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Date : 20071129

Dossier : T-1151-06

Référence : 2007 CF 1258

Ottawa (Ontario), le 29 novembre 2007

EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGE MacTAVISH  
 

ENTRE :

PAULETTE MICHON-HAMELIN

demanderesse

et 

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur 
 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT 

  1. La plainte de Paulette Michon-Hamelin pour violation des droits de la personne a été rejetée sommairement par la Commission canadienne des droits de la personne, au motif qu'elle outrepassait la compétence de la Commission. La demanderesse sollicite maintenant le contrôle judiciaire de cette décision.

 

  1. À la fin de l'audience, j'ai informé les parties que je ferai droit à cette demande. Les motifs de ma décision sont les suivants.

 

Les faits

  1. Il n'est pas contesté que Mme Michon-Hamelin a contracté la tuberculose pour avoir été exposée à cette maladie sur son lieu de travail. Après être tombée malade, Mme Michon-Hamelin s'est évidemment heurtée à des difficultés lorsqu'elle a voulu obtenir, par l'entremise de son employeur, des prestations pour accident du travail et prestations d'invalidité. Ces difficultés l'ont conduite à déposer une plainte de violation des droits de la personne, dans laquelle elle affirmait avoir été, durant son emploi, victime d'une distinction illicite fondée sur sa déficience, en violation des articles 7 et 10 de la Loi canadienne sur les droits de la personne.

 

  1. La plainte de Mme Michon-Hamelin décrit en détail plusieurs incidents qui, dit-elle, équivalaient à une différence préjudiciable de traitement. Cette différence de traitement comprenait notamment le fait que son employeur n'avait pas observé la politique du Conseil du Trésor en matière d'accidents du travail, politique qui lui aurait procuré une protection salariale durant 130 jours. Mme Michon-Hamelin disait aussi, entre autres choses, que le traitement de sa demande de prestations avait traîné en longueur, ce qui l'avait contrainte de prendre un congé non rémunéré durant le traitement de sa demande.

 

  1. Au paragraphe 13 de son formulaire de plainte, Mme Michon-Hamelin écrit ce qui suit :

[traduction]

[*] La direction n'a pas reconnu que j'étais malade et que je souffrais d'une déficience et, à cause de cela, elle n'a pas traité ma demande d'une manière satisfaisante et avec diligence [*] 

La décision de la Commission

  1. Peu après avoir reçu la plainte de Mme Michon-Hamelin, une enquêteuse de la Commission lui a écrit pour lui dire qu'elle recommanderait à la Commission de ne pas donner suite à sa plainte parce que l'acte discriminatoire allégué ne semblait pas rattaché à un motif de distinction illicite, et parce que la plaignante avait pu bénéficier d'aménagements prenant la forme d'un congé non rémunéré. La Commission a donné à Mme Michon-Hamelin l'occasion de présenter des observations à propos de cette recommandation, occasion dont elle s'est prévalue le 29 mars 2006.

 

  1. Dans sa réponse, Mme Michon-Hamelin donnait des renseignements additionnels sur sa plainte. Elle ajoutait ce qui suit :

[traduction]

Je crois que ceux qui agissaient au nom du ministère n'ont pas cru que mon exposition à la bactérie de la tuberculose avait causé des dommages à mon organisme et n'ont pas cru que, en raison de cette exposition, j'avais besoin de certains aménagements. [*] Ils n'ont pas accepté le diagnostic de plusieurs spécialistes et, ce qui est un comble, ils ne m'ont même pas envoyée à Santé Canada, comme c'est le cas pour les autres employés lorsqu'un examen médical impartial est nécessaire. Par ailleurs, je souffre encore d'une discrimination sur mon lieu de travail, en raison des difficultés et complications que cette situation a causées à la direction. 
 

  1. Après d'autres échanges entre Mme Michon-Hamelin et la Commission, l'enquêteuse l'a informée qu'elle recommanderait à la Commission de ne pas donner suite à sa plainte.

 

  1. Par décision en date du 1er juin 2006, la Commission a accepté la recommandation de l'enquêteuse et a rejeté la plainte de Mme Michon-Hamelin. Le dispositif de la décision de la Commission est le suivant :

[traduction]

La Commission a décidé, conformément à l'alinéa 41(1)c) de la Loi canadienne sur les droits de la personne, de ne pas statuer sur la plainte parce que le prétendu acte discriminatoire ne semble pas rattaché à un motif de distinction illicite. 
 

