, même si les valeurs apparentes de l’automobile et de la propriété (terrain 3 carreaux ¼) en question étaient écartées, le montant excède encore le chiffre nécessaire aux fins de l’immigration, selon ce qui est précisé.

 

La juge Carolyn Layden‑Stevenson de la Cour fédérale a indiqué dans la décision Zheng c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CFPI 1115, [2002] A.C.F. no 1478, au paragraphe 15 (QL), que l’omission d’une agente des visas de prendre en compte et d’inclure les biens chinois dans son calcul de l’avoir du requérant constitue une erreur sujette à révision. Il ne s’agit pas d’un manquement à l’équité procédurale, mais plutôt de la mise à l’écart d’éléments de preuve. Si cette erreur a influé sur la décision, celle-ci doit être annulée.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM‑4263‑06

 

INTITULÉ :                                       HERICK GAY

                                                            c.

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                            ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               LE 28 NOVEMBRE 2007

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE SHORE

 

DATE DES MOTIFS :                      LE 6 DÉCEMBRE 2007

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Max Chaudhary

 

POUR LE DEMANDEUR

Deborah Drukarsh

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Max Chaudhary

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

 

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