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Date : 20071116

Dossier : IMM-6680-06

Référence : 2007 CF 1197

Ottawa (Ontario), le 16 novembre 2007

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE O'REILLY

 

 

ENTRE :

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

demandeur

et

 

SATKUNANANTHAN NALLAIYA

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               En 2006, une formation de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission) a conclu que M. Satkunananthan Nallaiya était un réfugié du Sri Lanka. Le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration soutient que la Commission a commis certaines erreurs lorsqu'elle a conclu que M. Nallaiya n’était pas exclu de la catégorie des réfugiés. Le ministre a formulé des observations à la Commission au sujet du fait que M. Nallaiya avait aidé les Tigres de libération de l'Eelam tamoul (les TLET) et que, par conséquent, il ne devrait pas être admissible à une protection en tant que réfugié parce qu'il s'était rendu complice de crimes contre la paix, de crimes de guerre, de crimes contre l'humanité ou d'autres agissements contraires aux buts et aux principes des Nations Unies.

 

[2]               Le ministre me demande d'ordonner la tenue d'une nouvelle audience devant une formation différemment constituée de la Commission.  Je conviens que la Commission a commis une erreur et que la tenue d'une nouvelle audience est justifiée.  En conséquence, je ferai droit à la présente demande de contrôle judiciaire.

 

I.        Les questions en litige

 

  1. La Commission a-t-elle omis d'appliquer le bon critère lorsqu'elle a conclu que M. Nallaiya n’était pas exclu de la catégorie des réfugiés?

 

  1. La conclusion de la Commission selon laquelle le témoignage de M. Nallaiya était crédible était-elle incompatible avec la preuve dont elle était saisie?

 

II.     Analyse

[3]               Je peux annuler la décision de la Commission si j'estime qu'elle était fondée sur une erreur de droit ou qu'elle n'était pas conforme à la preuve dont la Commission était saisie.

 

1.      La Commission a-t-elle omis d'appliquer le bon critère lorsqu'elle a conclu que M. Nallaiya n’était pas exclu de la catégorie des réfugiés?

 

(a)    Le contexte factuel

 

[4]               La Commission a examiné de nombreuses versions du récit de M. Nallaiya au sujet des événements qui ont eu lieu au Sri Lanka. M. Nallaiya a participé à plusieurs entrevues, a déposé un exposé circonstancié écrit, a présenté des modifications à son récit et a témoigné devant la Commission. Ce témoignage était criblé d'incohérences et de contradictions. Au fond, M. Nallaiya a reconnu qu'il avait collaboré avec les TLET entre 1988 et 1990. Il s'est alors enfui en Inde et est retourné au Sri Lanka en 2002 lorsque le cessez-le-feu est entré en vigueur. Il a eu d'autres contacts avec les TLET à son retour.

 

[5]               À tout le moins, parmi ses activités pour les TLET, M. Nallaiya devait coller des affiches, livrer de la nourriture, hisser des drapeaux en l'honneur de héros des TLET et, alors qu'il travaillait dans une boutique de téléphones, fournir des renseignements aux TLET au sujet des personnes qui demandaient de nouveaux téléphones (il ciblait ainsi les nouveaux résidents à qui les TLET pouvaient demander ou exiger de l'aide). Il a soutenu que l'armée du Sri Lanka l'a arrêté, l'a questionné au sujet de ses relations avec les TLET et l'a battu. Il a soutenu qu'en retour, les TLET voulaient savoir pourquoi il avait parlé avec l'armée. Il a aussi soutenu que sa collaboration avec les TLET avait été forcée.  Il s'est enfui au Canada afin d'éviter d'avoir à aider encore les TLET ou d'exposer ses enfants à d'autres risques.

 

(b)    La décision de la Commission

 

[6]               La Commission a noté que les TLET étaient [TRADUCTION] « vraisemblablement le groupe terroriste le plus meurtrier et le mieux organisé au monde ».  Cependant, elle a conclu que M. Nallaiya n'avait pas participé directement à des actes de violence et qu'aucun de ses actes n'a eu pour effet que des innocents soient attaqués violemment par les TLET. De plus, il n'a jamais volontairement cherché à joindre les TLET; il a été forcé de collaborer. Par conséquent, la Commission a conclu que M. Nallaiya ne devrait pas être exclu de la catégorie des réfugiés.