  1. C'est cette décision qui est à l'origine de la demande de contrôle judiciaire.

 

La norme de contrôle

  1. Les deux parties se fondent sur un arrêt de la Cour d'appel fédérale, Sketchley c. Canada (Procureur général), [2005] A.C.F. n° 2056, 2005 CAF 404, pour ce qui concerne la norme de contrôle que la Cour doit appliquer lorsque la Commission a conclu, au stade antérieur à l'enquête, qu'une plainte de violation des droits de la personne ne fait pas apparaître une preuve prima facie de discrimination.

 

  1. Sur ce point, la Cour d'appel fédérale faisait observer que la question de savoir si une preuve prima facie de discrimination a été ou non établie dans une plainte donnée sera tantôt une question mixte de droit et de fait, tantôt une question de droit : arrêt Sketchley, paragraphe 59.

 

  1. Selon Mme Michon-Hamelin, la décision de la Commission concerne ici une pure question de droit et elle devrait donc être revue selon la norme de la décision correcte. Le défendeur dit quant à lui que la décision concerne l'application du droit aux faits allégués dans la plainte de Mme Michon-Hamelin, et que la décision de la Commission devrait donc être revue selon la norme de la décision raisonnable.

 

  1. Il ne m'est pas nécessaire de résoudre cette question car, selon moi, la décision de la Commission dont il s'agit ici est si foncièrement viciée qu'elle ne saurait résister à un examen, quelle que soit la norme de contrôle.

Analyse

  1. La Commission a rendu sa décision conformément à l'alinéa 41(1)c) de la Loi canadienne sur les droits de la personne, ainsi rédigé :

41. (1) Sous réserve de l'article 40, la Commission statue sur toute plainte dont elle est saisie à moins qu'elle estime celle-ci irrecevable pour un des motifs suivants : 

[*] 

c) la plainte n'est pas de sa compétence [*]

41. (1) Subject to section 40, the Commission shall deal with any complaint filed with it unless in respect of that complaint it appears to the Commission that  

[*] 

(c) the complaint is beyond the jurisdiction of the Commission *

 

  1. Dans la décision Société canadienne des postes c. Canada (Commission des droits de la personne) (1997), 130 F.T.R. 241, confirmé (1999), 245 N.R. 397, le juge Rothstein faisait observer ce qui suit :

¶3 La décision que la Commission rend en vertu de l'article 41 intervient normalement dès les premières étapes, avant l'ouverture d'une enquête. Comme la décision de déclarer la plainte irrecevable clôt le dossier sommairement avant que la plainte ne fasse l'objet d'une enquête, la Commission ne devrait déclarer une plainte irrecevable à cette étape que dans les cas les plus évidents [*] S'il n'est pas évident à ses yeux que la plainte relève d'un des motifs d'irrecevabilité énumérés à l'article 41, la Commission devrait promptement statuer sur elle. 
 

  1. La décision de la Commission en l'espèce était très brève. Ainsi que le faisait observer la Cour d'appel fédérale dans l'arrêt Sketchley, le rapport d'enquête doit dans ces cas être considéré comme les motifs de la Commission : paragraphe 37.

 

  1. Le motif donné par l'enquêteuse pour conclure que l'élément de la plainte fondé sur l'article 10 outrepassait la compétence de la Commission était le suivant :

[traduction]

Le fait pour un employeur de ne pas appliquer correctement une politique non discriminatoire ne constitue pas une atteinte aux droits de la personne. Autrement dit, pour qu'il y ait atteinte selon l'article 10, la politique elle-même doit être discriminatoire. Si elle n'est pas foncièrement discriminatoire, sa mauvaise application par l'employeur fait intervenir une question administrative, non une question portant sur les droits de la personne. 
 

  1. Dans son exposé des faits et du droit, le défendeur fait valoir que c'était là un énoncé exact de l'état du droit, mais, lors de l'audition de la demande, l'avocat du défendeur a reconnu, très justement, que tel n'est pas le cas et qu'une politique à première vue neutre pourrait effectivement être discriminatoire dans son application.

 

  1. Les faits allégués dans le formulaire de plainte ne donnent guère à penser que la conduite imputée à l'employeur dans la présente affaire équivalait à une politique ou pratique dépassant le cas personnel de Mme Michon-Hamelin, mais, puisque la décision de la Commission sur l'aspect de sa plainte qui intéresse l'article 10 procédait d'une incompréhension fondamentale du droit applicable, la décision ne saurait être maintenue.

 

  1. Pour autant que soit concerné l'aspect de la plainte relatif à l'article 7, l'enquêteuse de la Commission a estimé que les protestations de Mme Michon-Hamelin quant à la manière dont sa demande de prestations avait été traitée semblaient porter [traduction] « sur une mauvaise gestion et des erreurs administratives commises par Service Canada, plutôt que sur des atteintes aux droits de la personne ». L'enquêteuse a donc écrit que le prétendu acte discriminatoire « ne semblait pas rattaché à un motif de distinction illicite comme le requiert la LCDP ».

 

  1. Il s'agit là d'une conclusion manifestement déraisonnable.

 

  1. Puisqu'aucune enquête n'a été menée sur le fond de la plainte de Mme Michon-Hamelin, les allégations contenues dans son formulaire de plainte doivent être tenues pour avérées. L'enquêteuse n'avait d'ailleurs devant elle aucune preuve ou information venant du défendeur et de nature à réfuter la version des faits donnée par Mme Michon-Hamelin.

 

  1. Sur ce point, Mme Michon-Hamelin disait clairement dans sa plainte que les difficultés qu'elle disait avoir rencontrées dans sa demande de prestations pour accident du travail et de prestations d'invalidité avaient surgi parce que son employeur n'admettait pas qu'elle souffrait d'une déficience.

 

  1. Par conséquent, la plainte de Mme Michon-Hamelin rattache manifestement la différence préjudiciable de traitement en milieu de travail dont parle la plainte à un motif de distinction illicite, et l'affaire est donc tout à fait du ressort de la Commission canadienne des droits de la personne.

 

  1. Compte tenu des vices fondamentaux décelés dans les deux analyses de la Commission, celle qui concerne l'article 7 et celle qui concerne l'article 10, il n'est pas nécessaire d'examiner les arguments de Mme Michon-Hamelin qui ont trait aux erreurs commises par la Commission dans son analyse des mesures d'adaptation requises, ni ses arguments qui touchent l'équité procédurale.

 

Dispositif

  1. Pour ces motifs, la demande est accueillie, la décision de la Commission canadienne des droits de la personne est annulée, et l'affaire est renvoyée à la Commission pour nouvelle décision conforme aux présents motifs.

 

Les dépens

  1. Selon Mme Michon-Hamelin, la décision de la Commission était si manifestement viciée que le défendeur aurait dû acquiescer à la demande de contrôle judiciaire. Son avocat dit que, ayant été contrainte de se soumettre à une audience, Mme Michon-Hamelin devrait obtenir ses dépens selon un barème élevé.

 

  1. Tout en admettant que les dépens devraient suivre l'issue de la cause, le défendeur dit que la présente affaire ne donne pas à Mme Michon-Hamelin le droit à des dépens au-delà du barème ordinaire.

 

  1. Le défendeur était manifestement fondé à exposer ses arguments. Cela dit, même si l'avocat du défendeur a finalement admis que la décision de la Commission traduisait une incompréhension du droit relatif aux plaintes découlant de l'application d'une politique, cette admission n'a été faite qu'à l'audience. En effet, le mémoire des faits et du droit présenté par le défendeur s'emploie à défendre l'indéfendable.

 

  1. Dans ces conditions, compte tenu des facteurs énumérés dans le paragraphe 400(3) des Règles, et dans l'exercice de mon pouvoir discrétionnaire, j'accorderai à Mme Michon-Hamelin ses dépens au titre de la présente demande, selon l'extrémité supérieure de la colonne 3 du tarif B.

 

JUGEMENT 

      LA COUR ORDONNE : 

1. La demande de contrôle judiciaire est accueillie, et l'affaire est renvoyée à la Commission pour nouvelle décision conforme aux présents motifs;  

2.  Mme Michon-Hamelin obtiendra ses dépens dans le cadre de ;a présente demande, selon l'extrémité supérieure de la colonne 3 du tarif B. 

« Anne Mactavish »

Juge 
 
 

Traduction certifiée conforme 

David Aubry, LL.B. 

COUR FÉDÉRALE 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER 
 

DOSSIER :  T-1151-06 

INTITULÉ :  PAULETTE MICHON-HAMELIN

c.

            LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA 

LIEU DE L'AUDIENCE :  OTTAWA (ONTARIO) 

DATE DE L'AUDIENCE :  LE 28 NOVEMBRE 2007 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :  LA JUGE MacTAVISH 

DATE DES MOTIFS :             LE 29 NOVEMBRE 2007 

COMPARUTIONS : 

Andrew Raven

Andrew Astritis

      POUR LA DEMANDERESSE

Michael Roach

      POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER : 

Raven, Cameron, Ballantyne & Yazbeck

Ottawa (Ontario)

       POUR LA DEMANDERESSE

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

       POUR LE DÉFENDEUR

 

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