 

[7]               La Commission a ensuite conclu qu'il y avait une possibilité raisonnable que M. Nallaiya soit persécuté s'il retournait au Sri Lanka et que, par conséquent, il avait droit à l'asile au Canada. Le ministre ne conteste pas cet aspect de la décision de la Commission.

 

(c)    Le critère de l'exclusion

 

[8]               Conformément à l'article 98 de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (voir annexe), une personne visée aux alinéas 1Fa) ou c) de la Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés ne peut avoir la qualité de réfugié. Ces dispositions prévoient :

 

1F. Les dispositions de cette Convention ne seront pas applicables aux personnes dont on aura des raisons sérieuses de penser :

 

a) Qu’elles ont commis un crime contre la paix, un crime de guerre ou un crime contre l’humanité

 […]

 

c) Qu’elles se sont rendues coupables d’agissements contraires aux buts et aux principes des Nations Unies.

 

 

[9]               En fonction de ces dispositions, il incombait à la Commission de déterminer s'il y avait des motifs de penser que M. Nallaiya avait commis des crimes graves ou avait agi de façon contraire aux buts et aux principes des Nations Unies.

 

[10]           La Commission a cité à juste titre l'arrêt de principe au sujet de l'interprétation de ces dispositions dans une situation où, comme c'est le cas en l'espèce, le demandeur d'asile est présumé avoir contribué aux objectifs d'une organisation se livrant à des activités qui contreviennent à la Convention sur les réfugiés : Ramirez c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1992] 2 C.F. 306, 89 D.L.R. (4th) 173, 135 N.R. 390 (C.A.F.).

 

[11]           D'après l'arrêt Ramirez, une personne ne devrait être exclue de la catégorie des réfugiés que s'il est prouvé qu'il y a eu une « participation personnelle et consciente » de la part de cette personne dans les activités illégales du groupe (au paragraphe 22). La complicité aux activités de l'organisation dépend de l'existence « d'une intention commune et de la connaissance que toutes les parties en cause en ont » (au paragraphe 26). Cependant, lorsque l'organisation vise des « fins limitées et brutales », on peut supposer que la simple appartenance à une telle organisation puisse impliquer nécessairement la participation aux activités de l'organisation (au paragraphe 24). Une personne qui soutient avoir été forcée à participer aux activités de l'organisation doit prouver qu'elle l'a fait pour éviter d'être exposée à un préjudice sérieux et imminent, et que le préjudice ainsi évité était égal ou plus important que le préjudice infligé aux autres (au paragraphe 54).

 

(b)   L'application du critère à M. Nallaiya

 

[12]           Le ministre soutient que la Commission a commis une erreur en omettant d'examiner si les TLET étaient une organisation qui avait des « fins limitées et brutales » et de déterminer si M. Nallaiya était membre de cette organisation. Le ministre fait aussi valoir que la Commission a omis d'appliquer le bon critère au sujet de la coercition ou de la contrainte.

 

[13]           Il est vrai que la Commission n'a jamais mentionné si elle avait conclu que les TLET étaient une organisation qui avait des « fins limitées et brutales ». Cependant, elle semble être arrivée à une conclusion équivalente lorsqu'elle a déclaré que les TLET étaient « vraisemblablement le groupe terroriste le plus meurtrier et le mieux organisé au monde ».  Comme elle a tiré cette conclusion, la Commission pouvait alors examiner si M. Nallaiya était membre des TLET.  S'il l'était, il aurait alors été exclu de la catégorie des réfugiés.

 

[14]           Dans un passage de ses motifs, qui porte sur la question de savoir si M. Nallaiya craint avec raison d'être persécuté s'il retourne au Sri Lanka, la Commission a déclaré que la preuve ne permettait pas d'affirmer qu'il était un membre des TLET. Cependant, cette conclusion ne se trouve pas dans la partie de la décision qui porte sur la question de l'exclusion et la Commission n'a aucunement fait référence à la preuve à ce sujet.

 

[15]           Toutefois, à mon avis, la Commission n'avait pas l'obligation de déterminer si M. Nallaiya était membre d'une organisation qui avait des « fins limitées et brutales ». Selon l'arrêt Ramirez, la principale question à trancher dans de telles affaires est de savoir si la personne s'est rendue complice des activités d'un groupe qui a commis des crimes graves ou qui a agi de façon contraire aux buts et aux principes des Nations Unies.  Le fait de conclure qu'une personne est membre d'une organisation qui se consacre particulièrement à des actes brutaux est l'une des façons d'en arriver à une conclusion au sujet de l'exclusion, mais ce n'est pas la seule.

 

[16]           Cependant, à mon avis, la Commission n'a pas non plus énoncé de conclusion claire au sujet de la complicité. Elle a conclu que M. Nallaiya n'avait pas personnellement commis d'actes de violence et que ses agissements n'avaient pas servi à aider les TLET à poser des actes violents. Cette conclusion ne répond pourtant pas à la question de savoir si M. Nallaiya a participé de façon « personnelle et consciente » à un groupe qui agissait de façon contraire à la Convention.

 

[17]           De plus, la Commission a aussi conclu que le rôle de M. Nallaiya au sein des TLET avait été forcé. Une fois de plus, la Commission n'a pas examiné la question par rapport aux critères énoncés dans Ramirez. Elle a simplement déclaré que M. Nallaiya a été « forcé de collaborer avec les TLET et qu’il n’a jamais volontairement cherché à se joindre à leur organisation ».

 

[18]           À la lumière de ces ambiguïtés dans la décision de la Commission, je conclus qu'elle a omis d'appliquer les critères d'exclusion tels qu'ils sont énoncés dans Ramirez. Cette omission constitue une erreur de droit et je devrai donc accueillir la demande de contrôle judiciaire pour cette raison.

 

2.      La conclusion de la Commission selon laquelle le témoignage de M. Nallaiya était crédible était-elle incompatible avec la preuve dont la Commission était saisie?

 

[19]           Compte tenu de ma conclusion au sujet de la première question, il n'est pas nécessaire de traiter cette question en détail. Cependant, je tiens à signaler qu'en me fondant sur le dossier existant, j'aurais pu ordonner le réexamen de la question de l'exclusion si les conclusions de la Commission au sujet de la crédibilité avaient été plus claires. Après avoir exposé les diverses versions des faits que M. Nallaiya avait présentées, la Commission a simplement conclu qu'elle avait « admis en grande partie ses explications à propos des incohérences ». Bien entendu, la Commission pouvait tirer cette conclusion. Cependant, elle n'a pas précisé les aspects du témoignage de M. Nallaiya qu'elle avait admis et ceux qu'elle avait rejetés. Cela dit, je crois qu'une nouvelle audience devant une formation différente de la Commission est nécessaire afin de tirer des conclusions précises au sujet de la complicité et de la contrainte, le cas échéant.

 

III.   Décision

 

[20]           La demande de contrôle judiciaire sera accueillie et une nouvelle audience sera tenue devant une formation différemment constituée de la Commission au sujet de l'exclusion prévue à l'article 98 de la LIPR. Les parties n'ont pas soumis de question de portée générale pour la certification et aucune n'est énoncée.

 

JUGEMENT

LA COUR ORDONNE :

 

1.      La demande de contrôle judiciaire est accueillie. L'affaire est renvoyée devant la Commission pour nouvel examen devant une formation différemment constituée.

2.      Aucune question de portée générale n'est énoncée.

 

 

« James W. O'Reilly »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Evelyne Swenne, traductrice


Annexe

 

Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27

 

Exclusion par application de la Convention sur les réfugiés

 

  98. La personne visée aux sections E ou F de l’article premier de la Convention sur les réfugiés ne peut avoir la qualité de réfugié ni de personne à protéger.

 

Immigration and Refugee Protection Act, S.C. 2001, c. 27

 

Exclusion — Refugee Convention

 

 

  98. A person referred to in section E or F of Article 1 of the Refugee Convention is not a Convention refugee or a person in need of protection.

 

 

 

 

 


 

 

 

 

COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                                            IMM-6680-06

 

INTITULÉ :                                                                           M.C.I. c. SATKUNANANTHAN NALLAIYA

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                                                     Vancouver (Colombie‑Britannique)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                                                   Le 17 juillet 2007

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                LE JUGE O’REILLY

 

DATE DES MOTIFS :                                                          Le 16 novembre 2007

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

 

Peter Bell

 

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Warren Puddicombe

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

 

John . Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

Vancouver (C.-B.)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Elgin, Cannon & Associates

Vancouver (C.-B.)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

 

 

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